Cinq à sept – Fanny Britt

Cinq à sept Fanny Britt- L’Instant scène – 2017

Cette pièce fait partie d’une trilogie, dont elle est le deuxième volet, composée de « Ils étaient quatre », de Mathieu Gosselin et Mani Soleymanlou, et close par « Huit » de Mani Soleymanlou.

Trois comédiennes, Julie, Kathleen et Geneviève se livrent, sans tabous, le temps d’un cinq à sept.

La frontière entre fiction et réalité est particulièrement ténue. Parlent-elles de leurs expérience ou le texte est-il pure fiction ? Il y a fort à parier qu’il soit tissé des deux.

Cette parole libre fait particulièrement du bien : on s’y reconnaît ou pas, mais le langage, parfois cru, dynamite les tabous de manière salutaire.

L’amour, le couple, le désir, la sexualité, les contraintes sociales et la morale sont au cœur de ces dialogues.

«   Si on mettait pas autant d’énergie et de temps à focusser sur son propre corps et sur l’apparence de celui des autres, ça se passerait TRES bien. Même que si j’étais toute seule sur une île déserte, je pense que sans miroir, je pourrais me trouver assez cute. »

Des femmes qui revendiquent leur plaisir et leur goût de l’amour et de la jouissance, c’est assez rare, ici, en France, ou alors cette parole reste confidentielle, un peu « underground ».

Rafraichissant. Merci les filles.

Vendela Vida – Se souvenir des jours heureux/ Ou l’utopie du bonheur

Vendela Vida – Se souvenir des jours heureux (The lovers, 2010) –  pour la traduction française, Adèle Carasso, Albin Michel , 2011

Yvonne, veuve depuis peu, accepte l’invitation de ses enfants à les rejoindre  pour une croisière en Méditerranée.  Auparavant, elle passera une semaine seule à Datça, sur la côte turque, où elle avait séjourné avec son mari pour leur lune de miel.

Ce séjour ravive en elle le souvenir des jours heureux, désormais enfuis. Son séjour sera jalonnée de rencontres, notamment celle d’un petit garçon pêcheur de coquillages…

J’avais acheté ce livre lors d’un des derniers Festival America, un peu au hasard, sans connaître ni l’autrice, ni son œuvre.

Ce roman est déconcertant à plusieurs égards. Peut-être le foisonnement des questions qui l’habitent instaure-t-il une fome digressive dans le récit qui le rend un peu bancale ou un peu étrange.

Finalement, se souvenir des jours heureux pourrait être vain, le bonheur étant une utopie rarement atteinte. Certes, Yvonne a aimé son mari mais les tensions dans leur couple, les non-dits, leurs échanges conflictuels à propos de leur fille rebelle et fragile, mais aussi de leur fils, ont-ils altéré profondément leur mariage.

De même Datça, sorte de paradis perdu, se révèle-t-il le lieu de toutes les contradictions entre l’orient et l’occident. Ce qu’elle avait ignoré à l’époque, les rapports économiques, de domination, une forme d’exploitation à travers le tourisme, la pauvreté, soudain parviennent à sa conscience. Elle se heurte à l’animosité de certains turcs et finit par prendre conscience d’une forme d’arrogance de cet occident qu’elle représente.

« Vous les Américains. Vous pensez toujours que tout est lié à vous. Que tout – bon ou mauvais – vient de vous. »

Ce voyage est un voyage initiatique dans lequel elle va finir par se trouver elle-même, loin des clichés, avec sa part de solitude mais peut-être un peu plus libre qu’avant.

Une lecture agréable mais sans plus.

Songe à la douceur – Clémentine Beauvais/ Justine Heynemann

Les saisons de l’amour / Clémentine Beauvais – Songe à la douceur

Un jeu un peu torturé de chronique en vers libre ! 🙂

Clémentine Beauvais accomplit un tour de force littéraire et un travail formel de grande ampleur à travers ce roman en vers libre inspiré de l’œuvre d’Alexandre Pouchkine.

Elle parvient à traduire dans un récit universel, les troubles, les atermoiements et les émerveillements du sentiment amoureux à travers les personnages de Tatiana et Eugène qui se rencontrent au début de l’adolescence, se perdent lors d’un événement tragique pour se retrouver par hasard dix ans après.

Une petite merveille littéraire qui continue de faire son chemin, en livre de poche, et a permis selon certains de « secouer la littérature », de réconcilier poésie et roman, de faire sentir la musicalité et le rythme de la langue, tout en jouant avec délectation avec l’histoire littéraire et la mise en réseau du patrimoine et matrimoine littéraire.

