Archives pour la catégorie Oeuvres des femmes : XVIIIe siècle

Fanny de Beauharnais (1737-1813) – Portrait des Français

Fanny de Beauharnais (1737–1813).jpg

A lire le poème qui suit, on mesurera la plume acérée et l’ironie caustique de celle qui fut la grand-tante de Joséphine de Beauharnais  : ses images vivantes, son ton direct sont loin de la mièvrerie de la plupart des poètes du XVIIIe siècle.

Tous vos goûts sont inconséquents :

Un rien change vos caractères ;

un rien commande à vos penchants.

Vous prenez pour des feux ardents

les bluettes les plus légères.

La nouveauté, son fol attrait,

Vous enflamment jusqu’au délire :

un rien suffit pour vous séduire

Et l’enfance est votre portrait.

Qui vous amuse, vous maîtrise ;

Vous fait-on rire ? On a tout fait !

Et vous n’aimez que par surprise.

Vous n’avez tous qu’un seul jargon,

Bien frivole, bien incommode.

Si la raison était de mode,

Vous auriez tous de la raison.

(Mélange de poésies fugitives et de prose sans conséquence, 1772)

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Auteure du mois (octobre) – Marie-Geneviève Thiroux d’Arconville(1720-1805), la passion des sciences

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Marie-Geneviève Thiroux d’Arconville (1720-1805)

Son père était fermier général. Elle épousa, sans avoir rien demandé ( !), à quatorze ans, un conseiller au Parlement avec lequel elle eut trois fils. [1]Elle publia de nombreuses œuvres sans y mettre son nom. Aussi deux siècles après, on ne connaît toujours pas ses travaux. A l’époque une femme qui honore son sexe, est une femme « dont on n’entend jamais parler ». D’ailleurs elle le déplorait : « Affichent-elles la science ou le bel esprit ? Si leurs ouvrages sont mauvais, on les siffle ; s’ils sont bons, on les leur ôte, et il ne leur en reste que le ridicule d’en être les auteurs ».[2]

A part chanter, danser, faire de la musique, broder, tricoter, on n’apprend rien aux filles, si ce n’est, peut-être, la lecture et le catéchisme. Et bien sûr, elles ne peuvent ni étudier, ni enseigner en dehors de la maison.

Toutefois, elle parvint à suivre les cours au Jardin du roi de Bernard de Jussieu et du chimiste Rouelle[3], des leçons des anatomistes Sénac et Winslow, et des chimistes Macquer et Poulletier de la Salle.

Elle se lia également avec Voltaire, Jussieu, Lavoisier, Fourcroy.[4]

A force d’un travail acharné, elle devient une vraie spécialiste de son domaine, et rédige un « Essai pour servir à la putréfaction » (1766) dans lequel elle étudie les agents antiseptiques prévenant la putréfaction ou restaurant les chairs corrompues (On raconte qu’elle fit plus de trois cent expériences !) et traduit « Leçons de chymie » de P. Shaw (1759). Après 1766, elle se consacre à des traités de morale, De l’amitié et Des passions(1764)[5], des recherches historiques (biographiques), de la Vie du cardinal d’Ossat à l’Histoire de François II, en passant par la Vie de Marie de Médicis (3vol, 1774) et  écrit des romans, Mémoires de Mlle de Valcourt et L’Amour éprouvé par la mort (1763).[6]

Une vaste culture donc,et des talents variés, qui brouillèrent un peu l’image que ses contemporains pouvaient avoir d’elle mais qui préfigura les premières tentatives pour s’illustrer dans les sciences.

[1]   Dictionnaire des femmes célèbres, article, Lucienne Mazenod, Ghislaine Schoeller, Robert Laffont, paris 1992

[2] Les conversations d’Emilie, t.II, 12e conversation, p 209-210

[3] Madame d’Arconville, Une femme de lettres et de sciences au siècle des Lumières, Hermann, Histoire des sciences, 2011, Hermann Editeurs

[4] Dictionnaire des femmes célèbres, article, Lucienne Mazenod, Ghislaine Schoeller, Robert Laffont, paris 1992

[5] Dictionnaire des créatrices, Élisabeth BARDEZ et Marie-Laure GIROU-SWIDERSKI

[6] ibidem

La tradition des romans de femmes XVIIIe-XIXe siècle textes réunis et présentés par Catherine Mariette-Clot et Damien Zanone

