Moi – Sabina Berman / Vivre autiste, vivre heureux ?

Moi

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Sabina Berman – Moi , traduit de l’Espagnol (Mexique) par Claude Bleton , éditions du Seuil Mars 2011

  Après des études de psychologie à l’université nationale autonome du Mexique, Sabina Berman entre dans la compagnie d’Héctor Azar et publie sa première pièce de théâtre en 1976. Elle est aussi l’auteure d’un recueil de poèmes, d’un roman et d’une autre pièce, Entre Villa y una mujer desnuda, qu’elle a adaptée au cinéma en 1996

Moi est un récit attachant, celui de Karen Nieto, une petite fille autiste, sauvée de la solitude par l’arrivée de sa tante Isabelle qui, après la mort de sa mère, va s’occuper d’elle et lui donner l’attention et l’amour dont la fillette a cruellement manqué.

 Dotée de capacités extraordinaire, une mémoire et une appréhension de l’espace exceptionnelles, Karen, en grandissant, va faire de la pêche au thon, et de leur élevage la passion de son existence. Plus douée pour communiquer avec les animaux qu’avec les Hommes, elle remet en cause la civilisation occidentale, très influencée par le cartésianisme, qui a fait du « je pense, donc je suis » un postulat aux conséquences dramatiques, puisqu’il a mis la pensée au-dessus de la sensibilité, et relégué les animaux non-pensants au statut d’êtres inférieurs : « Les arbres, la mer, les poissons dans la mer, le soleil, la lune, ou une énorme montagne : non, tout cela n’existe que sur un mode d’existence secondaire, mineur. Par conséquent, tout cela mérite d’être marchandise ou nourriture ou paysage des humains, ou rien d’autre. »

            Vous serez tentés de me demander ce que fait la pêche au thon dans cette fable écologiste. Je ne peux pas vous le dévoiler au risque d’éventer un aspect important de l’intrigue. Car c’est d’un véritable récit initiatique qu’il s’agit ici, un long cheminement vers la conscience et la liberté accompli par une jeune femme dont le handicap sera aussi l’accès privilégié à une réalité que les humains « standards » n’aperçoivent pas toujours. Une façon de reprendre l’éternelle question : qui est le fou et qui est le sage ? Ou le fou n’est-il pas plus sage que ce que l’on croit ?  Le fait d’être différent oblige à changer de perspective, à adopter un point de vue autre sur la réalité, à faire ce fameux « pas de côté » qui permet de penser ou plutôt ici de sentir les choses autrement. Peut-être, au fond, la pensée est-elle parfois un handicap parce qu’elle tronque toute une partie du Monde qui nous entoure.

« Pour être heureux, il suffit de laisser agir les sens et de se passer de Descartes. Avec les sens et sans les mots. Il suffit d’être avec le corps tout entier dans la réalité.

Et pour être encore plus heureux, il faut s’ouvrir à la réalité comme si la réalité était ce qu’on pense.

Penser avec les nageoires de ce barracuda qui monte en diagonale en laissant derrière lui un sillage de bulles. »

2/19 Festival America  

Argentine =) Eugenia AlmeidaElsa Osorio –  Lucía Puenzo –  Canada =) Naomi Fontaine –  Lucie LachapelleCatherine MavrikakisDianne WarrenCuba =)  Karla SuárezEtats-Unis =)  Jennifer Egan –  Louise Erdrich –  Nicole Krauss –  Rebecca Makkai –  Toni MorrisonJulie Otsuka –  Karen Russell –  Janet Skeslien Charles –  Vendela Vida –   Mexique =) Sabina Herman –  Pérou =) Grecia Cáceres 

                         L’avis de   Jostein     et de   Fabienne   (Communauté Littérature au féminin)

  festival amerrica

Paroles de femmes : Sabina Berman

Sabina Berman

¿Escribes para no aburrirte?

Escribo porque me fascina la arquitectura del lenguaje. Me fascina usar lo que ya existe en el lenguaje y construir cosas. Es el oficio con el que me gano la vida y con el cual, a veces, justifico que estoy viva.

Tu écris pour ne pas t’ennuyer ?

J’écris parce que l’architecture du langage me fascine. Cela me fascine d’utiliser des éléments existants du langage pour construire d’autres choses. C’est le métier avec lequel je gagne ma vie et avec lequel, parfois, j’atteste que je suis vivante.

Entrevista a Sabina Berman de Susana Alicia Rosas

Après des études de psychologie à l’Université BNationale Autonome du Mexique, Sabina Berman entre dans la compagnie d’ Héctor Aza et publie sa première pièce de théâtreen 1976,   El jardín de las delicias o El suplicio del placer.

En 1986, elle publie Poemas de agua, puis en 1988 un recueil de poèmes lesbiens, Lunas.

Son roman La Bobe paraît en 1990. Elle écrit la pièce Entre Villa y una mujer desnuda (1993), qu’elle adapte elle-même au cinéma en 1996, après son film El árbol de la música (1994). Sa pièce Molière (théâtre mexicaine) est traduite en français en 2005.

Sabina Berman a vécu avec le metteur en scène Abraham Oceransky et aussi avec Lynn Fainchtein. 5source Wikipédia)

Le ciel de bay City – Catherine Mavrikakis / Entre le ciel et l’enfer …

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Catherine Mavrikakis – Le ciel de Bay City – Sabine.Wiespieser Editeur 2009

  Catherine Mavrikakis est née à Chicago en 1961, d’un père grec et d’une mère française. Elle enseigne la littérature à l’Université de Montréal. Ses livres précédents, romans et essais, ont été publiés au Québec.

En 1979, elle choisit Montréal, où elle fait des études de littérature et une dépression, qui la conduira à de longues années de psychanalyse.

