Archives pour la catégorie Femmes d’Arabie Saoudite

Les filles de Ryad – Rajaa Alsanea /Arabie Saoudite

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Rajaa Alsanea – Les filles de Ryad Document / La vie amoureuse des femmes en Arabie saoudite Pocket n°13698 (2005 Rajaa Alsanea) Plon, 2007 pour la traduction française
Traduit de l’arabe (Arabie Saoudite) par Simon Corthay et Charlotte Woillez

Rajaa Alsanea est née en 1981 en Arabie Saoudite. Elle raconte la vie amoureuse de quatre jeunes femmes saoudiennes dans « Les filles de Ryad » qui a d’abord paru au Liban en 2005 pour éviter la censure saoudienne. Ce récit a d’abord circulé sous le manteau avant d’être autorisé en Arabie Saoudite.

Document, Essai, Roman, mails, on hésite à qualifier ce récit selon qu’on veut souligner son rapport au réel ou l’exercice littéraire de son auteure.

Littérature épistolaire en tout cas, moderne, sous forme d’e-mails adressés aux abonnés de divers comptes. Les réactions des lecteurs sont d’ailleurs largement évoquées tout au long du récit. Vous pouvez facilement imaginer que la liberté de ton de Rajaa Alsanea lui a valu de nombreuses menaces de mort, car il ne fait pas bon évoquer la vie amoureuse dans un pays où une femme ne peut sortir que dans son abaya noire, accompagnée d’un homme de sa famille, et où tous les contacts avec les hommes étrangers sont formellement interdits. Une police religieuse contrôle les bonnes mœurs et le strict respect de la loi islamique. Univers terriblement éprouvant et étouffant pour les jeunes femmes qui ne rêvent que d’amour, dans une société très conservatrice, qui peine à s’adapter à la modernité. Les structures traditionnelles de la famille, la tutelle des femmes, les mariages arrangés ne sont pas propices à favoriser des unions heureuses dans lesquelles les partenaires seraient à égalité.

D’ailleurs cette vie est une « geôle » qui engloutit la vie de « ses captives », dont les portes sont cadenassées, les femmes des « martyres », « enterrées sans nom dans le tombeau des traditions », dit le poème cité par l’auteure et écrit par Nizar Qabbani, poète syrien (1923-1998), poète célèbre pour ses prises de position en faveur de la femme. L’auteure utilisera ce prénom pour l’un de ses personnages.

Les partenaires ne se choisissent pas, les mères sélectionnent les épouses de leurs fils selon le lignage, la réputation, le statut social sans tenir compte de l’inclination. Cela provoque des unions malheureuses dans lesquelles les époux se détestent ou au mieux s’indiffèrent. Même si bien sûr quelques histoires d’amour arrivent tout de même à éclore sur ce sol stérile.

On sent souvent une ironie tout austenienne  dans ce récit qui s’attache à dénoncer l’hypocrisie d’une société qui prône la pudeur et la chasteté tout en essayant de développer une économie moderne. Ici on drague comme ailleurs, par mails, en faisant passer des numéros de téléphone à la sauvette de voiture à voiture, ou dans les centres commerciaux. Une véritable usine à fantasmes avec tous les dangers que cela comporte.

Et encore, il s’agit ici d’une jeunesse dorée, riche et éduquée, dont les rejetons étudient à l’étranger dans les grandes universités, qui bénéficie de femmes de ménage, et s’habille chez les meilleurs couturiers. Loin de l’univers de Raja Salem, et des femmes des quartiers pauvres, celles qui meurent de faim ou qui se prostituent…

Je me félicite vraiment de l’apparition d’une littérature écrite par les femmes en Arabie Saoudite, même si elles parlent ici sous contrôle, et restent pieuses et chastes. C’est un pas, un pas de plus…

 

Raja Alem, Le collier de la colombe – Une voix d’Arabie Saoudite

 

Raja Alem, Le collier de la colombe ; La Cosmopolite Noire, Stock 2012, édition originale 2010, traduit de l’arabe (Arabie Saoudite ) par Khaled Osman, en collaboration avec Ola Mehanna ; 760 pages

vignette femmes du MondeUn roman écrit par une saoudienne est suffisamment rare pour qu’on lui prête attention, et un roman qui a obtenu l’Arabic Booker prize d’autant plus.