 

 

Présentation de l’éditeur

Les noms de Mmes de Charrière, Cottin, de Duras, Gay, de Genlis, de Graffigny, Guizot, de Krüdener, de Montolieu, Riccoboni, de Souza, de Tencin (donnés ici dans l’ordre impersonnel de l’alphabet), romancières réputées en leur temps, ont difficilement passé les années : dès le milieu du XIXe siècle, ils n’ont plus été retenus que des érudits qu’intéressaient l’histoire de la littérature ou l’histoire du roman, l’histoire des femmes aussi. Quant à la notoriété qui a toujours entouré les noms de Mme de Staël et de George Sand, elle s’est souvent plus occupée d’aspects de leur biographie, construits et chéris comme des stéréotypes, que de leur oeuvre de romancières.
Le fait est, pourtant, qu’au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe, les romans écrits et publiés par des femmes occupent la scène littéraire d’une manière qui les met suffisamment en valeur pour que les lecteurs reconnaissent en eux une tradition, celle des « romans de femmes ». L’unité de l’appellation collective suggère la présence dans ces textes d’un maniement spécifique du langage romanesque, avec des traits récurrents (modèles d’intrigues, constantes thématiques, normes du discours moral). Par jeu de reprises et de variations, cet ensemble d’éléments créerait des conventions et ainsi déterminerait un genre (notion que le mot de tradition revient à dire par euphémisme). C’est à la rencontre d’un tel contenu objectivable que le présent ouvrage veut se risquer : existe-t-il ? Le discours critique doit-il valider l’idée qu’il y eut, au XVIIIe et au XIXe siècles, une tradition des romans de femmes ?

Biographie de l’auteur

Catherine Mariette-Clot est maître de conférences en littérature française à l’Université de Grenoble, membre du « Centre d’études stendhaliennes et romantiques » de l’équipe E.A. 3748 – Traverses 19-21. Spécialiste de littérature française du XIXe siècle, elle a publié de nombreux travaux sur Stendhal et George Sand.
Damien Zanone est professeur à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve). Il travaille sur la littérature romanesque et autobiographique du XIXe siècle. On lui doit en particulier un ouvrage de référence sur le genre des Mémoires dans cette période (Écrire son temps, Presses universitaires de Lyon, 2006) ainsi que plusieurs éditions critiques de George Sand.

Romans de femmes du XVIIIe siècle

Présentation de l’éditeur

« Le siècle des Lumières a été porté à sa plus haute expression par des femmes de génie dont quelques-unes ont été réunies dans ce volume.

Contrairement à la poésie et au théâtre, le roman, à l’âge classique, ne connaît pas de règles fixes. D’où un foisonnement sans précédent de récits en tout genre : romans épistolaires, pseudo-mémoires, romans d’aventure, romans sentimentaux. Les auteurs femmes y prennent une part importante et affirment clairement leur différence en revendiquant, pour la première fois peut-être, le droit au bonheur, à une vie sentimentale, à une sexualité qui leur soient propres. Elles instruisent, avec plus de force et d’humour que les hommes le procès des conventions sociales, des interdits, des tabous ; elles cultivent une langue plus libre en se montrant moins respectueuses des normes traditionnelles que leurs confrères masculins. Ce volume réunit treize textes représentatifs couvrant tout le siècle des Lumières et la période révolutionnaire et qui n’avaient guère été réédités.

Biographie de l’auteur

Ce volume a été préparé par Raymond Trousson, professeur à l’université libre de Bruxelles et spécialiste réputé du siècle des Lumières. On lui doit une histoire de la libre pensée au XVIIIe siècle, de nombreux livres sur le mythe de Prométhée, Rousseau, Mme de Charrière, ainsi que l’édition dans  » Bouquins « des Romans libertins du XVIIIe siècle. »

La fabrique de l’intime – Ecrits autobiographiques de femmes du XVIIIe siècle

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La Fabrique de l’intime. Mémoires et journaux de femmes du XVIIIe siècle, par Catriona Seth, Robert Laffont, Bouquins, 1216 p., 30 euros