Ses recherches tentent de penser l’imaginaire de l’aveu, de la souffrance à nommer dans le récit contemporain (Christine Angot, Chloé Delaume, Guillaume Dustan, Anne-Marie Alonzo). Elle s’intéresse aussi au processus créateur dans la théorie psychanalytique et dans le discours tenu par les écrivains. Elle est participante de longue date au festival littéraire international Metropolis bleu.

Le ciel de Bay City est un ciel plutôt menaçant, violet qui vire au noir, chargé de pollution, de souvenirs de guerre et de traumatismes.

« Au-dessus de nos têtes, les cadavres planent, les esprits voltigent et mêlent leurs corps éthérés, souffrants, hargneux aux gaz toxiques et chauds des usines essoufflées du Michigan ».  L’œil rivé aux nuées, dans cette ville du Michigan où elle est née, Amy, petite fille de juifs polonais, tente de trouver une place et de vivre malgré le secret familial qui entoure  la mort de ses grands-parents et son ascendance juive.

D’ailleurs, sa mère recueillie et adoptée pendant la guerre par de bons catholiques normands tente à tout prix d’oublier le passé, laissant sa fille démunie et livrée à ses obsessions.

Des quatre éléments , l’air et le feu sont les plus puissants, ils embrasent ce roman d’un souffle et d’une écriture puissante qui sonde la mémoire et le traumatisme inter-générationnel. Que nous faut-il porter de nos ancêtres ? Quelle part de leur histoire est vraiment la nôtre ? Sommes-nous à jamais maudits ? Telles sont les questions qui hantent ce récit. Le feu anéantit, brûle autant qu’il sanctifie, des bûchers funéraires de Bénarès où l’âme quitte le corps pour accomplir ses migrations aux fours crématoires d’Auschwitz de sinistre mémoire où tant de juifs furent assassinés et dépouillés de toute humanité.

Entre le ciel et l’enfer, Amy a bien du mal à respirer de son souffle maladif d’asthmatique, toujours au bord de l’asphyxie, en proie au vent qui « s’engouffre d’est en ouest, du nord au sud, en hurlant, en hululant son chagrin ». Le ciel de l’Amérique est « multicolore, mais il ne porte que les couleurs d’une peine ». Peuplé par des vagues d’immigrants venus d’Europe et d’ailleurs, « loin de la Seconde Guerre mondiale et de ses charniers ouverts sous le firmament paisible »,fuyant la misère et l’horreur et portant avec  eux leur exil et leur chagrin, les Etats-Unis d’Amérique sont devenus le pays d’Amy et de sa fille : « les vents des Grands Lacs ont soufflé sur mes cheveux dès ma naissance et les ont emmêlés à jamais » avoue-t-elle.

Toutes les menaces de fin du monde habitent ce ciel méphistophélique, bombe atomique d’Hiroshima , avions kamikazes du onze septembre,  la folie des hommes, et ce secret terrible…

Amy parviendra-t-elle à savoir la vérité sur sa famille ? Au bout du compte, lorsque « l’hymen céleste s’est déchiré et les entrailles de Dieu ont enfin crevé. Cela pue. »

Peut-être existe-t-il d’autres chemins initiatiques, où l’eau des fleuve attire à eux les ciels furieux et permettent aux hommes d’apaiser leurs souffrances… Peut-être après le feu, l’air et l’eau, la terre permet-elle aux hommes de s’enraciner, de trouver un foyer et de cesser d’errer ? Peut-être, après tout, ne sommes-nous pas condamnés à l’apocalypse …

 

Vous le saurez en lisant l’écriture somptueuse de Catherine Mavrikakis, qui sans conteste est une grande dame de la littérature francophone. Son livre est un véritable objet littéraire, extrêmement bien écrit, d’une plume qui cisèle et qui fait chanter la langue ! Ce n’est pas un page-turner, il est parfois lent, se mérite, mais vous emporte au-delà et au-dedans de vous même. Un grand et beau voyage.

 

Depuis 2000, elle a publié cinq romans : Deuils cannibales et mélancoliques (Trois, 2000), Ça va aller (Léméac, 2002), Fleurs de crachat (Leméac, 2005), Le ciel de Bay City, (Héliotrope, 2008, Sabine Wespieser, 2009), Les derniers jours de Smokey Nelson ( Héliotrope, 2011) et une pièce de théâtre Omaha Beach (Héliotrope, 2008). Elle a écrit un essai-fiction sur la maternité avec Martine Delvaux: Ventriloquies (Leméac, 2003) et rédigé un essai: Condamner à mort. Les meurtres et la loi à l’écran (PUM, 2005). En 2010, elle fait paraître L’éternité en accéléré (Éditions Héliotrope)  où elle a condensé les entrées de son blogue.

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74 invités, 19 femmes… Ce n’est qu’un hasard, bien sûr…

Peu nombreuses, elles seront moins médiatisées à part, bien sûr, Toni Morrison qui, malgré son Prix Nobel, reste assez mal connue du grand public.

Je vais donc toutes les lire et parler d’elles ! J’étalerai ces lectures sur plusieurs mois

Paroles de femmes : Toni Morrison

Toni Morrison

« Lorsque j’ai composé mon premier roman, L’OEil le plus bleu [elle avait alors 39 ans et élevait seule ses deux garçons], je m’étais inscrite à un atelier d’écriture. J’ai alors eu envie d’écrire autour d’une anecdote qui m’a profondément marquée. J’avais 12 ou 13 ans. Nous débattions, avec une copine, de l’existence de Dieu. J’affirmais qu’il existait, elle soutenait le contraire. Parce que, m’avait-elle expliqué, cela faisait deux ans qu’elle le suppliait de lui accorder des yeux bleus, et rien ne s’était produit. Je me souviens avoir pensé qu’elle aurait été grotesque avec des yeux bleus et, dans le même temps, m’être aperçue combien elle était belle avec ses yeux étirés, ses pommettes hautes, son nez aquilin. Pour la première fois, j’accédais à cette dimension de la beauté unique, celle que chacun possède tel qu’il est. J’ai eu envie de comprendre et raconter pourquoi elle n’était pas en mesure de la voir.[…]

