Archives pour la catégorie 4 – Autrices du XVIe siècle

Madeleine de L’Aubespine ( 1546-1596) – Sonnet

L’on verra s’arrêter le mobile du monde,

Les étoiles marcher parmi le firmament,

Saturne infortuné luire bénignement,

Jupiter commander dedans le creux de l’onde.

L’on verra Mars paisible et la clarté féconde

Du soleil s’obscurcir sans force et mouvement,

Vénus sans amitié, Stilbon sans changement,

Et la lune en carré changer sa forme ronde,

Le feu sera pesant et légère la terre,

L’eau sera chaude et sèche et dans l’air qui l’enserre,

On verra les poissons voler et se nourrir,

Plutôt que mon amour, à vous seul destiné,

Se tourne en autre part, car pour vous je fus née,

Je ne vis que pour vous, pour vous, je veux mourir

Epouse d’un secrétaire d’Etat, Madeleine de L’Aubespine a été dame d’honneur de Marie de Médicis. Elle a tenu un salon fréquenté par des poètes. Ronsard fit l’éloge de ses dons littéraires dans un sonnet. Et son amant, Philippe Desportes, lui consacra plusieurs poèmes d’amour. Certains de ses manuscrits ne furent découverts qu’au début du XXe siècle. Ses réflexions prennent la forme de méditations visant à atteindre la paix de l’âme par l’exercice des vertus. Il faut aller consulter le riche article publié par les Editions des femmes dans le Dictionnaire des créatrices sous la plume savante et alerte de Colette H. WINN pour en savoir davantage.

Catherine Des Roches (1542-1587) – Sonnets

Contemporaine de Ronsard  et de l’humaniste Estienne Pasquier  qu’avec sa mère,  Madeleine des Roches, elle connaissait bien, Catherine Des Roches était, avec celle-ci, au centre d’un cercle littéraire à Poitiers entre 1570 et 1587 . Grâce à sa mère, qui lui a servi de mentor intellectuel, Catherine Des Roches a plus écrit que cette dernière. Son œuvre la plus connue est son sonnet À ma quenouille où « ayant dedans la main, le fuzeau et la plume », elle dépeint la femme partagée entre ses tâches domestiques et les activités de l’esprit.

Elle refusa de se marier pour pouvoir se consacrer à ses travaux intellectuels. Elle mourut de la peste  le même jour que sa mère.

CatherineDesRoches-CostumesHistoriquesDeLaFrance.jpg

Sonnets

Bouche dont la douceur m’enchante doucement

par la douce faveur d’un honnête sourire,

Bouche qui soupirant un amoureux martyre

Apaisez la douleur de mon cruel tourment !

 

Bouche, de tous mes maux le seul allègement,

Bouche qui respirez un gracieux zéphyr(e) :

Qui les plus éloquents surpassez à bien dire

A l’heure qui vous plaît de parler doctement ;

 

Bouche pleine de lys, de perles et de roses,

Bouche qui retenez toutes grâces encloses,

Bouche qui recelez tant de petits amours,

 

Par vos perfections, ô bouche sans pareille,

Je me perds de douceur, de crainte et de merveille

dans vos ris, vos soupirs et vos sages discours.

 

(« Sonnets », Les Oeuvres de mesdames des Roches, 1579)

 

Portrait par Par Camus , Domaine public

Madeleine de L’Aubespine (1546-1596) – Sonnet

Elle tenait un salon que fréquentaient les poètes, dont l’un d’eux, Philippe Desportes était son amant. Elle sait créer des univers cosmiques, jouer de la démesure, chanter l’amour ou la bonté du Dieu qui pardonne.

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Credit image (1)

Sonnet

L’on verra s’arrêter le mobile du monde,

Les étoiles marcher parmi le firmament,

Saturne infortuné luire bénignement,

Jupiter commander dedans le creux de l’onde.

 

L’on verra Mars paisible et la clarté féconde

Du Soleil s’obscurcir sans force et mouvement,

Vénus sans amitié, Stilbon sans changement,

Et la Lune en carré changer sa forme ronde,

 

Le feu sera pesant et légère la terre,

L’eau sera chaude et sèche dans l’air qui l’enserre,

On verra les poissons voler et se nourrir,

 

Plutôt que mon amour, à vous seul destinée,

Se tourne en autre part, car pour vous je fus née,

Je ne vis que pour vous, pour vous je veux mourir.

