Humeur… Les écrivains pour dames…

Tout le monde ou presque connaît les paroles de la chanson de Souchon, qui évoque  » ces nouvelles pour dames de Somerset Maugham ». La tradition est longue de ces soi-disant auteurs qui écriraient avec l’intention particulière de plaire aux femmes. Les ingrédients sont toujours les mêmes : mièvrerie, sentimentalisme sirupeux, légèreté, délicatesse et une certaine pudeur (non, les femmes ne …. pas). Bon, je vous le concède, ils ne le font pas toujours exprès ! Mais le succès est souvent au rendez-vous, car ils vendent  beaucoup de livres . Les femmes lisent…énormément.

Cette semaine, j’ai entendu un critique littéraire très connu, sur une chaîne de télévision non moins connue, faire l’amalgame : il semblerait que deux auteurs réputés pour leur lectorat féminin, Grégoire Delacourt (La liste de mes envies) et David Foenkinos (La délicatesse) tentent une reconversion.

Grégoire Delacourt, avec « On ne voyait que le bonheur« , tentative ratée selon ce même critique,  chez Lattès,  sorti le 20 août 2014, et le roman « Charlotte » de David Foenkinos qui s’intéresse au destin d’une artiste peintre allemande qui a été tuée à Auschwitz. Bon, là, il semblerait que ce soit réussi. L’auteur a au moins atteint le purgatoire. Encore quelques efforts, et il sera lu aussi par les hommes, consécration suprême !

J’aimerais savoir ce qu’est un livre écrit pour les hommes ? Du sang ? Du sexe ? Quelques coups de poing ? Quels sont donc les auteurs dont l’écriture virile est plébiscité par les hommes ?

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Diane Mazloum parle de son livre « Beyrouth, la nuit

Leïla Sebbar : Travail de ménagère, travail d’écrivaine (1986)

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 Leïla Sebbar: Travail de ménagère, travail d’écrivaine (1986)

Texte de Leïla Sebbar

L’ordre de la maison est aussi tyrannique, jubilatoire ou meurtrier, que l’ordre de l’écriture.

Une femme est capable de souffrir, soudain, d’insomnie réelle, si la vaisselle a été oubliée dans l’évier, si le fond de la cocotte, brûlée par accident n’a pas été récuré énergiquement à temps, ou si elle n’a pas retrouvé, à la place où elle devait être rangée, au moment du grand nettoyage de printemps, la couverture d’enfant dont elle a absolument besoin, là tout de suite…

Tout objet domestique déplacé, contrevenant à l’ordre établi par celle qui fait le travail, au jour le jour, devient un objet de torture mentale. Et comme les objets ne manquent pas dans une maison…

sébastien Pignon

Pour une femme qui écrit, les obsessions ménagères se trouvent transposées dans sa pratique d’écrivain. L’emploi du temps, de l’espace, du corps domestique, les gestes pour corriger, décrasser, ranger, mettre et remettre en place, harmoniser, les manières qui accompagnent ces gestes, on les retrouve exactement chez la ménagère et chez l’écrivain. La production finale sera différente dans la forme et la fonction de l’objet, mais la similitude dans l’ordonnancement du matériel graphique pour le livre, ou du matériel ménager pour la maison est frappante lorsqu’on y regarde de près. Par ailleurs, les effets du travail d’écriture, pour celle qui a accompli les gestes appropriés suivant le rituel imposé à elle-même, la ménagère ou l’écrivain, qui a travaillé et organisé le travail, rituel dépendant des humeurs et des principes de la maîtresse d’oeuvre.

La ménagère comme l’écrivain, travaille pour un résultat quel qu’il soit, qui lui donnera la certitude ou l’illusion, comme on voudra, qu’elle a accompli une oeuvre aussi vitale qu’une oeuvre d’art. Par sa maîtrise sur les objets de ménage ou d’écriture, elle a réussi à faire une maison, à faire un livre; grâce à une conduite disciplinaire de maintien de l’ordre suivant ses propres critères esthétiques, elle a observé avec obstination son idée de l’harmonie, de la grâce, du charme d’une chambre ou d’une page écrite, d’une maison ou d’un livre.

Ainsi, elle a créé, elle a donné forme et force à un espace qu’on lit des yeux et du corps, livre ou maison.