On ne peut que se réjouir de l’intérêt de la critique et d’une certaine partie des lecteurs pour l’histoire de l’écriture des auteures. Cela pourrait bien être la revanche post-mortem de ces femmes dont Rousseau disait  dans une lettre écrite à d’Alembert en  1758 : « Les femmes, en général, n’aiment aucun art, ne se connaissent à aucun, et n’ont aucun génie. Elles peuvent réussir aux petits ouvrages qui ne demandent que de la légèreté d’esprit, du goût, de la grâce, quelquefois même de la philosophie et du raisonnement. Elles peuvent acquérir de la science, de l’érudition, des talents et tout ce qui s’acquiert à force de travail. Mais ce feu céleste qui échauffe et embrase l’âme, ce génie qui consume et dévore, cette brûlante éloquence, ces transports sublimes qui portent le ravissement jusqu’au fond des cœurs, manqueront toujours aux écrits des femmes : ils sont tous froids et jolis comme elles. »

Malheureusement cette vision étroite et misogyne a empêché l’accès des femmes au monde de la littérature, en les enfermant dans le cercle étroit du foyer.

« Cette première anthologie de textes autobiographiques de femmes du XVIIIe siècle embrasse tout le siècle des Lumières, du journal de Rosalba Carriera, jeune pastelliste à Paris pendant la Régence, aux souvenirs de Victoire Monnard, apprentie sous la Révolution, en passant par le journal de Germaine de Staël, les Notes sur l’éducation des enfants d’Adélaïde de Castellane ou de Charlotte-Nicole Coquebert de Montbret, ou encore les Mémoires particuliers de Manon Roland sous la Terreur. Une artiste italienne en France, une actrice anglaise célèbre en visite à la cour de Versailles, une Française inconnue, fille d’artisan, côtoient ici une religieuse limousine dans sa province ou la princesse de Parme, mariée à l’héritier du trône autrichien.
Toutes ont livré par écrit leurs pensées secrètes, leurs sentiments, leurs craintes, leurs joies, leurs espoirs, comme un envers de la  » grande histoire « . Leurs textes, très divers dans leur forme et leur contenu, témoignent du développement d’une véritable écriture personnelle, faite de repli sur soi ou d’élan vers l’autre.
Écrire, pour ces femmes attachantes, pleines d’esprit, généreuses, qui s’affirmaient tout en doutant d’elles-mêmes, a été le moyen de conquérir un espace intime où elles pouvaient exprimer leur caractère et leur désir d’émancipation. Elles apparaissent comme les pionnières de la littérature féminine moderne. Et elles demeurent en cela, d’une certaine manière, nos contemporaines.

Ce volume contient des textes de : Rosalba Carriera (1675-1757), Marguerite-Jeanne de Staal-Delaunay (1684-1750), Suzanne Necker (1737- 1794), Françoise-Radegonde Le Noir (1739-1791), Isabelle de Bourbon-Parme (1741-1763), Félicité de Genlis (1746-1830), Jeanne-Marie Roland (1754-1793), Mary Robinson (1758-1800), Charlotte-Nicole Coquebert de Montbret (1760-1832), Adélaïde de Castellane (1761-1805), Germaine de Staël (1766-1817), Marie-Aimée Steck-Guichelin (1776-1821) et Marie-Victoire Monnard (1777-1869). »

Biographie de l’auteur

Catriona Seth est professeur des universités en littérature française à l’université de Lorraine et professeur associé au département d’histoire de l’université Laval (Québec). Elle est l’auteur de nombreux travaux importants sur la littérature et l’histoire des idées du XVIIIe siècle, entre autres Marie-Antoinette. Anthologie et Dictionnaire (Bouquins, 2006), Les rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole (Desjonquères, 2008) et la récente édition des Liaisons dangereuses de Laclos (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2011).

