Archives pour la catégorie Oeuvres des femmes : XIXe siècle

Auteure du mois de septembre : Cristina Di Belgiojoso (1808-1871), écrire pour lutter dans l’Italie du XIXe siècle…

Il aurait été dommage de ne pas vous parler de Cristina Di Belgiojoso (1808-1871), cette brune à la beauté particulière que vous pouvez contempler sur ce portrait, dont les activités littéraires sont très dépendantes de son activité politique et militante dans l’Italie du XIXe siècle. Ecrire permet de penser et de réformer.

J’ai dû croiser un grand nombre d’informations dont certaines divergeaient légèrement.

Elle a été la première femme à diriger un journal, « la Gazzetta italiana » en 1842. Elle écrira 4 volumes « L’essai sur la formation du dogme catholique » qui prône un catholicisme libéral, écrira dans la Revue des Deux Mondes (1848) à propos des événements auxquels prend part.

Elle publie dans le premier numéro de la revue Nuova Antologia de 1866 son étude Della presente condizione delle donne e del loro avvenire (« des conditions actuelles des femmes et de leur avenir »)[1].

Mais qui est-elle ?

Elle fait partie de la noblesse, née marquise Trivulzio, et épouse en 1824 le prince Emilio de Belgiojoso qui, mari infidèle, lui transmit la syphilis [2]. Il était à la tête d’une société secrète « la Federazione », ennemi irréductible de l’Autriche[3]et fervent patriote. Elle devient une activiste en faveur de l’unité italienne et tente de soulever l’opinion en faveur de la libération de l’Italie grâce à son journal.

En 1831, pour fuir la répression, elle s’exile à Paris, tient un salon où elle fréquente Balzac, Musset, Heine, Liszt ou l’historien François-Auguste Mignet.

Sa personnalité originale et exaltée en fera l’icône du romantisme mais aussi de l’indépendance de la femme.

En 1848, elle participe à l’insurrection milanaise qui sera un échec, fait lever à ses frais une troupe de volontaires, portant un immense drapeau déployé aux couleurs italiennes.[4]

Elle s’exile et entreprend un voyage avec sa fille et quelques autres exilés en Grèce et Asie mineure, et écrira des mémoires d’exil.
A partir de 1856, elle se fixe à Locato près de Milan et entreprend des réformes sociales en faveur des paysans.  La proclamation du royaume d’Italie se réalise le 17 mars 1861 et un an avant sa mort, en 1871, elle assiste à la dernière phase de l’unification de son pays avec l’annexion de Rome.

[1] Ginevra CONTI ODORISIO in Dictionnaire des créatrices.

[2] idem

[3] Dictionnaire des femmes célèbres, Laffont

[4] idem

Auteure du mois d’Août : Louise Ackermann (1813-1890)

Louise Ackermann

Louise Ackermann est née Victorine Choquet le 30 novembre 1813 à Paris et décédée le 2 ou 3 août 1890.

Elle a passé une enfance plutôt triste et solitaire dans l’Oise, à la campagne.

Elle résume ces années ainsi : « …une enfance engourdie et triste, une jeunesse qui n’en fut pas une, deux courtes années d’union heureuses, vingt-quatre ans de solitude volontaire. »

Ses relations étaient assez lointaines, son père, voltairien convaincu l’éduqua dans l’Esprit des lumières. Elle fut pensionnaire à Paris et écrivit ses premières poésies, assez pessimistes, très influencée pas Schopenhauer. Elle y évoque l’angoisse existentielle et le refus de tout secours religieux. Elle va tenter de se démarquer de la poésie subjective qu’on attribue généralement aux femmes.

A partir de 1832, ses poèmes sont publiés dans des journaux, dont Les Œuvres (Elan mystique, 1832, Aux femmes, 1835, Renoncement, 1841, de plus en plus désespérés. Elle décrit un monde sans Dieu, et la finitude de l’esprit humain.

Elle fut qualifiée de « Sapho de l’athéisme », de « Pythonisse proudhonienne »

Elle épousa Paul Ackermann, grammairien et pasteur protestant et s’installa avec lui à Berlin jusqu’à sa mort trois ans plus tard. Elle s’initia alors à la philosophie allemande et laissera de côté la poésie.  La critique soulignera la « virilité de [sa] pensée ». Louise Ackermann répondra :

« Quoi ! ce cœur qui bat là, pour être un cœur de femme,

En est-il moins un cœur humain ? »

Elle est toutefois hostile à tout féminisme militant et demeure assez conformiste.

Elle tenta de concilier ses aspirations philosophiques et la création poétique : Contes (1850-1853) , Premières poésies (1863), Poésies philosophiques (1871) dans lesquelles elle tenta une fusion entre poésie et science, Ma vie (1874), Les pensées d’une solitaire (1882). Elle passa la dernière partie de sa vie à Nice.

Des théories évolutionnistes, elle dira qu’elles sont « en parfait accord avec les tendances panthéistes de [son]esprit ».[1]

Elle jouit à son époque d’une reconnaissance incontestable et fut saluée par Barbey d’Aurevilly admiratif de cet « athéisme net, articulé, définitif. », Caro et Léon Bloy.[2]

Aux femmes

S’il arrivait un jour, en quelque lieu sur terre,
Qu’une entre vous vraiment comprît sa tâche austère,
Si, dans le sentier rude avançant lentement,
Cette âme s’arrêtait à quelque dévouement,
Si c’était la Bonté sous les cieux descendue,
Vers tous les malheureux la main toujours tendue,
Si l’époux, si l’enfant à ce cœur ont puisé,
Si l’espoir de plusieurs sur Elle est déposé,
Femmes, enviez-la. Tandis que dans la foule
Votre vie inutile en vains plaisirs s’écoule,
Et que votre cœur flotte, au hasard entraîné,
Elle a sa foi, son but et son labeur donné.
Enviez-la. Qu’il souffre ou combatte, c’est Elle
Que l’homme à son secours incessamment appelle,
Sa joie et son appui, son trésor sous les cieux,
Qu’il pressentait de l’âme et qu’il cherchait des yeux,
La colombe au cou blanc qu’un vent du ciel ramène
Vers cette arche en danger de la famille humaine,
Qui, des saintes hauteurs en ce morne séjour,
Pour branche d’olivier a rapporté l’amour.