Comme une maison, un livre est un lieu de vie, un lieu à vivre; même si on sait que la ritualité du ménage, de l’écriture protège contre la folie et la mort, contre l’angoisse de ce qui est à refaire chaque jour, on voudrait croire à l’éternité. Une maison, comme un livre, est un lieu de vie mouvant à créer et recréer sans fin, dans la joie ou le malheur.

Je ne peux écrire que si j’ai un matériel de travail accumulé depuis des mois, engrangé et rangé dans des sous chemises, chemises, cartons étiquetés, comme un fonds de maison complet et ordonné qui servira à alimenter les repas quotidiens. Fonds de maison disponible, à portée de la main, où on peut puiser sans perte de temps, au moment voulu. Fonds de maison conforme aux principes de l’Économie domestique, aux manies culinaires de la maîtresse de maison.

Les chemises volumineuses sont tout près, sur une table chinoise à deux étages, à gauche, prêtes à déverser, dans l’ordre, les notes nourricières pour les textes de longue durée. C’est dans la maison, dans une pièce de la maison, dans un coin de cette pièce, à une table ronde posée contre la fenêtre, que j’écris le mieux. Ailleurs, dehors, dans des lieux de passage, cafés, brasseries, gares, j’écris des textes brefs, je prends des notes, comme on mange dans un Mac-Do. Dans la maison, j’ai besoin d’être seule, sans enfant, ni personne qui me sollicite pour me détourner de mon attention obsessionnelle… Il me faut absolument, à droite de la table, le fouillis ordonné dans le temps, des panneaux où sont affichés, par étapes successives, les images, les objets disparates, indispensables à tel ou tel moment du travail: photographies de presse, cartes postales coloniales, étiquettes, timbres , écussons régionaux, cartes de géographie, paquets de cigarettes Camel, boutons de mercerie, plumes sergent-major, photographies d’enfance, paysages algériens… Je regarde ces panneaux surchargés, surpiqués d’épingles, comme on regarde une armoire ou un vaste placard qu’on ouvre largement pour le plaisir de voir, dans un certain ordre, la vaisselle ou le linge, disposés suivant l’emploi, la taille, la forme ou la couleur et par nécessité. Ces panneaux mythologiques ou réels changent avec le livre, comme varie l’agencement d’une pièce à vivre, d’une cuisine, d’une chambre, selon la saison, l’humeur, l’occasion, mais là aussi par nécessité.

Pour un travail de longue durée, il faut de longues journées, de

longues heures, un temps souple, étale qui s’organise d’après le désir et le besoin, comme lorsqu’on décide de préparer un plat, un dessert sophistiqués ou que la journée entière sera consacrée à la couture. Alors on se lève tôt, c’est un jour faste, on n’a pas envie de rester couchée. Seule dans la maison et dans le silence, la table de travail offerte, je vais écrire plusieurs heures de suite, longtemps, interrompue par un café italien au comptoir du Rond-Point, jusqu’à deux heures de l’après-midi. Je déjeunerai sans la radio, un peu vite et j’écrirai jusqu’au soir où je saurai qu’il est tard, parce qu’il fait presque nuit.

Le bloc de papier pelure blanc et lisse est posé en travers de la table, le stylo Parker noir à côté du bloc. J’aime écrire à la main et que la plume glisse, très vite, très longtemps sur la surface pleine de la page, presque sans marge. Je ne tape pas à la machine. Je ne veux pas apprendre. Je tiens à cet archaïsme, comme une ménagère qui se sert encore d’un moulin à légumes manuel alors qu’on lui a offert un robot-Marie efficace et rapide. Comme si j’étais plus près des mots, plus près de la matière avec ce vieux stylo ordinaire dont la plume s’est usée du côté gauche parce que je n’arrive pas à le tenir droit.

Je ne relis pas le jour-même ce que j’ai écrit; je réserve ce plaisir au lendemain matin où, à nouveau seule, je viendrai m’asseoir à la table, devant les feuilles écrites la veille. De la même manière, une femme en cuisine, en couture diffère le plaisir jusqu’à la jubilation finale, secrète, solitaire. L’objet est terminé suivant ses rites à elle, comme un enfant qu’on sort de soi, achevé, prêt à vivre avec les autres.

Texte paru dans Présence de Femmes:
Gestes acquis, Gestes conquis. Alger: ENAG, Hiver 1986.