Le collier de la colombe est un roman foisonnant et difficile, aux multiples références, culturelles, religieuses qui nous sont en partie étrangères, sauf à s’intéresser à ces sujets de manière approfondie. Il exige une vraie patience du lecteur occidental moyen, mais aura de multiples résonances pour un érudit.

Le collier de la colombe (en fait le collier des colombes) renvoie au traité de l’amour et des amants d’Ibn Hazm (994-1064).

Il est le portrait magnifique de deux femmes Azza et Aïcha, qui tentent de se frayer une voie (une voix ?) dans une société aux multiples interdits, mais captives aussi de leur ville La Mekke (La Mecque) avec son atmosphère sacrée, ses énigmes qui empruntées à l’histoire du lieu, donnent au récit un aspect fantastique. Soit que le sacré impose ses visions, ou que les personnages soient victimes d’hallucinations.

Le foisonnement des intrigues et des personnages condamne le lecteur parfois à errer, à oublier, à sauter quelques pages, et à ne retenir que des fragments, à oublier un peu pourquoi il lit. Raja Alem écrit la multiplicité des moments dans une tentative qui ressemblerait un peu aux états de conscience de Virginia Woolf. Car il y a cette promesse au départ, d’une énigme policière puisqu’une femme est retrouvée assassinée dans un passage de la Mekke. Deux femmes ont disparu, laquelle des deux est morte, et qu’est devenue l’autre ? L’inspecteur Nasser, célibataire endurci, est chargé de l’enquête. Curieuse enquête d’ailleurs, que l’on a bien du mal à suivre, tellement elle s’entrecroise d’ une multitude d’événements. On voit que cette société est travaillée de courants , de contradictions, d’élans, et de désespoir, de bonheurs beaucoup plus rares.

Il y a aussi dans ce roman des aspects réalistes qu’on ne peut négliger, une analyse de la société saoudienne, la condition des femmes, la corruption, les inégalités criantes entre riches et pauvres pour ne pas dire miséreux. Une société qui ne cesse de faire le grand écart, entre la prostitution et la police religieuse qui sévit dans les rues de la ville, attentive aux vêtements et à la décence des femmes, les princes qui vivent dans un faste inouï et les miséreux qui vivent dans des décharges, et aussi la confrontation entre tradition (le respect scrupuleux des rites) et la modernité (les tours luxueuses, le marketing autour de ces lieux sacrés, internet). Le monde occidental devient si lointain et si proche pour des femmes qui ne peuvent voyager autrement qu’accompagnées, et à qui il est impossible dans leur propre pays de simplement conduire.

Aïcha avoue : « Nous avons grandi avec la peur du monde extérieur. Tu ne me croiras pas si je te dis que la femme que tu as soignée et que tu as accueillie chez toi ne s’est jamais trouvée seule à seul avec un homme étranger à sa famille, n’avait jamais marché dans une rue sans accompagnateur, ne s’était jamais isolée avec elle-même, n’avait jamais quitté la bulle de la peur pour tester ses propres limites… »

Mais malgré tout l’intérêt de ce roman, j’ai vraiment démérité, je ne saurais pas vraiment qui est mort et pourquoi, le mystère restera à jamais entier, même si je fus parfois touchée par la grâce de la plume de Raja Alem et de ses fulgurances.

Née à La Mekke en 1970, Raja Alem a fait des études de langue et littérature anglaises avant de publier une douzaine d’ouvrages : romans recueils de nouvelles, pièces de théâtre. Elle compte parmi les écrivains de langue arabe les plus importants de sa génération. Son dernier roman « Le collier de la colombe » publiée au Liban est à peine disponible en Arabie Saoudite.