Paris, 1835

Louise Ackermann, Premières poésies, 1871

Sources : Dictionnaire des femmes célèbres, Dictionnaire des créatrices, des femmes-Antoinette Fouque, Femmes poètes du XIXe siècle, une anthologie, sous la direction de Christine Planté.

 

[1] Femmes poètes du XIXe siècle, une anthologie, sous la direction de Christine Planté

P 205

[2] Femmes poètes du XIXe siècle, une anthologie, sous la direction de Christine Planté

Marie Nizet (1859-1922) – La bouche

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Deux recueils de poèmes, un roman consacré aux déboires historiques des roumains, un mariage, un divorce. l’amour secret pour le marin Cecil Axel Veneglia lui inspira un recueil posthume, tout d’audace, de défi à la morale convenue et d’ardeur quasi mystique.

 

Peinture de François Martin-Kavel

 

La bouche

Ni sa pensée, en vol moi par tant de lieues,

Ni le rayon qui court sur son front de lumière,

Ni sa beauté de jeune dieu qui la première

me tenta, ni ses yeux – ces deux caresses bleues ;

 

Ni son cou ni ses bras, ni rien de ce qu’on touche,

Ni rien de ce qu’on voit de lui ne vaut sa bouche

Où l’on meur de plaisir et qui s’acharne à mordre,

 

Sa bouche de fraîcheur, de délices, de flamme,

Fleur de volupté, de luxure et de désordre,

Qui vous vide le cœur et vous boit jusqu’à l’âme…

 

(Pour Axel de Missie)

Elisa Mercoeur (1809-1835) – La feuille flétrie

Native de Nantes, née de père inconnu, à onze ans, elle travaillait pour vivre, à dix-sept ans publiait ses premiers poèmes. Encouragée par Chateaubriand et Lamartine, elle connut le succès qui lui tourna la tête. Malade, elle mourut à vingt-six ans. Elle écrit avec fébrilité, l’âme ferme, la pensée sûre, en état d’urgence.

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La feuille flétrie

Pourquoi tomber déjà, feuille jaune et flétrie ?

J’aimais ton doux aspect dans ce triste vallon.

un printemps, un été furent toute ta vie,

Et tu vas sommeiller sur le pâle gazon.

Pauvre feuille ! il n’est plus, le temps où ta verdure

Ombrageait le rameau dépouillé maintenant.

Si fraîche au mois de mai, faut-il que la froidure

Te laisse à peine encore un incertain moment !

L’hiver, saison des nuits, s’avance et décolore

Ce qui servait d’asile aux habitants des cieux.

Tu meurs ! un vent du soir vient t’embrasser encore,

Mais ces baisers glacés pour toi sont des adieux.

œuvres complètes

Marie Krysinska (1864-1908) – Le poème des caresses

Elle fut la première à pratiquer le vers libre en France dans les années 1881-1882, précédant le combat décadent de Gustave Kahn.

Inoubliables baisers qui rayonnez

Sur le ciel pâle des souvenirs premiers !

Baisers silencieux sur nos berceaux penchés !

 

Caresses enjouées sur la joue ;

Tremblantes mains des vieux parents, –

Pauvres chères caresses d’antan,

 

Vous êtes les grandes soeurs sages

Des folles qui nous affolent

Dans les amoureux mirages.

 

Baisers ingénus en riant dérobés,

Moins à cause de leur douceur souhaités,

Que pour s’enivrer de témérité.

 

Premières caresses, vacillantes –

Comme, dans le vent âpre,

Des lumières aux lampes ;

 

Caresses des yeux, caresses de la voix,

Serrement de mains éperdues

Et longs baisers où la raison se noie !

 

Puis, belles flammes épanouies,

Sacrilèges hosties

Où tout Dieu vainqueur avec nous communie !

 

Caresses sonores comme les clochettes d’or,

Caresses muettes comme la Mort,

Caresse meurtrière qui brûle et qui mord ! …

 

Baisers presque chastes de l’Amour heureux,

Caresses frôleuses comme des brises,

Toute-puissance des paroles qui grisent !

 

Mélancolique volupté des bonheurs précaires.

Pervers aiguillon du mystère,

Éternel leurre ! ironique chimère !

 

Puis, enfin, dans la terre –

Lit dernier, où viennent finir nos rêves superbes, –

Sur notre sommeil, la calmante caresse des hautes herbes.

La Force du désir, roman, Mercure de France, 1905 Texte en ligne

La tradition des romans de femmes XVIIIe-XIXe siècle textes réunis et présentés par Catherine Mariette-Clot et Damien Zanone

 

 

Présentation de l’éditeur

Les noms de Mmes de Charrière, Cottin, de Duras, Gay, de Genlis, de Graffigny, Guizot, de Krüdener, de Montolieu, Riccoboni, de Souza, de Tencin (donnés ici dans l’ordre impersonnel de l’alphabet), romancières réputées en leur temps, ont difficilement passé les années : dès le milieu du XIXe siècle, ils n’ont plus été retenus que des érudits qu’intéressaient l’histoire de la littérature ou l’histoire du roman, l’histoire des femmes aussi. Quant à la notoriété qui a toujours entouré les noms de Mme de Staël et de George Sand, elle s’est souvent plus occupée d’aspects de leur biographie, construits et chéris comme des stéréotypes, que de leur oeuvre de romancières.
Le fait est, pourtant, qu’au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe, les romans écrits et publiés par des femmes occupent la scène littéraire d’une manière qui les met suffisamment en valeur pour que les lecteurs reconnaissent en eux une tradition, celle des « romans de femmes ». L’unité de l’appellation collective suggère la présence dans ces textes d’un maniement spécifique du langage romanesque, avec des traits récurrents (modèles d’intrigues, constantes thématiques, normes du discours moral). Par jeu de reprises et de variations, cet ensemble d’éléments créerait des conventions et ainsi déterminerait un genre (notion que le mot de tradition revient à dire par euphémisme). C’est à la rencontre d’un tel contenu objectivable que le présent ouvrage veut se risquer : existe-t-il ? Le discours critique doit-il valider l’idée qu’il y eut, au XVIIIe et au XIXe siècles, une tradition des romans de femmes ?

