Maria Nurowska – Un amour de Varsovie Albin Michel, 1996, roman traduit du polonais par Christophe Jezewski et Dominique Autrand.
Ce roman a été sauvé je ne sais comment du PILON, a atterri dans une bibliothèque du sud parisien, avant d’être revendu à un bouquiniste puis finalement à moi. Donc j’ai une petite tendresse pour lui. C’est un livre qui a eu toute une aventure.
Il pose aussi de nombreuses questions qui m’intéressent, et qui pour ne pas être nouvelles, s’avèrent toujours actuelles dans la vie des gens.
Peut-on aimer deux hommes, deux femmes en même temps, avec la même passion, sans pouvoir se séparer ni de l’un, ni de l’autre ? Peut-on aimer assez pour l’accepter, comment peut-on le vivre ? L’un des deux amants n’est-il pas toujours l’homme ou la femme secrète, n’est-il pas toujours sacrifié à la compagne ou au compagnon officiel ? Peut-on aimer vraiment quelqu’un à qui l’on ment ? Ou le mensonge fait-il partie de l’opacité de nos consciences et de nos altérités profondes ? Au fond, qu’est-ce que l’amour ? Est-ce seulement la solitude à combler, le vide à remplir ? N’aime-t-on que soi à travers l’autre ?
Rien de nouveau sous le soleil me direz-vous, et thème largement rebattu au cinéma et dans la littérature. ( L’invitée de Simone de Beauvoir, Moravia et tant d’autres). On sait également ce que pense Lacan de l’amour.
Les amours triangulaires se terminent presque toujours mal. Je ne connais aucune histoire ou l’un des deux ne soit sacrifié et condamné à souffrir.
Beaucoup d’auteurs ont témoigné aussi des déchirements, de la torture que les amours nomades ont provoqué dans les années soixante-dix, lors de la libération sexuelle. L’amour supporte mal les contrats disent certains auteurs, il est élection et immersion dans l’univers de l’autre.
Je me rappelle un très beau film de Guédiguian en 2001. J’avais été bouleversée par l’amour magnifique de chacun des personnages et aussi par leur souffrance. Quitter l’autre ou rester avec lui, c’est de toute façon souffrir. Je ne parle même pas de la condamnation morale.
Une thèse a été consacrée à ce sujet : Camelia-Meda Mijea, Camelia-Meda Mijea. Le couple et la tentation triangulaire dans la littérature européenne du XXe siècle(1929-1967). (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01063665)
L’amour est facteur de désordre parce qu’il est extrêmement puissant (on peut aimer une même personne pendant de nombreuses années) ; il ne s’embarrasse guère de la morale des hommes pas plus qu’il ne se conforme toujours aux règles sociales tout simplement parce qu’il est de l’ordre de la pulsion fondatrice. Un amour peut bouleverser une existence de fond en comble, l’éclairer ou la faire chavirer.
Dans le livre de Nurowska, c’est une femme qui, pour libérer sa conscience de lourds secrets, se confie à son mari à travers des lettres qu’elle n’osera jamais lui donner. Evadée du ghetto de Varsovie (remarquer la prégnance de ce thème dans la littérature polonaise), Elzbieta Elsner rencontre par hasard, en 1943, une grand-mère et son petit fils dont elle va s’occuper jusqu’au retour du père, Andrzej qui est emprisonné. Homme dont elle deviendra éperdument amoureuse. Elle tente d’oublier tout un pan de sa vie, et prend un nouveau nom, Krystyna Chylinska et un nouveau départ. Elle cache soigneusement les événements de sa vie dans le ghetto, tremble de rencontrer les fantômes de son passé. Un homme sombre et beau, témoin de son autre vie, ressurgit alors qu’elle pensait avoir assuré son bonheur et celui de sa nouvelle famille.
Quelques invraisemblances, une fin assez convenue sont quelques-unes des faiblesses de ce roman, mais l’auteure parvient à nous intéresser aux destins de ses personnages et à nous faire réfléchir avec elle à ce qui fait les choix de nos vies.