 

Evelina de Fanny Burney (1752 – 1840)

vignette femme qui écritEvelina ou The History of a Young Lady’s Entrance into the World (1778), José Corti , domaine romantique 1991. “C’est l’œuvre la plus pétillante, la plus divertissante et la plus agréable du genre” note le Monthly Review en avril 1778. La critique est élogieuse et voit en elle le digne successeur de Richardson et de Fielding. Il est vrai qu’elle excelle dans le ton de la comédie, et prodigue généreusement au lecteur coups de théâtre, et retournement de situation . Elle campe des personnages hauts en couleur au verbe flamboyant et populaire ou à la délicatesse châtiée des aristocrates, dont elle n’épargne ni la suffisance, ni le ridicule : ainsi de ce personnage qui prétend venir au théâtre seulement pour qu’on le voie, et avoue ne rien écouter de la pièce. Aucun pan de la société n’échappe à son observation minutieuse, de la bourgeoisie enrichie qui prétend imiter les nobles, aux prostituées qui se promènent dans les jardins. Les femmes ne sont jamais très bien loties et doivent supporter pour maris d’affreux personnages, tel ce capitaine de marine qui se plaît à tourmenter une française à laquelle il n’épargne ni ses sarcasmes, ni des farces du plus mauvais goût.

Fanny Burney ne s’éloigne jamais pourtant de la morale de son temps et fustige les »bas-bleu » qui offensent le code de réserve féminine en vigueur à l’époque. D’ailleurs, son héroïne a tout d’une ingénue obéissante qui passe son temps à défendre sa vertu. Pour une femme d’aujourd’hui, elle est passablement énervante. Mais pour l’époque, elle représente la femme idéale, rougissante, modeste, gracieuse et obéissant à son tuteur qui dirige sa conduite. Il va de soi qu’elle ne peut se diriger entièrement elle-même. Dans ce roman épistolaire, l’auteure raconte l’entrée d’une jeune provinciale de dix-sept ans dans la haute société londonienne. Sa naissance obscure et son peu de fortune, lui font affronte un préjugé de classe dominant à l’époque qui la met à l’écart, et lui fait endurer le mépris et la disgrâce. C’est sur ce même thème que Jane Austen bâtira Orgueil et préjugés quelque trente ans plus tard. Si Fanny Burney est totalement étrangère au monde d’une féministe comme Mary Wollstonecraft (qui dit-on l’admira), elle n’en prend pas moins quelques risques et égratigne  la société patriarcale de son temps à coup d’ironie feutrée et de satire sociale. Son art du dialogue rend le récit vivant et les 444 pages passent sans peine. A découvrir…

Mois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou.

le mois anglais

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

 vignette femme qui écrit« La littérature est ma profession (…)La voie me fut frayée, voilà bien des années par Fanny Burney, par Jane Austen, par Harriet Martineau, par George Eliot… Beaucoup de femmes célèbres, et d’autres, plus nombreuses, inconnues et oubliées, m’ont précédée, aplanissant ma route et réglant mon pas. Ainsi, lorsque je me mis à écrire, il y avait très peu d’obstacles matériels sur mon chemin : l’écriture était une occupation honorable et inoffensive. » Virginia Woolf, Profession pour femmes, 1939

Ecrire et publier fut pour les femmes une conquête. Fanny Burney (1752 – 1840)fut l’une de celles qui ouvrit la voie aux romancières anglaises. Sa cadette de 23 ans, Jane Austen lui rend hommage dans les premières pages de Northanger Abbey.

Une jeune fille à qui l’on demande ce qu’elle lit, répond : « Oh, ce n’est qu’un roman, ( …), Ce n’est que Cecilia, ou Camilla ou Belinda : c’est seulement une œuvre dans laquelle les plus belles facultés de l’esprit sont prodiguées et qui offre au monde, dans un langage de choix, la plus complète science de la nature humaine, la plus heureuse image de ses variétés, les plus vives affections d’esprit et d’humour. »

 Les commentateurs soulignent que le premier roman de Fanny Burney « Evelina » a largement inspiré « Orgueil et préjugés » de Jane Austen (1775- 1806). Inspiré (affinités électives ?) et non copié, car l’œuvre de Jane Austen est singulière et possède la marque de son univers.

Toutes les deux durent contourner les préjugés de leur temps, et la difficulté pour les femmes de concilier bienséance, codes moraux d’une époque, et création. Les thèmes sont imposés par les dictat de l’époque en matière de pudeur féminine. Hors de question d’évoquer ouvertement la sexualité, ou l’indépendance des femmes sans provoquer le scandale. La réputation des femmes doit être vertueuse pour que leur œuvre n’encoure pas l’opprobre.