          Je me documente énormément pour chacun de mes livres, afin de développer une compréhension de la réalité qui ait de multiples facettes, pas seulement celle qui m’arrange. J’ai par exemple commis une erreur dans mon premier livre avec le personnage de Maureen Peal, la petite blonde aux chaussettes impeccables. J’en ai fait le genre de fille que l’on adore détester, vous savez ? [Elle rit.] Je n’ai pas essayé de comprendre combien elle devait être effrayée d’être enviée. Je trouve toujours intéressant de regarder les choses à l’envers, pas seulement comme on vous dit qu’elles doivent être. Lorsque j’ai écrit Beloved, les femmes se battaient pour qu’on leur reconnaisse le droit de ne pas avoir d’enfants en ayant accès à la contraception et à l’avortement. À l’époque de l’esclavage, c’était le contraire. La liberté de Sethe, mon personnage, consistait à vouloir assumer la responsabilité de son enfant jusqu’à lui ôter la vie, pour lui épargner l’asservissement auquel il était promis. »

Extrait de Interview par psychologies.com

Toni Morrison, de son vrai nom Chloe Anthony Wofford, née le 18 février 1931  dans l’Ohio aux Etats-Unis. Elle est romancière,  professeur de littérature et éditrice, lauréate du Prix Pulitzer en 1988, et du prix Nobel de littérature en 1993. Première femme noire à avoir été distinguée par ce prix prestigieux, elle porte la voix et l’histoire des afro-américains. C’est son roman « Beloved » qui l’a fait connaître en France. Aux Etats-Unis deux romans on assuré sa notoriété : Sula en 1973 et Song of Solomon en 1977. Son dernier livre « Home » est publié aux éditions Bourgois sous la forme d’une confession de Frank Money, un homme noir traumatisé par les violences dont il a été témoin pendant la guerre de Corée. Il décide alors avec sa soeur de retourner dans le village de leur enfance où ils ont tous les deux beaucoup souffert.

Premières années – Marie d’Agoult / Vivre et écrire au XIXe siècle

Marie d'Agoult

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Marie d’Agoult(1805-1876)- Premières années – Folio collection Femmes de lettres 2009

La critique littéraire a opéré des coupes sombres dans la littérature féminine des siècles passés quant elle ne l’a pas carrément passée sous silence. Les écrits de femmes furent longtemps considérées comme des œuvres mineures.
Qu’en est-il du  XIXe siècle ? Quel nom d’écrivaine retient-on de cette période hormis Georges Sand ? Et pourtant il y en eut d’autres, dont Marie d’Agoult, qui dut surtout sa célébrité à une longue liaison avec le compositeur Franz Liszt mais qui écrivit pourtant plusieurs essais historiques et politiques, un roman, ainsi que des poèmes,  proverbes et nouvelles.

 

L’édition présentée ici a été établie et présentée par Martine Reid à partir d’une œuvre plus vaste « Mes souvenirs » publié en 1977 par Calmann-Lévy après la mort de l’auteure. Martine Reid a repris le texte de cette édition, du chapitre II au chapitre XVII. Quelques coupures ont été effectués dans l’ensemble pour une raison de calibrage du volume.

Ce petit livre est intéressant à bien des égards : outre qu’il offre l’histoire de soi par le biais de l’autobiographie, il fait de nombreuses références à l’histoire du temps.
Marie d’Agoult non seulement donne de précieuses informations sur la France de la Restauration, et sur la mentalité de ses contemporains mais entreprend une critique sans complaisance de ses multiples travers en même temps qu’elle souligne ses paradoxes.

Elle écrit dans une langue élégante mais vivante, croque à merveille les situations, campe les personnages en quelques phrases et anime son récit de descriptions vivantes et de portraits dont on sent la justesse psychologique.

Elle évoque d’abord ses premières années d’une enfance choyée avant son départ pour le couvent.
Du mariage qui suivit quelques années plus tard, on sait qu’il fut
désastreux et qu’après la mort de sa fille Louise, elle vécut une
profonde dépression.

Sa rencontre avec Liszt fut un tournant décisif dans son existence : elle quitta tout, ignora les codes de conduite de la bonne société et ses préjugés nobiliaires, et vécut une vie de femme libre.

Elle décrit le milieu conservateur qui fut celui de sa famille, sa morale souvent rigide et hypocrite, plus soucieuse du qu’en-dira-t-on que de véritable intégrité morale, où les femmes sont soumises au père puis au frère aîné. Toutefois cette aisance lui permit d’être éduquée :
« Ma mère et ma bonne allemande […]me faisaient lire des contes de Grimm, réciter des fables de Gellert ou des monologues de Schiller. »

Elle put suivre son père à la chasse et à la pêche, éprouver l’ivresse due à l’activité physique et à la vie au grand air.

Elle étudie lors de leçons « sans pédantisme , sans réprimandes, abrégées dès que se trahissait dans mon attitude la moindre fatigue ,[…] exemptes  de ces surexcitations de l’amour-propre qui , dans les rivalités des pensions et des lycées mêlent si tristement la jalousie à l’ambition d’exceller ».

Le frère est « un père plus jeune, comme un guide, comme un appui  dans le monde que je ne connaissais pas. »

Sous la tutelle du père puis du frère, puis de l’époux, Marie de Flavigny suit les coutumes de son temps, qu’elle rejettera plus tard pour vivre ses amours avec Liszt. Le discours des jeunes années est à bien des égards un discours de soumission. Elle se réfugie au couvent dans un mysticisme profond.
Elle raconte aussi quelle était l’instruction des jeunes filles dans la maison d’éducation la plus renommée de France.
Ces jeunes filles savaient à peine l’orthographe mais « Il était entendu qu’une demoiselle bien élevée, lorsqu’elle entrait dans le monde, devait avoir appris avec ou sans goût, avec ou sans dispositions naturelles la danse, le dessin, la musique, et cela dans la prévision d’un mari qui, peut-être, il est vrai, n’aimerait ni les arts ni les bals, et qui, au lendemain du mariage, ferait fermer le piano, jeter là les crayons, finir les danses, mais qui, possiblement aussi, en serait amateur. »

Il y a dans ce récit des « Premières années » un accent de profonde révolte qui le rend particulièrement attachant et émouvant. Parole longtemps oubliée d’une femme qui marqua son temps, et posa avec d’autres, les fondations du féminisme.