Biographie de l’auteur

Catherine Mariette-Clot est maître de conférences en littérature française à l’Université de Grenoble, membre du « Centre d’études stendhaliennes et romantiques » de l’équipe E.A. 3748 – Traverses 19-21. Spécialiste de littérature française du XIXe siècle, elle a publié de nombreux travaux sur Stendhal et George Sand.
Damien Zanone est professeur à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve). Il travaille sur la littérature romanesque et autobiographique du XIXe siècle. On lui doit en particulier un ouvrage de référence sur le genre des Mémoires dans cette période (Écrire son temps, Presses universitaires de Lyon, 2006) ainsi que plusieurs éditions critiques de George Sand.

Charlotte Perkins Gilman – La séquestrée

Charlotte Perkins Gilman – La séquestrée (Titre original : The yellow wallpaper)

vignette femme qui écritTexte fondateur, livre-culte de la littérature écrite par les femmes, « La séquestrée » a la force d’un manifeste, devenu un classique des lettres américaines. Écrit en 1870, il dénonce l’asservissement des femmes à un modèle patriarcal qui les enferme dans leur fonction naturelle de reproduction, la maternité, et leur interdit toute vie de l’esprit.
La neurasthénie dont souffraient nombre de femmes au XIXe siècle et les dépressions les plus graves étaient souvent dues à un sentiment d’enfermement et d’étouffement lié aux rôles sociaux étroits dans lesquels elles étaient maintenues. Les femmes mouraient d’ennui et de mélancolie parce qu’elles ne pouvaient pas exprimer leur énergie créatrice ou la vie de leur esprit. Les méthodes souvent barbares par lesquelles on tentait de guérir leur dépression aggravaient encore la maladie puisqu’on condamnait les femmes à l’inaction, au « repos », à la solitude et à l’enfermement. Les dérivatifs qui leur auraient permis de se changer les idées leur étaient interdits. Cette thérapie est celle du Dr Mitchell : « Il fallait confiner ses patients, les mettre au lit, les isoler loin de leur famille, loin aussi de leurs lieux familiers, les gaver de nourriture, notamment de crème fraîche, car l’énergie dépend d’un corps bien nourri, enfin les soigner par des massages et des traitements électriques destinés à compenser la passivité nécessaire à cette cure de repos. »
Il faut avouer que cette cure n’était pas seulement réservé aux femmes, puisque Henry James la subit lui-même en 1910, et faillit se jeter par la fenêtre.
Revendiquer des droits égaux, vouloir faire une carrière d’écrivain ou d’intellectuelle pouvait se payer très cher, puisque les femmes risquaient être mises au ban de la société et devaient, en outre, renoncer pour la plupart à une vie affective. Le choix était plutôt cornélien, car dans un cas comme dans l’autre, les femmes souffraient et devaient sacrifier une partie de leur être.

« La séquestrée » est le cri silencieux d’une femme, son basculement dans la folie. Souffrant d’une dépression post-partum , elle doit se reposer. Enfermée dans sa chambre, condamnée à l’inactivité, elle regarde jour après jour le papier peint qui peu à peu, « vision d’horreur » s’anime d’une vie propre jusqu’à figurer une femme rampant derrière le motif et tentant de s’échapper. La souffrance psychique est intense, et parfaitement décrite: « Il vous gifle, vous assomme, vous écrase. » écrit-elle parlant du papier peint. Elle devient également paranoïaque et sent une invisible conspiration autour d’elle. Cette femme n’est qu’un double d’elle-même qui tente de fuir ce terriblement enfermement jusqu’au dénouement final.

Il faut souligner la force littéraire de cette longue nouvelle, son intensité dramatique, la maîtrise parfaite de l’écriture : un souffle, un cri. Un chef-d’œuvre…

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

 vignette femme qui écrit« La littérature est ma profession (…)La voie me fut frayée, voilà bien des années par Fanny Burney, par Jane Austen, par Harriet Martineau, par George Eliot… Beaucoup de femmes célèbres, et d’autres, plus nombreuses, inconnues et oubliées, m’ont précédée, aplanissant ma route et réglant mon pas. Ainsi, lorsque je me mis à écrire, il y avait très peu d’obstacles matériels sur mon chemin : l’écriture était une occupation honorable et inoffensive. » Virginia Woolf, Profession pour femmes, 1939

Ecrire et publier fut pour les femmes une conquête. Fanny Burney (1752 – 1840)fut l’une de celles qui ouvrit la voie aux romancières anglaises. Sa cadette de 23 ans, Jane Austen lui rend hommage dans les premières pages de Northanger Abbey.

Une jeune fille à qui l’on demande ce qu’elle lit, répond : « Oh, ce n’est qu’un roman, ( …), Ce n’est que Cecilia, ou Camilla ou Belinda : c’est seulement une œuvre dans laquelle les plus belles facultés de l’esprit sont prodiguées et qui offre au monde, dans un langage de choix, la plus complète science de la nature humaine, la plus heureuse image de ses variétés, les plus vives affections d’esprit et d’humour. »

 Les commentateurs soulignent que le premier roman de Fanny Burney « Evelina » a largement inspiré « Orgueil et préjugés » de Jane Austen (1775- 1806). Inspiré (affinités électives ?) et non copié, car l’œuvre de Jane Austen est singulière et possède la marque de son univers.

Toutes les deux durent contourner les préjugés de leur temps, et la difficulté pour les femmes de concilier bienséance, codes moraux d’une époque, et création. Les thèmes sont imposés par les dictat de l’époque en matière de pudeur féminine. Hors de question d’évoquer ouvertement la sexualité, ou l’indépendance des femmes sans provoquer le scandale. La réputation des femmes doit être vertueuse pour que leur œuvre n’encoure pas l’opprobre.

 Mary Wollstonecraft (1759 – 1797) qui fut à la fois maîtresse d’école, femmes de lettres, philosophe et féministe anglaise écrivit un pamphlet contre la société patriarcale de son temps « Défense des droits de la femme ». Elle eut une vie non conventionnelle (dépressive et suicidaire) bien éloignée de celle de Jane Austen et de Fanny Burney(qui connut la gloire de son vivant). Mais autant de talent. A propos de son ouvrage « Lettres écrites de Suède, de Norvège et du Danemark » son futur mari William Godwin écrira  « si jamais un livre a été conçu pour rendre un homme amoureux de son auteur, il m’apparait clairement que c’est de celui-ci qu’il s’agit. Elle parle de ses chagrins, d’une manière qui nous emplit de mélancolie, et nous fait fondre de tendresse, tout en révélant un génie qui s’impose à notre totale admiration».