 Mary Wollstonecraft (1759 – 1797) qui fut à la fois maîtresse d’école, femmes de lettres, philosophe et féministe anglaise écrivit un pamphlet contre la société patriarcale de son temps « Défense des droits de la femme ». Elle eut une vie non conventionnelle (dépressive et suicidaire) bien éloignée de celle de Jane Austen et de Fanny Burney(qui connut la gloire de son vivant). Mais autant de talent. A propos de son ouvrage « Lettres écrites de Suède, de Norvège et du Danemark » son futur mari William Godwin écrira  « si jamais un livre a été conçu pour rendre un homme amoureux de son auteur, il m’apparait clairement que c’est de celui-ci qu’il s’agit. Elle parle de ses chagrins, d’une manière qui nous emplit de mélancolie, et nous fait fondre de tendresse, tout en révélant un génie qui s’impose à notre totale admiration».

Fanny Burney en fera une caricature dans ses romans et la vilipendera en moraliste soucieuse des conventions : attention jeunes filles à ne pas devenir une Mary Wollstonecraft. Seule George Eliot(1819-1880) rompra l’oubli dans laquelle son œuvre et sa vie tombèrent au XIXe siècle en la citant dans un essai consacré au rôle et aux droits des femmes. Et Viginia Woolf, bien plus tard, évoquera ses expériences de vie (Four figures traduit en français par « Elles » et publié en rivages poches).

Elles furent très différentes les unes des autres mais apportèrent chacune leur pierre à l’édifice fragile et compliqué de la littérature écrite par des femmes.

le mois anglaisMois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou.

Madame Riccoboni – Histoire de M. le marquis de Crécy

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Madame Riccoboni – Histoire de M. le marquis de Cressy – folio femmes de lettres – Gallimard 2009

 

Marie-Jeanne Riccoboni (1713-1792), amie de Diderot, David Hume et Horace Walpole, fut longtemps actrice à la Comédie-Italienne avant d’écrire des romans qui eurent beaucoup de succès. Sa vie commença sous de sombres auspices : un père bigame, l’entrée au couvent et des relations difficiles avec sa mère avec laquelle elle ne s’entendait pas.
Son mariage ne sera pas plus heureux et elle se séparera de son époux, en 1755, à l’âge de 42 ans. Il lui fallut alors gagner sa vie afin d’être véritablement indépendante. Ce fut l’une des raisons pour lesquelles elle commença à publier ses romans dans la veine des romans sentimentaux, ce qui dut beaucoup à leur succès. Toutefois, elle y ajouta une réflexion critique sur la place des hommes et des femmes dans la société : à travers les situations et les drames , elle montra que les deux ne sont pas traités de la même manière et n’ont pas les mêmes droits.

« Les êtres inconséquents qui nous donnent des lois, note-t-elle dans ce roman, se sont réservé le droit de ne suivre que celle du caprice. » Le comportement de chacun est finement analysé dans le domaine de l’amour, les hommes doivent dominer et séduire et tous les moyens sont bons pour parvenir à leurs fins : duperie, mensonge, stratagèmes de toutes sortes. Les femmes, objets du désir, savent qu’il convient de résister pour faire durer le jeu et garder la flamme, mais qu’elle seront condamnées à abdiquer toute forme de liberté ensuite dans le mariage. Il n’y a guère de liaisons heureuses et les hommes soumis aux appétits de la chair multiplient les maîtresses et les aventures, délaissant la femme qu’ils ont épousée avec autant d’indifférence qu’ils ont mis d’ardeur à la conquérir.

Marie-Jeanne Riccoboni réussira à vivre en femme libre malgré les rigueurs de la morale de son temps : elle partagera la vie de la comédienne Thérèse Biancolelli assumant ainsi des choix qui nécessitèrent certainement un bonne dose de courage.

 

Histoire de M. le marquis de Cressy

M. le marquis de Cressy a le désir de s’établir dans le monde et cherche pour cela une femme qui lui assure la fortune et la position sociale. Cela ne l’empêche pas toutefois de faire une cour assidue à Adéla ïde du Bugei, jeune ingénue de seize ans, qui comme toutes les jeunes filles de son temps et de sa classe est parfaitement ignorante des jeux de l’amour. Son amie, Mme de Raisel, ignorant les sentiments qui agitent la jeune fille, se laisse prendre au charme de l’ambitieux Marquis. Mais ce dernier tout à sa passion pour la belle Adelaïde est inconscient du trouble de la Comtesse jusqu’au jour où un quiproquo lui révèle les sentiments de cette dernière. Partagé entre son désir et son ambition, déterminé à s’élever dans le monde, le marquis retors se jouera des cœurs, et des situations pour parvenir à ses fins.

