Célébrer le féminin et la nouvelle année !

Il ne fallait pas moins d’un duo, un homme et une femme, pour finir cette année 2020 et célébrer la nouvelle qui s’annonce encore si difficile.

Gil Adamy inaugurera une nouvelle exposition en janvier et pour ma part je vais engager de nouveaux projets ! Nous allons donc joindre nos forces et nos voix pour vaincre le mauvais sort et ouvrir des routes nouvelles !

 Gil Adamy m’a gentiment donné carte blanche pour extraire de son œuvre, éminemment politique et poétique, ses figures de femmes sous le charme desquelles je suis tombée. J’avais écrit un très court  texte avec lequel ses figures sont entrées en résonnance dans une forme de complicité inattendue.

Gil Adamy a conceptualisé le terme d’art conversationnel : « Par le biais du tableau, je leur demande d’entrer en conversation avec leur présent et leur avenir collectif, pour répondre à cette question : Quelle société voulons nous pour demain ? C’est le concept d’une « Société à colorier ». En laissant au spectateur la responsabilité de colorier l’avenir au travers des parties en noir et blanc du tableau, je propose le concept de « l’Art conversationnel ». Avec ce dessin en noir et blanc qui reste à colorier, l’Art devient collaboratif, intègre l’autre. »

Je suis donc entrée en conversation avec son œuvre, dans sa partie la plus féminine, la plus poétique, et pour moi, dans ses aspects formels, la plus inventive.

Le plasticien a créé une forme particulièrement intéressante dans son traitement du corps féminin, qu’il met en mouvement jusqu’à le tordre tout à fait, jusqu’à faire apparaître ce qui est habituellement caché. En même temps,  il réhabilite les parties du corps de la femme, soumises au désir inavoué des Hommes parce que liées à  leur ambivalence la plus profonde.

 La beauté d’une chute de reins, l’arrondi d’une croupe, mais aussi l’anus, caché entre deux lunes, accèdent à la même dignité que la face. J’ai pensé inévitablement à Picasso, à son traitement de la figure humaine, qui permet de lire la face et le profil.

D’autre part, entre le corps et le vêtement, s’établit une connivence qui rend obsolète toute forme de hiérarchisation. Le vêtement ne cache pas un corps qui devrait être invisible au regard, mais permet de le comprendre, de le décrypter dans ses aspects les plus formels.

Le vêtement se fait chair, devient une seconde peau, qui vibre en quelque sorte, de « l’intérieur ». Les camaïeu de couleurs animent la toile et lui donnent un tempo.

D’ailleurs il me l’a dit lui-même, ses seules intentions, en sexualisant le vêtement, étaient de permettre l’arrondi, le traitement de la ligne, de l’arabesque.

                Toutes ses figures féminines portent des robes qui épousent étroitement leurs corps et permettent de lire le mouvement.

Et à les regarder ainsi, si belles, j’avais envie, moi aussi, d’être emportée par la danse.

Il y aurait encore beaucoup à dire dans cette conversation avec le peintre, conversation ininterrompue qui ne se clôt jamais sur aucune interprétation.

Je vous laisse la poursuivre, à votre tour.

Gil Adamy exposera sur un autre projet en collaboration avec François Pache à partir du mois de janvier.

Petite chronique : chez mon libraire/ Les bandes dessinées

Si cette crise a été un révélateur et l’occasion de prises de conscience, elle a permis de comprendre l’importance du réseau des librairies indépendantes et des dérives liées à la consommation de masse. Je me suis rendue compte que je n’avais pas envie que la librairie de ma ville disparaisse, que j’aimais y aller, et que je la voulais bien vivante car pour moi, elle était le cœur battant de ma ville. A Poissy, se trouve une belle et spacieuse librairie, « La Librairie du Pincerais », qui propose toute une sélection d’ouvrages de grande qualité. Cette semaine, je me suis intéressée aux bandes-dessinées :

Des traces

Les librairies sont à nouveau ouvertes ! Je me suis mise à acheter des livres dont je n’avais pas besoin, qui allaient immanquablement réduire encore mon espace vital. Par solidarité peut-être. En ces temps troublés, les mots écrits sur le papier acquièrent une signification nouvelle. Ils deviennent des traces. Des traces du monde d’avant, celui où on pouvait s’embrasser à tout va, où on pouvait toucher sans crainte la peau d’une, d’un autre. A quel point nos mondes se fracturent, nous le saurons plus tard peut-être.

Je ne sais plus qui disait qu’il fallait que la profondeur se niche davantage en surface, que c’était cela la légèreté apparente. C’était à propos de Louise de Vilmorin je crois, autrice sur laquelle je commençais à travailler. Enfouie, moi, dans ma passion du féminin. Passion qui n’est pas exclusive, qui englobe l’humanité toute entière.

Lire est un confinement volontaire pour mieux rejoindre les autres.

J’ai lu déjà , « Cinq à sept » de Fanny Britt. Cette parole libre de mes amies québécoises qui n’ont pas peur des mots. Dans cette pièce, elles parlent de tout, des hommes et de leur faim de sexe, sans tabou. J’ai dû consulter plus d’une fois le dictionnaire québécois, crisse !

