Hermine Oudinot Le comte du Nouy (1854-1915), femme de lettres françaises, tint un salon couru où se pressèrent des jeunes gens en vogue tels que Marcel Prévost, Paul Bourget, Paul Hervieu…. Après Amitié amoureuse publié aux éditions Calmann Lévy en 1897, elle érira notamment « L’amour est mon péché », « Le doute plus fort que l’amour et « Mater Dolorasa »
Elle signa ses œuvres sous un pseudonyme « Paul Guérande »
Hermine Lecomte du Nouy – Amitié amoureuse Calmann Lévy 1897
La quatrième de couverture signale que « derrière Philippe de Luzy et Denise Trémors se cachent Guy de Maupassant et Hermine Oudinot Lecomte du Nouy qui, de 1883 à la mort de l’auteur de Bel-Ami en 1893 auraient entretenu des rapports assez semblables à ceux du roman. »
Le nom de Guy de Maupassant a été lié à Hermine (nommée « Madame X »), par une soi-disant correspondance. Mais il s’agirait en fait d’un canular.
En tout cas, le nom de Maupassant apparaît plusieurs fois dans ce roman épistolaire :
« Ainsi procédait Guy de Maupassant ; il gardait un livre en projet, je dirais presque en espérance, pendant des mois, dans sa tête, et l’œuvre, tout à coup, se dressait faite et sortait de son esprit tout armée, comme Minerve ».
« Et puis, comme disait maupassant à des sots qui s’extasiaient d’apprendre qu’écrire est un enfantement pénible, souvent douloureux et demandaient :
Pourquoi écrivez-vous alors ?
Mon Dieu, murmura Maupassant, il vaut encore mieux faire ça que voler ! »
Il semblerait qu’à Etretat -Nimerck dans le roman – Hermine fût la voisine de Maupassant et qu’elle s’ennuyât un peu dans sa demeure car son mari, architecte, passait le plus clair de son temps en Roumanie. « C’était une blonde fine et douce qui avait de l’esprit et, comme le lui écrivit Maupassant, « le génie de l’amitié ». »
La carrière littéraire de Guy de Maupassant se limite à une décennie – de 1880 à 1890– avant qu’il ne sombre peu à peu dans la folie et ne meure à quarante-deux ans. Ce qui correspond à la période citée ci-dessus de 1883 à 1893.
D’ailleurs il y a bien des ressemblances entre le personnage du livre et Maupassant, qui comme lui fit des études de droit. Mais je n’ai trouvé rien de plus sur les relations des deux écrivains.
La littérature voit la naissance des écoles réalistes et naturalistes qui vont influencer durablement Maupassant.
Amitié amoureuse est un roman épistolaire qui repose sur la correspondance entre deux trentenaires : Denise, jeune femme séparée de son mari, élevant seule sa fille et Philippe, homme nonchalant et célibataire, dont l’oisiveté semble être le caractère dominant. Leur correspondance dure cinq ans et traduit les différents mouvements qui les poussent ou les éloignent l’un de l’autre : amour, amitié, désir, jalousie.
Cette amitié passionnée est un amour platonique entre une jeune femme privée de toute vie sensuelle et un homme qui a toute liberté de satisfaire ses appétits dans ce domaine : d’ailleurs il ne se prive pas d’entretenir des « cocottes » et des artistes dont Yvette Guibert mentionnée dans le livre.
Une femme bien sûr doit veiller à sa réputation dans le monde et sauvegarder les apparences. Une liaison révélée au grand jour et c’en est fait de la considération portée à une femme. Les femmes les premières sont garantes de l‘ordre établi puisqu’elles « jettent la pierre à la pauvre amoureuse qui succombe dans les bras de l’amant. »
Le roman fourmille de considérations et d’observations sur la vie des femmes de la haute bourgeoisie et de la noblesse de l’époque et il n’est pas exempt de qualités littéraires. D’ailleurs il eut dans son temps un succès considérable.
La chasse au mari, les efforts constant donnés à la toilette font l’essentiel du quotidien des femmes dans ces milieux où l’on vit de ses rentes. Les femmes, dépendantes des hommes desquels vient en grande partie leur bien-être, font au moment de se marier, d’incessants calculs. Suzanne en est le vivant témoignage qui s’écrie : « […] c’est votre genre de connaître peu de monde, de choisir les gens qui vous plaisent, de fermer votre porte au nez des autres qui attendent derrière, mourant d’envie d’être introduits et faisant tout pour y arriver. Mais moi ? j’ai toujours été représentative…et puis, voudrais-je l’essayer, je ne saurais même pas vous inger. Il me faut la foule pour m’aider à jouir de ce que je possède ; j’aime qu’on me regarde dans la rue, j’aime l’hommage et la curiosité de tous. J’aurais voulu être reine ou grande artiste… »
Les représentations sur les femmes, « l’éternel féminin » sont parfaitement intégrées par ces dernières : « Nous ne valons, nous autres femmes, que par l’imprévu de nos sensations, lesquels nous savons mal analyser »observe Denise.
Les femmes sont nonchalantes, nerveuses et capricieuses . Elles sont inconséquentes, ce qui faisait dire à Proudhon que « la femme est la désolation du juste ». Les femmes, au XIXe siècle sont encore conduites par une nature invisible et omniprésente.
Leur condition est parfois difficile et à sa fille qui s’exclame qu’elle veut les choses pour elle toute seule, Denise répond qu’il en est bien peu de ces choses-là, pour elles seules, dans la vie des femmes.
Mais ce qui est nouveau, ici, me semble-t-il c’est la façon de parler du désir sans plus d’ornements :
« e ne peux plus vous voir, vous entendre, vous coudoyer. J’ai des frissons, des des flux de sang au cœur à m’en évanouir quand vous me regardez, ma chair crie vers vous, affamée de vous, folle de votre chair. »
Enfin, malgré quelques longueurs sur ces 385 pages, j’ai trouvé ce roman passionnant, témoignage vivant d’une époque, du rapport d’une femme à l’écriture, portant les accents de la plus grande passion, et une belle maîtrise de la construction narrative à travers un genre qui n’est pas forcément le plus facile à exploiter. A lire pour les amateurs de littérature de ce XIXe siècle.
A signaler également que chaque chapitre est précédé de citations extraites de « de l’amour » de Stendhal sur lesquelles il y aurait aussi beaucoup à dire…
Challenge La Belle Epoque (1879-1914)