J’ai beaucoup aimé cette histoire qui dissèque les ressorts de l’ambition et du désir. La langue est belle, la construction du récit est parfaitement bien menée, Madame Riccoboni est particulièrement habile à nouer les intrigues et sait parfaitement jouer des retournements de situations. Elle analyse avec talent l’ambivalence des sentiments, et la situation des femmes de son époque.

La Femme auteur – Madame de Genlis

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Stéphanie-Félicité Du Crest, comtesse de Genlis (1746-1830)  fut très admirée en son temps et se présente comme la figure emblématique de la grande aristocratie de l’Ancien Régime. Disciple de Rousseau, elle réfléchit sur l’éducation et exposa ses théories pédagogiques dans son roman « Adèle et Théodore ». Mais cette communauté de pensées n’alla pas plus loin car elle se fâcha définitivement avec « les philosophes » quand ceux-ci lui demandèrent de quitter le parti des dévots (dixit Martine Reid). Elle émigra puis revint après la Révolution, défendant le christianisme contre la pensée des philosophes. Sa pensée est ce curieux mélange de conservatisme et d’érudition qui lui permet de penser avec les outils que donne une immense culture mais l’empêche d’aller trop loin et d’adopter des idées nouvelles.

La Femme auteur en est le parfait exemple : elle y analyse finement la société de son époque, et les codes du sentiment amoureux, tout en dénonçant les multiples contraintes auxquelles les femmes sont soumises, prisonnières de l’opinion et des conventions sociales.

Elle y brosse également le portrait d’une relation féminine ou l’amitié l’emporte sur la rivalité amoureuse. Voilà pour le côté moderne si l’on peut dire de Mme de Genlis. Mais son conservatisme la pousse du côté d’une vision assez pessimiste du métier d’auteure. En effet, son héroïne se retrouve puni d’avoir choisi la carrière d’auteure et on a l’impression que son roman pourrait servir essentiellement à dissuader les femmes d’écrire. Il faut dire que Mme de Genlis a elle-même essuyé de vives critiques et  des attaques virulentes lorsqu’elle a commencé à publier ses ouvrages. Aussi son personnage , Nathalie, est en fait son double en écriture.

Dorothée l’autre personnage féminin, sait, elle, se tenir à sa place : elle préfère le bonheur des vertus domestiques à la vie malheureuse des femmes auteurs, qui sont accusées de négliger leur rôle d’épouse et d’abandonner leur rôle de mère. Elles deviennent dès lors des femmes « publiques » et sont déshonorées.

Toutefois, on peut penser également qu’elle tient simplement à montrer le sort que réserve la société aux femmes qui ont quelques velléités d’écrire.

Martine Reid raconte comment ses positions ont évolué à la fin de sa vie et comment elle défendit les femmes contre l’inégalité de traitement qui leur était réservée , imaginant qu’un jour peut-être les femmes pourraient écrire librement, et pourquoi pas être critique littéraire.

Elle rendit également hommage aux femmes écrivains qui furent ses contemporaines. Elle plaida aussi pour l’éducation des jeunes filles, qui à l’époque était d’une pauvreté affligeante et ne leur permettait guère de rivaliser avec les hommes dans le domaine de la culture et l’esprit.

« Si vous devenez auteur, vous perdrez la bienveillance des femmes, l’appui des hommes, vous sortiriez de votre classe sans être admise dans la leur. Ils n’adopteront jamais une femme auteur à mérite égal, ils en seront plus jaloux que d’un homme. Ils ne nous permettront jamais de les égaler, ni dans les sciences, ni dans la littérature ; car, avec l’éducation que nous recevons, ce serait les surpasser. »

L’histoire : Nathalie est une jeune femme passionnée qui aime l’étude et l’écriture. Mariée très jeune, elle perd son mari à l’âge de 22 ans. Son statut change alors et elle se trouve courtisée plus ouvertement. Germeuil, amoureux de la Comtesse de Nangis depuis cinq ans, va peu à peu se détourner d’elle, captivé par la belle Nathalie. Celle-ci parviendra-t-elle à faire taire cet urgent besoin d’écrire afin de préserver son amour ?