Marie d'Agoult (1843), portrait by Henri Lehma...
Marie d’Agoult (1843), portrait by Henri Lehmann (1814 – 1882) (Photo credit: Wikipedia)

Paroles de femmes – Catherine Mavrikakis

catherine

« Comment écrivez-vous?

N’importe où : dans mon lit, sur la table de cuisine, dans la voiture (je ne conduis pas…), en voyage, chez moi, chez les autres. N’importe quand : dès que j’ai vingt minutes. N’importe comment : avec une plume, dans un carnet, avec un crayon, sur une feuille qui traîne dans mon sac ou encore directement sur mon ordinateur. L’idéal se serait d’avoir un rituel très tôt le matin, à mon bureau, devant mon clavier. J’y arrive parfois, mais la plupart du temps, je dois voler les mots au passage.

Pourquoi écrivez-vous?

Je ne sais pas. Je dis toujours que cela ne durera pas, que je n’en aurai pas envie plus tard. Pour l’instant, j’écris de façon très égoïste. Pour me faire signe. Pour voir si je suis là. Je frappe à ma propre porte et tant mieux si je me dérange.   »

extrait d’une interview passionnante à lire dans Catherine Mavrikakis en six questions – L’EXPRESS

Hypathie – Femme philosophe

hypathie

vignette Les femmes et la PenséeHypathie est née à Alexandrie. Elle étudiait les mathématiques et la philosophie. On pense qu’elle a peut-être dirigé l’école néo-platonicienne d’Alexandrie.

Elle dispense des cours de philosophie au service de l’État, dans les années 390.

Nicéphore, au chapitre 16 de son XIVe livre, raconte qu’elle fut admise à l’école de Platon pour y succéder à Plotin. Selon Damascios, elle expliqua « Platon ou Aristote ou tout autre philosophe ». Elle était admirée de tous pour son savoir, sa pudeur et sa décence. « Mais le fait qu’elle fût souvent en compagnie d’Oreste, préfet d’Alexandrie, inspira contre elle une cabale auprès du clergé de Cyrille, évêque d’Alexandrie, qui empêcha la réconciliation de Cyrille avec le préfet ».

Elle fut lapidée par des chrétiens.

Rapporté par Gilles Ménage, Henri de Valois cite dans son Histoire ecclésiastique de Socrate , au chapitre 15 du VIIe livre, les mots de Socrate :

« Il y avait à Alexandrie une femme du noms d’Hypatie, qui était la fille du philosophe Théon. Elle était parvenue à une telle érudition qu’elle surpassait de très loin tous les philosphes de son temps, et qu’elle fut admise à l’école de Platon pour succéder à Plotin, et exposer aux auditeurs les disciplines de la philosophie. Ceux qui étaient épris de philosphie affluaient de toutes parts pour l’entendre. Outre la confiance et l’autorité quelle s’était acquises par son érudition, elle comparut quelquefois devant les juges en montrant une grande modestie. Elle n’éprouvait aucune honte à se montrer fréquemment au milieu des hommes. »

Gilles Ménage – Histoire des femmes philosphes éditions Arléa en janvier 2006.

Les écrivaines du Moyen-Age: les trobairitz

Beatriz de Dia

Beatriz de Dia

          C’est tout à fait récemment que l’on a découvert des fragments de poèmes de poétesses occidentales du 12 et 13e siècle, que l’on appelle « femmes troubadours » mais aussi trobairitz qui ont marqué la renaissance occitane dans le Languedoc, terre ouverte sur la Méditerranée, et en contact avec l’Espagne musulmane, influencée par la poésie et la culture des Maures. Elles ont joué et composé des vers pour les cours occitanes. Elles composaient des poèmes en réponse à ceux des troubadours.

Cette émergence de la poésie féminine est certainement due à plusieurs facteurs qui ont assoupli temporairement les règles de la société misogyne du Moyen Age. Grâce à une certaine prospérité et une relative stabilité politique,  la noblesse accordait une plus grande importance au luxe et à l’art qui était le domaine des femmes , ce qui leur permit d’y imposer leurs goûts. D’autre part, l’influence de l’Orient va bouleverser les cadres de la pensée religieuse (manichéisme venu à la fois d’Espagne et de Constantinople via la Bulgarie.)  Le catharisme va émerger qui tente d’en résoudre les contradictions. Michel Lequenne  écrit qu’il y aurait eu d’un côté le rejet de la chair par l’abstinence, le refus du mariage et de la procréation, et de l’autre côté des adeptes de l’assouvissement du corps pour mieux le dompter (orgies). Les guerres avec les Musulmans permettent des influences mutuelles et les femmes du haut de la société profitent de ces changements pour acquérir un peu plus de liberté. Elles vont prendre une plus grande place dans la vie sociale et politique. C’est ainsi que Bertrande de Montfort « répudie » son premier mari Foulques d’Anjou pour se remarier avec le roi de France Philippe premier et qu’Aliénor d’Aquitaine participe avec son mari le roi Louis VII à la deuxième croisade, pour divorcer à son retour et épouser Henri Plantagenêt, apportant ainsi les provinces de l’ouest, de Nantes jusqu’aux Pyrénées au Roi d’Angleterre . (cité par Michel Lequenne).

Il faut ajouter que le code justinien établissait le droit de simple usufruit d’un homme sur la dot de son épouse et le droit théodosien donnait des droits égaux dans le partage des biens paternels aux fils et aux filles célibataires. Ce qui modifia sensiblement la situation des femmes dans cette partie de la France.