Fanny Burney en fera une caricature dans ses romans et la vilipendera en moraliste soucieuse des conventions : attention jeunes filles à ne pas devenir une Mary Wollstonecraft. Seule George Eliot(1819-1880) rompra l’oubli dans laquelle son œuvre et sa vie tombèrent au XIXe siècle en la citant dans un essai consacré au rôle et aux droits des femmes. Et Viginia Woolf, bien plus tard, évoquera ses expériences de vie (Four figures traduit en français par « Elles » et publié en rivages poches).

Elles furent très différentes les unes des autres mais apportèrent chacune leur pierre à l’édifice fragile et compliqué de la littérature écrite par des femmes.

le mois anglaisMois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou.

Le château d’Ulloa -Emilia Pardo-Bazán / premier roman naturaliste en Espagne

Emilia Pardo-Bazán – Le château d’Ulloa – Viviane hamy, 1990 pour la traduction française.

vignette femme qui écritPremière publication en espagnol en 1886. Traduit de l’espagnol par Nelly Clemessy Seul roman traduit en français de cette grande dame des lettres espagnoles, « Le château d’Ulloa » fait connaître au public francophone cette contemporaine et admiratrice de Zola. Emilia Pardo-Bazán (1851-1921) dépeint une société soumise aux soubresauts révolutionnaires, dans laquelle la noblesse, brutale et archaïque, impose un système féodal qui tient sous sa coupe le petit peuple de Galice. Si elle ne rompt pas avec le catholicisme, Emilia Pardo-Bazán n’en dépeint pas moins la vénalité des membres du clergé qui, au lieu de sauver les âmes, ripaillent, boivent et chassent en compagnie du marquis d’Ulloa qui règne sur la région en maître absolu. Si l’homme est déterminé par son hérédité et son environnement, les habitants de la région de Cebre ont la sauvagerie de leurs paysages escarpés, et de leurs forêts profondes et inquiétantes. La mort rôde partout, les hommes chassent la perdrix et le lièvre, battent les femmes qui sont, avec les enfants, les premières victimes de leur brutalité de prédateur. Dans ces régions reculées, le progrès de cette fin de siècle pénètre à grand peine, et les superstitions sont encore vives. Cette société violente sonne le glas d’une noblesse ruinée, décadente, et ignorante. Entre monarchie absolue et constitutionnelle, un monde s’achève… Même si la corruption règne, et que la politique est aux mains des caciques qui extorquent les votes, assassinent et tiennent leurs électeurs grâce au chantage, de nouvelles aspirations à un monde meilleur sont portées par des partisans tenaces. Ce qui signe la fin de ce monde est l’immoralité des puissants et des seigneurs, soumis entièrement à leurs vices et leurs faiblesses et se comportant en véritables despotes. En ce qui concerne l’hérédité, le seigneur d’Ulloa a une santé de fer qui contraste fort avec celle de son nouveau chapelain, dont la faiblesse de  tempérament «lymphatico-nerveux, purement féminin, sans ardeurs ni rébellions, enclins à la tendresse, doux et pacifique » semble le condamner irrémédiablement. Il est toutefois consternant de lire sous la plume d’une femme que celle-ci est « l’être qui possède le moins de force dans son état normal mais qui en déploie le plus dans les convulsions nerveuses. « L’auteure partage-t-elle les croyances de son temps ? Ou se moque-t-elle ? Avance-t-elle, elle aussi, masquée ? Mais le dénouement orchestre un retournement prophétique et donne un visage aux nouveaux maîtres. Elle écrivait excessivement bien cette femme ! Il le fallait pour s’imposer dans ce pays et à une époque de patriarcat quasi-absolu. Son roman est brillant et il a traversé plus d’un siècle sans prendre trop de rides. Elle parvient à nous tenir en haleine, orchestre de savants retournements de situations et utilise avec brio tous les ressorts de la narration. A découvrir …

Les gens de Hellemyr/ Vesle- Gabriel d’Amalie Skram

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Les gens de Hellemyr, composée de trois volumes est la fresque réaliste de la Norvège de la fin du XIXe siècle, tour à tour dans sa campagne la plus reculée et le long des rues de la ville si particulière de Bergen. Le premier volume décrit les origines de Sivert, personnage central du cycle, et comment, toute sa vie, pèsera sur ses épaules le poids de l’héritage.

 Contemporaine de Zola, influencée par le courant naturaliste, Amalie Skram établit les filiations entre ses personnages, et les liens de causalité qui déterminent leur destin.

Et peut être à l’origine, y a-t-il la misère, et ce sentiment de désespoir qui saisit Oline, femme de Sjur Gabriel : « J’trouve tout si triste et horriblement ennuyeux, tout ce que j’fais, tout ce que je touche ; j’aurais préféré rien voir de ce drôle de monde, et puis quand je bois une goutte tout devient si léger, si clair, si beau, c’est à ne pas croire ! »

Prisonnière d’une vie misérable, accablée de grossesses, sans jamais aucun loisir, Oline n’a aucun espoir et seul l’alcool lui permet de supporter cette vie sans joie. Elle évolue peu tout au long du roman, alors que son mari Sjur Gabriel, courageux et travailleur, mais rustre au caractère ombrageux qui bat sa femme lorsqu’il la trouve ivre, est un personnage dynamique qui, avant de se laisser terrasser à son tour, acquiert une humanité et une douceur inattendues.

En effet, à l’occasion d’une des nombreuses escapades de sa femme pour trouver de l’alcool, le père se retrouve seul avec le dernier né, Vesle-Gabriel, malade et affamé, dont il va devoir s’occuper et qu’il soigne avec dévouement. Il va apprendre non seulement à devenir père mais éprouver pour la première fois de l’amour pour un de ses enfants. Vesle-Gabriel deviendra sa seule raison de vivre.