(1) – François Clouet — http://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2014/old-master-paintings-n09161/lot.22.html

Stances amoureuses de Marguerite de Valois

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Stances amoureuses de Marguerite de Valois (extraits)

J’ai un ciel de désir, un monde de tristesse,
Un univers de maux, mille feux de détresse,
Un Etna de sanglots et une mer de pleurs.
J’ai mille jours d’ennuis, mille nuits de disgrâce,
Un printemps d’espérance et un hiver de glace ;
De soupirs un automne, un été de chaleurs.
Clair soleil de mes yeux, si je n’ai ta lumière,
Une aveugle nuée ennuitte ma paupière,
Une pluie de pleurs découle de mes yeux.
Les clairs éclairs d’Amour, les éclats de sa foudre,
Entrefendent mes nuits et m’écrasent en poudre :
Quand j’entonne mes cris, lors j’étonne les cieux….
Belle âme de mon corps, bel esprit de mon âme,
Flamme de mon esprit et chaleur de ma flamme,
J’envie à tous les vifs, j’envie à tous les morts.
Ma vie, si tu vis, ne peut être ravie,
Vu que ta vie est plus la vie de ma vie,
Que ma vie n’est pas la vie de mon corps !
Je vis par et pour toi, ainsi que pour moi-même ;
Je vis par et pour moi, ainsi que pour toi-même :
Nous n’aurons qu’une vie et n’aurons qu’un trépas.
Je ne veux pas ta mort, je désire la mienne,
Mais ma mort est ta mort et ma vie est la tienne ;
Ainsi je veux mourir, et je ne le veux pas !…

A la rencontre de deux femmes : Eliane Viennot et Marguerite de Valois

Résultat de recherche d'images pour "eliane Viennot marguerite de valois"Eliane Viennot est une chercheuse infatigable, spécialiste de Marguerite de Valois et engagée dans une somme « La France, les femmes et le pouvoir », entre autres. La redécouverte d’écrits de femmes et notamment ceux de Marguerite de Valois m’a donné envie de lui poser quelques questions.

A.G.R  (Litterama) : Quel est l’itinéraire personnel et professionnel qui vous a conduite à Marguerite de Valois ?

Eliane Viennot : Le hasard. Quand j’ai fait ma maîtrise, que je voulais faire « sur les femmes », la première enseignante que j’ai trouvée (qui acceptait de tels sujets) m’a proposé de travailler sur Brantôme, sur l’amour et le mariage dans l’œuvre de Brantôme. Quelques mois plus tard, j’ai compris que la femme à laquelle ce mémorialiste dédiait toutes ses œuvres, cette Marguerite de Valois, était celle que moi je connaissais sous le nom de « reine Margot ». Or les deux personnages — celui dont parlait Brantôme et celui que j’avais dans la tête — n’avaient rien à voir. Cela ma intriguée. J’ai décidé de comprendre ce qui lui était arrivé pour qu’il en soit ainsi.
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 A.G.R  (Litterama) : A-t-elle souffert de la réputation que lui a faite Alexandre Dumas ?

Oui et non. Marguerite de Valois a commencé à être un sujet d’étude à partir de la seconde moitié du 18e siècle. Après le succès de La Reine Margot (1845), elle l’est en partie restée pendant quelques décennies, mais de plus en plus d’historiens ont décidé que c’était un sujet indigne, et elle a été abandonnée des chercheurs et chercheuses durant la presque totalité du 20e siècle. Bien d’autres romanciers ont travaillé, après Dumas, à sa « chute » dans l’ornière. Au 20e siècle, elle n’est plus un sujet d’étude, mais elle est un sujet de bavardages pseudo historiques incessants, de romans de gare, comme les Histoires d’amour de l’histoire de France de Guy Breton (c’est le pire).

A.G.R  (Litterama) : Quelle est la postérité que vous lui souhaiteriez ?

Eliane Viennot : La plus juste possible : une postérité qui s’appuie sur ses actions, ses écrits, ses mérites…

A.G.R  (Litterama) : Quels sont les goûts de Marguerite en matière de littérature à son époque ? Que lit-elle?