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Capillaria ou le pays des femmes Frigyes Karinthy

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Vignette Les personnages féminins dans l'ecriture masculineCapillaria ou le pays des femmes de Frigyes Karinthy, Minos Editions de la Différence, traduit du hongrois par Véronique Charaire. Dessins de Stanislao Lepri
Publié en Hongrie en 1926

Capillaria ou le pays des femmes, publié en 1926 est une utopie qui présente un renversement politique des rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes dans un contexte socio-historique où le combat féministe gagne quelques victoires en Europe ( en 1918 les femmes britanniques de plus de trente ans peuvent voter, en 1920, ce sont les américaines blanches).
Ces nouveaux droits acquis bouleversent les mœurs, et certains intellectuels ou écrivains prennent part au débat. Ces changements sont ressentis comme une menace par la plupart, et la crainte d’une société dominée par les femmes qui se vengeraient des siècles d’oppression subis pour réduire les hommes en esclavage s’exprime dans les romans, essais ou les journaux de manière parfois très violente.

Capillaria imagine donc cette situation : un médecin plonge au fond des mers après un naufrage. Il y découvre une société composée de très belles femmes, les Ohias, qui ont réduit en esclavage les bullocks (clin d’œil à bollocks) petits êtres masculins laids et de petite taille qui s’obstinent à construire des tours pour parvenir à la surface de la mer. Les Ohias sont homosexuelles et assurent la reproduction en mangeant la cervelle des bullocks. Le médecin nous rapporte ses observations sur l’organisation sociale des Ohias et par ses échanges avec la reine nous livre les réactions de celle-ci sur les us et coutumes britanniques.

Alors, bien sûr, les clichés ne manquent pas, les Ohias ne réfléchissent guère, vivent uniquement dans le présent, et n’ont pas d’autre idéal que celui de s’occuper d’elles-mêmes. Elles sont belles, évidemment, et leur vie se passe à chercher des plaisirs et des joies raffinés. Elles comprennent le monde à travers les sensations et ne s’embarrassent pas de réflexions ou d’argumentations inutiles. Les bullocks s’occupent de métaphysique, de science et d’histoire et ne cessent de se faire la guerre. Ils sont obnubilés par le progrès.

C’est un avertissement, qui vise à montrer ce que serait une société uniquement composée de femmes et dont les hommes seraient exclus. Il se moquent des féministes qui revendiquent des droits égaux pour les deux sexes. Les femmes ont-elles été si malheureuses que cela ?
« Pendant ces longs siècles d’oppression, les hommes travaillaient pour entretenir les femmes et celles-ci, privées de tous les droits, ne pouvaient que s’occuper d’elles-mêmes. Dans cette situation désespérée, leur seule ressource était de profiter des joies de la vie, sans se fatiguer nullement, et de développer la beauté de leur corps. Les hommes avaient un but, une profession, un travail, les femmes étaient obligées de se contenter d’être aimées, adulées et comblées. »
Il est très difficile de comprendre la position de l’auteur dans ce texte. Il me semble, mais je suis loin d’en être sûre, que l’auteur pense qu’en lieu et place de libérer les femmes, ce sont d’abord les hommes qu’il faudrait libérer, que c’est un changement radical de société qui serait nécessaire afin qu’hommes et femmes puissent être heureux ensemble. Les féministes sont « des hommes avortés » tout au plus. Et les hommes féministes, des hommes de génie qui s’expriment à la place des femmes.
Dans sa postface, il n’est pas plus clair et s’exprime à l’aide de courtes histoires dont on est censé tirer une signification.
Enfin on aboutit à cela :
« L’être humain n’existe pas, il n’y a que des hommes et des femmes. Et plus l’homme est masculin, plus il est humain, plus la femme est féminine, plus elle est humaine. »
Le féminisme n’est pas la voie, ce qu’il faudrait détruire, c’est tout un système qui s’est élaboré sans les femmes.
« Il aurait fallu détruire tout un dictionnaire erroné : on s’est contenté d’élaborer des erreurs nouvelles pour masquer les anciennes. Comme on ne pouvait appliquer à la femme les définitions inventées par l’homme, on l’a exclue du monde de l’intellect, on l’a reléguée dans le monde extérieur, dans le domaine des sens ; on l’a transformée en concept biologique faisant partie de la nature extérieure, en phénomène mystérieux que l’homme doit étudier. »

Finalement on ne sait jamais vraiment où il est… En tout cas, pas féministe, c’est sûr…

Les femmes doivent choisir ! Veulent-elles de l’amour ou du pouvoir ? C’est la question que je pose aux femmes de mon siècle.