Amalie Skram dépeint avec talent la misère sociale et ses ravages, et le poids de l’ignorance qui ne permet pas de changer les comportements hérités. Avec finesse, elle montre que les sentiments sont eux aussi la conséquence d’une certaine forme d’éducation et la reconnaissance de l’humanité en l’autre. Que tout cela est une construction et une conséquence de la culture.

 Amalie Skram est une auteure qui m’a énormément touchée. Elle fait partie de ces voix oubliées, et je suis heureuse de lui donner une place sur Litterama. Cela grâce au travail de la traductrice Luce Hinsch qui nous livre une langue simple et belle, et une traduction parfaite, et les éditions Gaïa qui ont le courage de promouvoir des œuvre du patrimoine nordique et européen. Il faut saluer encore et toujours ces initiatives !

Ma cousine Phillis – Elizabeth Gaskell

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La cousine Phillis est une assez longue novella publiée pour la première fois en feuilleton dans the Comhill Magazine de novembre 1863 à février 1864, entre deux longs romans, Sylvia’s lovers (1863) , histoire d’amour et de guerre, et un de ses chef-d’œuvre  Femmes et Filles (1865) que la mort de l’auteure laissera inachevé.

 J’ai eu davantage de plaisir à lire cette nouvelle que le précédent livre que j’ai lu d’elle « Cranford ». Le récit est plus dynamique, et le narrateur décrivant ses pensées et sentiments apporte un point de vue personnel qui en dit aussi long sur lui que sur la fameuse cousine.

Ce récit est l’histoire de plusieurs amours, fraternel, filial, conjugal dont chacun éprouve sa nécessité à la défaillance de l’un des deux autres. Ce tissage affectif permet à chacun d’évoluer et de mûrir malgré les souffrances et les épreuves. C’est pour moi un récit sur l’importance de la relation en tant qu’elle n’en exclut aucune autre parce qu’elle est elle-même relative et non-absolue. Enfin, c’est de cette manière que je l’ai lu.

 Le narrateur, Paul Manning a dix-neuf ans, et s’installe dans la ville d’Eltham pour devenir employé aux écritures sous les ordres d’un ingénieur ambitieux et cultivé, Holdsworth,  chargé de superviser la construction d’une petite ligne de chemin de fer. Une vive amitié naît entre les deux hommes malgré la différence de position. Non loin de là, à Hope Farm (on se dit que ce nom n’est pas choisi au hasard !) vivent des cousins éloignés, les Holman. Ceux-ci ont une fille qu’ils chérissent par-dessus tout, Phyllis de deux ans plus jeune que Paul. La famille va vite adopter Paul et celui-ci décide un jour de leur présenter son ami et mentor.

 La cousine Phillis est bien sûr dans la veine du roman sentimental, largement réservé aux femmes qui écrivent mais dont elles renouvellent le genre en y introduisant des critiques et des observations sur la société de l’époque et notamment sur la place des femmes.

L’éducation des jeunes filles malgré des avancées importantes n’est pas toujours très bien vue.

« Vois-tu, continuai-je, elle est si instruite – elle raisonne plutôt comme un homme que comme une femme. » Or la beauté et l’apparence restent les qualités féminines par excellence. Une femme qui raisonne prétend ressembler aux hommes et cela amoindrit leurs capacités de séduction. Symbolique, le déplacement se fait de l’esprit au corps.

            « Une fille instruite, c’est vrai –mais on ne peut plus rien y faire maintenant, et elle est plus à plaindre qu’à blâmer là-dessus, vu qu’elle est la seule enfant d’un homme aussi instruit. »

Malgré  la création de Bedford College à Londres en 1849 par Elizabeth Jesser Reid, il faudra attendre 1870 et 1879 , pour que Cambridge et Oxford s’ouvrent enfin aux femmes ! Pour la grande majorité des femmes l’instruction supérieure n’est possible que si elle est permise par le père qui lui-même est seul détenteur des connaissances. Mais pourtant dès le début du XIXe siècle , les écoles primaires pour filles sont créées de manière systématique en Angleterre. Phillis est la représentante de cette femme nouvelle qui aime apprendre et désire ardemment s’instruire.

La mère est une personne « purement maternelle, dont l’intellect n’avait jamais été cultivé et dont le cœur aimant ne s’intéressait qu’à son mari. ». Elle jalouse les conversations de la fille et du père auxquelles elle ne comprend rien.

 Dans ces propos que tient le père de Paul, on voit que l’éducation des femmes, leur instruction ne peut être qu’un « mal », et que s’il se produit dans cette famille, c’est qu’il est le résultat d’un autre déplacement tout aussi symbolique, du garçon absent « mort en bas-âge », à la fille qui a survécu. La société patriarcale ne peut faire mieux que de déplacer l’axe, l’incliner sans bouleverser pour autant l’ordre social.

 Paul, lui même, alors qu’il ressent de l’attirance pour sa cousine, ose à peine lui parler de peur qu’elle ne s’aperçoive de son ignorance. Il se demande alors si elle est faite pour lui. De même qu’elle est plus grande que lui, et que cela renforce encore le sentiment d’infériorité qu’il éprouve.

 Mais des changements s’annoncent, le chemin de fer parvient dans des endroits de plus en plus reculés, la loi postale permet l’envoi de nombreux courriers et permet donc l’échange des idées. L’industrialisation menace les campagne et produit de grands bouleversements en même temps qu’elle ouvre aux idées nouvelles, à l’économie et à la science.

On voit ici comment ‘Elizabeth Gaskell renouvelle le genre et lui donne des résonances bien plus importantes que celles d’un simple roman sentimental.

Une nouvelle passionnante donc sur ce XIXe siècle fut le siècle du féminisme avec deux mary : Mary Astell et Mary Wollstonecraft.

Billet dans le cadre du mois anglais chez Lou ou Titine. Une occasion de parler pendant un mois de livres, films, voyages ou cuisine anglaise. Et en lecture commune avec Virgule.

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La nuit africaine – Olive Schreiner / Chef d’oeuvre

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Unique roman publié de son vivant, énorme coup de cœur pour moi, salué par la critique comme l’égal des « Hauts de Hurlevent », remarqué par Bernard Shaw, Oscar Wilde, et plus tard Doris Lessing , « La nuit africaine » est une de ces œuvres dont le cri de révolte résonne encore aujourd’hui.