Eliane Viennot : Elle a lu énormément de choses, mais elle n’en parle pas précisément donc c’est difficile de savoir quoi exactement. Elle a grandi au temps où la Pléiade brillait à la cour. Ronsard a écrit une bergerie qu’elle a joutée, et elle cite (mal) Du Bellay. Elle s’est nourrie de Plutarque, comme tous ses frères, et la Vie des hommes illustres se devine en transparence dans ses écrits. Elle a d’ailleurs demandé à Brantôme d’écrire sa Vie… Elle a lu beaucoup de philosophes (surtout des néoplatoniciens), elle dit à quel point la lecture l’a réconfortée quand elle était gardée à vue au Louvre dans les années 1570 — mais elle a sûrement en tête les longues années passées à Usson. Ses contemporains la considéraient comme un puits de sciences, et en plus elle s’intéressait à tout. Il faut lire aussi les dédicaces qu’on lui a adressées (certaines sont en ligne sur le site que je lui ai consacré): elles disent beaucoup des relations intellectuelles que « ses » auteurs entretenaient avec elle.

A.G.R  (Litterama) : En quoi ses Mémoires, et ses différents écrits, présentent-ils un intérêt pour l’histoire littéraire ?

Eliane Viennot : Ses Mémoires sont à l’origine du genre des mémoires aristocratiques. Ils ont paru en 1628, et tout de suite le livre a été célèbre. Quarante ans plus tard, des témoins disent encore que « le livre est dans toutes les mains ».

A.G.R  (Litterama) : Est-ce un geste unique à son époque ? D’autres femmes parmi ses contemporaines se sont-elles essayé à cet exercice ?

Eliane Viennot : Elle est la première, mais elle ne savait pas qu’elle était en train d’inventer un genre ! Le début de ses Mémoires montre qu’elle ne fait que répondre à Brantôme, qui lui a envoyé un discours sur sa vie. Elle dit « stop », là, vous vous trompez, je vais vous expliquer la véritable histoire, comme ça vous pourrez retoucher votre discours. Mais elle s’est prise au jeu. Puis, en revenant à Paris, elle a laissé tomber le texte, elle avait mieux à faire, sans doute. En tout cas elle ne s’est pas occupée de le laisser en bonne forme pour la postérité. D’où le fait qu’on n’en possède qu’un morceau: toute la fin manque.

A.G.R  (Litterama) : Vous avez créé deux collections, « La Cité des dames » et « L’École du genre », aux Publications de l’université de Saint-Étienne, quels ouvrages recommanderiez-vous plus particulièrement ?

Eliane Viennot : Je trouve tous ces livres importants. La première collection a remis en circulation des textes très difficiles d’accès, soit parce que non réédités, soit parce que reparus dans des collections très onéreuses. L’édition des Mémoires en est à son troisième retirage, celle des Enseignements d’Anne de France au deuxième. C’est la preuve que ces textes ont circulé, été étudiés. La seconde collection a fait connaitre  beaucoup de travaux étrangers, et en général des problématiques tout à fait pionnières. Elle a participé la diffusion des études sur le genre — et de la prise de conscience de l’intérêt des travaux sur la longue durée; car c’est une caractéristique de cette collection.

A.G.R  (Litterama) : Vous êtes une chercheuse particulièrement active et engagée, quelles initiatives auprès du grand public  manquent encore pour diffuser les résultats de la recherche ? Cela pourrait-il contribuer à changer les mentalités ?

Eliane Viennot : Il faudrait que les directions officielles de la recherche suivent ! Et que des enseignements pérennes soient mis en place, au lieu de dépendre de la bonne volonté de quelques enseignantes. Aujourd’hui en France, il y a toujours aussi peu de chaires d’études féministes (ou de genre) qu’il n’y en avait dans  les années 1980 ! Personnellement, tout le travail que j’ai réalisé à Saint-Etienne (enseignement, recherche, éditions) est annulé par mon départ à la retraite. Tout s’arrête.

A.G.R : De tous les livres que vous avez écrits ou ceux auxquels vous avez participé, quel est votre « bébé », celui qui vous a coûté le plus, et dans lequel vous vous retrouvez totalement ? Lequel en priorité nous recommanderiez-vous ?

E.V : J’ai beaucoup aimé faire l’édition des écrits de Marguerite, notamment celle de sa correspondance, qui était très inconnue du monde de la recherche et qui ne peut plus être contournée à présent.

L’autre travail très important est ma recherche sur La France, les femmes, et le pouvoir

J’y suis depuis plus de vingt ans, et ce n’est pas fini: le volume 4 devrait paraître d’ici peu, et je dois confectionner le dernier volume. Au bout du compte, nous disposerons d’une histoire de  France des relations de pouvoir entre les femmes et les hommes.
A.G.R : Pour finir, qu’aimeriez-vous dire aux lecteurs de Litterama ?

E.V :  Lisez des autrices !

Photo Eliane Viennpt : Nattes à chat [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)%5D, de Wikimedia Commons