Archives pour la catégorie 6 – Autrices du XVIIIe siècle

Fanny de Beauharnais (1737-1813) – Portrait des Français

Fanny de Beauharnais (1737–1813).jpg

A lire le poème qui suit, on mesurera la plume acérée et l’ironie caustique de celle qui fut la grand-tante de Joséphine de Beauharnais  : ses images vivantes, son ton direct sont loin de la mièvrerie de la plupart des poètes du XVIIIe siècle.

Tous vos goûts sont inconséquents :

Un rien change vos caractères ;

un rien commande à vos penchants.

Vous prenez pour des feux ardents

les bluettes les plus légères.

La nouveauté, son fol attrait,

Vous enflamment jusqu’au délire :

un rien suffit pour vous séduire

Et l’enfance est votre portrait.

Qui vous amuse, vous maîtrise ;

Vous fait-on rire ? On a tout fait !

Et vous n’aimez que par surprise.

Vous n’avez tous qu’un seul jargon,

Bien frivole, bien incommode.

Si la raison était de mode,

Vous auriez tous de la raison.

(Mélange de poésies fugitives et de prose sans conséquence, 1772)

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Auteure du mois (octobre) – Marie-Geneviève Thiroux d’Arconville(1720-1805), la passion des sciences

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Marie-Geneviève Thiroux d’Arconville (1720-1805)

Son père était fermier général. Elle épousa, sans avoir rien demandé ( !), à quatorze ans, un conseiller au Parlement avec lequel elle eut trois fils. [1]Elle publia de nombreuses œuvres sans y mettre son nom. Aussi deux siècles après, on ne connaît toujours pas ses travaux. A l’époque une femme qui honore son sexe, est une femme « dont on n’entend jamais parler ». D’ailleurs elle le déplorait : « Affichent-elles la science ou le bel esprit ? Si leurs ouvrages sont mauvais, on les siffle ; s’ils sont bons, on les leur ôte, et il ne leur en reste que le ridicule d’en être les auteurs ».[2]

A part chanter, danser, faire de la musique, broder, tricoter, on n’apprend rien aux filles, si ce n’est, peut-être, la lecture et le catéchisme. Et bien sûr, elles ne peuvent ni étudier, ni enseigner en dehors de la maison.

Toutefois, elle parvint à suivre les cours au Jardin du roi de Bernard de Jussieu et du chimiste Rouelle[3], des leçons des anatomistes Sénac et Winslow, et des chimistes Macquer et Poulletier de la Salle.

Elle se lia également avec Voltaire, Jussieu, Lavoisier, Fourcroy.[4]

A force d’un travail acharné, elle devient une vraie spécialiste de son domaine, et rédige un « Essai pour servir à la putréfaction » (1766) dans lequel elle étudie les agents antiseptiques prévenant la putréfaction ou restaurant les chairs corrompues (On raconte qu’elle fit plus de trois cent expériences !) et traduit « Leçons de chymie » de P. Shaw (1759). Après 1766, elle se consacre à des traités de morale, De l’amitié et Des passions(1764)[5], des recherches historiques (biographiques), de la Vie du cardinal d’Ossat à l’Histoire de François II, en passant par la Vie de Marie de Médicis (3vol, 1774) et  écrit des romans, Mémoires de Mlle de Valcourt et L’Amour éprouvé par la mort (1763).[6]

Une vaste culture donc,et des talents variés, qui brouillèrent un peu l’image que ses contemporains pouvaient avoir d’elle mais qui préfigura les premières tentatives pour s’illustrer dans les sciences.

[1]   Dictionnaire des femmes célèbres, article, Lucienne Mazenod, Ghislaine Schoeller, Robert Laffont, paris 1992

[2] Les conversations d’Emilie, t.II, 12e conversation, p 209-210

[3] Madame d’Arconville, Une femme de lettres et de sciences au siècle des Lumières, Hermann, Histoire des sciences, 2011, Hermann Editeurs

[4] Dictionnaire des femmes célèbres, article, Lucienne Mazenod, Ghislaine Schoeller, Robert Laffont, paris 1992

[5] Dictionnaire des créatrices, Élisabeth BARDEZ et Marie-Laure GIROU-SWIDERSKI

[6] ibidem

La tradition des romans de femmes XVIIIe-XIXe siècle textes réunis et présentés par Catherine Mariette-Clot et Damien Zanone

 

 

Présentation de l’éditeur

Les noms de Mmes de Charrière, Cottin, de Duras, Gay, de Genlis, de Graffigny, Guizot, de Krüdener, de Montolieu, Riccoboni, de Souza, de Tencin (donnés ici dans l’ordre impersonnel de l’alphabet), romancières réputées en leur temps, ont difficilement passé les années : dès le milieu du XIXe siècle, ils n’ont plus été retenus que des érudits qu’intéressaient l’histoire de la littérature ou l’histoire du roman, l’histoire des femmes aussi. Quant à la notoriété qui a toujours entouré les noms de Mme de Staël et de George Sand, elle s’est souvent plus occupée d’aspects de leur biographie, construits et chéris comme des stéréotypes, que de leur oeuvre de romancières.
Le fait est, pourtant, qu’au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe, les romans écrits et publiés par des femmes occupent la scène littéraire d’une manière qui les met suffisamment en valeur pour que les lecteurs reconnaissent en eux une tradition, celle des « romans de femmes ». L’unité de l’appellation collective suggère la présence dans ces textes d’un maniement spécifique du langage romanesque, avec des traits récurrents (modèles d’intrigues, constantes thématiques, normes du discours moral). Par jeu de reprises et de variations, cet ensemble d’éléments créerait des conventions et ainsi déterminerait un genre (notion que le mot de tradition revient à dire par euphémisme). C’est à la rencontre d’un tel contenu objectivable que le présent ouvrage veut se risquer : existe-t-il ? Le discours critique doit-il valider l’idée qu’il y eut, au XVIIIe et au XIXe siècles, une tradition des romans de femmes ?

Biographie de l’auteur

Catherine Mariette-Clot est maître de conférences en littérature française à l’Université de Grenoble, membre du « Centre d’études stendhaliennes et romantiques » de l’équipe E.A. 3748 – Traverses 19-21. Spécialiste de littérature française du XIXe siècle, elle a publié de nombreux travaux sur Stendhal et George Sand.
Damien Zanone est professeur à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve). Il travaille sur la littérature romanesque et autobiographique du XIXe siècle. On lui doit en particulier un ouvrage de référence sur le genre des Mémoires dans cette période (Écrire son temps, Presses universitaires de Lyon, 2006) ainsi que plusieurs éditions critiques de George Sand.

Romans de femmes du XVIIIe siècle

Présentation de l’éditeur

« Le siècle des Lumières a été porté à sa plus haute expression par des femmes de génie dont quelques-unes ont été réunies dans ce volume.

Contrairement à la poésie et au théâtre, le roman, à l’âge classique, ne connaît pas de règles fixes. D’où un foisonnement sans précédent de récits en tout genre : romans épistolaires, pseudo-mémoires, romans d’aventure, romans sentimentaux. Les auteurs femmes y prennent une part importante et affirment clairement leur différence en revendiquant, pour la première fois peut-être, le droit au bonheur, à une vie sentimentale, à une sexualité qui leur soient propres. Elles instruisent, avec plus de force et d’humour que les hommes le procès des conventions sociales, des interdits, des tabous ; elles cultivent une langue plus libre en se montrant moins respectueuses des normes traditionnelles que leurs confrères masculins. Ce volume réunit treize textes représentatifs couvrant tout le siècle des Lumières et la période révolutionnaire et qui n’avaient guère été réédités.