Publié en 1883 sous un pseudonyme masculin, « La nuit africaine » remporta, en dépit du scandale, un succès foudroyant. Du jour au lendemain, Olive Schreiner se retrouva propulsée dans les salons avant-gardistes de Londres.

On reprocha à ce roman sa construction un peu lâche et décousue et ses longues digressions, mais cela fait partie de son charme à mon avis. Une œuvre d’art existe aussi pour contester les règles, et le roman d’Olive Schreiner en conteste quelques-unes, c’est vrai. Mais les quelques maladresses qu’on a pu lui reprocher sont parfois à l’origine de ce charme puissant qui vous saisit à sa lecture.

D’abord ce paysage, les plaines d’Afrique du Sud, arides, et sèches, enfer brûlant, où paissent quelques troupeaux, et où vivent des Boers, à des kilomètres les uns des autres, isolés, puritains et ignorants, livrés à leurs seuls instincts et débordés parfois par leur violence,  au milieu du XIXe siècle.

Deux enfants, Waldo et Lyndall rêvent d’une autre vie et sentent la révolte gronder en eux, surtout Lyndall, rebelle, qui conteste l’ordre établi et le rôle assigné aux filles :  « Quand je serai grande et que je serai forte, je haïrai tout ce qui a du pouvoir, et j’aiderai tout ce qui est faible. »Comment rester là et étouffer dans cette vie où il ne se passe rien ? Très peu pour elle ! Elle veut partir, elle veut apprendre, et elle n’aura de cesse d’y arriver ! Et même si pour cela il faut être une belle poupée froide, se poudrer le nez,  et se servir des hommes ! Qu’à cela ne tienne, tout plutôt que le mariage, tout plutôt que cette vie étriquée où les rêves s’éteignent un à un. Lyndall est bouleversante, sa lutte est titanesque, et on a peur pour elle à chaque page. Etre une femme, quelle calamité : « Tu vois cette bague ? Elle est jolie, poursuivit-elle en levant sa petite main dans le soleil pour faire étinceler les diamants. Elle vaut bien cinquante livres. Je suis prête à la donner au premier homme qui me dira qu’il voudrait être une femme. […] C’est si charmant d’être une femme ! On se demande pourquoi les hommes rendent grâce au ciel tous les jours de ne pas en être une. » Etre une femme, à cette époque, cela veut dire un destin tout tracé de votre naissance à votre mort. Une vie accablée par les maternités et les tâches ingrates.

Et ce cri peut-être : « Mais il y a une pensée qui est toujours là, qui ne me quitte jamais : j’envie celles qui naîtront plus tard, quand enfin être femme ne sera plus – je l’espère – être marquée du sceau de l’infamie »

A l’époque, cela se payait cher : cette pionnière du féminisme, première romancière blanche et anglophone d’Afrique du sud, détruira un jour tout le reste de son œuvre et s’éteindra seule, dans une chambre d’hôtel du Cap.

A un siècle de distance, écoutez la belle voix d’Olive Schreiner ! Laissez-vous porter par ses accents à la fois sincères et douloureux. Grâce à cette femme et d’autres avec elle, nous sommes aujourd’hui, pour la plupart, libres …

Anne Brontë – La dame du manoir de Wildfell Hall

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Anne Brontë La Dame du manoir de Wildfell Hall archi poche  2012 ( première publication en 1848)

          Anne Brontë est la moins connue des sœurs Brontë et « La Dame du manoir de Wildfell Hall » aussi traduit « La recluse de Wildfell Hall » eut à souffrir de critiques particulièrement acerbes lors de sa publication en Angleterre en 1848 ; on reprocha à Anne Brontë  de faire l’apologie du vice tant ses personnages étaient  réalistes, de camper une héroïne aux vertus bien peu féminines et d’étaler  « son goût morbide pour la brutalité vulgaire ».  Un an après la mort de sa sœur, Charlotte empêchera la republication de l’ouvrage, le jugeant peut-être trop scandaleux pour l’époque.

        On le considère aujourd’hui à juste titre comme l’un des premiers romans féministes.

Helen Graham est une veuve bien mystérieuse. Elle vit en compagnie de son fils dans un manoir délabré et  particulièrement retiré et semble rechercher la solitude. Que cache son attitude ? Que fuit-elle ? Qu’a-t-elle donc à se reprocher pour s’entourer de tant de mystère. Les langues vont bon train jusqu’à ce que le scandale éclate … Le récit est d’abord raconté par Gilbert Markam, un hobereau du coin, puis par Helen qui lui confie son journal.

Anne Brontë se place ici dans la tradition des grands moralistes. Il s’agit de peindre les malheurs du vice pour inciter à la vertu et dissuader les jeunes gens de se livrer à la débauche, les jeunes hommes surtout, à qui une société hypocrite et injuste passe tous les caprices censés montrer leur puissance et leur virilité. Anne Brontë s’inspira pour cela de la déchéance de son frère qui mourut alcoolique et tuberluceux. 

Le trait est incisif, Anne Brontë démonte les mécanismes d’une toute-puissance masculine à laquelle des lois injustes et une éducation permissive ne mettent aucun frein. Les femmes séparées de leur mari ne peuvent intenter une action en divorce, ni disposer de leur fortune, ni conserver la garde de leurs enfants. Elles doivent être soumises et résignées. Seuls de mauvais traitements physiques peuvent justifier un éloignement salutaire.  Or Hélene Graham/Huntington quitte le foyer conjugal, vend des tableaux pour gagner sa vie et fait fi du qu’en dira-t-on. Elle ose critiquer la différence d’éducation entre les garçons et les filles et la mauvaise influence des mères qui à force de gâter leurs  fils  ainés en font des monstres de vanité et d’égoïsme. « Je ne compte pour rien ici », se plaint Rose, la sœur de Gilbert Markam. Les garçons passent avant tout, les meilleurs morceaux leur sont réservés et les femmes sont à leur service.

