Archives pour la catégorie Autobiographies

Maya Angelou – « Un feu d’invincible joie, qui anéantit l’adversité et embrase la combativité » Christiane Taubira

Publié pour la première fois en 1974, sous le titre « Gather Together in my Name », Les éditions Noir et Blanc réédite en 2020 ce texte autobiographique.

Dolores Prato 1892-1983, « Je suis née sous une petite table »/ L’été 2020 des romancières italiennes

« Je suis née sous une petite table », écrit Dolores Prato dont la naissance illégitime en 1892 à Rome de Maria Prato et d’un avocat de Calabre, marquera à jamais l’existence et aussi les lieux de la mémoire. Abandonnée par ses parents, elle fut recueillie par un oncle et une tante, membres d’une petite noblesse désargentée dans la ville de Treja, dans la région des Marches.

Elevée sans marque d’affection, esseulée et mélancolique, son oncle fut toutefois bienveillant et protecteur. Ce qu’elle ne reconnaîtra que bien plus tard dans son roman autobiographique  » .« Bas la place y’a personne », « Giù la piazza non c’è nessuno »

Elle laissera un récit « Brûlures », en 1967, de ses années de pensionnat pour religieuses au monastère de Santa Chiara puis intégra la faculté du magistère à Rome, en 1918, où elle rédigea sa thèse sur la  correspondance inédite de Prospero Viani et Pietro Fanfani. Une année plus tard, elle obtiendra son diplôme de professeur de littérature italienne. Elle enseigna de 1927 à 1928 en Toscane, et se rapprocha du parti communiste en la personne de Domenico Capocaccia.

Elle dut abandonner l’enseignement, car le régime fasciste en place l’empêcha de se présenter aux examens de titularisation.

En effet, Elle devient institutrice en 1927, sa formation s’appuie sur une pédagogie héritée de Montessori et Freinet, , et elle décourage les jeunes gens d’aller à la guerre pour le fascisme. D’autre part, elle revendique une généalogie juive.

Toutes ces raisons ont dû compter.

«Toujours j’ai vécu dans la lutte, jamais victorieuse, jamais vaincue, toujours résistante.» écrira-t-elle dans son roman autobiographique.

Ses amours sont malheureuses, elle n’aime pas le clergé mais tombe amoureuse de jésuites. ( Laurent Lombard, France Culture)

Elle arriva à Rome en 1930, et se mit à écrire pour la presse communiste (principalement Paese Sera)

En 1948, elle publia « Au pays des cloches » et en 1949 : Calycanthus. Qu’a-t-il à voir, lui ?

Elle entreprit alors « Bas la place y’a personne », « Giù la piazza non c’è nessuno » pendant plus de dix ans, récit autobiographique, dont une version tronquée sera publiée chez Einaudi grâce à Natalia Ginzburg en 1980. La version intégrale sera publiée chez Mondadori (presque 900 pages)

 En 1995 : Le Ore (Les heures), textes relatifs à son adolescence au couvent, et celui inachevé « Paroles » sera publié chez Adelphi et en 2000  Brûlures  chez Allia.

 En 2010, après sa mort, survenue en 1983,  : Sogni (Rêves) chez Quolibet et en 2018,  Verdier chargea son traducteur de la version intégrale de Bas la place y’a personne.

La vie et l’œuvre de Dolores Prato sont significatives de cette génération d’écrivaines, dont l’œuvre fut fortement marquée du sceau de la mémoire, de l’Histoire et de l’émancipation, à côté d’une écriture engagée face au fascisme, de journaliste.

Elle renouvela l’écriture de soi, dans une quête profonde de son identité, et des lieux de sa mémoire.

« Marcher sans halte possible, c’est ça la vie, sans savoir ce qu’il y aura de l’autre côté quand nous tournerons le coin … »

Des critiques élogieuses  ont eu lieu dans la presse française à la sortie de « Bas la place, y’a personne » et elle acquit une certaine renommée dans son pays.