Biographie de l’auteur

Ce volume a été préparé par Raymond Trousson, professeur à l’université libre de Bruxelles et spécialiste réputé du siècle des Lumières. On lui doit une histoire de la libre pensée au XVIIIe siècle, de nombreux livres sur le mythe de Prométhée, Rousseau, Mme de Charrière, ainsi que l’édition dans  » Bouquins « des Romans libertins du XVIIIe siècle. »

L’écriture au féminin au XVIIIe siècle

Les femmes et l'ecriture 3

A partir du XVIIIe siècle, les femmes écrivent davantage et dans de nombreux domaines. A Venise par exemple, elles publient 49 ouvrages au XVIe siècle, 76 au XVIIe et 110 (presque autant que les hommes) de 1700 à 1750. ( Romans mais aussi philosophie, polémique, science, traductions, pièces de théâtre et livrets d’opéra) (3). C’est par les salons que la culture se diffuse essentiellement.
Et comme l’indique Henri Coulet, les françaises ont pu s’appuyer sur l’exemple des Anglaises car de 1780 à 1800 elles ont pu lire, traduites en français, les œuvres de plus de 50 romancières d’Outre-manche, : Sarah Fielding, Ann Radcliffe, Frances d’Arblay, Clare Reeve, Anne Hughes, Aghes Maria bennett etc » (1)
Les femmes de lettres sont toutes issues (à ma connaissance) de la bourgeoisie ou de la noblesse, et choquent par leur liberté de ton, enfin elles « osent » s’exprimer et sortir de cette réserve féminine plus ou moins silencieuse, animent parfois des salons, émettent des avis ou des opinions. Diantre ! En bref, elles offensent, par leurs manières, la pudeur de l’époque, ou sont méprisées simplement parce qu’elles sont des femmes. Un grand nombre de romancières écrivent pour les femmes, dont Mme Riccoboni, qui eut un large succès. La vocation du roman était de raconter l’individu, des passions qui l’agitent, et des contradictions qu’il doit résoudre. Et cet individu était une femme en situation avec les contraintes sociales particulières qu’elle subissait..
La littérature écrite par les femmes au XVIIIe siècle s’inscrit dans une société très misogyne, où il importe, pour les femmes qui s’avisent d’écrire, de cantonner leur écriture et leurs sujets dans les limites étroites de la bienséance.

Anne-Thérèse de Lambert dans un essai intitulé « Réflexions nouvelles sur les femmes » , en 1723 avertit : « Si l’on passe aux hommes l’amour des lettres, on ne le pardonne pas aux femmes ». Écrire et publier ne deviendront possible qu’à celles qui observeront un tant soi peu les convenances et les dictats moraux de l’époque en grande partie imposés par la religion et entérinés par la tradition qui génère la haine des femmes.
La littérature, à cette époque, s’adresse le plus souvent au public lettré (noblesse, et bourgeoisie). Au XVIIIe siècle, elle s’adresse peu aux classes populaires, qui bénéficient de « La bibliothèque bleue », sous-littérature de colportage. Entre les deux va naître une littérature de subversion, qui « va porter les textes philosophiques les plus radicaux avec ceux de la lutte antireligieuse comportant eux-mêmes ceux de la libération des mœurs » interdite , (Voltaire, Rousseau, d’Holbach , Raynal en sont les grands noms) et qui va se développer au siècle suivant avec les progrès de l’alphabétisation.(2)
Cette liberté de ton et d’idées n’est pas permise aux femmes, et la plupart d’entre elles devront écrire une littérature genrée, décrire des amours impossibles, les luttes intérieures entre le désir (à peine suggéré) et le devoir, et le triomphe pour finir de la morale et de la religion. Dans la Paysanne pervertie de Rétif de la Bretonne, un libertin, s’insurge, « Une femme autrice sort des bornes de la modestie prescrite à son sexe » (On pourrait demander par qui ?), en fait plus ou moins des prostituées (à l’instar des comédiennes). Donc on ne permet aux femmes d’écrire qu’une littérature moralisatrice et dévote (manuel de dévotion, traité orthodoxes sur l’éducation des filles, recueils de conseils moraux et pratiques). Cependant quelques femmes commencent à faire un pas de côté, à s’instruire dans les salons ou auprès de leurs frères, de leurs maris, ou d’amis de la famille et s’engagent dans la transgression des interdits.
Dès le début XVIIe siècle, Mlle de Gournay dénonce dans des pamphlets l’injustice de la condition des femmes. Or, elle est vieille fille et n’a pas de vie de famille à sacrifier. Pour écrire, il faut souvent abandonner l’ambition d’avoir un mari ou des enfants qui requièrent le plus clair du temps d’une femme. On se place dans un processus d’exclusion sociale, pour des femmes qui n’ont pas accès à des métiers valorisant dans la majorité des cas. C’est pourquoi de nombreuses femmes écrivains publiaient sous des noms d’emprunt ou sous l’anonymat.« Écrire, c’est perdre la moitié de sa noblesse », constate Mlle de Scudéry qui publia ses premiers romans sous le nom de son frère.
Pourtant les écrits de ces femmes ne remettent pas en cause la religion et la société, ce sont des œuvres bien sages. A la fin du siècle, néanmoins, avec la Révolution française, les écrits se mêleront de politique, le plus célèbre d’entre eux est bien sûr , après le « Prince philosophe » d’Olympe de Gouges au féminisme encore ambigu, sa « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » qui annonce le très beau texte en 1801 de Fanny Raoul « Opinion d’une femme sur les femmes ». Mais il ne s’agit pas là de romans.

Claude Dulong souligne la médiocrité d’ensemble de la production féminine et avance que les femmes ne maîtrisaient pas suffisamment le savoir scientifique et la philosophie pour en débattre . Les salons ne suffisaient pas à l’acquisition du savoir et à l’éducation. (si l’on excepte quelques femmes comme Anna Maria Van Schurman à Utrecht).

Toutefois, j’ai trouvé parmi mes lectures de très beaux romans ou essais (Emilie du Châtelet)qui mériteraient d’être extirpés de l’oubli  et  figurer dans les anthologies littéraires.
Ces interdits sociaux sont fortement intériorisés, la force de la censure inconsciente fait que les femmes s’interdisent d’écrire ou écrivent presque à leur corps défendant, ou parce qu’elles se retrouvent sans ressources et doivent gagner leur vie. On écrit souvent en cachette : Jane Austen elle-même n’écrivait que sur des feuilles volantes qu’elle pouvait facilement dissimuler quand elle travaillait dans la salle commune. C’est par le grincement de la porte du parloir qu’elle devait d’être avertie de toute intrusion. Aussi ne voulait-elle pas que les gonds soient huilés. Les critiques sont voilées et on a pu parler de l’ironie austenienne. « Si elle avait vécu plus longtemps, dit Virginia Woolf, elle aurait osé découvrir le monde, elle aurait eu moins peur. », et rajoute Geneviève Brisac,(4) « La peur est à l’œuvre ici, la peur d’être montrée du doigt et persécutée ».
Peu importe les femmes écrivent, ont toujours écrit, et c’est leur acte de bravoure, la plus grande bataille et la plus grande transgression. Enfin gagnée.

 

vignette les femmes et la poésieEntre autres, cette liste n’est pas exhaustive :

Contes : Gabrielle de Villeneuve – Marie Leprince de Beaumont – Genre épistolaire : Aïssé (1695-1733) Marie du Deffand (1697-1780), Julie de Lespinasse (1732-1776), Françoise-Eléonore de Sabran (1750-1827), Education / Anne-Thérèse de lambert (1647-1733) – Louise d’Epinay (1726-1783), Mémoires / Rose de Staal-Delaunay- Marie-jeanne Roland ; Les Romans / Marie-Louise de Fontaine (..- 1730) et Claudine-Alexandrine de Tencin (1682-1749), Françoise de Graffigny (1695_1758), Marie-Jeanne Riccoboni (1714-1792), Isabelle de Charrière (1740-1805), Écrits politiques Olympes de Gouges(1755-1793)
Sources :
1) Anthologie des romancières de la période révolutionnaire (1789-1800),établie par Huguette Krief préface de Henri Coulet
2) Grandes dames des lettres Michel Lequenne
3) Claude Dulong, Histoire des femmes en Occident, tome III XVI-XVIIIe siècle in Dissidences, la voix, la parole et l’écrit
4) La marche du cavalier p 28 de l’édition points.
5) Martine Reid – Des femmes en littérature.