Elle prouve aux jeunes et aux moins jeunes que la culture n’est pas ennuyeuse, que des liens se tissent entre les œuvres, de manière parfois souterraine, et qu’à travers le temps et l’espace les thèmes sont universels.

La réflexion sur la forme et son possible carcan, surgit au détour de cette lettre d’amour écrite par Tatiana, convoquant les vers de Ronsard, Charles Baudelaire, Victor Hugo, Aragon, Arthur Rimbaud, Marie-Hortense de Villedieu et quelques autres. Le personnage s’interroge à la fin de cet exercice épistolaire :

 » Parfois, s’aperçoit-elle, on veut trop bien faire,

Faire alexandrin quand on peut faire libre. Faire rime quand on peu faire résonance. Faire écrit quand on peut faire ému. »

L’autrice crée un univers romanesque et poétique dans lequel la forme ne sacrifie ni au fond, ni à l’émotion.

Toute une réflexion passionnante sur le fond et la forme, sur les contraintes d’écriture, (que l’on songe à l’OULIPO par exemple), qui selon certains stimulent la créativité et selon d’autres épuisent le fond, ce que l’on a à dire, en faveur de la forme (la façon de le dire), en contraignant la pensée à enfiler un costume parfois trop étroit.

Un pur bonheur de lecture.

Je viens d’apprendre que ce roman est adapté au théâtre par Justine Heynemann avec six jeunes comédien·nes et musicien·nes de la compagnie Soy.

LE PAYS DE RIEN

NATHALIE PAPIN / BETTY HEURTEBISE / LA PETITE FABRIQUE

Nathalie Papin – Le pays de Rien/ Un écho au Rien d’aujourd’hui – D’ailleurs, le Rien deviendrait-il politiquement correct ?

Nathalie Papin – Le pays de Rien – L’école des loisirs, 2002

Marie Dilasser, dans une interview, confie que les contes de fée lui ont gâché son enfance, en lui faisant croire qu’elle était un monstre. Et à bien des égards, je suis d’accord avec elle. Les filles qui ont droit à l’amour, sont toujours riches (ou nobles) ou en potentialité de l’être, belles, vertueuses et hétérosexuelles. Il est possible que la téléréalité soit un effet de cette conception de la réussite et de l’amour.

Dans ce conte, il y a bien un roi et une princesse, mais ils sont tout à fait originaux. Le Roi comme beaucoup, fait la guerre, mais l’objet de son courroux est ce qui constitue notre humaine nature. En effet, il chasse les cris, les larmes, les couleurs, les soupirs, les rêves et les enferme dans des cages. Donc le pays du rien, ce n’est pas le néant, mais l’absence et l’ennui. Un pays du « grand silence, et de la grande immobilité ».  Jusqu’au jour où un jeune garçon arrive en sifflotant…

Alors bien sûr, ce conte permet un questionnement philosophique sur le pouvoir, la démocratie et l’émancipation. A vouloir s’épargner la douleur, on se condamne également à n’éprouver aucune joie. Dans un univers, où tout se répète indéfiniment, où le corps est contrait à l’immobilité, anesthésié, aucun rêve, ni aucun espoir ne sont possibles.

 Il questionne habilement la liberté et le désir d’émancipation de cette fille vis-à-vis de son père face à une représentation du monde qui ne lui convient pas. Pour s’émanciper, elle devra désobéir, accueillir la singularité de l’autre, facteur de désordre, mais aussi possibilité d’amour.

Le corps est  lieu de notre finitude, sceau de notre humanité, de nos fragilités mais aussi de notre résilience et de notre force face à l’adversité.

Beaucoup d’autres interprétations sont encore possibles.

Je dois aller voir cette pièce le 02 avril, au théâtre de Sartrouville, dans la mise mise en scène de BETTY HEURTEBISE qui promet d’être absolument somptueuse, en espérant qu’elle ne sera pas annulée.

avec Youna Noiret, Guillaume Mika, Olivier Waibel
vidéo Valéry Faidherbe, Sonia Cruchon (Collectif sur le toit)
scénographie et costumes Cécile Léna
lumière Jean-Pascal Pracht
son Sylvain Gaillard, Nicolas Barillot
chants Lousse
construction décor Rémi Laureau, Franck Lesgourgues, Sylviane Lièvremont
régie générale, régie lumières et régie vidéo Véronique Bridier
régie son et régie plateau Sylvain Gaillard
costumes Patricia Depetiville
graphisme Mikaël Cixous, Veronica Holguin (Collectif sur le toit)
chargé de production Joachim Gatti
chargée de diffusion Céline Vaucenat
production déléguée Cie La Petite Fabrique