Sources, éditions Verdier, journal Libération, émission France Culture

La fabrique de l’intime – Ecrits autobiographiques de femmes du XVIIIe siècle

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La Fabrique de l’intime. Mémoires et journaux de femmes du XVIIIe siècle, par Catriona Seth, Robert Laffont, Bouquins, 1216 p., 30 euros

On ne peut que se réjouir de l’intérêt de la critique et d’une certaine partie des lecteurs pour l’histoire de l’écriture des auteures. Cela pourrait bien être la revanche post-mortem de ces femmes dont Rousseau disait  dans une lettre écrite à d’Alembert en  1758 : « Les femmes, en général, n’aiment aucun art, ne se connaissent à aucun, et n’ont aucun génie. Elles peuvent réussir aux petits ouvrages qui ne demandent que de la légèreté d’esprit, du goût, de la grâce, quelquefois même de la philosophie et du raisonnement. Elles peuvent acquérir de la science, de l’érudition, des talents et tout ce qui s’acquiert à force de travail. Mais ce feu céleste qui échauffe et embrase l’âme, ce génie qui consume et dévore, cette brûlante éloquence, ces transports sublimes qui portent le ravissement jusqu’au fond des cœurs, manqueront toujours aux écrits des femmes : ils sont tous froids et jolis comme elles. »

Malheureusement cette vision étroite et misogyne a empêché l’accès des femmes au monde de la littérature, en les enfermant dans le cercle étroit du foyer.

« Cette première anthologie de textes autobiographiques de femmes du XVIIIe siècle embrasse tout le siècle des Lumières, du journal de Rosalba Carriera, jeune pastelliste à Paris pendant la Régence, aux souvenirs de Victoire Monnard, apprentie sous la Révolution, en passant par le journal de Germaine de Staël, les Notes sur l’éducation des enfants d’Adélaïde de Castellane ou de Charlotte-Nicole Coquebert de Montbret, ou encore les Mémoires particuliers de Manon Roland sous la Terreur. Une artiste italienne en France, une actrice anglaise célèbre en visite à la cour de Versailles, une Française inconnue, fille d’artisan, côtoient ici une religieuse limousine dans sa province ou la princesse de Parme, mariée à l’héritier du trône autrichien.
Toutes ont livré par écrit leurs pensées secrètes, leurs sentiments, leurs craintes, leurs joies, leurs espoirs, comme un envers de la  » grande histoire « . Leurs textes, très divers dans leur forme et leur contenu, témoignent du développement d’une véritable écriture personnelle, faite de repli sur soi ou d’élan vers l’autre.
Écrire, pour ces femmes attachantes, pleines d’esprit, généreuses, qui s’affirmaient tout en doutant d’elles-mêmes, a été le moyen de conquérir un espace intime où elles pouvaient exprimer leur caractère et leur désir d’émancipation. Elles apparaissent comme les pionnières de la littérature féminine moderne. Et elles demeurent en cela, d’une certaine manière, nos contemporaines.

Ce volume contient des textes de : Rosalba Carriera (1675-1757), Marguerite-Jeanne de Staal-Delaunay (1684-1750), Suzanne Necker (1737- 1794), Françoise-Radegonde Le Noir (1739-1791), Isabelle de Bourbon-Parme (1741-1763), Félicité de Genlis (1746-1830), Jeanne-Marie Roland (1754-1793), Mary Robinson (1758-1800), Charlotte-Nicole Coquebert de Montbret (1760-1832), Adélaïde de Castellane (1761-1805), Germaine de Staël (1766-1817), Marie-Aimée Steck-Guichelin (1776-1821) et Marie-Victoire Monnard (1777-1869). »

Biographie de l’auteur

Catriona Seth est professeur des universités en littérature française à l’université de Lorraine et professeur associé au département d’histoire de l’université Laval (Québec). Elle est l’auteur de nombreux travaux importants sur la littérature et l’histoire des idées du XVIIIe siècle, entre autres Marie-Antoinette. Anthologie et Dictionnaire (Bouquins, 2006), Les rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole (Desjonquères, 2008) et la récente édition des Liaisons dangereuses de Laclos (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2011).

 

Jeanette Winterson- Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

pourquoi être heureux quand on peut être normal

Jeanette Winterson – Pourquoi être heureux quand on peut être normal –traduit de l’anglais par Céline Leroy – Editions de l’Olivier

Parler d'homosexualitéCe pourrait être un conte de la folie ordinaire, dans lequel règne une terrible ogresse qui n’aime pas la vie, celle-ci aurait pour nom Mrs Winterson, et au lieu de dévorer les enfants, elle en adopterait un qu’elle prénommerait Jeanette. Pas facile de vivre avec une ogresse, surtout lorsqu’elle est pentecôtiste, qu’elle a banni tous les livres (ou presque) de la maison, et que, pour vous punir, elle vous laisse la nuit entière dehors tout en attendant l’Apocalypse.