Evelina de Fanny Burney (1752 – 1840)

vignette femme qui écritEvelina ou The History of a Young Lady’s Entrance into the World (1778), José Corti , domaine romantique 1991. “C’est l’œuvre la plus pétillante, la plus divertissante et la plus agréable du genre” note le Monthly Review en avril 1778. La critique est élogieuse et voit en elle le digne successeur de Richardson et de Fielding. Il est vrai qu’elle excelle dans le ton de la comédie, et prodigue généreusement au lecteur coups de théâtre, et retournement de situation . Elle campe des personnages hauts en couleur au verbe flamboyant et populaire ou à la délicatesse châtiée des aristocrates, dont elle n’épargne ni la suffisance, ni le ridicule : ainsi de ce personnage qui prétend venir au théâtre seulement pour qu’on le voie, et avoue ne rien écouter de la pièce. Aucun pan de la société n’échappe à son observation minutieuse, de la bourgeoisie enrichie qui prétend imiter les nobles, aux prostituées qui se promènent dans les jardins. Les femmes ne sont jamais très bien loties et doivent supporter pour maris d’affreux personnages, tel ce capitaine de marine qui se plaît à tourmenter une française à laquelle il n’épargne ni ses sarcasmes, ni des farces du plus mauvais goût.

Fanny Burney ne s’éloigne jamais pourtant de la morale de son temps et fustige les »bas-bleu » qui offensent le code de réserve féminine en vigueur à l’époque. D’ailleurs, son héroïne a tout d’une ingénue obéissante qui passe son temps à défendre sa vertu. Pour une femme d’aujourd’hui, elle est passablement énervante. Mais pour l’époque, elle représente la femme idéale, rougissante, modeste, gracieuse et obéissant à son tuteur qui dirige sa conduite. Il va de soi qu’elle ne peut se diriger entièrement elle-même. Dans ce roman épistolaire, l’auteure raconte l’entrée d’une jeune provinciale de dix-sept ans dans la haute société londonienne. Sa naissance obscure et son peu de fortune, lui font affronte un préjugé de classe dominant à l’époque qui la met à l’écart, et lui fait endurer le mépris et la disgrâce. C’est sur ce même thème que Jane Austen bâtira Orgueil et préjugés quelque trente ans plus tard. Si Fanny Burney est totalement étrangère au monde d’une féministe comme Mary Wollstonecraft (qui dit-on l’admira), elle n’en prend pas moins quelques risques et égratigne  la société patriarcale de son temps à coup d’ironie feutrée et de satire sociale. Son art du dialogue rend le récit vivant et les 444 pages passent sans peine. A découvrir…

Mois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou.

le mois anglais

Fanny Burney (1752-1840) : l’histoire d’une vie

Frances dite Fanny Burney (1752-1840)

vignette femme qui écritFemmes de lettres anglaise née en 1752, morte à Londres en 1840. Son père était musicien et fréquentait, avec sa fille, le salon de Samuel Jonnson.
Ses deux premiers romans Evelina ou The History of a Young Lady’sEntrance into the World (1778) et Cecilia ou Memoirs of an Heiress (1782) la rendirent célèbre. Elle fut ensuite attachée à la garde-robe de la reine Charlotte, charge qu’elle quitta en 1791.
C’est avec elle que s’annonce le renouveau du roman anglais – Defoë, Richardson comme Smollett n’ayant pas été remplacés. Choderlos de Laclos la tenait en grande estime et ne tarissait pas d’éloges. « Ses romans pleins de finesse, d’humour, de sens de l’observation n’ont rien à envier à ceux de G. Eliot, M. Shelley ou J. Austen. »Elle est également l’auteur d’un journal qui compte parmi les sommets du genre en Angleterre (1768-1818).1
En 1793, à quarante-deux ans, elle épousa un émigré français, le général Alexandre D’Arblay. Leur fils unique, Alexander, naît en 1794.
Elle publia Camilla ou A Picture of Youth en 1796, avant d’aller s’installer en France avec son mari, le général d’Arblay, ancien émigré qui avait été aide de camp de La Fayette (1802). Elle y resta dix ans .
En 1814, elle écrivit et publia The wanderer or Female Difficulties.
On a souvent rapproché son art de celui de Richardson et de Fielding mais ses descriptions minutieuses de la vie domestique, la finesse avec laquelle elle épingle les vanités et les ridicules sociaux l’apparentent aussi à Jane Austen.
Elle a laissé un Journal et des Lettres publiés ensemble, en sept volumes de 1842 à 1846.
La postérité, pourtant, n’a guère retenue son nom alors que sa cadette, Jane Austen, est reconnue aujourd’hui comme un grand nom de la scène littéraire de l’époque.

Fanny Burney fut toute sa vie en butte à ses propres contradictions : elle voulut la notoriété mais craignit le scandale qui broyait les femmes rebelles n’ayant pas respecté le code de bienséance et de pudeur féminine de l’époque. La femme auteur est dangereusement exposée aux cabales et aux sarcasmes. La réputation d’une femme, si chère à un certain code post-puritain, ne doit pas souffrir de la moindre tache. Or, si à l’époque, la lectrice de romans est considérée comme une femme légère, aux mœurs dépravées, la romancière encourt le risque d’être traitée de bas-bleu ( femmes dont Fanny Burney se moque abondamment).
Elle ira jusqu’à fuir Mme de Staël dont elle finira par connaître les amours adultères et qui voyait pourtant en elle « la première femme d’Angleterre ».

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

 vignette femme qui écrit« La littérature est ma profession (…)La voie me fut frayée, voilà bien des années par Fanny Burney, par Jane Austen, par Harriet Martineau, par George Eliot… Beaucoup de femmes célèbres, et d’autres, plus nombreuses, inconnues et oubliées, m’ont précédée, aplanissant ma route et réglant mon pas. Ainsi, lorsque je me mis à écrire, il y avait très peu d’obstacles matériels sur mon chemin : l’écriture était une occupation honorable et inoffensive. » Virginia Woolf, Profession pour femmes, 1939

Ecrire et publier fut pour les femmes une conquête. Fanny Burney (1752 – 1840)fut l’une de celles qui ouvrit la voie aux romancières anglaises. Sa cadette de 23 ans, Jane Austen lui rend hommage dans les premières pages de Northanger Abbey.

Une jeune fille à qui l’on demande ce qu’elle lit, répond : « Oh, ce n’est qu’un roman, ( …), Ce n’est que Cecilia, ou Camilla ou Belinda : c’est seulement une œuvre dans laquelle les plus belles facultés de l’esprit sont prodiguées et qui offre au monde, dans un langage de choix, la plus complète science de la nature humaine, la plus heureuse image de ses variétés, les plus vives affections d’esprit et d’humour. »

 Les commentateurs soulignent que le premier roman de Fanny Burney « Evelina » a largement inspiré « Orgueil et préjugés » de Jane Austen (1775- 1806). Inspiré (affinités électives ?) et non copié, car l’œuvre de Jane Austen est singulière et possède la marque de son univers.

Toutes les deux durent contourner les préjugés de leur temps, et la difficulté pour les femmes de concilier bienséance, codes moraux d’une époque, et création. Les thèmes sont imposés par les dictat de l’époque en matière de pudeur féminine. Hors de question d’évoquer ouvertement la sexualité, ou l’indépendance des femmes sans provoquer le scandale. La réputation des femmes doit être vertueuse pour que leur œuvre n’encoure pas l’opprobre.

 Mary Wollstonecraft (1759 – 1797) qui fut à la fois maîtresse d’école, femmes de lettres, philosophe et féministe anglaise écrivit un pamphlet contre la société patriarcale de son temps « Défense des droits de la femme ». Elle eut une vie non conventionnelle (dépressive et suicidaire) bien éloignée de celle de Jane Austen et de Fanny Burney(qui connut la gloire de son vivant). Mais autant de talent. A propos de son ouvrage « Lettres écrites de Suède, de Norvège et du Danemark » son futur mari William Godwin écrira  « si jamais un livre a été conçu pour rendre un homme amoureux de son auteur, il m’apparait clairement que c’est de celui-ci qu’il s’agit. Elle parle de ses chagrins, d’une manière qui nous emplit de mélancolie, et nous fait fondre de tendresse, tout en révélant un génie qui s’impose à notre totale admiration».