Les femmes sont juges des cours d’amour et des combats de poésie pour petit à petit débattre de sujets plus graves. Mais cette Renaissance sera détruite par la croisade des Albigeois.

La poésie courtoise fut le fleuron de cette Renaissance, elle est écrite en langue vulgaire, adopte une nouvelle métrique, et développe des thèmes nouveaux.

La femme que l’on exalte est toujours une noble dame, mariée de surcroît, et à travers elle, c’est au seigneur et mari que l’on s’adresse souvent afin de se gagner ses bonnes grâces.

Des femmes de seigneur, privilégiées, protectrices des troubadours parviennent à dépasser par leur talent les professionnels. Novices, elles prennent des libertés avec les codes en vigueur, sont plus simples et plus directes, nourrissent leur art de leur expérience, développant un nouveau ton  qui emprunte à la confidence et à l’intime, mettant à jour les tensions et les conflits qui habitent le sentiment amoureux, loin du schéma traditionnel de la poésie courtoise masculine assez abstraite. Elles veulent être aimées et reconnues et pas seulement idéalisées. La sublimation littéraire cède  le pas à une tension érotique certaine.

« Beau doux ami, baisons-nous vous et moi

Là-bas aux près où chantent les oiseaux,

Tout ce faisons en dépit du jaloux

Oh Dieu ! Oh Dieu ! que l’aube est tôt venue…

Ou encore de la comtesse de Die

Bel ami gracieux et plaisant,

Si jamais vous tiens en mon pouvoir,

S’il m’est donné un soir de coucher près de vous

Et de vous donner le baiser d’amour,

J’aurais, sachez-le, grand plaisir

Au lieu de mon mari entre mes bras à vous tenir

Pourvu que vous promettiez d’abord

De faire tout ce que je voudrais.

Les femmes sont obligée de procréer et d’assurer la descendance de leurs époux, qu’à cela ne tienne, mais leur soif d’amour est soif d’amour réel et non pas seulement symbolique. L’ordre social n’est pas renversé, la subordination des femmes est trop enracinée dans toutes les structures sociales.

Leurs poèmes sont souvent des plaintes : « J’ai le cœur si désabusé que je suis à tous étrangère, et sais qu’on a perdu beaucoup plus vite que l’on ne gagne », s’écrie Azalaïs de Porcairagues. C’est pourquoi des chercheuses aujourd’hui comme Lori-Anne Théroux-Bénoni, de l’Université Concordia  essaient de montrer que les écrits des trobairitz entrent dans la catégorie des «poèmes autobiographiques» car ils s’inspirent largement de la vie personnelle des trobairitz.

Les thèmes, « l’amour, les soucis amoureux, le désir, le besoin de l’ami pour combler une place vacante et le caractère arbitraire du rôle qui leur est donné par le code de la fin’amors. Les écrits de femmes s’apparentent plutôt à des journaux intimes. Leur poésie, bien qu’elle respecte la forme de la poésie courtoise, n’utilise pas de clichés. C’est dans un langage direct et sans ambiguïtés qu’elles lèvent le voile sur leurs sentiments les plus intimes. La plupart des écrits de femmes sont des tensons. Alors que les hommes utilisaient cette forme poétique pour traiter de questions d’actualité, les femmes s’en servaient pour demander conseil ou présenter une situation. » Anne Théroux-Bénoni 

Un roman-poème anonyme de Flamenca, écrit au XIIIe siècle, retrouvé dans la bibliothèque de Carcassonne à la fin du XVIIIe siècle, et publié seulement à la fin du XIXe, où la liturgie est « prise comme moyen de communication érotique, de l’Amour (féminin en Occitan) invoqué comme véritable déesse, et de la dame y prenant la place de Dieu dans un féminisme le plus avancé de la révolution courtoise des mœurs ». Beaucoup de passages manquent à ce texte qui ne permettent pas d’en authentifier l’auteur(e). Homme ? Femme ? On ne peut faire que des hypothèses.

L’auteur y voit un langage féminin, et des thèmes qui ne trompent pas :

L’enfermement des femmes et leur interdiction à la culture : « Dites-moi donc maintenant, sur la foi que vous me devez, ce que vous auriez fait depuis deux ans que vous endurez ce tourment [de l’enfermement], si vous n’aviez pas été aussi cultivée que vous l’êtes. Vous seriez morte crucifiée par le chagrin. Eprouveriez-vous une grande tristesse qu’elle serait dissipée par la lecture ? » Le sujet du roman est emprunté au drame historique de l’emmurement de sa femme par le jaloux Archambaud.

Michel Lequenne développe encore d’autres arguments que je ne reprendrai pas ici, mais qui sont passionnants.

Les recherches aujourd’hui sur l’histoire de la littérature et des femmes rend justice à ces autrices injustement oubliées et restaure l’identité de chacune en assurant la continuité des productions féminines dans l’histoire.

Voir Michel Lequenne, Les Trobairitz in Grandes dames des lettres

Un été sans les hommes – Siri Hustvedt

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Chaque mois, nous commémorons la disparition d’Hubert Nyssen en publiant un article sur un des livres publiés par Actes Sud (grâce à l’initiative de Denis.du blog « le bonheur de lire »).

  Un été sans les hommes de Siri Hustvedt, Actes Sud 2011, traduit de l’américain par Christine Le Bœuf.

              Mia, poétesse de son état, a sombré temporairement dans la folie. Une psychose l’a terrassée pendant de longs mois, suite à la découverte de la liaison de son mari avec une femme plus jeune qu’elle. De cet effondrement, elle va se relever lentement le temps d’un été. En effet, elle décide de quitter New York pour se réfugier auprès de sa mère qui habite désormais dans une maison de retraite du Minnesota, entourée de ses amies veuves et octogénaires. Elle va animer par ailleurs un groupe de poésie avec sept jeunes adolescentes dont le groupe sera la proie de rivalités et de la confusion des sentiments . Mia en profite pour faire le point sur sa vie dans un récit où elle dénonce la société patriarcale qui impose encore et toujours des relations de soumission aux femmes et leur confère une invisibilité sociale qu’elles n’aperçoivent même plus tellement elles l’ont intériorisée.