Une ogresse qui essaie de conformer son énorme masse à la normalité, et qui devant l’homosexualité de sa fille lui demande « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? »

Ne pas être vraiment la fille, ne pas pouvoir revendiquer le lieu où on habite, dont on n’a pas la clef, toujours à attendre sur le seuil. Comment ne pas se dissocier, comment ne pas se couper de soi-même ?

Heureusement pour la petite Jeanette, « Les histoires sont là pour compenser face à un monde déloyal, injuste, incompréhensible, hors de contrôle. » et très vite elle a l’amour des mots, se sert des livres comme refuge. Elle y trouve la vie qui lui manque : « Un livre est un tapis volant qui vous emporte loin. Un livre est une porte. Vous l’ouvrez. Vous en passez le seuil. En revenez-vous ? »

Les livres sont devenus son foyer, car elle les ouvre « comme une porte », et pénètre dans un espace et un lieu différent dont cette fois elle a la clef, et dont personne ne peut la chasser.

Mais cette enfance dévastatrice a laissé ses marques, ses cicatrices, toujours prêtes à se rouvrir, et Jeanette Winterson souffre d’une forme atténuée de psychose, elle entend des voix :

« J’abritais en moi une autre personne – une part de moi – ou ce que vous voudrez – à ce point dévastée qu’elle était prête à me condamner à mort pour trouver la paix. »

Alors c’est une autre lutte qu’il faut encore entreprendre, contre la dépression, la folie, le suicide.

Jeanette survit, écrit, aime. Elle fait d’elle une fiction pour pouvoir vivre. Elle se raconte dans un lieu dont la trame serrée puisse la tenir en vie. Elle nous éblouit, nous transporte, nous chavire d’émotions.

Ce livre aura été pour moi un véritable coup de cœur.

 Il a obtenu le prix Marie-Claire 2012

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Mois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou pour la 4ème année consécutive et auquel je participe avec plusieurs livres cette année.

Manon Roland – Enfance / Autobiographie d’une étoile

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En 1791, le 31 mai Manon Roland est emprisonnée, à l’âge de 39 ans. La terreur, responsable de plus de 17 000 exécutions entre mars 1793 et 1794, va la broyer à son tour mais elle ne le sait pas encore. Le 8 novembre, elle n’est pas autorisée à lire le texte qu’elle a préparé pour sa défense et sera guillotinée le jour-même.

Elle s’est défendue pourtant, a écrit des lettres de protestation pour dénoncer l’arbitraire de sa détention. Ce qui n’a pour effet que de lui donner quelques heures de liberté avant d’être incarcérée à nouveau à Sainte-Pélagie et à la Conciergerie. Elle n’en ressortira que pour être exécutée.

Mais elle a la plume facile Manon, elle a toujours écrit beaucoup, d’abord comme journaliste au Courrier de Lyon mais aussi fervente épistolière avec son ami Sophie et des savants qu’elle a rencontrés, lors de ses voyages et avec lesquels elle entretient une longue et régulière correspondance.

Elle écrit pour défendre ses idées, a beaucoup lu les philosophes et sa plume est pour elle une arme de combat. Elle écrit parfois, masquée, sous couvert de son mari dont elle rédige quelques discours ou quelques lettres.

Dans la prison où elle est enfermée, elle « occupe une petite chambre dont elle paie le loyer. Elle achète une écritoire, du papier, des plumes »[1] et décide d’écrire l’histoire de sa vie. Peut-être pense-t-elle à la postérité et à l’image qu’elle laissera après sa mort. Elle tient à laisser son témoignage car croit-elle,  elle se connaît mieux que personne.