Lorsqu’on lit aujourd’hui les romans écrits par des femmes, on retrouve, dans certains milieux ou dans certaines parties du monde les mêmes constats. Cette litanie en agace beaucoup, hommes ou femmes, qui ont l’impression parfois qu’il y a une forme d’exagération et de répétition un peu vaine. Mais voilà, la littérature est aussi une arme de combat, le lieu d’une prise de parole pour ceux ou celles qui en sont privés. D’ailleurs, le sort réservé aux femmes est un excellent indicateur pour la démocracie, les endroits où elles ne sont pas respectées sont aussi ceux où les Hommes, plus généralement, ne sont pas vraiment libres. Et les voix qui sélèvent ne sont pas seulement féminines. J’avais été frappée lors d’une émission animée par Frédéric Taddeï , de la remarque d’une juriste qui disait ne pas s’intéresser plus à la cause des femmes qu’à n’importe quelle autre cause. L’antiféminisme n’est pas le seul fait de certains hommes mais aussi de nombreuses femmes. Peut-être est-ce une façon de se rassurer, de s’exclure de la « masse » indistincte de celles qui par leur genre pourraient être vulnérables ou assignées à certains rôles. L’illusion peut-être qu’il n’y a plus vraiment de combat à mener.

Ann Brontë est morte à 29 ans de la tuberculose. J’ai une très grande admiration pour cette jeune femme, pour sa lucidité et son courage. Elle est pour moi un modèle. Certes, elle n’était pas « romantique », même si elle sacrifiait comme tant d’autres écrivains à l’inévitable « histoire d’amour », mais elle savait analyser finement les rapports sociaux de genre. Elle écrivait pour avoir un autre destin… Mais peut-il vraiment y avoir d’autres raisons pour écrire ?

Cranford – Elizabeth Gaskell

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Editions de L’Herne, 2009, pour la traduction française ; traduit de l’anglais par Béatrice Vierne. Collection Grands romans points.

Publié en feuilleton en 1851 dans le magazine de Charles Dickens.

  Cranford est la transposition de Knutsford, bourgade du Nord-Ouest de l’Angleterre, au cœur du Cheshire, où Elizabeth Cleghorn Stevenson (future Elizabeth Gaskell) passa une grande partie de son enfance avant d’épouser William Gaskell et d’aller vivre à Manchester. Elle croque les personnages avec une certaine ironie, cette sorte d’humour qui appartenait aussi  à Jane Austen (1775-1817). La narratrice, Mary Smith, dépeint le quotidien quelque peu étriqué de ses amies, les deux vieilles filles Miss Matty et Miss Deborath Jenkyns, et les travers de la société victorienne dont les règles et l’étiquette dicte la conduite des femmes. Les apparences ont une grande importance ainsi que la position sociale, et certains personnages aveuglés par leur vanité et leur snobisme sont capables d’une certaine cruauté. Elizabeth Gaskell ne les épargne guère, fustigeant les fausses valeurs et la sècheresse de cœur.

La société de Cranford est essentiellement féminine : « Cranford est aux mains des amazones ; au-dessus d’un certain loyer, ses demeures ne sont occupées que par des femmes. Si jamais un couple marié vient s’installer en ville, d’une manière ou d’une autre, le monsieur disparaît … ». Le monde féminin est un monde clos, celui des hommes est celui du dehors et des grandes étendues.

Cranford est donc un microcosme féminin que Mrs Gaskell observe avec l’œil d’un entomologiste . « La nature si unie de leur existence » lui fournit mille anecdotes. Toutefois tout ce petit monde vit plutôt en bonne entente et les personnages sont suffisamment dynamiques pour pouvoir évoluer tout au long du récit. Ces femmes révèlent leurs failles presque malgré elles,  leur manque cruel d’amour,  mais parviennent parfois à être heureuses dans la compagnie d’un homme aimant et respectueux dans une belle entente sensuelle.

Une chronique provinciale bien savoureuse en tout cas malgré un récit où parfois il faut bien l’avouer, il ne se passe pas grand-chose. Le temps des femmes est celui de la patience et de l’attente, de l’endurance et du regret, un temps élastique qui parfois est tendu à se rompre  mais qui après d’excessives tensions se remet toujours à sa place.

Lecture commune organisée par George    AVEC

Lou, Virgule, Valou, Céline, Emma, Solenn, Sharon, Alexandra, Paulana, Emily, Titine, Plumetis Joli ClaudiaLucia,

Premières années – Marie d’Agoult / Vivre et écrire au XIXe siècle

Marie d'Agoult

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Marie d’Agoult(1805-1876)- Premières années – Folio collection Femmes de lettres 2009

La critique littéraire a opéré des coupes sombres dans la littérature féminine des siècles passés quant elle ne l’a pas carrément passée sous silence. Les écrits de femmes furent longtemps considérées comme des œuvres mineures.
Qu’en est-il du  XIXe siècle ? Quel nom d’écrivaine retient-on de cette période hormis Georges Sand ? Et pourtant il y en eut d’autres, dont Marie d’Agoult, qui dut surtout sa célébrité à une longue liaison avec le compositeur Franz Liszt mais qui écrivit pourtant plusieurs essais historiques et politiques, un roman, ainsi que des poèmes,  proverbes et nouvelles.

 

L’édition présentée ici a été établie et présentée par Martine Reid à partir d’une œuvre plus vaste « Mes souvenirs » publié en 1977 par Calmann-Lévy après la mort de l’auteure. Martine Reid a repris le texte de cette édition, du chapitre II au chapitre XVII. Quelques coupures ont été effectués dans l’ensemble pour une raison de calibrage du volume.

Ce petit livre est intéressant à bien des égards : outre qu’il offre l’histoire de soi par le biais de l’autobiographie, il fait de nombreuses références à l’histoire du temps.
Marie d’Agoult non seulement donne de précieuses informations sur la France de la Restauration, et sur la mentalité de ses contemporains mais entreprend une critique sans complaisance de ses multiples travers en même temps qu’elle souligne ses paradoxes.

Elle écrit dans une langue élégante mais vivante, croque à merveille les situations, campe les personnages en quelques phrases et anime son récit de descriptions vivantes et de portraits dont on sent la justesse psychologique.

Elle évoque d’abord ses premières années d’une enfance choyée avant son départ pour le couvent.
Du mariage qui suivit quelques années plus tard, on sait qu’il fut
désastreux et qu’après la mort de sa fille Louise, elle vécut une
profonde dépression.

Sa rencontre avec Liszt fut un tournant décisif dans son existence : elle quitta tout, ignora les codes de conduite de la bonne société et ses préjugés nobiliaires, et vécut une vie de femme libre.