Manon Roland – Enfance / Autobiographie d’une étoile

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En 1791, le 31 mai Manon Roland est emprisonnée, à l’âge de 39 ans. La terreur, responsable de plus de 17 000 exécutions entre mars 1793 et 1794, va la broyer à son tour mais elle ne le sait pas encore. Le 8 novembre, elle n’est pas autorisée à lire le texte qu’elle a préparé pour sa défense et sera guillotinée le jour-même.

Elle s’est défendue pourtant, a écrit des lettres de protestation pour dénoncer l’arbitraire de sa détention. Ce qui n’a pour effet que de lui donner quelques heures de liberté avant d’être incarcérée à nouveau à Sainte-Pélagie et à la Conciergerie. Elle n’en ressortira que pour être exécutée.

Mais elle a la plume facile Manon, elle a toujours écrit beaucoup, d’abord comme journaliste au Courrier de Lyon mais aussi fervente épistolière avec son ami Sophie et des savants qu’elle a rencontrés, lors de ses voyages et avec lesquels elle entretient une longue et régulière correspondance.

Elle écrit pour défendre ses idées, a beaucoup lu les philosophes et sa plume est pour elle une arme de combat. Elle écrit parfois, masquée, sous couvert de son mari dont elle rédige quelques discours ou quelques lettres.

Dans la prison où elle est enfermée, elle « occupe une petite chambre dont elle paie le loyer. Elle achète une écritoire, du papier, des plumes »[1] et décide d’écrire l’histoire de sa vie. Peut-être pense-t-elle à la postérité et à l’image qu’elle laissera après sa mort. Elle tient à laisser son témoignage car croit-elle,  elle se connaît mieux que personne.

Mais pour l’heure, elle écrit dans l’urgence, « fixe fébrilement sur le papier ses souvenirs des événements politiques récents ; elle raconte ses deux arrestations et sa vie en prison, et dresse le portrait des Girondins dont elle-même et son mari, amis de Brissot, partagent les vues. »

Fin août, elle commence ses mémoires qu’elle rédigera entre le 9 août et le début du mois d’octobre : « Je vais m’entretenir de moi pour mieux m’en distraire », écrit-elle en ouverture et signe ainsi la première autobiographie au féminin. Nourrie de ses lectures et de Rousseau notamment, elle tente d’être sincère et vraie et de s’examiner en conscience avec ses qualités et ses défauts.

Manon n’est pas aussi radicale et engagée qu’Olympe de Gouges qui publie en 1791 la célèbre « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » et en appelle à l’égalité des sexes. Manon quand elle songe à l’éducation de sa fille, invoque « les devoirs de son sexe » et la nécessité d’être « femme de ménage, comme mère de famille ».[2]

Pourtant si Manon fut exécutée, ce fut non seulement pour son activisme politique mais aussi selon les pamphlets de l’époque, parce qu’elle outre passa les limites de son sexe en voulant s’instruire et participer aux grands débats d’idées. On peut lire dans la « feuille du salut public «  publié le jour de son exécution « […]elle était mère, mais elle avait sacrifié la nature, en voulant s’élever au-dessus d’elle : le désir d’être savante la conduisit à l’oubli des vertus de son sexe, et cet oubli, toujours dangereux, finit par la faire périr sur l’échafaud. »

 Le portrait que Manon dresse d’elle n’est pas sans complaisance :

« Ma figure n’avait rien de frappant qu’une grande fraîcheur, beaucoup de douceur et d’expression; à détailler chacun des traits, on peut se demander où donc en est la beauté? Aucun n’est régulier, tous plaisent. »

Elle commente avec une certaine autosatisfaction tout le chemin qu’elle a parcouru mais n’est pourtant pas dupe : « Je ne sais pas ce que je fusse devenue, si j’eusse été dans les mains de quelque habile instituteur ; il est probable que, fixée sur un objet unique ou principal, j’aurais pu porter loin un genre de connaissance ou acquérir un grand talent : […].