Mais pour l’heure, elle écrit dans l’urgence, « fixe fébrilement sur le papier ses souvenirs des événements politiques récents ; elle raconte ses deux arrestations et sa vie en prison, et dresse le portrait des Girondins dont elle-même et son mari, amis de Brissot, partagent les vues. »

Fin août, elle commence ses mémoires qu’elle rédigera entre le 9 août et le début du mois d’octobre : « Je vais m’entretenir de moi pour mieux m’en distraire », écrit-elle en ouverture et signe ainsi la première autobiographie au féminin. Nourrie de ses lectures et de Rousseau notamment, elle tente d’être sincère et vraie et de s’examiner en conscience avec ses qualités et ses défauts.

Manon n’est pas aussi radicale et engagée qu’Olympe de Gouges qui publie en 1791 la célèbre « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » et en appelle à l’égalité des sexes. Manon quand elle songe à l’éducation de sa fille, invoque « les devoirs de son sexe » et la nécessité d’être « femme de ménage, comme mère de famille ».[2]

Pourtant si Manon fut exécutée, ce fut non seulement pour son activisme politique mais aussi selon les pamphlets de l’époque, parce qu’elle outre passa les limites de son sexe en voulant s’instruire et participer aux grands débats d’idées. On peut lire dans la « feuille du salut public «  publié le jour de son exécution « […]elle était mère, mais elle avait sacrifié la nature, en voulant s’élever au-dessus d’elle : le désir d’être savante la conduisit à l’oubli des vertus de son sexe, et cet oubli, toujours dangereux, finit par la faire périr sur l’échafaud. »

 Le portrait que Manon dresse d’elle n’est pas sans complaisance :

« Ma figure n’avait rien de frappant qu’une grande fraîcheur, beaucoup de douceur et d’expression; à détailler chacun des traits, on peut se demander où donc en est la beauté? Aucun n’est régulier, tous plaisent. »

Elle commente avec une certaine autosatisfaction tout le chemin qu’elle a parcouru mais n’est pourtant pas dupe : « Je ne sais pas ce que je fusse devenue, si j’eusse été dans les mains de quelque habile instituteur ; il est probable que, fixée sur un objet unique ou principal, j’aurais pu porter loin un genre de connaissance ou acquérir un grand talent : […].

Elle se révèle aussi extrêmement touchante, derrière la façade un peu maniérée, de la petite fille sage, pieuse, réservée et tout occupée à l’étude. On sent touts les mouvements d’une femme en train de se faire, entière, exigeante et passionnée, au caractère inflexible et fière de ce qu’elle accomplit.

Il fallut de toute façon qu’elle fût exceptionnelle pour braver tant d’interdits et laisser son nom dans l’Histoire. Peut-être l’Histoire l’y a-t-elle aidée en lui offrant un rôle à sa mesure.

J’ai été très touchée, quant à moi, par la voix de cette femme, sa douceur et sa force inébranlable, que rien , ni personne ne put faire plier.

Je vais lire de ce pas l’article que lui a consacré Mona Ozouf dans les « mots des femmes ».


[1] Martine Reid

[2] idem

Manon Roland-Philipon – Histoire d’une vie

Roland (Manon) – née Jeanne-Marie Philipon. Femme politique et écrivain française (17 mars 1754-8 novembre 1793).

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Fille d’un maître graveur, elle se révéla une enfant intelligente et même précoce et apprit très tôt à lire et à écrire. À huit ans, elle se passionna pour la lecture de la Vie des hommes illustres et Plutarque resta un de ses auteurs favoris. Sa passion pour cet écrivain perdura tout au long de sa vie — puis Bossuet, Massillon, et des auteurs de la même veine, Montesquieu, Voltaire. Après un passage d’une seule année au couvent, où elle excellait (il faut dire que l’instruction des femmes à l’époque y était assez rudimentaire), elle continua sa formation intellectuelle en lisant Rousseau et acquit une vaste culture.

Sa mère mourut en 1775 et elle en éprouva un profond chagrin.

En 1780, elle épousa Jean-Marie Roland de La Platière, de vingt ans son aîné, qui fut inspecteur des manufactures à Amiens puis à Lyon. De cette union, elle eut une fille, Marie-Térèse Eudora, en 1781. Economiste reconnu, il fut nommé ministre de l’intérieur dans le cabinet Dumouriez en mars 1792, grâce aux relations de sa femme. Manon aida son mari dans divers projets éditoriaux.

