Le monde de l’édition est-il misogyne ? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre Laure Limongi (éditrice), Joy Sorman (auteur), Nathalie Lacroix (libraire), Jean-Marc Roberts (éditeur), Christine Détrez (sociologue) en partenariat avec Causette.
« Le milieu littéraire est-il misogyne ?
Compte rendu du débat mars 2011 Salon du Livre de Paris
En apparence le monde littéraire est un des moins misogynes qui soit, les femmes y sont très présentes, que ce soit dans l’édition ou parmi les auteurs. A y regarder de plus près les choses sont un peu plus compliquées et la répartition des rôles pas toujours égale. Quelles places occupent les uns et les autres? Quel prestige, quelle reconnaissance, quelle image? Les femmes ont-elles vraiment une place privilégiée dans le monde littéraire, ou au contraire un rôle assigné, délimité, contraignant? Autant de questions que ce débat vise à soulever. »
Les femmes sont très présentes dans le monde de l’édition et représente la majorité des salariés. Pourtant quel rôle jouent-elles, est-il délimité à certaines taches ou à certains postes, quelle place occupent-elles dans la hiérarchie ?
A vrai dire, la misogynie est plutôt moins présente dans le milieu de l’édition que dans d’autres milieux mais il faut envisager plusieurs niveaux de différenciation. Si il y a plus de femmes que d’hommes qui écrivent, ce quotient s’inverse au sommet de la pyramide. Les postes à responsabilité qui déterminent les choix en matière de publication ou de ligne éditoriale sont détenus par des hommes. Ainsi, les auteurs masculins obtiennent davantage de prix littéraires, observe Christine Détrez.
Joy Sorman ajoute qu’il y a un processus de non-prise de parole des femmes qui s’autocensurent. D’une part, on peut remarquer qu’il y a une partition de genre et que l’autofiction est davantage « fabriqué » par les femmes, la sphère du privé étant le domaine qui leur est plus particulièrement réservé. D’autre part, il y aurait des sujets plus spécifiquement féminins, ainsi peu de femme écrivent sur le rap.
L’écriture est aussi conditionnée par le public auquel elle s’adresse. La Chick-litt est destinée aux filles mais relève davantage selon Joy Sorman d’un phantasme d’éditeur masculin et de représentations commerciales. Les lecteurs et les lectrices s’amusent aussi à brouiller les pistes, et la littérature manga dans sa catégorie destinée plus spécifiquement aux garçons est aussi beaucoup lue par les filles. La réception des œuvres, en fait, n’est pas aussi séparée que cela.
Jean-Marc Roberts (éditeur) raconte qu’ Annie Ernaux et Christine Angot sont appelées par leur prénom alors qu’il ne viendrait à l’idée de personne de faire la même chose pour un auteur masculin.
Des tentatives ont été faites de recruter à parité hommes et femmes sur des postes à responsabilité mais on s’est aperçu au fur et à mesure que seuls les hommes restaient. Les femmes n’étaient pas là au moment des promotions parce qu’elles avaient des enfants et ne trouvaient pas de relais dans leur vie familiale ou sociale (manque de crèches ?)
Christine Détrez (sociologue) indique également qu’il est très difficile pour des étudiantes de mener une thèse sur le genre car les professeurs habilités, en majorité des hommes ne sont pas intéressés par ce genre de sujet. Il y a eu également la crainte chez les chercheurs qu’à investir des travaux sur le genre, on ne laisse de côté les inégalités sociales. Ce n’est pas la même chose d’être une femme de milieu aisé ou de milieu populaire.
Nathalie Lacroix (libraire) du comptoir des mots souligne qu’il a fallu attendre 5 ans pour que le livre de Judith Butler, Trouble gender soit traduit en français. Et aujourd’hui le genre est un sujet plutôt travaillé par des femmes. Dans le domaine de la librairie, si les employées sont surtout des femmes, les patrons sont des hommes et les éditeurs sont des hommes dans la grande majorité des cas.
Peut-être alors faut-il mettre la pression.
Laure Limongi (éditrice) pense que malgré tout les choses avancent, qu’un changement se fait et que nous sommes sur la bonne voie.
Les femmes ne doivent pas se cantonner à un domaine, elles doivent investir tous les domaines où sont les hommes. C’est pourquoi une démarche comme celle du Chèvrefeuille étoilé qui n’édite que des femmes est plutôt une ghettoïsation.
Jean-marc Roberts avoue qu’il ne fait pas attention au genre quand il publie un livre. Ce qui compte c’est le contenu. Il est contre l’idée de quotas
Joy Sorman souligne que l’histoire du féminisme est récente , 40 ans à peu près et qu’eu égard à cette très courte histoire, on a beaucoup avancé depuis Virginia Woolf et « Une chambre à soi ».
Le journaliste de Causette conclut en disant que leur équipe est pour un féminisme joyeux qui favorise un retour des uns avec les autres et je suis d’accord avec lui.