Elle décrit le milieu conservateur qui fut celui de sa famille, sa morale souvent rigide et hypocrite, plus soucieuse du qu’en-dira-t-on que de véritable intégrité morale, où les femmes sont soumises au père puis au frère aîné. Toutefois cette aisance lui permit d’être éduquée :
« Ma mère et ma bonne allemande […]me faisaient lire des contes de Grimm, réciter des fables de Gellert ou des monologues de Schiller. »

Elle put suivre son père à la chasse et à la pêche, éprouver l’ivresse due à l’activité physique et à la vie au grand air.

Elle étudie lors de leçons « sans pédantisme , sans réprimandes, abrégées dès que se trahissait dans mon attitude la moindre fatigue ,[…] exemptes  de ces surexcitations de l’amour-propre qui , dans les rivalités des pensions et des lycées mêlent si tristement la jalousie à l’ambition d’exceller ».

Le frère est « un père plus jeune, comme un guide, comme un appui  dans le monde que je ne connaissais pas. »

Sous la tutelle du père puis du frère, puis de l’époux, Marie de Flavigny suit les coutumes de son temps, qu’elle rejettera plus tard pour vivre ses amours avec Liszt. Le discours des jeunes années est à bien des égards un discours de soumission. Elle se réfugie au couvent dans un mysticisme profond.
Elle raconte aussi quelle était l’instruction des jeunes filles dans la maison d’éducation la plus renommée de France.
Ces jeunes filles savaient à peine l’orthographe mais « Il était entendu qu’une demoiselle bien élevée, lorsqu’elle entrait dans le monde, devait avoir appris avec ou sans goût, avec ou sans dispositions naturelles la danse, le dessin, la musique, et cela dans la prévision d’un mari qui, peut-être, il est vrai, n’aimerait ni les arts ni les bals, et qui, au lendemain du mariage, ferait fermer le piano, jeter là les crayons, finir les danses, mais qui, possiblement aussi, en serait amateur. »

Il y a dans ce récit des « Premières années » un accent de profonde révolte qui le rend particulièrement attachant et émouvant. Parole longtemps oubliée d’une femme qui marqua son temps, et posa avec d’autres, les fondations du féminisme.

Marie d'Agoult (1843), portrait by Henri Lehma...
Marie d’Agoult (1843), portrait by Henri Lehmann (1814 – 1882) (Photo credit: Wikipedia)

Opinion d’une femme sur les femmes – Fanny Raoul

Fanny-Raoul

Opinion d’une femme sur les femmes – Fanny Raoul – Texte présenté par Geneviève Fraisse- editions « Le passager clandestin » suivi de « Votez pour le Ken le plus sexy de la culture avec Radio France » par Marie Desplechin

vignette Les femmes et la PenséeEn 1801, une jeune Bretonne de 30 ans dont on ne sait aujourd’hui presque rien, s’adresse aux femmes de son temps pour les prendre à témoin des interdits, servitudes et violences qu’il leur faut encore affronter, aux lendemains de la Révolution.

Ce texte est extrêmement émouvant car c’est le cri et la révolte d’une femme qui nous parvient par-delà les siècles et prend à témoin la postérité. Une jeune femme qui  assure avec force, dans des élans visionnaires, qu’un jour les servitudes auxquelles sont assujetties les femmes et qui semblent si enracinées dans les traditions, cesseront. Peu nombreuses sont alors les femmes de lettres. A Constance Pipelet (Constance de Salm ) qui écrit des poèmes, le poète Ecouchard Lebrun (qui lui n’a pas eu les honneurs de la postérité) ordonne avec mépris : « Inspirez, mais n’écrivez pas ». La misogynie ambiante est assez virulente puisqu’un projet , défendu par son auteur Sylvain Maréchal, et intitulé « Projet portant défense d’apprendre à lire aux  femmes » a pu voir le jour et faire débat.

A travers ce texte, on sent toute la détermination, le courage, l’intelligence , la finesse mêlés à la souffrance et au désespoir de cette jeune femme.

Elle construit une argumentation rigoureuse où elle discute point par point les préjugés et les opinions de son temps, en essayant d’en montrer l’arbitraire et l’absurdité. L’asservissement des femmes  sert selon elle des fins politiques, les hommes ne souhaitant pas avoir des rivales en la personne de leurs compagnes. Elle le démontre avec force et en fait voir tous les ressorts.

Selon elle, les hommes et les femmes ayant une part égale dans les processus de la reproduction, « cette nécessité réciproque est donc le fondement de leur égalité naturelle », ils doivent avoir également la même part d’avantages dans la société et la même protection par la loi. Elle démonte l’argument selon lequel les femmes ne sont pas capables d’assumer des fonctions ou des charges politiques en expliquant que cet argument est absurde et ne peut valoir puisque, de toute façon, on ne leur a jamais laissé le loisir de prouver le talent dans ce domaine . Elles sont ignorantes, soit, c’est souvent le cas, mais c’est parce qu’on leur interdit l’accès à toute éducation. Ceux-là même qui devraient les défendre, qui possèdent toute la puissance de la raison, les philosophes, puisqu’ils s’appliquent à démontrer les erreurs et les préjugés des Hommes, ne font rien pour elles. (Poullain de la Barre, mais il était prêtre avant de se convertir au protestantisme- en 1673, fait paraître anonymement De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugez )

« Il est remarquable de voir des philosophes s’attendrir sur le sort d’individus dont un espace immense les sépare tandis qu’ils ne daignent pas s’apercevoir des maux de ceux qu’ils ont sous les yeux ; proclamer la liberté des nègres, et river la chaîne de leurs femmes est pourtant aussi injuste que celui de ces malheureux ».

Elle dénonce également, ce qui, à ses yeux, est plus grave encore : « A force de leur dire qu’elles étaient faites pour l’esclavage, on est parvenu à le leur faire croire et à éteindre conséquemment en elles toute énergie et tout sentiment d’élévation. »

Si l’on considère le sort fait aux femmes dans de nombreuses régions du monde, et les arguments développés pour le justifier, ce texte, deux cent ans après sa publication, garde toute son actualité.

Un beau texte très émouvant, un témoignage par-delà les siècle, qu’il faut lire absolument.