En 1787, le couple s’installa à  Villefranche près de Lyon, puis dans une maison à la campagne, à Clos, dans le Beaujolais, qui appartint à la famille Roland. Ils soutinrent les idées révolutionnaires dans le journal « Le courrier de Lyon » dans lequel ils publièrent des articles régulièrement et écrivirent

Jean-Marie Roland de la Platière.
Jean-Marie Roland de la Platière. (Photo credit: Wikipedia)

aussi pour le « Patriote français » de Brissot.

De retour à Paris en 1790, Manon Roland avait ouvert un salon rue Guéguénaud où se rencontraient Robespierre, Pétion, Desmoulins, Condorcet, Brissot et Buzot, qui fut vraisemblablement son amant, et de nombreux autres, sous le charme de cette femme intelligente et cultivée.

 

Elle fut l’égérie des Girondins, fervente républicaine, et influença fortement son mari.

Député de paris et chef des représentants qui vont former le parti girondin, Brissot appelle à la guerre et rompt avec Robespierre, comme ses amis Roland. Manon fait la connaissance de Buzot, avocat à Evreux.

Elle rédigea la lettre de Roland au roi le 10 juin 1792, insistant pour que l’on crée à Paris un camp de vingt mille fédérés.

Il fut renvoyé de son poste qu’il réintégra dès les débuts de la législative, le 10 août 1792.

 

Horrifiée par les massacres de Septembre, Manon Roland s’éloigna des Montagnards qui lui vouèrent dès lors une haine tenace qui ne cessera qu’avec sa mort. Elle se servit de son mari pour répandre des critiques sur Robespierre et progressiste et modérée, ne voulait pas l’exécution du roi et attaqua Danton de plus en plus violemment par la voix de Buzot. Il ne le lui

François Buzot
François Buzot (Photo credit: Wikipedia)

pardonna pas. Ce fut le commencement de ses déboires politiques : elle fut arrêtée le 1er juin 1793 à l’âge de 39 ans et incarcérée à l’Abbaye. Son mari réussit à s’enfuir et se cacha à Rouen.

Elle parvint à démontrer l’illégalité de cette mesure d’emprisonnement et fut relâchée pour être emprisonnée deux heures plus tard à Sainte-Pélagie puis à la Conciergerie.
Ce fut alors qu’elle se mit à rédiger, ses Mémoires particuliers, des Notices historiques et Mes dernières pensées.

« Amie de la liberté, dont la réflexion m’avait fait juger le prix, j’ai vu la révolution avec transport, persuadé que c’était l’époque du renversement de l’arbitraire que je hais », constate-t-elle amère.

Femme courageuse, elle se défendit elle-même lors de son procès, mais fut condamnée à mort le 8 novembre 1793 et exécutée le jour même, victime de l’une des périodes les plus sombres de la Révolution : La terreur est en marche et sera responsable de plus de 17 000 exécutions entre mars 1793 et août 1794. Son mari se suicida en apprenant sa mort. Quelques mois plus tard, François Buzot, qui était amoureux de Mme Roland, et que celle-ci aimait en retour, se donna la mort alors qu’il allait être arrêté.

Français : Formulaire rempli par la main de Fo...
Français : Formulaire rempli par la main de Fouquier-Tinville (mise à mort de Manon Roland et de Lamarche) (Photo credit: Wikipedia)

Elle se serait écriée, « O Liberté, que de crimes on commet en ton nom ».

En 1796, dépositaire de ses papiers, des amis de Mme Roland, publient une partie de ses mémoires sous le tire « Appel à l’impartiale postérité ». C’est le début de sa célébrité posthume. En 1888, sa petite-fille léguera l’ensemble de ses manuscrits et papiers à la Bibliothèque nationale.

Ses mémoires, et ses lettres ont été publiées de nombreuses fois.

Pour Stendhal, elle était la lectrice idéale de ses romans, et Sainte-Beuve fit d’elle un portrait élogieux. Martine Reid dit d’elle qu’elle fut « une sorte de Mme de Staël de l’époque révolutionnaire ».

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Illustration des « lettres de Madame Roland » de claude Perroud. (Photo credit: Wikipedia)

 

Sources : Dictionnaires des femmes célèbres, Belfond, Enfance de Madame Roland, Préface de Martine Reid, chronologie établie dans la collection Folio.