Fanny Burney en fera une caricature dans ses romans et la vilipendera en moraliste soucieuse des conventions : attention jeunes filles à ne pas devenir une Mary Wollstonecraft. Seule George Eliot(1819-1880) rompra l’oubli dans laquelle son œuvre et sa vie tombèrent au XIXe siècle en la citant dans un essai consacré au rôle et aux droits des femmes. Et Viginia Woolf, bien plus tard, évoquera ses expériences de vie (Four figures traduit en français par « Elles » et publié en rivages poches).

Elles furent très différentes les unes des autres mais apportèrent chacune leur pierre à l’édifice fragile et compliqué de la littérature écrite par des femmes.

le mois anglaisMois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou.

La stratégie des romancières anglaises au XVIIIe siècle : contournement et auto-effacement mais aussi affirmation de soi

Étude passionnante à lire sur la toile,  de Aleksandra KOWALSKA /Université Charles de Gaulle – Lille 3

vignette femme qui écrit« L’écriture des femmes fut aussi influencée par leur
situation dans la société et par leur vision d’elles-mêmes en tant
qu’écrivains dont la tâche était difficile en raison des contraintes idéologiques. En premier lieu, la société patriarcale attachait une grande importance à la bienséance des femmes. On faisait l’amalgame entre leur vie et leurs romans(des écrits scandaleux pouvaient être un motif d’accusation de conduite non vertueuse dans la vie, et l’inverse – une vie sexuelle libre risquait de faire cataloguer l’œuvre littéraire comme immorale). De plus, la bonne réputation d’une femme auteur dépendait principalement de la pudeur et non de la valeur artistique de ses écrits. »
Fanny Burney (1752-1840)  Mary Wollstonecraft (1759-1797)

Madame de Staël, la femme qui faisait trembler Napoléon de Laurence de Cambronne,

Madame de Staël, la femme qui faisait trembler Napoléon de Laurence de Cambronne, Allary éditions 05 mars 2015, 244 pages

La vie et l’œuvre de Madame de Staël sont tout à fait passionnantes.

vignette femme qui écritGâtée par la fortune, et une intelligence exceptionnelle, Anne-Louise Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, connue sous le nom de Madame de Staël (1766- 1817) était une femme extrêmement célèbre en son temps : l’Europe entière connaissait son nom et son exil par Napoléon fit d’ellet une infatigable voyageuse. Elle connaissait les milieux intellectuels en vogue à son époque que ce soit en France, en Allemagne et en Angleterre. Elle fut même reçue à la cour de Russie. Chacun de ses livres était un événement, et ses convictions politiques, libérales, étaient le cauchemar des despotes, et notamment de Napoléon Bonaparte qui la condamna à l’exil.

Elle eut la chance, rare, pour une femme de l’époque, d’étudier. Elle apprit des matières telles que la physique, les mathématiques, la théologie, la politique et la littérature.

Parmi ses connaissances, les noms de ceux qui ont fait l’histoire ou laissé une œuvre à la postérité : Voltaire, Diderot, Jefferson et Lord Byron, mais aussi Juliette Récamier, Talleyrand, Lafayette ou Chateaubriand et Goethe.

Son mariage avec le comte de Staël (elle l’épouse le 31 janvier 1786) ne fut pas heureux. Son mari lui interdit de publier ses essais et ne la comprit guère. Ils vécurent la plupart du temps séparés. Ses amours sont tumultueuses, elle tombe facilement amoureuse mais fait peur à ses amants. Sa liaison la plus longue fut sans conteste celle qu’elle entretint avec Benjamin Constant et qui souffrit de nombreuses éclipses. Elle finira sa vie aux côtés d’un homme de vingt ans au moins son cadet, Rocca.

Elle publie en 1788, « Lettres sur les ouvrages et le caractère de Jean-Jacques Rousseau. » Elle a 23 ans, et rêve d’une société nouvelle. Les États Généraux fournissent le prétexte à une intense activité politique, en sous-main, à travers ses amis. Elle est l’égérie des Constitutionnels et lutte contre les extrêmes : elle rêve d’une monarchie constitutionnelle avec deux chambres avant de devenir une républicaine convaincue et une fervente militante des libertés individuelles. Quelque temps plus tard, elle publiera « Réflexions sur la paix, adressées à M. Pitt et aux français. » puis « De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations » qui n’aura guère de succès.

En 1798, elle rédige « Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République » dans lequel elle expose ses idées : élections libres, abrogation des droits héréditaires, affirmation du droit de propriété, devoir de la nation envers les pauvres, possibilité au pouvoir exécutif de dissoudre l’Assemblée. Sur le conseil de Benjamin Constant, elle ne le publiera pas. Trop républicain, trop risqué. Elle publie alors une étude littéraire « De la littérature considérée dans ses rapports avec les Institutions sociales. » où elle avance masquée. Elle y développe la thèse de la perfectibilité de l’espèce humaine. En 1802, paraît son premier roman, « Delphine » qui provoque le scandale. Condition des femmes, plaidoyer en faveur du divorce, apologie du protestantisme, on peut le considérer comme le premier livre féministe. Puis après la mort de son père, elle écrit un de ses ouvrages les plus célèbres « De l’Allemagne » puis un second roman, « Corinne ou l’Italie » qui est un grand succès car les « femmes incomprises et malheureuses s’identifient au personnage ». Elle rédigera ensuite, un essai sur le suicide (elle fera elle même une tentative de suicide) et « Dix ans d’Exil », un livre de souvenirs.

Intellectuelle en avance sur son temps, femme brillante, amoureuse passionnée, Germaine de Staêl eut de quoi irriter et séduire.

Si elle écrivit de nombreux essais, elle fut la première à écrire une œuvre dans la veine du romantisme et à décrire les sentiments, les émotions et à pratiquer l’introspection. Avec Goethe, elle ouvrit la voie du romantisme.

Son indépendance d’esprit fut favorisée par son indépendance financière, son père, Jacques Necker, ministre des finances de Louis XVI, lui légua une immense fortune qui fit d’elle une des femmes les plus riches de son temps.

Elle ne négligea pas pour autant ses devoirs de mère, et prit soin de garder ses enfants près d’elle avec lesquels elle eut des relations très fusionnelles. Elle eut cinq enfants de quatre pères différents. Femme libre, indépendante, elle offrit un nouveau modèle de femme.

Elle fut féministe, milita pour le droit au divorce, engagée, combattive. Et son œuvre doit être inscrite dans la mémoire collective. On peut regretter qu’elle ne soit pas davantage étudiée au lycée.

Laurence de Cambronne choisit vingt-quatre journées de sa vie, les plus spectaculaires « Quand elle se retrouve face à Louis XVI, à Robespierre et à Bonaparte. Quand elle accouche, quand elle pleure de ne pas être aimée. Quand elle fuit Napoléon qui la condamne à l’exil. »

Ce n’est pas une biographie de plus, mais une évocation brillante et passionnée, donc passionnante, de cette femme qui marqua son siècle A lire absolument.

 Sélection 2015Logo Prix Simone Veil

Madame Riccoboni – Histoire de M. le marquis de Crécy

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Madame Riccoboni – Histoire de M. le marquis de Cressy – folio femmes de lettres – Gallimard 2009

 

Marie-Jeanne Riccoboni (1713-1792), amie de Diderot, David Hume et Horace Walpole, fut longtemps actrice à la Comédie-Italienne avant d’écrire des romans qui eurent beaucoup de succès. Sa vie commença sous de sombres auspices : un père bigame, l’entrée au couvent et des relations difficiles avec sa mère avec laquelle elle ne s’entendait pas.
Son mariage ne sera pas plus heureux et elle se séparera de son époux, en 1755, à l’âge de 42 ans. Il lui fallut alors gagner sa vie afin d’être véritablement indépendante. Ce fut l’une des raisons pour lesquelles elle commença à publier ses romans dans la veine des romans sentimentaux, ce qui dut beaucoup à leur succès. Toutefois, elle y ajouta une réflexion critique sur la place des hommes et des femmes dans la société : à travers les situations et les drames , elle montra que les deux ne sont pas traités de la même manière et n’ont pas les mêmes droits.

