Archives pour la catégorie Femmes tchèques et slovaques

Café Hyène de Jana Beňová Prix de littérature de l’Union européenne 2012

Résultat de recherche d'images pour "jana beňová café hyene"

Jana Beňová. Café Hyène. Un plan d’accompagnement. Texte intégral. Traduit du slovaque par Diana Jamborova Lemay. Le Ver à Soie. Virginie Symaniec éditrice 2015

Je voulais faire davantage connaissance avec ces voix distinguées lors du Prix de littérature de l’Union européenne dont les œuvres sont globalement peu traduites en français. Les voix de femmes sont pratiquement inaudibles car, c’est un fait, elles sont encore moins traduites. Et c’est vraiment dommage car ce prix vise à faire connaître la littérature de l’Europe et donc sa culture. Je suis curieuse de tous ces auteurs qui vivent si près de nous, de leur langue, de leur culture et de leur littérature.

Ce prix semble récompenser des œuvres originales, assez éloignées de l’académisme et de la littérature populaire.

Café Hyène est une déambulation intérieure, « une appropriation poétique subjective[1] » de la ville de Bratislava et de ses quartiers périphériques, que l’on découvre à travers les yeux de quatre jeunes slovaques, Elza, Rebeka et leurs deux compagnons, Ian et Elman.

Régulièrement leur voyage les conduit de la périphérie, vers le centre dans un café, le café Hyène, bondé de touristes et de gens aisés.

Ce centre, où  se promènent surtout des touristes : un des nombreux flâneurs qui habitent la vieille ville, slovaque lui,  confesse qu’on le paie pour se balader !  Ce tourisme de masse, cosmopolite, qui vide certaines capitales peu à peu de leurs habitants en provoquant une flambée des prix immobiliers, est le souffle de la mondialisation sur des pays dont l’ouverture au reste de l’Europe, est récente. Les pays de l’ancien bloc communiste ont accédé à l’économie de marché, et le bip, bip du scanner de codes barre enfle à mesure que progresse le récit.

Les déplacements des personnages tentent de relier des espaces en tension, entre le centre-ville préservé et les immenses cités dont fait partie Petržalka, « un endroit où le temps ne joue aucun rôle. Un endroit où vivent des créatures dont l’autre partie de la Terre pense qu’elles n’existent plus, qu’elles ont disparu. » Le post-socialisme n’a pas changé outre mesure la vie des habitants du quartier.

« Nous vivons avec Ian dans le ventre de Staline comme Pinocchio dans la baleine ». (p 82)

D’ailleurs, les amours d’Elza sont également nomades. Ces flux, et reflux, sont comme une respiration entre les différents espaces, tout au moins est-ce ainsi que je l’ai ressenti.

Pour ceux qui ne sont pas obsédés par la « ligne », car toute obsession peut conduire à la folie.

Elza écrit, elle tente de fixer sur le papier « son plan d’accompagnement », au fur et à mesure qu’elle déambule dans la ville.

Ce récit a beaucoup de charme, l’écriture est belle et les personnages attachants. Cela donne envie de bouger à son tour et d’aller voir ailleurs si on y est aussi.

Résultat de recherche d'images pour "bratislava" Résultat de recherche d'images pour "petržalka bratislava"

le centre                                                       Petržalka

Photos : réutilisation autorisée sans but commercial

[1] Alfrun Kliems, « « Localisme agressif » et « globalisme local » – La poétique des villes postsocialistes en Europe centrale », Revue des études slaves [En ligne], LXXXVI-1-2 | 2015, mis en ligne le 26 mars 2018, consulté le 14 août 2018. URL : http://journals.openedition.org/res/673 ; DOI : 10.4000/res.673

La femme du mois : Květa Legátová (1919-2012)

 

La Femme du moisNée en Moravie en 1919, Květa Legátová a fait à Brno des études de lettres et de sciences avant d’être affectée comme enseignante dans des zones montagneuses par les autorités communistes qui voyaient en elle « un cas problématique ». Pendant quelque temps, elle est institutrice à l’école de Stary Hrozenkov en Slovaquie morave. Expérience qui la marquera profondément et qui sera la source d’inspiration à laquelle puisera  son œuvre.
Au lycée, elle écrivait déjà de courtes pièces radiophoniques et poursuit cette activité jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. C’est par le pseudonyme Vera Podhorna qu’elle signe, en 1957, le recueil de contes intitulé « Les esquisses » et, en 1961, on trouve dans les librairies son roman « Korda Dabrova »Elle connaît un succès foudroyant au début des années 1990 avec la parution de son roman Želary. Le prix d’Etat pour la littérature est décerné à l’auteure à l’âge de quatre-vint-deux-ans.

LITTERAMA copieSources : éditeur et http://radio.cz

Květa Legátová – La Belle de Joza / République tchèque

Květa Legátová – La Belle de Joza, traduit du tchèque par Eurydice Antolin avec le concours de Hana Aubry, 2002, Editions Noir sur Blanc, collection Libretto, 2008 pour la traduction française, 157 pages.

Vignette femmes de lettresEliška est à l’aube d’une belle carrière, docteure en médecine, un amant marié mais bien en vue, et une vie assez confortable lorsque la guerre éclate. Elle s’engage alors dans la résistance à l’oppresseur nazi, et sert d’agent de liaison, mais après l’arrestation de ses contacts, elle doit se cacher. Qu’à cela ne tienne, un plan B lui permet d’échapper à la menace, il s’agit d’épouser un jeune homme, véritable force de la nature, mais à la compréhension limitée, blessé gravement dans une rixe sur son lieu de travail à la menuiserie et qu’elle a soigné à l’hôpital.
Alors commence l’exil dans un petit village perdu dans les montagnes, aux mœurs d’un autre temps, à la misogynie féroce, et au confort plus que spartiate.
Ce voyage semble être celui d’une régression. La jeune femme perd tous les progrès liés à la condition féminine, oublie ses aspirations intellectuelles, et renoue avec les tâches ancestrales des femmes : coudre, cuisiner, travailler la terre.
Mais ce qui s’annonçait sous les auspices de la perte, va lui permettre de retrouver son identité, et de manière cathartique, de renouer avec un passé traumatique.
L’expérience qu’elle fait de l’amour et de la tendresse inconditionnels de Joza, lui permet de se reconstruire, d’oublier sa cérébralité et de renouer avec son corps. Elle abandonne tous les remparts et les défenses construits grâce à son intellectualité.
Elle retrouve le lien avec les forces primitives, la nature, et la spiritualité, tel ce vent qui souffle sans discontinuer dans les montagnes.
On retrouve ici toute la symbolique de la Belle et la Bête, et le dépassement de la dualité de l’être, corps/esprit, masculin/féminin. Le voyage dans les montagnes est un voyage initiatique vers soi-même. Et bien sûr tous les éléments des contes existent dans ce récit : la forêt profonde où l’on se perd, la source d’au vive qui ajoutent au symbolisme de l’œuvre. Toutefois il peut également être perçu comme un conte naturaliste car la description minutieuse et réaliste de la vie des habitants a aussi une valeur ethnographique.
Qu’adviendra-t-il de cet amour ? Cette parenthèse enchantée saura-t-elle résister à la violence de la guerre ?

LITTERAMA copieC’est une très jolie nouvelle, poétique et inspirée. Une belle découverte…