La narratrice va entreprendre une renaissance, une reconstruction, au sein d’un groupe de femmes de plusieurs générations, dont le réseau de relations au maillage serré  lui permet de réinventer la vie quotidienne. Dans un spectre très large de générations qui va du nourrisson à de vieilles dames octogénaires , le récit explore les différentes façons dont les femmes construisent leur identité. Les plus âgées  profitent d’une liberté chèrement acquise à la mort de leur mari, et les plus jeunes sont en quête de la reconnaissance de leurs pairs.

La narratrice rappelle que pour les grecs, les femmes étaient des hommes invertis, alors qu’au XVIIIe siècle hommes et femmes étaient perçus sur le mode d’une différence radicale : ils n’avaient plus rien de commun. Hommes et femmes sont différents par certains aspects ; leurs expériences divergent à travers des rôles sociaux qui vont déterminer une partie de leur personnalité; mais quel niveau de différence fait la différence ?  Les différences de genre, bien sûr, mais pas seulement… Chacun doit trouver une réponse qui lui est personnelle : suivre la voie qui lui est tracée ou en inventer une autre.

Le récit est mené à la façon d’une comédie avec de nombreuses allusions cinématographiques aux films américains. Des dessins émaillent le livre qui assurent une causticité joyeuse et intriguent le lecteur. Mia l’interpelle fréquemment car il est le témoin du bon déroulement de l’histoire.

Je me suis laissée prendre par ce récit, cette « lecture de soi » d’une femme confrontée au passage du temps. J’ai suivi le fil de ses  méditations , me les suis appropriées au rythme de la page, en ai fait mes propres interrogations dans une lecture bienheureuse.

Paroles de femmes : Siri Hustvedt

Siri

« Je ne me pense pas d’abord comme une femme. Ma réalité intérieure est bien plus complexe. Je me sens habitée par de multiples voix, de multiples personnes, des forces qui sont à la fois masculines et féminines. Je ne me sens limitée à aucune identité sexuelle. »

Interview Madame Figaro

Beaucoup de femmes lisent de la fiction. La plupart des hommes, non. Si un homme ouvre un roman, il aime voir sur la couverture un nom masculin ; cela a quelque chose de rassurant. […]. En outre, les hommes se vantent volontiers de négliger la fiction : « Je ne lis pas de romans, mais ma femme en lit. » De l’imagination littéraire contemporaine émane, semble-t-il, un parfum nettement féminin. Rappelez-vous Sabbatini : nous autres femmes, nous sommes douées pour le verbe. Mais à dire vrai, nous avons été consommatrices enthousiastes du roman dès sa naissance, vers la fin du XVIIe siècle, et, à cette époque, lire des romans vous avait un arôme de clandestinité. […] lire est une activité privée, souvent exercée derrière des portes fermées. Une jeune dame pouvait se retirer avec un livre, pouvait même l’emporter dans son boudoir et là, étendue sur ses draps de soie, tandis qu’elle s’imbibe des passions et frissons manufacturés par la plume d’un écrivain polisson, l’une de ses mains, pas absolument indispensable pour tenir le petit volume, pourrait s’égarer. »

Un été sans les hommes,  2011

Autour de moi, solitudes éteintes- Marie-Claire Bancquart

Autour de moi, solitudes éteintes :
romancières anglaises, poète américaine, poète allemande…

O brûlantes, arrachées
à elles-mêmes
par l’ordre ancien !

Mais je pense surtout à celle
de siècle plus lointain
qui écrivit :
Bel ami ainsi est de nous
Ni vous sans moi ni moi sans vous.

Au-delà de la différence
je choisis le grand héritage indivis :
bonheur de rues et de nuages
d’une musique, d’un seul mot peut-être,
parcourant la précarité de toute cette partition
qu’un jour nous cesserons de lire, vous et moi.

Que demeure du moins, peut-être infime, le
« Bel ami ainsi est de nous »,
cette voix d’union parmi la dissonance universelle !

« Marie-Claire Bancquart vit à Paris.
Professeur émérite de littérature française contemporaine à l’Université de Paris-IV (Sorbonne), auteur d’essais et d’articles sur la période 1880-1914 , sur Paris et les écrivains ( quatre tomes, de 1880 à nos jours), et sur la poésie contemporaine.
Prix de poésie Max Jacob, Vigny, Supervielle, et prix d’automne de la Société des gens de Lettres, et prix de poésie 2006 de la ville de Lyon.

Français : La poète Marie-Claire Bancquart lor...
Français : La poète Marie-Claire Bancquart lors d’une rencontre à la librairie Tschann à Paris (Photo credit: Wikipedia)

Membre des jurys des prix Apollinaire, Ivan Goll et Max-Pol Fouchet, et de divers autres prix. Nombreuses lectures et ateliers en France et à l’étranger.
La poésie de Marie-Claire Bancquart a fait l’objet d’un colloque au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle: « Marie-Claire Bancquart: l’invention de vivre », du 3 au 10 septembre 2011. La publication du colloque est prévue en 2012, chez Peter Lang.

Elle est décédée le 19 février 2019.

« Pour l’ensemble de son oeuvre, Marie-Claire Bancquart a reçu en 2012 le prix Robert Ganzo de la fondation de France. ».