« Il faut dénoncer ouvertement la misère sexuelle de l’homme. Au cours de cette révolution, les femmes devront soutenir les hommes, lutter pour leur émancipation, pour la libération sexuelle masculine. Après la révolution du pain quotidien, celui du bonheur quotidien doit suivre. L’amour est un asservissement si l’un des partenaires opprime l’autre. Les femmes doivent choisir ! Veulent-elles de l’amour ou du pouvoir ? C’est la question que je pose aux femmes de mon siècle. »

 

Ecrit, à Budapest, Frigyes Karinthy en postface de son livre « Capillaria ou le pays des femmes ».

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Frigyes Karinthy (1887-1938) fut une des grandes figures du Budapest des années 20-30. Il est l’auteur d’un recueil de pastiches féroces, de romans, de pièces de théâtre et de nombreuses nouvelles. En 1936, atteint d’une tumeur au cerveau, il est opéré à Stockholm par le meilleur spécialiste du moment, grâce à une souscription nationale. il raconte sa maladie dans « Voyage autour de mon crâne ». Il meurt deux années plus tard d’une attaque cérébrale.

Une voix s’est éteinte : Ménie Grégoire

 

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 Ménie Grégoire, de son vrai nom Marie Laurentin, est décédée le 16 août à l’âge de 95 ans. Elle fut une célèbre animatrice radio sur RTL, dans une émission intitulée  Allô Ménie et contribua à libérer la parole des femmes de 1967 à 1982. Elle fit d’abord scandale en osant s’attaquer aux tabous pesant sur la sexualité féminine mais permit plus largement aux femmes (mais aux hommes aussi) d’évoquer leur vie intime..

Grâce à l’anonymat de la radio, ses auditeurs confieront  ce qui était vécu dans le silence et la solitude : les relations familiales, les affres de l’amour, la sexualité ( l’impuissance, la frigidité, l’homosexualité), la prostitution, et le féminisme naissant des années 70….

Sa vie fut liée aux mots dits mais aussi écrits.1965 : Le métier de femme, Plon ;1966 : La belle Arsène (roman), Plon ;1968 : Menie Grégoire. Passeport de couple, Club français des bibliophiles ;1971 : Les Cris de la vie, Tchou ;1972 : Menie Grégoire raconte, Hachette ;Persillon Persillette  ;Les Quatre Rois ;Le Petit Chaudronnier (illustrations de Paul Durand) ;Compère le Jo  ;1976 : Telle que je suis, ffont ;1978 : Les Contes de Menie Grégoire, Nathan ;1981 : Des Passions et des rêves, Laffont ;1983 : Tournelune (roman), Flammarion ;1985 : Sagesse et folies des Français, Lattès ;1987 : Nous aurons le temps de vivre, Plon ;1988 : La France et ses immigrés, Carrère ;1990 : La Dame du Puy du Fou (roman), éditions de Fallois ;1991 : Le Petit Roi du Poitou (roman) ;1993 : La Magicienne (roman) ;1996 : Le Bien-Aimé ;1998 : François Furet ;1999 : Les Dames de la Loire, Plon ;2002 : La Fortune de Marie, Plon ;2003 : Une affaire de famille, Plon ;2007 : Comme une lame de fond, Calmann-Levy ;2010 : La marquise aux pieds nus, éditions de Fallois, 2014 : Madame Roland.

 

Louise Labbé Sonnets (1555)

Louise-Labe

Je vis, je meurs; je me brûle et me noie;

J’ai chaud extrême en endurant froidure;

La vie m’est et trop molle et trop dure;

J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

 

Tout à un coup je ris et je larmoie,

Et en plaisir maint grief tourment j’endure;

Mon bien s’en va, et à jamais il dure;

Tout en un coup je sèche et je verdoie.

 

Ainsi amour inconstamment me mène;

Et quand je pense avoir plus de douleur,

Sans y penser je me trouve hors de peine.