Image mise en avant : licence creative commons

Jeanne Moreau chante Louise de Vilmorin

La magie d’une époque, la beauté de cette alliance entre la voix et le texte. Jeanne Moreau chante un poème de Louise de Vilmorin (1902-1969): « Demain » sur une musique de Pierre Petit (1922-2000). Extrait de la comédie musicale « Migraine » écrite et composée en 1959

Louise de Vilmorin, une vie, une oeuvre sur France Culture

ARTCENA – Catherine Benhamou présente « Romance »

Les femmes et le théâtre : Catherine Benhamou

Romance Catherine Benhamou/ Grand Prix de Littérature Dramatique 2020

Romance Catherine Benhamou Koïnè Editions, 2019 – Grand Prix de Littérature Dramatique 2020

Romance - Catherine Benhamou - theatre-contemporain.net

De ce texte dense, au bord du souffle, et dans lequel il faut d’abord s’immerger, trouver sa propre respiration, partiemment, qui convoque notre propre corps dans une lecture, où chaque nerf est une corde tendue prête à vibrer, chaque pouce de chair un réceptacle à l’émotion, on ne peut ressortir indifférent.

La lecture peut être cela, le corps qui s’écrit en même temps qu’il lit. Et c’est parfois le miracle du texte dramatique, et aussi le miracle de la lecture…

Jasmine est une jeune fille de seize ans qui rêve de sortir de l’invisibilité :

« […] ici quand vous êtes une fille, tout ce que vous pouvez faire c’est vous rendre invisible pour éviter les embrouilles […] »

La narratrice s’adresse à la mère d’Imène, tentant de  comprendre ce qui a poussé Jasmine à choisir un rêve de sang et de mort, seul rêve qu’elle croit à sa portée, hors des mots et du langage. Un rêve qui ne serait qu’une onomatopée, « Boum ».  Un rêve d’un seul mot mais à multiples résonnances.

Une idée fixe, la répétition de ces mots qui s’enroulent sur eux-mêmes, en boule, comme celle qu’on a dans la gorge, ou à l’estomac, partout où ça se noue : « ça bouchait tout comme sur une photo quand on a laissé son pouce sur l’objectif ».

Il faut se méfier, toujours, de ce qui se résumerait à un seul mot ou à deux : amour par exemple ou amour toujours. Dans lesquels il n’y a pas d’aller retour possible, pas d’échappatoire.

Jasmine trouve donc l’amour sur Internet, son corps, quatre vingt kilos et le regard éteint d’un homme fiché S.

Pour lui, l’amour c’est à la vie à la mort, il la brûlerait vive plutôt que d’être quitté. Il est ce genre d’homme, la brûtalité à fleur de peau, qui ne se reconnaît jamais dans les mots de l’autre.

Depuis toujours c’est la guerre à l’intérieur de lui « et maintenant c’était une ville morte ».

Mais le pire n’aura peut-être pas lieu, grâce à Imène, qui porte toutes les voix dans la sienne comme autant de possibles.

Avant d’écrire Romance, Catherine Benhamou, a mené un atelier d’écriture en Seine-Saint-Denis, « où des jeunes filles ont exprimé leur malaise et leur peur les poussant à préférer l’invisibilité, juste pour avoir la paix. »

Son écriture se nourrit de ses rencontres, ses mots sont toujours tissés de ceux des autres et des émotions qu’ils suscitent en elle. Elle est aussi profondément politique et questionne l’actualité : pourquoi ces jeunes français.es ont-ils fait le choix de la radicalisation, pourquoi sont-ils partis en Syrie ?

Mais son écriture ne s’instrumentalise jamais, elle reste profondément poétique:

« on voyait son regard, on savait que ce regard ne vous lâcherait pas, qu’il faudrait faire avec et que ce ne serait pas facile »

C’est un peu comme avec sa plume, une fois sous le charme, elle non plus ne vous lâche pas.

oeuvre Tour Eiffel : sur Pixabay Mikka Mobiman

A l’époque de Louise de Vilmorin/ Colette Renard VS Jeanne Cherhal- Les nuits d’une demoiselle

Que de mots pour le dire ! Les connaissiez-vous ? Magnifique chanson légère… Et la version de Jeanne Cherhal à l’ère numérique tout aussi savoureuse.

Louise de Vilmorin – Sainte Unefois

Louise de Vilmorin, Sainte-Unefois, Editions Gallimard, 1934

Si ce roman fait date dans l’histoire de la littérature, c’est qu’il emprunte les chemins d’une nouvelle écriture, initiée par les surréalistes, une écriture inventive, qui ne se soucie pas de réalisme mais construit des personnages fantasques, proches des contes de fée et à rebrousse-poil de la psychologie traditionnelle des personnages dans les romans de l’époque. Si la trame narrative est assez conventionnelle, Grace retrouvant son cousin après des années de séparation, et vivant avec lui une nouvelle histoire d’amour, le traitement des situations lui, ne l’est pas.