Source Printemps des poètes

Moïra sauvage – Les yeux blessés par l’avenir

Gertrude and Ursula Falke Portrett 1906

Les yeux blessés par l’avenir

Ciel étoilé où meurt le jour

Ma vie éclate et se retire

A peine jetée vers la mer

Nuages pâles dont j’ai peur

Ma vie tranquille désespère

Je dois aimer le jeu des heures

Le chemin calme du silence

Cadeau glacé de ce qui meurt

Je ne sais plus ni ce qui brille

Chagrin de nuit désamorcé

Ni ce qui s’avance et murmure

Mon coeur à nu se déshabille

Dans l’indolence de l’été

Face au néant

Face à ce mur

Que jamais

Je n’aurais imaginé

Moïra sauvage Tous droits réservés.

Née à Dublin d’un père irlandais et d’une mère française, Moïra Sauvage est journaliste et écrivain. Elle a effectué de nombreux reportages à l’étranger avant de devenir  journaliste en free-lance pour différents journaux. Parallèlement, elle a pendant six ans été responsable de la commission Femmes d’Amnesty International France, où elle a travaillé en 2006 à la publication du rapport Les Violences envers les femmes en France : une affaire d’Etat. Elle est également l’auteur de deux essais : Les Aventures de ce fabuleux vagin (Calmann-Lévy, 2008) et Guerrières ! A la rencontre du sexe fort (Actes Sud, 2012).(Présentation Actes Sud)

Dans la ville d’or et d’argent de Kenizé Mourad

Dans-la-ville-d-or-et-d-argent

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Kénizé Mourad Dans la ville d’or et d’argent, Editions Robert Laffont 2010, Le livre de poche 2012.

Cette lecture a fait parfaitement écho au livre de Moïra Sauvage « Guerrières ! A la rencontre du sexe fort » car il s’agit vraiment ici de l’histoire d’une guerrière, Hazrat Mahal, quatrième épouse du roi d’Awadh, au nord de l’Inde, qui fut à la tête du soulèvement du peuple et mena jusqu’u bout cette première guerre nationale.

  Lorsque la Compagnie anglaise des Indes orientales décide de s’emparer d’Awadh, Etat prospère du nord de l’Inde, en 1856,  le roi, la Rajmata, sa mère, et une partie de sa cour décident d’aller en Angleterre plaider leur cause auprès de la reine Victoria. Sans monarque, le royaume se retrouve livré au pouvoir du résident anglais.

  Enfermée dans le Harem depuis de nombreuses années, Hazrat s’ennuie. A l’époque, la purda impose la réclusion des femmes et une stricte séparation entre les sexes. Le roi a de nombreuses épouses qu’il délaisse une fois son caprice satisfait. Elle est encore jeune, et excepté son amour de la poésie, et son habileté à versifier, dans le « Zenana », il n’y a rien d’autre à faire que déjouer la malveillance et la jalousie des autres concubines du roi. La vie émolliente de la cour, l’indolence et le désœuvrement ne lui permettent pas d’exprimer sa personnalité. Le Zénana se révèle vite être ce qu’il est, une prison, « où s’étiolent les plus belles femmes du royaume ». Les femmes passent leur vie à attendre et finissent « enterrées vivantes ».

Son parcours est une réussite : orpheline, vendue par ses tuteurs comme courtisane, elle bénéficie d’une éducation poussée. En effet, les courtisanes ne sont pas des simples prostituées mais ont un statut très élevé. « En général, elles ont un riche protecteur et reçoivent chaque soir dans leur salon des aristocrates et des artistes. Tout en buvant et se restaurant de mets choisis, on écoute de la musique, récite des poèmes et converse jusqu’aux petites heures de l’aube »

Enfant, son père lui a laissé une grande liberté en pensant qu’elle aurait bien le temps de « subir sa vie de femme », et cette expérience lui a laissé le goût de la liberté.

 D’autres personnages de « Guerrières » émaillent ce livre : Lakshmi Baï dont le père a fait une cavalière hors pair, rompue au maniement des armes et d’autres personnages historiques dont l’auteure nous rappelle l’histoire. Ainsi Razia Sultane, que son père en 1236, désigna pour lui succéder sur le trône de Delhi, ou au XVIIe siècle Nur Jehan, épouse de l’empereur Jahangir qui dirigea l’empire Moghol pendant que son mari s’adonnait à la poésie et la boisson ou encore les souveraines de Bhopal, l’une des plus grandes principautés musulmanes des Indes

 Musulmane, elle s’élève contre le détournement et la méconnaissance des textes sacrés, et rappelle que « Le prophète a au contraire, donné aux femmes des droits qu’aucune chrétienne, juive ou hindoue n’avait à l’époque et n’obtiendrait avant des siècles : le droit à l’héritage, la libre disposition de ses biens, le droit de faire des affaires… », que nulle part dans le Coran, il n’est demandé de cacher son visage, ni même ses cheveux. » Elle cite ces passages : « Dis aux croyantes de baisser le regard, d’être pudiques, de ne monter que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leur voile sur leur poitrine »Sourate 24, verset 31, et « Dis à tes épouses et à tes filles, et aux femmes des croyants, de se revêtir de leur mante ».Sourate 33, verset 59.

 

English: Begum Hazrat Mahal, also known as Beg...
English: Begum Hazrat Mahal, also known as Begum of Awadh, was the wife of Nawab Wajid Ali Shah (Photo credit: Wikipedia)

Hazrat, par la seule force de sa personnalité, une vive intelligence, et une détermination sans faille, va savoir profiter de la guerre pour conquérir sa liberté. De tout temps on a interdit aux femmes la guerre, et les quelques personnages de femmes qui ont réussi à échapper à ce tabou sont encore et toujours des exceptions. Elles ont osé aller contre la tradition. En Inde au XIXe siècle, en dehors du Harem, une femme mariée « est moins qu’une prostituée qui, elle, a la liberté de refuser sa couche. Une femme mariée, si elle n’a pas de fortune personnelle, est totalement dépendante du bon vouloir et des humeurs de son époux. »

            Cette begum courageuse exploitera ses qualités viriles, exprimera sa force, et conduira même ses hommes à la bataille, preuve s’il en est que ces qualités ne sont pas l’apanage des hommes.