Je voulais continuer ma découverte de l’œuvre d’Ella Balaert avec « Placement libre ». « J’ai écrit ce roman dans une grande colère et une réelle inquiétude. Je le dédie à toutes celles et à tous ceux qui se sentent exclu-e-s du monde, qui n’y trouvent pas, ou plus, leur place, pour qu’ils ne retournent pas cette injustice contre eux-mêmes ou contre autrui. »

« Décomposition d’un déjeuner anglais » de Marie Dilasser a tout d’une œuvre un peu rebelle qui ne va pas se laisser facilement approcher.

Catherine Benhamou, cette belle dramaturge, que j’ai déjà rencontrée, est en bonne place dans les livres à lire avec « Ana ou la jeune fille intelligente » et « Romance » , Grand Prix de Littérature Dramatique 2020, chez Koïné et sa belle équipe :

« – Tu comprends Imène quand je pense à elle là-bas debout bien droite, elle est là pour l’éternité, avant qu’on naisse elle était déjà là et quand on sera mortes elle sera toujours là, elle nous nargue, elle se croit supérieure, et lui là-haut, il se fiche pas mal de nous, il ne lèverait pas le petit doigt pour nous, tu crois quoi, et elle qu’est-ce qu’elle se croit à nous mater du haut de son indifférence »

Nathalie Papin aussi en son pays de rien, que je dois aller voir au théâtre, ce roi qui « chasse les cris, les larmes, les couleurs, les soupirs, les rêves et les enferme dans des cages » ; Dominique Richard avec la suite des aventures de Grosse Patate, un art sublime des monologues, pour dire cette petite fille encombrée d’elle-même.

Gaël Octavia prend la voix puissante de ce guerrier qui renonce à se battre. « Cette guerre que nous n’avons pas faite ». Il raconte le bistrot, où il s’est échoué, découragé et sa rencontre avec ses futurs compagnons d’armes. Mais celle qui va le bouleverser, avec ce mystérieux pacifiste qui veut les empêcher de combattre.

Et Mireille aussi qui m’a envoyé son livre et que je n’oublie pas.

Pour le plaisir de la rencontre, je me suis offert le livre de Gil Adamy, plasticien, et Louis Bance poète pamphlétaire. « Vision et cécité ». La peinture de Gil Adamy est riche en couleurs, dans une figuration libre, et cherche à nous provoquer, à nous pousser peut-être dans nos derniers retranchements. Il interroge notre vision du monde et notre aveuglement, ce que nous ne savons pas voir et ce qui se cache sous les apparences. La poésie de Louis Bance est souvent brutale derrière la délicatesse des alexandrins, elle me fait penser à la formule de Nietzsche , en sous-titre au Crépuscule des Idoles, « Philosopher à coups de marteau ». Gil Adamy et Louis Bance dénoncent les nouvelles figures  » des idoles éternelles, que l’on frappe ici du marteau comme d’un diapason. » Le pinceau, comme le stylo, deviennent les instruments qui vont laisser entendre le son qu’elles rendent lorsqu’on les ausculte à petits coups de maillet.

Alors continuer à suivre ces signes noirs sur la page, tous ces livres d’hier et d’aujourd’hui qui tracent des chemins, des lignes de fuite, des horizons lointains, des présents de tous les possibles…

Vision et cécité de Gil Adamy - Livre - Decitre

Maja Lunde La fin des océans (Blå, 2017)

Maja Lunde La fin des océans (Blå, 2017), Presses de la Cité, 2019, traduit du norvégien par Marina Heide

La fin des océans, Book by Maja Lunde (Mass Market ...

Comment alerter l’opinion internationale, sans désespérer totalement la lectrice ou le lecteur, et construire un roman d’anticipation haletant qui ne soit pas une série d’événements s’emboitant les uns dans les autres à la manière de Star Wars (indéfiniment reproductible).

Maja Lunde, passionnée d’écologie, amoureuse de sa Norvège natale et de ses glaciers, réussit brillamment le pari grâce à l’alternance d’un récit qui va lier plusieurs personnages autour d’un bateau, et d’une thématique, l’eau.

En 2041, la terre est asséchée au sud, le climat caniculaire provoque une migration massive vers le Nord, où se trouvent les pays de l’eau, devenu bien précieux.

En 2017, des marchands norvégiens sans scrupules asséchent les rivières, canalisent les chutes d’eau, et débitent les glaciers en cubes, cherchant sans cesse plus de profits.

Signe, dont la consonance en français est prémonitoire, activiste, se bat pour alerter l’opinion publique et préserver la nature de son pays, même si il lui faut aller à l’encontre des opinions de son amant Marcus.

Un peu plus de trente ans plus tard, David, Anna et leurs deux enfants fuient les incendies qui ravagent leur ville afin de rallier un camp de réfugiés plus au nord.

Lorsque vous perdez tout ce à quoi vous êtes habitué.e.s, et que survivre devient une lutte de chaque jour, alors il faut puiser dans ses propres ressources et sa faculté d’inventer sans perdre son humanité.

A l’heure de la pandémie et des restrictions de nos libertés, ce récit résonne étrangement et nous fait prendre conscience de la fragilité de nos existences.

Et de la force aussi, des sentiments.