 

Puis quand je crois ma joie être certaine

Et être au haut de mon désiré heur,

Il me remet en mon premier malheur

 

Le manoir de Tyneford – Natasha Solomons

manoir de tyneford

Natasha Solomons Le manoir de Tyneford – Le livre de poche n°33310– Calmann-Lévy 2012

Vignette Les raconteuses d'histoireNatasha Solomons puise encore une fois dans l’histoire familiale pour raconter cette histoire. Le motif est le même que celui de « Jack Rosemblum rêve en anglais ». Le nazisme se répand dans l’Europe des années 30, et la persécution des juifs a commencé. 1938. L’Anschluss. Hitler annexe l’Autriche et ceux qui le peuvent fuient à l’étranger, la guerre n’est pas encore déclarée en 1938 malgré les provocations d’Hitler. Mais pour les candidats, c’est un véritable parcours du combattant, pots de vin, attente interminable, vexations de toutes sortes sont le lot de ceux qui sont à la merci de ce pouvoir corrompu qui ne dit pas encore tout à fait son nom.

La famille d’Elise Landau parvient à faire engager leur fille Elise Landau comme domestique en Angleterre, seul moyen d’obtenir l’autorisation de sortir d’Autriche.

Cette jeune fille oisive et vivant dans une certaine aisance se voit contrainte désormais de servir à table, de se lever à l’aube, et de dormir dans une chambre non chauffée à Tyneford, une grande propriété du Dorset.

Elle vit toute la douleur du déclassement, de l’exil , du racisme (l’antisémitisme sévit partout) et l’inquiétude sur le sort de ses parents qui sont restés en Autriche et attendent un visa pour l’Amérique qui visiblement ne vient pas.

De belles images rythment le récit, la beauté sauvage des paysages, le chant de la mer, et le charme autant que la rudesse des hommes pour cette jeune fille qui sans le savoir attend l’amour…

 Un roman qui se lit très agréablement, très distrayant et très bien écrit. Une bonne histoire.. J’ai préféré toutefois « Jack Rosemblum rêve en anglais, beaucoup plus profond.

 

Les liens du mariage – J Courtney Sullivan, incontournable !

Les liens du mariage

 Les liens du mariage J Courtney Sullivan Rue Fromentin 2013

Quoi de plus paradoxal que de conquérir son indépendance en servant des modèles dominants qui cantonnent les femmes dans des rôles traditionnels ? C’est ce que fait Frances Gerety, jeune pionnière de la publicité dans les années quarante. On lui confie donc les sujets dits « féminins » et on la paie beaucoup moins que ses collègues masculins.

Quels sont les rêves d’une jeune fille des années quarante ? Se marier et avoir des enfants restent la voie toute tracée pour la plupart des femmes. Et pour conquérir une femme et lui faire croire que son amour sera éternel, un jeune homme doit lui offrir la bague symbole de la grandeur et de la pérennité de cet amour. Une bague et un diamant afin de l’éblouir. Plus le diamant est gros, plus le mari est riche, plus le gibier est gros, et fructueuse la chasse au mari. Les femmes n’auront peut-être pas d’indépendance financière mais une magnifique bague au doigt. Un diamant, n’est-ce pas, est éternel. Un magnifique mensonge inventé par une femme qui parce qu’elle gagne plutôt bien sa vie, n’aura pas de mari.

La toute nouvelle société de consommation prend le relais de l’Eglise et de l’Etat pour conditionner et asservir les femmes.

C’est véritablement le tour de force de J. Courtney Sullivan que de montrer l’évolution des mœurs à travers l’histoire d’un objet et les transformations sociales sans précédent des années quarante et cinquante. On suit les évolutions du mariage des années quarante aux années 2012.

C’est un roman sur le mariage qui suit quatre couples différents .L’auteure explique dans son interview que le mariage aux Etats-Unis est une pratique très répandue. Ne pas être marié est toujours choquant.

Les vies de ces quatre couples n’ont pas vraiment de points communs même si quelque chose les relie tous qu’on ne découvrira qu’à la fin. Chacun de ces couples a une vision très différente du mariage, de la plus traditionnelle, à la plus moderne (le mariage gay)en passant par celle qui consiste à refuser absolument le mariage.