« Les êtres inconséquents qui nous donnent des lois, note-t-elle dans ce roman, se sont réservé le droit de ne suivre que celle du caprice. » Le comportement de chacun est finement analysé dans le domaine de l’amour, les hommes doivent dominer et séduire et tous les moyens sont bons pour parvenir à leurs fins : duperie, mensonge, stratagèmes de toutes sortes. Les femmes, objets du désir, savent qu’il convient de résister pour faire durer le jeu et garder la flamme, mais qu’elle seront condamnées à abdiquer toute forme de liberté ensuite dans le mariage. Il n’y a guère de liaisons heureuses et les hommes soumis aux appétits de la chair multiplient les maîtresses et les aventures, délaissant la femme qu’ils ont épousée avec autant d’indifférence qu’ils ont mis d’ardeur à la conquérir.

Marie-Jeanne Riccoboni réussira à vivre en femme libre malgré les rigueurs de la morale de son temps : elle partagera la vie de la comédienne Thérèse Biancolelli assumant ainsi des choix qui nécessitèrent certainement un bonne dose de courage.

 

Histoire de M. le marquis de Cressy

M. le marquis de Cressy a le désir de s’établir dans le monde et cherche pour cela une femme qui lui assure la fortune et la position sociale. Cela ne l’empêche pas toutefois de faire une cour assidue à Adéla ïde du Bugei, jeune ingénue de seize ans, qui comme toutes les jeunes filles de son temps et de sa classe est parfaitement ignorante des jeux de l’amour. Son amie, Mme de Raisel, ignorant les sentiments qui agitent la jeune fille, se laisse prendre au charme de l’ambitieux Marquis. Mais ce dernier tout à sa passion pour la belle Adelaïde est inconscient du trouble de la Comtesse jusqu’au jour où un quiproquo lui révèle les sentiments de cette dernière. Partagé entre son désir et son ambition, déterminé à s’élever dans le monde, le marquis retors se jouera des cœurs, et des situations pour parvenir à ses fins.

J’ai beaucoup aimé cette histoire qui dissèque les ressorts de l’ambition et du désir. La langue est belle, la construction du récit est parfaitement bien menée, Madame Riccoboni est particulièrement habile à nouer les intrigues et sait parfaitement jouer des retournements de situations. Elle analyse avec talent l’ambivalence des sentiments, et la situation des femmes de son époque.

Mme Riccoboni : XVIIIe siècle. L’histoire d’une vie…

Riccoboni

Je mets mes pas dans ceux de Marie-Jeanne Riccoboni, femme de lettres extraordinaire du XVIIIe siècle.

 Mme Jeanne Riccoboni, née de La Boras est une actrice et femme de lettres françaises (Paris, 1714 – 6 décembre 1792)[1]. Le mariage de ses parents fut dissous du fait de la bigamie du père. Elle passa une grande partie de sa jeunesse au couvent et eut des relations extrêmement difficiles avec sa mère qui la maltraita. Elle épousa en 1734 Antoine Riccoboni, dit Lelio II, fils du grand acteur Luigi Riccoboni, dit Lelio, qui s’illustra sur la scène de la comédie italienne. Ils furent mariés vingt ans mais leur union fut malheureuse. Elle fit partie de la même troupe et se montra piètre actrice, comme le souligne Diderot dans son Paradoxe sur le comédien :

« Cette femme, une des plus sensibles que la nature ait formées, a été une des plus mauvaises actrices qui aient paru sur la scène […]. Personne ne parle mieux de l’art, personne ne joue plus mal. »

En 1761, elle abandonna le théâtre  pour se consacrer aux lettres et s’installe rue Poissonnière avec son amie Thérèse Biancolelli. Diderot, qui parla beaucoup d’elle, dit : « Cette femme écrit comme un ange, c’est un naturel, une pureté, une sensibilité, une élégance, qu’on ne saurait trop admirer »

Une pièce, « Les caquets » publiée sous le nom de son mari semble bien être de sa main, même si cette adaptation, est en fait de Goldoni. Dans sa préface, il mentionnait seulement sa contribution pour les deux premiers actes. Elle écrivit la douzième partie de Marianne, roman que Marivaux avait laissé inachevé, et fut assez habile pour faire croire à l’authenticité de son pastiche. Son roman, Lettres de Mistress Fanny Butler (1757), exploitant la veine sentimentale dans le goût de l’époque, eut beaucoup de succès. Passionnée de théâtre, elle échangea une correspondance avec le grand acteur David Garrick,  traduisit deux volumes de Théâtre anglais (1769) et poursuivit son œuvre romanesque qui doit beaucoup à Richardson. Ses œuvres complètes ont été publiées en six volumes en 1818.

Ses amis furent d’Holbach, Diderot et Laclos.

Le thème de prédilection des romans sentimentaux, au XVIIIe siècle, est l’amour-passion et ses obstacles, mais Mme Riccoboni  utilisa ces codes pour les détourner et leur donner un nouveau souffle. Elle renouvela le genre avec un style empreint d’une grande fantaisie et d’une belle spontanéité. Peut-être son expérience du théâtre a-t-elle nourri son sens et son traitement des situations.

Elle emprunta ses thèmes à Richardson mais ne l’imita pas. Si elle écrit pour un public de nobles et de riches bourgeois (les autres ne savent guère lire), certains de ses personnages féminins connaissent la pauvreté à un moment ou un autre de leur existence[2]. Elle n’est pas moraliste comme Félicité de Genlis (1746-1830).

Lettres de Mistress Fanny Butler (1757), ou 66 lettres brèves, adressées à un certain Charles Alfred. Ces lettres dépeignent la passion de sa naissance à son paroxysme, puis sa fin qui engendre la souffrance et la déception. Un roman sentimental donc mais le talent de l’autrice, en fait un huis clos passionnel d’une puissante originalité où s’allient l’humour  et les descriptions.

Extrait :

Lundi dans mon lit malade comme un chien.

Elle a chagriné celui qu’elle aime : au lieu du plaisir qu’elle pouvait lui donner, qu’il attendait, qu’il méritait, elle lui a causé de la peine ; il a grondé, boudé, chiffonné la lettre qu’il aurait baisée ; il l’a jetée, reprise, mordue, déchirée, il en a mangé la moitié ; il est fâché, bien fâché ; ah voilà de belles affaires !…Il faut demander pardon… Oui vraiment… Une hauteur déplacée conduit toujours à la bassesse. Allons, la méchante se rend justice, elle est devant vous les yeux baissés, l’air triste ; on est bien humiliée quand on a tort ; que son état vous touche, mon cher Alfred. Elle vous dit, pardonnez-moi, ô mon aimable ami, pardonnez-moi, si vous m’aimez ! Je vois couler ses larmes, elle plie un genou ; vite mon cher Alfred, relevez-la ; qu’un doux sourire lui prouve que vous êtes capable d’oublier ses fautes. Ah, la paix est faite, n’est-ce pas ? Oui, mon cœur m’assure qu’elle est faite.[3]

Elle fait preuve d’une grande liberté dans l’écriture et ne craint pas d’évoquer la fièvre du désir et l’appel de la chair ( puis le silence, la nuit, l’amour). On est loin de la retenue d’une Sophie Cottin (née plus tard en 1770). Sa plume est d’une grande vivacité et d’une grande spontanéité (« Que votre lettre est tendre ! Qu’elle est vive ! Qu’elle est jolie ! je l’aime…Je l’aime mieux que vous ; je vous quitte pour la relire. »

Mais dans son analyse de la passion (voir aussi « Histoire de Monsieur le Marquis de Crécy »)

Elle ne manque pas de relever la différence de condition des hommes et des femmes : les femmes s’abandonnent dans un sentiment exigeant et authentique mais les hommes ne négligent jamais leur ambition et y sacrifient toujours le sentiment amoureux. Ils sont toujours sur deux plans. Les femmes n’ont guère d’ambition à avoir, leur destin est tout tracé : aimer et servir, procréer. Elle affirme ce qui vaut pour les femmes, la primauté du sentiment, dans une veine qui est déjà celle du pré-romantisme.