  C’est le livre de Moïra Sauvage ( Guerrières), qui par ricochet, m’a intéressée à ce récit qui sinon m’aurait peut-être un peu ennuyée. Presque 500 pages de récits de batailles, de stratégies militaires, de descriptions de milliers de morts, d’atrocités commises, c’en était assez pour moi ! Heureusement il y a une belle et malheureuse histoire d’amour qui soutient le récit !

Guerrières de Moïra Sauvage

Guerrieres

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Attention un sexe peut en cacher un autre ! Les femmes, le sexe faible ?

Il faut croire que c’est une attitude historiquement  très bien ancrée depuis Aristote ! La femmes est douce par nature  mais aussi faible, menteuse, bavarde et j’en passe.

           Or, aujourd’hui, il semblerait que ces clichés aient fait leur temps car nous assistons à un changement de grande ampleur : les femmes n’hésitent plus à exercer des professions dites« viriles » et sont de plus en plus nombreuses à intégrer l’armée, la police, la guerillera et à pratiquer des sports de combat qui requièrent une certaine force physique et mentale. Elles n’ont plus peur de leur agressivité et n’hésitent plus à s’en servir pour parvenir à la maîtrise de soi.

 

           Moïra Sauvage dynamite  dans cet essai un certains nombres d’idées reçues sur la passivité et la douceur féminine et nous invite à poser un nouveau regard sur le masculin et le féminin. La personnalité des femmes s’exprime tout autant que celle des hommes au travers de la violence ou de l’agressivité ; elles déploient leur force dans le quotidien pour soutenir leur famille et accomplir les différentes tâches domestiques ou subliment leur agressivité en pulsion positive pour combattre l’injustice, réaliser leurs passions ou transformer la société.

 

           L’auteure pose les bases d’une réflexion théorique et convoque les sciences humaines, sociales et expérimentales pour étayer son propos. Elle le fait avec intelligence et clarté et son argumentation est particulièrement fluide. Bien sûr, il y a quelques postulats de base qu’elle se charge de démontrer : entre autres, l’égalité des hommes et des femmes et la construction sociale du genre. Entre les hommes et les femmes, il n’y a pas de différence de nature mais bien un apprentissage des rôles sociaux qui diffère  selon le sexe biologique de l’individu. Aux uns, on permet l’agressivité qui est intériorisée comme une composante de leur personnalité, aux autres on l’interdit et elle doit être refoulée.

           L’interdiction faite aux femmes de prendre les armes et de participer aux guerres était une façon de leur refuser le pouvoir : « Pour que des femmes soient dominées, il était essentiel qu’elles soient désarmées, c’est pour ça que le monopole de tuer a toujours été masculin » explique Christine Bard, historienne et féministe. Le système patriarcal sur lequel repose nos sociétés  est une forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes. Le contrôle de la filiation est une de ses composantes les plus essentielles.

 

           L’accès des femmes aujourd’hui à un usage de la violence institutionnalisé oblige à repenser les rôles de chacun et brouille les repères identitaires dans une société où la division sexuelle des tâches a été au fondement de l’organisation sociale.

A la question : « Les femmes sont-elles moins violentes que les hommes ? », l’auteure répond que la violence féminine est différente parce qu’elle s’est surtout exprimée dans le privé et la sphère domestique où elles ont été longtemps cantonnées. L’usage de la violence physique étant interdit, elles s’exprimaient davantage par la parole et la violence s’exprimait verbalement. En proie à des conflits psychiques insolubles, elles retournaient aussi parfois la violence contre elles-mêmes et se donnaient la mort, quand elles ne mouraient pas à petit feu, consumées par un désespoir d’autant plus  grand qu’il devait être tu.

 

           Mais au fond, c’est plutôt une bonne nouvelle pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Les hommes ne sont pas par nature des êtres violents et destructeurs et les femmes des victimes passives et désarmées. Tout est question d’éducation. La violence est une force physique ou psychologique  pour contraindre et dominer, voire pour causer la mort  et elle est présente en chacun de nous. Elle n’est pas non plus la fatalité d’un sexe masculin gorgé de testostérone et  incapable de maîtriser ses pulsions. On peut apprendre à canaliser sa force et à sublimer ses pulsions agressives. C’est l’éducation et la culture qui nous donnent les moyens de le faire.

Si autant de femmes meurent aujourd’hui sous les coups de leurs compagnons, la faute en est due peut-être à une éducation où pour être viril il faut être violent, ne pas pleurer et taire ses émotions.

 « Ce sont les apprentissages de chacun de son rôle défini par la société qui vont « modeler » son cerveau », affirment aujourd’hui les neurobiologistes.

 

Quant aux femmes, elles ne sont pas toujours ou seulement des victimes, ce sont aussi des guerrières. Elles sont présentes dans l’histoire et ont montré leur détermination à changer leur vie, à refuser un avenir tout tracé en trouvant la force d’aller contre la tradition.  Combattantes sans armes, souvent plus occupées peut-être, par la force des choses, à préserver leur famille et la vie de leurs enfants, elles se révèlent d’un courage extraordinaire, d’une endurance et une persévérance sans faille. Et cela aussi c’est une bonne nouvelle.

 

Et que cette bonne nouvelle soit portée par Moïra Sauvage est un atout supplémentaire tant cette femme recèle d’énergie, de bienveillance et d’intelligence. (lire l’entrevue réalisée avec elle dans quelques jours)

Dans un essai clair et bien argumenté, tout au long de rencontres passionnantes avec des femmes du monde entier, que ce soient Talisma Nasreen, écrivaine née dans une petite ville du Bangladesh ou les femmes rwandaises après le génocide, avec lesquelles s’est entretenue Moïra Sauvage, l’auteure réussit ce tour de force de présenter un travail rigoureux, mais vivant, et un reportage passionnant aux quatre coins du monde. A lire absolument !