L’auteure construit son histoire à partir d’une documentation très fouillée et a recueilli de nombreux témoignages sur lesquels elle s’est basée pour comprendre la vision de chaque personnage.. Elle est même venue à Paris sur les traces de Delphine pour donner de l’épaisseur à sa vie.

C’est donc un roman réaliste qui veut rendre compte des interactions sociales. C’est là un des défauts du roman parfois un peu trop documentaire même si cela lui donne incontestablement une certaine originalité. J Courtney Sullivan invente un nouveau réalisme, proche parfois d’un hyper réalisme.

J’ai beaucoup aimé ce roman, sa construction un peu éclatée : chaque moment du récit alterne la vision des quatre personnages, comme un point de vue différent sur les moments clefs de l’existence d’un couple. Je me suis vraiment attachée à chacun et j’ai trouvé dans l’ensemble le ton juste.

Troisième roman que je lis de l’auteure, je suis devenue une inconditionnelle.

J. Courtney Sullivan parle de son dernier roman « Les liens du mariage »

Et je prendrai tout ce qu’il y a à prendre Céline Lapertot/ Chef d’oeuvre ! Sélection prix de la romancière 2014

Et je prendrai tout ce qu'il y a

Et je prendrai tout ce qu’il y a à prendre, Céline Lapertot, Viviane Hamy, 2014

Charlotte, jeune adolescente de dix-sept ans, parricide, jeune Antigone moderne, confie dans une longue lettre adressée au juge, l’histoire de son martyr.

Victime d’un père violent et pervers, et d’une mère passive et confinée dans une souffrance qui la rend hébétée et inerte, Charlotte va grandir grâce à la littérature et au rapport puissant qu’elle entretient avec les mots. Entre elle et la littérature, c’est une relation presque charnelle, un long dialogue amoureux qui seul rend supportable le mutisme dans lequel sa souffrance l’a enfermée. L’écriture sera pour elle son véritable acte de naissance, une sorte de parthénogenèse, qui suppléera en quelque sorte à la défaillance de ses parents.

« Maman est la femme d’intérieur. La femme parfaite pour les hommes qui ne savent se rêver qu’en maîtres de leur petit monde », juge-t-elle du haut de ses sept ans, et c’est contre sa mère, contre ce modèle de femme soumise, qui encaisse les coups, que Charlotte finira par se rebeller. « Par la suite, j’ai saisi toutes les nuances d’une domination sans faille. J’ai vu le processus qui a réduit ma mère à l’état d’esclave et son cerveau à celui de la non-pensée ». Ni femme, ni mère, incapable de protéger son enfant de la violence du père. Si elle analyse le conditionnement dans lequel enferme la violence et la perversité, avec une certaine distance, elle ne pardonne pas.

« Je vois ses yeux qui ignorent l’indignation. Je suis soumise à son regard se mère trop fatiguée pour être éplorée. Et cette soumission-là est bien plus violente que celle imposée par mon père. »

Le texte est ici ce qui tisse, qui répare, qui entrelace les mots à la manière de nouvelles cellules qui répareraient les « trous » dans sa chair. Les trous creusés par la violence de son père et le silence de sa mère.

Ce livre est pour moi un chef d’œuvre d’équilibre dans la construction, et de justesse dans les mots choisis pour évoquer le parcours de Charlotte, avec suffisamment de force mais aussi de pudeur pour ne pas la trahir et faire du lecteur un spectateur de sa souffrance.

Les phrases sont ciselées avec une précision d’orfèvre, le rythme est d’une parfaite intelligence, entre la tension dramatique, et une forme de détente dans le récit . L’auteure a évité tous les écueils qui menacent ce genre de récit.

J’ai profondément aimé ce livre autant dans sa forme que dans le fond. Il m’a ému, troublé parfois, fait réfléchir souvent et il m’a émerveillé aussi. Il est fait de plusieurs tonalités et d’une infinité d’accords qui vous plongent dans une sorte de transe, et d’intense lecture.

coup-de-coeursélection 2014 image achetée sur Fotofolia

Picabia et la littérature : le corps féminin

picabia

Une exposition intéressante … Le centre Pompidou présente « Man Ray, Picabia et la revue Littérature (1922-1924) » à l’occasion de l’entrée dans sa collection, grâce au mécénat de Sanofi, de vingt-six dessins de Francis Picabia réalisés pour la revue entre 1922 et 1924.