Elle se révèle aussi extrêmement touchante, derrière la façade un peu maniérée, de la petite fille sage, pieuse, réservée et tout occupée à l’étude. On sent touts les mouvements d’une femme en train de se faire, entière, exigeante et passionnée, au caractère inflexible et fière de ce qu’elle accomplit.

Il fallut de toute façon qu’elle fût exceptionnelle pour braver tant d’interdits et laisser son nom dans l’Histoire. Peut-être l’Histoire l’y a-t-elle aidée en lui offrant un rôle à sa mesure.

J’ai été très touchée, quant à moi, par la voix de cette femme, sa douceur et sa force inébranlable, que rien , ni personne ne put faire plier.

Je vais lire de ce pas l’article que lui a consacré Mona Ozouf dans les « mots des femmes ».


[1] Martine Reid

[2] idem

Claire d’Albe – Sophie Cottin

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L’histoire, en quelques mots, est celle d’une jeune femme mariée à un homme qui a l’âge d’être son père, et qui s’éprend d’un jeune homme venu leur rendre visite. Déchirée entre l’exigence de vertu et la passion qu’elle éprouve, la jeune femme se trouve au cœur d’un conflit d’une telle violence qu’il menace sa vie-même.

Le contexte est important pour comprendre une telle œuvre ; il faut savoir qu’il souleva l’indignation d’une autre femme de lettres, Mme de Genlis, qui en dénonça selon elle, la parfaite immoralité.

          L’œuvre fit scandale, ce qui ne manque pas d’étonner aujourd’hui quand on lit ce livre où tout commerce charnel est parfaitement exclu. Mais en ce début de XIXe siècle, on ne plaisante pas avec les femmes adultères, ni même avec les femmes en général. Elles n’ont qu’à bien se tenir :

« Le bien qu’une femme peut faire à son pays n’est pas de s’occuper de ce qui s’y passe, ni de donner son avis sur ce qu’on y fait, mais d’y exercer le plus de vertus qu’elle peut », et « une femme en se consacrant à l’éducation de ses enfants et aux soins domestiques, en donnant à tout ce qui l’entoure l’exemple des bonnes mœurs et du travail, remplit la tâche que la patrie lui impose […] »3

            Les femmes de lettres ne contestent pas toujours l’ordre établi, elles intègrent les normes sociales et en font parfois l’apologie dans leurs romans. Il s’agit de respecter les bonnes mœurs et de passer à travers la censure puisque pour se faire éditer il faut être lue par des hommes. La femme doit être « belle autant qu’aimable, mais un ange », sacrifier son existence à ses enfants, respecter « les plus saints préceptes de morale », et « les nœuds sacrés du mariage », « remplir avec dignité tous les petits devoirs auxquels leur sexe et leur sort les assujettissent »

Sophie Cottin ne fait pas exception à la règle, mais par sa profession d’écrivain, et tout à fait malgré elle, elle se trouve en rupture avec les règles auxquelles sont soumises toutes les femmes. Et puis, même si l’héroïne en meurt, l’amour ici est plus fort que les liens du mariage , « Frédéric était l’univers, et l’amour, le délicieux amour, mon unique pensée », « mon univers, mon bonheur, le Dieu que j’adore »s’écrie Claire d’Albe, en proie aux plus vifs mais aussi aux plus délicieux tourments ». L’auteur décrit les effets et les ravages de la passion quand celle-ci est interdite par la société. A défaut d’être assouvie, elle ne disparaît qu’avec la mort de celui ou celle qui l’éprouve et les multiples obstacles et empêchements la font gagner en intensité.

 

Ce texte est donc daté, et la langue emphatique a de quoi parfois nous agacer. Elle a des accents de tragédie qui peuvent cependant toucher et émouvoir. Et même si les répétitions son parfois nombreuses, la passion est parfois très bien décrite, « Je n’en puis plus, la langueur m’accable, l’ennui me dévore, le dégoût m’empoisonne ; je souffre sans pouvoir dire le remède  ». Elle monte crescendo tout au long du roman et finit, non pas en apothéose, mais dans le sacrifice de celle qui éprouve cette passion mortelle. Gare à celle qui s’oppose aux normes sociales et aux valeurs chrétiennes, elle risque le payer fort cher. En ce XVIIIe siècle finissant, et ce début du XIXe , les héroïnes ne peuvent que mourir d’amour ou …d’ennui.