Car elles sont souvent absurdes, et tout à fait étranges, défiant toute rationalité, proche du merveilleux des contes, et utilisant des images qui semblent générées par l’écriture automatique.

« Il n’y a pas de sujet mais c’est plein de perles » déclarera Max Jacob.

Si les événements s’enchaînent selon une causalité assez fantaisiste, que dire des motivations des personnages ?

Mais il y a parfois, dans le texte, des accents d’une grande sincérité.

« Mon corps et moi nous entendons mal, je ne pourrai jamais appartenir à personne. Il faudrait qu’on m’étouffe, qu’on force l’amour en moi et que je meure ».

L’héroïne me fait penser à ces dames de la haute société, qui n’ayant jamais rien à faire, se diluaient dans une forme d’oisiveté qui confinait à la folie. L’héroïne a toujours une attitude d’extrême fatigue, pâle et éthérée, indécise et capricieuse. Son cou est « fragile », son cri « plaintif » et le bonheur du moment lui tire des larmes. Sa liberté est de l’inconstance, rien ne tient, et surtout pas l’amour. Mais socialement, elle impose un modèle de femme en rupture avec son temps : mondaine et volage, elle va où ses inclinations la portent.

La drôlerie n’est pas absente et les jeux de mots, ainsi le serviteur qui annonce un « gonflé » au lieu d’un « soufflé ».

Une forme de poésie, un travail rigoureux sur la langue, font le charme de certains moments de lecture.

Mais que cette héroïne est lassante, elle dit de « belles choses », s’amuse de « jeux simples », mais se révèle complètement inconsistante. Elle n’a pas de mission, et ne tire pas les ficelles, condamnée à plaire :

« A qui m’offrirais-je, avec dans la main, quelque chose qui serre le cœur ? »

Louise de Vilmorin, ou du moins son œuvre, n’est pas complètement parvenue à la postérité, même si ses inventions formelles présentent de l’intérêt du point de vue de l’histoire littéraire.

Mais il me semble qu’aujourd’hui, elle a du mal à nous parler, du moins avec cette œuvre.

J’avoue que j’ai eu beaucoup de mal avec ce livre que je n’ai pas du tout aimé malgré l’intérêt littéraire qu’il présente.

Mais il faut se faire son avis, et la lire !

Les femmes et les chansons : Emily Jane White/ Nightmares on repeat

The love that you gave, keeps me here
Calling out your name, keeps me here
For the light was not there, for years upon yearsMaybe
The way you walk will show just how to talk
Myself into being here
Draw close pull nearHolding your hand, keeps me here
All the
Ways you stand, keeps me here
For the light, was not there
For years, upon yearsMaybe the way you walk, will show me just how
Talk
Myself to sleep, nightmares on repeatYour insight, beautiful

Emily Jane White, chanteuse et instrumentiste, a découvert très jeune la musique folk, a appris très tôt à chanter, jouer du piano et de la guitare. Après des études à l’université de Californie à Santa Cruz, elle fait un séjour à Bordeaux avant de s’établir à San Francisco (Source Wikipédia, licence creative commons)

Why should you read Toni Morrison’s “Beloved”? Yen Pham et Héloïse Dorsan Rachet

Réalisé par ma chère fille, dont j’adore le travail, les dessins et l’univers. Sur cette œuvre majeure de Toni Morrison.

Paru en 1987, se situant après la guerre de Sécession américaine, il aborde l’histoire de l’esclavage à travers l’histoire de Sethe, une ancienne esclave, hantée par le fantôme de sa fille. Cette histoire est inspirée de la vie de Margaret Garner, une esclave afro-américaine qui échappa à l’esclavage fin janvier 1856 et s’est réfugiée dans l’Ohio, Etat libre.

« Sethe est une ancienne esclave qui, au nom de l’amour et de la liberté, a tué l’enfant qu’elle chérissait pour ne pas la voir vivre l’expérience avilissante de la servitude. Quelques années plus tard, le fantôme de Beloved, la petite fille disparue, revient douloureusement hanter sa mère coupable. Loin de tous les clichés, Toni Morrison ranime la mémoire, exorcise le passé et transcende la douleur des opprimés. » Editions 10/18

Lettre dans un taxi – Archive de l’INA/ Villa Savoye

Je ne pouvais résister au plaisir de cette archive dans la Villa Savoye de Le Corbusier.