Un héros – Félicité Herzog

herzogune-648608-jpg_447673Félicité Herzog publie « Un héros » chez Grasset. © Jérôme Bonnet/Grasset

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Félicité Herzog retrace un pan de son histoire familiale à travers deux figures masculines, celle de son père Maurice Herzog, vainqueur de L’Annapurna, et Laurent, son frère dont la psychose fut diagnostiquée tardivement et qui dut livrer un combat terrible contre sa maladie.

En contrepoint, la figure de la mère, femme libérée et peu disponible pour ses enfants, paradoxalement adepte de Françoise Dolto dont la fragilité ne pourra servir de barrage à la folie du frère.

«  La Femme entrait enfin dans l’Histoire. Elle pouvait enfin ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son mari et gagner autant que l’Homme pour son labeur. »

Quel fut véritablement le véritable héros ?

 D’une famille d’éditorialisteset de mémorialistes, Félicité Herzog prend à « contre-plume » la tradition familiale. « J’ai choisi le roman qui dit la vérité » dit-elle, « alors que les mémorialistes réécrivent l’histoire ».

Elle raconte une entrevue avec son oncle qui évoque la biographie de la comtesse Greffulhe, vie d’une parente, écrite par une autre parente. Alors qu’elle s’insurge contre ce modèle de femme et explique qu’elle veut être indépendante financièrement, être libre et ne pas être cette « femme du monde » produit de son milieu, son oncle la raille :

« Mais enfin, pauvre innocente, il est beaucoup plus important d’avoir servi de modèle à un personnage de La recherche ! » (La recherche du temps perdu de Proust)

Car voilà le drame de cette famille, qui à l’abri du mensonge, fabrique la folie ! Félicité Herzog met à jour la mécanique familiale, à travers les mythes familiaux et nationaux, le confinement du lignage (famille noble du côté de la mère descendante de la duchesse d’Uzès) qui pactisa avec la France de Vichy, férocement antisémite.

Un concours de circonstances et une alliance particulièrement pathogène entre deux familles, résultat d’un certain hasard.

Pour une fille, assignée à des rôles bien précis, ce fut l’expérience de la misogynie du père, de sa froideur, de son insensibilité, dévoreur de femmes, dont la sensualité et l’appétit génèrent assez d’ambiguïté pour la mettre mal à l’aise. Un père de « cartes postales », aimé et détesté, terriblement absent, dont l’amour lui manque cruellement. On se console difficilement d’un amour filial sans retour car il introduit un doute terrifiant : « Si je ne suis pas aimée c’est que je ne suis pas aimable. ». On ne se délivre jamais du père comme on ne se remet jamais totalement de son abandon. Premier homme, premier miroir qui donne à une fille assez d’assurance pour risquer l’amour d’un autre.

Dans ce roman, on sent la colère de Félicité Herzog, et cette terrible souffrance, ce manque abyssal du père.

Celui dont la stature de surhomme au lendemain de la guerre, a des relents de posture fasciste et dont il souffrit certainement, « retranché de son humanité », se sentant comme « Elephant man ». Son frère fut l’héritier de cette monstruosité, tenu à son tour de perpétuer le mythe, s’épuisant dans un travail que commandaient des ambitions démesurées.

Ce roman-biographie a eu un grand retentissement dans les médias à cause de la personnalité et de la notoriété du père , Maurice Herzog qui a occulté selon moi ce qui en fait l’extrême richesse : la description minutieuse d’un sentiment d’abandon, d’une solitude absolue dans l’enfance que l’auteure tenta tour à tour d’endiguer dans le travail, le sport et une vie personnelle passablement déréglée. Cette petite Félicité m’a énormément touchée, j’ai pu lire toute la gamme de ses émotions.

Le seul bémol que je mettrais est cette écriture dont l’élégance est parfois maladroite parce qu’elle relève d’une extrême maîtrise. J’aurais aimé que la colère soit moins froide.