Il semble que Diderot apprécia ces lettres et le style[4].

Dans son œuvre suivante, Histoire de Monsieur le Marquis de Crécy, chroniquée sur ce blog, on franchit encore un pas dans l’édification des jeunes filles et même des femmes. Point d’avenir hors du mariage, la chasse au mari occupe tout entier le cœur et l’esprit des jeunes filles mais non ceux de leurs compagnons. Les femmes ne sont que l’objet du désir pour des hommes qui ont un autre statut social et d’autres ambitions. A la fin d’une suite de trahisons et de découvertes, c’est quand même le marquis qui s’en tire le mieux : « Il fut grand, il fut distingué ; il obtint tous les titres, tous les honneurs qu’il avait désirés ; il fut riche, il fut élevé, mais il ne fut pas heureux. »

Ler roman suivant, Lettres de Milady Juliette Casterby (1764), selon M Duquenne, est encore supérieur aux précédents : un roman épistolaire qui est constitué essentiellement des lettres de Juliette à son amie Henriette. Elle lui raconte comment elle a été abandonnée à la veille de son mariage par son amant qui a épousé une autre femme dont il a eu un enfant. La femme morte, l’amant veut revoir son ancienne fiancée. S’ensuit un conflit intérieur entre l’amour qu’elle éprouve encore et la blessure due à la trahison dont elle a été victime

L’année suivante, c’est la fameuse suite à la Marianne de Marivaux. C’est Marivaux lui-même qui donna l’autorisation de la publier.

Paraît en 1764, son plus long roman, en cinq parties : L’histoire de Miss Jenny.

Les thèmes : mariage arrangé et l’amour hors mariage sont deux écueils auxquels sont soumis une vie de femme et qui compromettent le plus souvent son bonheur. D’ailleurs, il faut bien dire qu’en ce siècle, il est impossible à une femme de se réaliser dans l’amour ou en dehors. ( voir le brillant Opinion d’une femme sur les femmes de Fanny Raoul.)

 

Toutefois, elle publie une nouvelle en 1765, L’Histoire d’Ernestine, qui met en scène une jeune femme qui à la fois se réalise professionnellement (elle est peintre de miniatures) et affectivement puisqu’elle épouse un mari noble (happy end !).

En 1767, elle publie « Les lettres de la comtesse de Sancerre », « Dans ce roman par lettres, les deux épistoliers, liés par une amitié sincère, explorent les difficultés de l’amour et du mariage. Deux intrigues, menées à vive allure, se déroulent en parallèle : Adélaïde, jeune veuve, est amoureuse de Montalais, homme marié. Son amie Madame de Martigues, femme très libre ne capitule qu’à la dernière minute devant son soupirant : « Pauvre Piennes ! Il va faire une grande perte, j’étais son amie, je serai sa femme, quelle différence! ». Une grande partie du charme de ce livre est dans son écriture, son style incisif, fougueux, qui sert sans faillir la modernité de l’histoire ».

Après des traductions de l’anglais de pièces de théâtre, elle écrit deux romans en 1771, les Lettres d’Elisabeth-Sophie de Vallière, Sophie est orpheline, et épouse l’homme de son choix, mais poursuit une quête d’identité pour résoudre le mystère de sa naissance. Au portrait de Madame de Sancerre qui est veuve, une situation de famille offrant des avantages distincts aux femmes surtout par rapport aux femmes mariées, Mme Riccoboni ajoute le personnage de Madame d’Auterive dans les Lettres de Sophie de Vallière, veuve heureuse  et indépendante qui se trouve au centre d’un réseau épistolaire international.

Le personnage d’Henriette de Monglas une amie de Sophie qu’elle avait rencontrée au couvent et qui prospère dans un mariage blanc avec un mari âgé, ami de son père s’ajoute aux autres destins féminins.

«  Le travail de Sophie constitue un motif important. Sophie rencontre Henriette pendant qu’elle travaille à la maison de la parente d’Henriette. Ayant été rejetée par la famille de Madame d’Auterive, Sophie se rend compte qu’elle doit gagner sa vie et alors elle se met à broder, d’abord chez une marchande de rubans et ensuite auprès de la parente d’Henriette. Le travail des femmes n’est pas un thème peu familier dans l’œuvre de Mme Riccoboni : Ernestine qui, venant d’une famille pauvre dont le père était absent et la mère travaillait, a toujours su qu’elle aurait à travailler pour survivre, peint des miniatures. Sophie en revanche a passé dix-sept ans parmi la noblesse et doit commencer à travailler, ce qui est très difficile pour elle. Étant actrice et auteure et gagnant non seulement sa vie mais aussi celle de son mari et de sa mère, Mme Riccoboni considérait le concept de la femme qui travaille comme tout à fait familier. »[5]

Avec les Lettres de Milord Rivers, en 1777, elle écrit une sorte de roman–testament, qui résume ses points de vue sur la société et la morale[6].

En 1779 et 1780, elle publie quatre nouvelles gothiques , « L’histoire de Christine de Suabe, l’Histoire d’Aloïse, , l’Histoire d’Enguerrand, et l’Histoire des amours de Gertrude puis un an plus tard, Histoire de deux amies publiées par le Mercure et une nouvelle de dix pages Lettre de la marquise d’Artigues, sur les malheurs de l’égoïsme.

Madame Riccoboni meurt en 1792 ruinée et abandonnée, la tourmente révolutionnaire ayant fait supprimer la pension royale qui lui permettait de subsister[7], laissant une œuvre et le destin exemplaire d’une femme autrice qui réussit à vivre de sa plume.

Dans le même temps :

1761 : parution de la Julie de Rousseau

1780 : Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos

1789 : Révolution française

Paradoxe sur le comédien est un essai sur le théâtre rédigé sous forme de dialogue par Denis Diderot entre 1773 et 1777 et publié à titre posthume en 1830.

Un peu avant :

Samuel Richardson (qui influença et le temps et Mme Riccoboni) (1689-1761) est un écrivain anglais : Clarisse Harlowe, Clarissa, or, the History of a Young Lady est un de ses romans les plus connus

et

Lettre I, Madame Riccoboni à Laclos, non datée

[1] Dictionnaire des femmes célèbres Lucienne Mazenod, Ghislaine Schoeller

[2] Grandes dames des lettres Michel Lequenne p 208

[3] Visage de la littérature féminine Evelyne Wilwerth

[4] Michel Duquenne Grandes dames des lettres

[5] http://www.indigo-cf.com/f/livre.php?livre_id=275

[6] wikipedia

[7] Wikipédia

La Femme auteur – Madame de Genlis

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Stéphanie-Félicité Du Crest, comtesse de Genlis (1746-1830)  fut très admirée en son temps et se présente comme la figure emblématique de la grande aristocratie de l’Ancien Régime. Disciple de Rousseau, elle réfléchit sur l’éducation et exposa ses théories pédagogiques dans son roman « Adèle et Théodore ». Mais cette communauté de pensées n’alla pas plus loin car elle se fâcha définitivement avec « les philosophes » quand ceux-ci lui demandèrent de quitter le parti des dévots (dixit Martine Reid). Elle émigra puis revint après la Révolution, défendant le christianisme contre la pensée des philosophes. Sa pensée est ce curieux mélange de conservatisme et d’érudition qui lui permet de penser avec les outils que donne une immense culture mais l’empêche d’aller trop loin et d’adopter des idées nouvelles.