A 54 ans, un homme peut se payer le luxe de s’offrir un deuxième tour… Interview de Diane Brasseur autour de son livre « Les fidélités »

Les fidélités – Diane Brasseur Sélection Prix de la romancière 2014

diane brasseur

 Diane brasseur – Les fidélités – Allary Editions 2014

A Marseille où il vit une partie du temps avec sa femme et sa fille, un homme s’enferme dans son bureau pour réfléchir. Sa vie a pris des directions inattendues et menace de lui échapper tout à fait. Il a cinquante-quatre ans et il doit partir à New York fêter Noël en famille. Il est face à un dilemme qu’il doit absolument résoudre avant qu’un drame ne se produise.

Il laisse Alix à Paris. Il la connaît depuis un an et passe la semaine avec elle. Il l’aime. Le week-end, il rentre à Marseille retrouver la femme qu’il aime et qu’il a épousée.

Diane Brasseur exploite un thème mille fois rebattu sous un angle assez neuf et parvient à éviter les clichés du triangle amoureux. Cet homme n’est pas malheureux mais il aime simplement deux femmes sur un tempo tout à fait différent. L’amour passion alterne avec l’amour tendresse .

La vie contemporaine lui laisse des espaces qui n’existaient pas autrefois : mobilité professionnelle, et portable. Dans la sphère privée qui était auparavant plus transparente, les nouveaux moyens de communication ont créé des sortes de bulles où l’individu peut aménager à loisir d’autres espaces beaucoup plus opaques. Une nouvelle passion permet de rompre la routine et l’ennui de la vie conjugale. Mais elle demande aussi de devenir maître dans l’art du mensonge.

Diane Brasseur met l’accent sur l’aspect schizophrénique qu’induit la double vie, car le narrateur ne trompe personne, il est fidèle à chacune des femmes qu’il aime. Elles ne sont qu’un simple écho à une dualité intérieure. Elles ne sont pas rivales mais se complètent en quelque sorte. Elle sait introduire une tenson dramatique et du suspense dans son récit en lui donnant une dimension de thriller psychologique. Jusqu’au bout on se demande ce qu’il va faire.

L’originalité de ce récit consiste à se mettre dans la tête d’un homme amoureux et de tenir jusqu’au bout un monologue intérieur qui soit crédible.

Lorsqu’il imagine rompre avec Alix, il fait la liste de tout ce qu’il ne fera plus avec elle « Ne plus la voir et ne plus la toucher, ne plus la faire rire, ne plus me dire : « Il faudra que je lui raconte » ou « Cela lui plaira », ne plus regarder mon téléphone pour voir si elle a essayé de me joindre…. »

En quelques phrases, avec une étonnante simplicité, l’auteure livre la quintessence du sentiment amoureux . Face à la perte, peut-être hommes et femmes sommes-nous semblables.

Elle dit l’effroyable douleur d’une rupture, d’autant plus effroyable qu’elle est banale, tellement banale aujourd’hui.

 

Ce qui fait de ce narrateur un homme est peut-être la référence constante au désir, au corps et à la proximité physique. On ne voit pas vraiment ce qui le lie vraiment à aucune de ces femmes sur le plan des valeurs, ou d’une entente qui serait basée davantage sur une intimité philosophique et spirituelle. En tout cas, je ne l’ai pas ressenti. Et ce qui est assez drôle et rusé de la part de la romancière est qu’elle imagine un homme qui imagine ce que peut penser une femme, ce que veut une femme qui est Alix. Construire, des enfants…

J’ai dévoré ce livre, et je l’avoue, cet homme m’a passablement tapé sur les nerfs, non à cause de ses infidélités, mais à cause de la manière dont il pense que sa maîtresse pense à sa femme par exemple. A cause aussi d’une certaine insensibilité, on pourrait penser qu’une vitre épaisse le sépare de la réalité. Et aussi cette fausse empathie…

Un bon roman qui méritait bien d’être dans la sélection 2014, qui a eu un beau succès critique. Une romancière est née, incontestablement…

Diane Brasseur est franco-suisse. Née en 1980, elle a grandi à Strasbourg et fait une partie de sa scolarité en Angleterre. Après des études de cinéma à Paris, elle devient scripte et tourne, entre autres, avec Albert Dupontel, Olivier Marchal et Abd Al Malik. Elle habite à Paris.

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