Je remercie les éditions Grasset pour l’envoi de ce livre dans le cadre

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Premières années – Marie d’Agoult / Vivre et écrire au XIXe siècle

Marie d'Agoult

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Marie d’Agoult(1805-1876)- Premières années – Folio collection Femmes de lettres 2009

La critique littéraire a opéré des coupes sombres dans la littérature féminine des siècles passés quant elle ne l’a pas carrément passée sous silence. Les écrits de femmes furent longtemps considérées comme des œuvres mineures.
Qu’en est-il du  XIXe siècle ? Quel nom d’écrivaine retient-on de cette période hormis Georges Sand ? Et pourtant il y en eut d’autres, dont Marie d’Agoult, qui dut surtout sa célébrité à une longue liaison avec le compositeur Franz Liszt mais qui écrivit pourtant plusieurs essais historiques et politiques, un roman, ainsi que des poèmes,  proverbes et nouvelles.

 

L’édition présentée ici a été établie et présentée par Martine Reid à partir d’une œuvre plus vaste « Mes souvenirs » publié en 1977 par Calmann-Lévy après la mort de l’auteure. Martine Reid a repris le texte de cette édition, du chapitre II au chapitre XVII. Quelques coupures ont été effectués dans l’ensemble pour une raison de calibrage du volume.

Ce petit livre est intéressant à bien des égards : outre qu’il offre l’histoire de soi par le biais de l’autobiographie, il fait de nombreuses références à l’histoire du temps.
Marie d’Agoult non seulement donne de précieuses informations sur la France de la Restauration, et sur la mentalité de ses contemporains mais entreprend une critique sans complaisance de ses multiples travers en même temps qu’elle souligne ses paradoxes.

Elle écrit dans une langue élégante mais vivante, croque à merveille les situations, campe les personnages en quelques phrases et anime son récit de descriptions vivantes et de portraits dont on sent la justesse psychologique.

Elle évoque d’abord ses premières années d’une enfance choyée avant son départ pour le couvent.
Du mariage qui suivit quelques années plus tard, on sait qu’il fut
désastreux et qu’après la mort de sa fille Louise, elle vécut une
profonde dépression.

Sa rencontre avec Liszt fut un tournant décisif dans son existence : elle quitta tout, ignora les codes de conduite de la bonne société et ses préjugés nobiliaires, et vécut une vie de femme libre.

Elle décrit le milieu conservateur qui fut celui de sa famille, sa morale souvent rigide et hypocrite, plus soucieuse du qu’en-dira-t-on que de véritable intégrité morale, où les femmes sont soumises au père puis au frère aîné. Toutefois cette aisance lui permit d’être éduquée :
« Ma mère et ma bonne allemande […]me faisaient lire des contes de Grimm, réciter des fables de Gellert ou des monologues de Schiller. »

Elle put suivre son père à la chasse et à la pêche, éprouver l’ivresse due à l’activité physique et à la vie au grand air.

Elle étudie lors de leçons « sans pédantisme , sans réprimandes, abrégées dès que se trahissait dans mon attitude la moindre fatigue ,[…] exemptes  de ces surexcitations de l’amour-propre qui , dans les rivalités des pensions et des lycées mêlent si tristement la jalousie à l’ambition d’exceller ».

Le frère est « un père plus jeune, comme un guide, comme un appui  dans le monde que je ne connaissais pas. »

Sous la tutelle du père puis du frère, puis de l’époux, Marie de Flavigny suit les coutumes de son temps, qu’elle rejettera plus tard pour vivre ses amours avec Liszt. Le discours des jeunes années est à bien des égards un discours de soumission. Elle se réfugie au couvent dans un mysticisme profond.
Elle raconte aussi quelle était l’instruction des jeunes filles dans la maison d’éducation la plus renommée de France.
Ces jeunes filles savaient à peine l’orthographe mais « Il était entendu qu’une demoiselle bien élevée, lorsqu’elle entrait dans le monde, devait avoir appris avec ou sans goût, avec ou sans dispositions naturelles la danse, le dessin, la musique, et cela dans la prévision d’un mari qui, peut-être, il est vrai, n’aimerait ni les arts ni les bals, et qui, au lendemain du mariage, ferait fermer le piano, jeter là les crayons, finir les danses, mais qui, possiblement aussi, en serait amateur. »

Il y a dans ce récit des « Premières années » un accent de profonde révolte qui le rend particulièrement attachant et émouvant. Parole longtemps oubliée d’une femme qui marqua son temps, et posa avec d’autres, les fondations du féminisme.

Marie d'Agoult (1843), portrait by Henri Lehma...
Marie d’Agoult (1843), portrait by Henri Lehmann (1814 – 1882) (Photo credit: Wikipedia)