La Femme auteur en est le parfait exemple : elle y analyse finement la société de son époque, et les codes du sentiment amoureux, tout en dénonçant les multiples contraintes auxquelles les femmes sont soumises, prisonnières de l’opinion et des conventions sociales.

Elle y brosse également le portrait d’une relation féminine ou l’amitié l’emporte sur la rivalité amoureuse. Voilà pour le côté moderne si l’on peut dire de Mme de Genlis. Mais son conservatisme la pousse du côté d’une vision assez pessimiste du métier d’auteure. En effet, son héroïne se retrouve puni d’avoir choisi la carrière d’auteure et on a l’impression que son roman pourrait servir essentiellement à dissuader les femmes d’écrire. Il faut dire que Mme de Genlis a elle-même essuyé de vives critiques et  des attaques virulentes lorsqu’elle a commencé à publier ses ouvrages. Aussi son personnage , Nathalie, est en fait son double en écriture.

Dorothée l’autre personnage féminin, sait, elle, se tenir à sa place : elle préfère le bonheur des vertus domestiques à la vie malheureuse des femmes auteurs, qui sont accusées de négliger leur rôle d’épouse et d’abandonner leur rôle de mère. Elles deviennent dès lors des femmes « publiques » et sont déshonorées.

Toutefois, on peut penser également qu’elle tient simplement à montrer le sort que réserve la société aux femmes qui ont quelques velléités d’écrire.

Martine Reid raconte comment ses positions ont évolué à la fin de sa vie et comment elle défendit les femmes contre l’inégalité de traitement qui leur était réservée , imaginant qu’un jour peut-être les femmes pourraient écrire librement, et pourquoi pas être critique littéraire.

Elle rendit également hommage aux femmes écrivains qui furent ses contemporaines. Elle plaida aussi pour l’éducation des jeunes filles, qui à l’époque était d’une pauvreté affligeante et ne leur permettait guère de rivaliser avec les hommes dans le domaine de la culture et l’esprit.

« Si vous devenez auteur, vous perdrez la bienveillance des femmes, l’appui des hommes, vous sortiriez de votre classe sans être admise dans la leur. Ils n’adopteront jamais une femme auteur à mérite égal, ils en seront plus jaloux que d’un homme. Ils ne nous permettront jamais de les égaler, ni dans les sciences, ni dans la littérature ; car, avec l’éducation que nous recevons, ce serait les surpasser. »

L’histoire : Nathalie est une jeune femme passionnée qui aime l’étude et l’écriture. Mariée très jeune, elle perd son mari à l’âge de 22 ans. Son statut change alors et elle se trouve courtisée plus ouvertement. Germeuil, amoureux de la Comtesse de Nangis depuis cinq ans, va peu à peu se détourner d’elle, captivé par la belle Nathalie. Celle-ci parviendra-t-elle à faire taire cet urgent besoin d’écrire afin de préserver son amour ?

Adélaïde Dufrénoy (née Billet) – 1765-1825

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Elle naît à Paris le 3 décembre 1765 dans un milieu aisé et libéral. Son éducation est celle des filles de l’époque et ses lectures se bornent aux Evangiles et au grand catéchisme de Montpellier. Encore a-t-elle eu la chance, grâce à son milieu, d’apprendre à lire ! Intelligente et vive, sa soif d’apprendre la guide vers d’autres horizons de lectures, elle dévore le « Magasin des enfants » de Mme Leprince de Beaumont et lit en cachette les ouvrages  d’une vieille tante. Les femmes ne peuvent ouvrir leur esprit qu’en contournant les nombreux interdits qui les condamnent à rester sottes et ignorantes.

A l’âge de 15 ans, elle épouse Petit-Dufrénoy, un veuf qui a l’âge d’être son père , procureur au Châtelet de Paris.  Il se targue d’avoir connu Voltaire et se pique d’un peu de culture ; c’est ainsi qu’il fait lire à sa jeune épouse les œuvres de Parny, poète français qui mourra en 1814.

C’est une révélation pour Adélaïde qui devient poétesse de salon.

De 1787 à 1789, elle dirige le Courrier lyrique et amusant dans lequel avait paru son poème« Le silence éloquent ». Dès lors, elle publie régulièrement ses verset fait la connaissance de poètes et d’écrivains, parmi lesquels le jeune Chateaubriand et Fontanes dont elle sera amoureuse.

Pendant la révolution, elle héberge des proscrits malgré le danger. Son mari ruiné, et après un bref séjour en Italie, elle reprend ses publications et fait vivre sa famille grâce à sa plume: une petite révolution pour l’époque !

Elle écrit non seulement des vers mais aussi un roman et s’essaye à des ouvrages pédagogiques (le livre du premier âge , Instruction religieuse et maternelle, l’Abécédaire des jeunes gourmands), tout en continuant ses activités de journaliste au Mercure de France, à l’Abeille et aux Dimanches avec Mme de Genlis (entre autres). Elle encourage aussi ses contemporaines, dont Marcelline Desbordes-Valmore dont le talent commence à éclore et qui deviendra une poétesse brillante et inspirée.

Ses positions politiques évoluent tout au long de vie vers un certain conservatisme et elle qui connut l’amour hors du mariage, condamne le divorce.

Catriona Seth qui a conduit tout un travail sur l’auteur et nous permet de mieux appréhender  son originalité, conclut son étude ainsi :

« Dans ses meilleurs écrits, les vers savent épouser les espérances et l’angoisse de l’énonciateur grâce à des alternances de coupes abruptes et de périodes plus régulières, souvent en recourant à l’hétérométrie.
A une époque où rares sont les poètes, hommes ou femmes, qui livrent leur intimité au regard du public, elle dit ses sentiments avec des accents personnels qui peuvent encore émouvoir » (in Femmes poètes du XIXe siècle, une anthologie, sous la direction de Christine Planté).

 Mieux connaître les chercheuses qui sont le plus souvent dans l’ombre :
Après des études à l’Université d’Oxford et à la Sorbonne, Catriona Seth est reçue à l’Agrégation en 1995 et soutient sa thèse. Elle a été commissaire d’exposition, avec Élisabeth Maisonnier, pour Marie-Antoinette : femme réelle, femme mythique à la Bibliothèque municipale de Versailles, a fait partie du comité scientifique pour Les Enfants du secret au Musée Flaubert et d’histoire de la médecine (Rouen). Elle a collaboré aux catalogues Goya du Palais des Beaux-Arts de Lille, Sciences et curiosités à la cour de Versailles et Parties
de campagne
du Musée de la Toile-de-Jouy.
Elle est directrice de collection pour les Classiques Garnier et dirige la série diffusée par Le Monde, des Grands classiques de la littérature libertine.

Manon Roland-Philipon – Histoire d’une vie

Roland (Manon) – née Jeanne-Marie Philipon. Femme politique et écrivain française (17 mars 1754-8 novembre 1793).

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Fille d’un maître graveur, elle se révéla une enfant intelligente et même précoce et apprit très tôt à lire et à écrire. À huit ans, elle se passionna pour la lecture de la Vie des hommes illustres et Plutarque resta un de ses auteurs favoris. Sa passion pour cet écrivain perdura tout au long de sa vie — puis Bossuet, Massillon, et des auteurs de la même veine, Montesquieu, Voltaire. Après un passage d’une seule année au couvent, où elle excellait (il faut dire que l’instruction des femmes à l’époque y était assez rudimentaire), elle continua sa formation intellectuelle en lisant Rousseau et acquit une vaste culture.

Sa mère mourut en 1775 et elle en éprouva un profond chagrin.

En 1780, elle épousa Jean-Marie Roland de La Platière, de vingt ans son aîné, qui fut inspecteur des manufactures à Amiens puis à Lyon. De cette union, elle eut une fille, Marie-Térèse Eudora, en 1781. Economiste reconnu, il fut nommé ministre de l’intérieur dans le cabinet Dumouriez en mars 1792, grâce aux relations de sa femme. Manon aida son mari dans divers projets éditoriaux.

En 1787, le couple s’installa à  Villefranche près de Lyon, puis dans une maison à la campagne, à Clos, dans le Beaujolais, qui appartint à la famille Roland. Ils soutinrent les idées révolutionnaires dans le journal « Le courrier de Lyon » dans lequel ils publièrent des articles régulièrement et écrivirent

Jean-Marie Roland de la Platière.
Jean-Marie Roland de la Platière. (Photo credit: Wikipedia)

aussi pour le « Patriote français » de Brissot.

De retour à Paris en 1790, Manon Roland avait ouvert un salon rue Guéguénaud où se rencontraient Robespierre, Pétion, Desmoulins, Condorcet, Brissot et Buzot, qui fut vraisemblablement son amant, et de nombreux autres, sous le charme de cette femme intelligente et cultivée.

 

Elle fut l’égérie des Girondins, fervente républicaine, et influença fortement son mari.

Député de paris et chef des représentants qui vont former le parti girondin, Brissot appelle à la guerre et rompt avec Robespierre, comme ses amis Roland. Manon fait la connaissance de Buzot, avocat à Evreux.

Elle rédigea la lettre de Roland au roi le 10 juin 1792, insistant pour que l’on crée à Paris un camp de vingt mille fédérés.

Il fut renvoyé de son poste qu’il réintégra dès les débuts de la législative, le 10 août 1792.

 

Horrifiée par les massacres de Septembre, Manon Roland s’éloigna des Montagnards qui lui vouèrent dès lors une haine tenace qui ne cessera qu’avec sa mort. Elle se servit de son mari pour répandre des critiques sur Robespierre et progressiste et modérée, ne voulait pas l’exécution du roi et attaqua Danton de plus en plus violemment par la voix de Buzot. Il ne le lui

François Buzot
François Buzot (Photo credit: Wikipedia)

pardonna pas. Ce fut le commencement de ses déboires politiques : elle fut arrêtée le 1er juin 1793 à l’âge de 39 ans et incarcérée à l’Abbaye. Son mari réussit à s’enfuir et se cacha à Rouen.

Elle parvint à démontrer l’illégalité de cette mesure d’emprisonnement et fut relâchée pour être emprisonnée deux heures plus tard à Sainte-Pélagie puis à la Conciergerie.
Ce fut alors qu’elle se mit à rédiger, ses Mémoires particuliers, des Notices historiques et Mes dernières pensées.

« Amie de la liberté, dont la réflexion m’avait fait juger le prix, j’ai vu la révolution avec transport, persuadé que c’était l’époque du renversement de l’arbitraire que je hais », constate-t-elle amère.

Femme courageuse, elle se défendit elle-même lors de son procès, mais fut condamnée à mort le 8 novembre 1793 et exécutée le jour même, victime de l’une des périodes les plus sombres de la Révolution : La terreur est en marche et sera responsable de plus de 17 000 exécutions entre mars 1793 et août 1794. Son mari se suicida en apprenant sa mort. Quelques mois plus tard, François Buzot, qui était amoureux de Mme Roland, et que celle-ci aimait en retour, se donna la mort alors qu’il allait être arrêté.

Français : Formulaire rempli par la main de Fo...
Français : Formulaire rempli par la main de Fouquier-Tinville (mise à mort de Manon Roland et de Lamarche) (Photo credit: Wikipedia)

Elle se serait écriée, « O Liberté, que de crimes on commet en ton nom ».

En 1796, dépositaire de ses papiers, des amis de Mme Roland, publient une partie de ses mémoires sous le tire « Appel à l’impartiale postérité ». C’est le début de sa célébrité posthume. En 1888, sa petite-fille léguera l’ensemble de ses manuscrits et papiers à la Bibliothèque nationale.

Ses mémoires, et ses lettres ont été publiées de nombreuses fois.

Pour Stendhal, elle était la lectrice idéale de ses romans, et Sainte-Beuve fit d’elle un portrait élogieux. Martine Reid dit d’elle qu’elle fut « une sorte de Mme de Staël de l’époque révolutionnaire ».

Illustration des "lettres de Madame Rolan...
Illustration des « lettres de Madame Roland » de claude Perroud. (Photo credit: Wikipedia)

 

Sources : Dictionnaires des femmes célèbres, Belfond, Enfance de Madame Roland, Préface de Martine Reid, chronologie établie dans la collection Folio.

Constance de salm – L’histoire d’une vie (1767-1845)

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Constance de Salm est née Constance-Marie de Théis, à Nantes, d’un juge-maître des eaux et forêts qui lui a fait donner une solide éducation. Devenir une femme de lettres nécessitait qu’une fille ait pu au moins apprendre à lire et à écrire, ce qui, en ces temps difficiles (pour les femmes) était relativement rare. En 1783, elle vient à Paris et fait publier ses premiers poèmes dans « Le journal général de France », puis dans « L’almanach des grâces ». Un de ses poèmes « Le bouton de rose » devient une romance à la mode ; « Bouton de rose/Tu seras plus heureux que moi /Car je te destine à ma Rose/Et ma Rose est ainsi que toi /Bouton de rose. » 

            Elle épouse en 1789 , M. Pipelet de Leury, fils d’un secrétaire du roi et chirurgien, elle vient vivre à Paris, reconnue par Marie-Joseph Chénier, comme « la Muse de la raison ». Insigne honneur s’il en est, le destin d’une femme n’était-il pas d’être la muse du seul créateur, l’homme ? Elle crée une tragédie Lyrique « Sapho »en 1794, sur une musique de Martini, qui connaîtra plus de cent représentations.

            Elle est la première femme à être admise en 1795 au Lycée des arts sur la recommandation de Sedaine. Il faut savoir que 9% des écrivains sont des femmes à la fin des années 17801. Et elles ont fort à faire pour être reconnues et s’imposer.

            Elle réagit à la querelle des femmes auteurs déclenchée par Ecouchard-Le Brun dans la Décade philosophique (en 1796-1797)  par une Epître aux femmes2 (1797) courageuse et passionnée (. Il faut savoir que ledit Ecouchard-lebrun dans son « Ode aux belles qui veulent devenir poètes » propose d’interdire aux femmes le droit de versifier.3)

Constance donne des lectures publiques de son Epître qui connaissent un certain retentissement. Les femmes auteurs livrent une bataille de tous les instants contre une dénonciation masculine vigoureuse mais aussi contre leurs consœurs qui telle Sophie Cottin,

clament à qui veulent bien les entendre que la littérature n’est pas une occupation sérieuse pour une femme.

            Constance de Salm écrit des poèmes et chants patriotiques, un drame en 1799, « Amitié et Imprudence », au Théâtre français qu’elle retire et détruit ensuite.

            Divorcée la même année, elle épouse en 1803 le comte de Salm-Reifferscheid-Dyck, élevé à la dignité de prince en 1816.  Elle reçoit alors dans un salon brillant, ouvert à de multiples sensibilités.

            Mais son combat ne s’arrête pas là et elle interpelle en 1810 dans une épître en vers sur les articles 324 et 339 du Code pénal (sur le meurtre de l’épouse par l’époux, et l’entretien d’une concubine au domicile conjugal).

Une édition en quatre volumes de ses écrits triés, classés et commentés par elle-même paraît en  1842.

« L’intérêt principal de son œuvre, dont l’écriture paraît aujourd’hui souvent datée, réside dans l’analyse lucide des enjeux et des conséquences de la Révolution française pour les femmes. Très sensible aux formes nouvelles de misogynie qui apparaissent alors et veulent en particulier interdire aux femmes l’accès à la culture, Constance de Salm cherche au contraire à faire bénéficier les femmes des Lumières de la raison. Elle affirme fermement leur droit à l’expression littéraire et politique, et leur appartenance à un espace culturel commun, en se réclamant d’un principe de solidarité entre femmes de façon pour son temps originale et novatrice »4


  4 Christine Planté et Maryam Sharif : « Femmes poètes du XIXe siècle Une anthologie »