Archives pour la catégorie Femmes américaines

Paroles de poétesse : Anne Sexton

Anne Sexton, détail

« Si j’écris rats et je découvre que rats lit star à l’envers […] alors est-ce que star n’est pas vrai ? […] Je sais bien sûr que les mots sont un jeu qui raconte, je le sais jusqu’à ce qu’ils commencent à s’arranger de sorte qu’ils écrivent quelque chose mieux que je ne pourrais jamais le faire. […] Tout ce que je suis est l’artifice des mots s’écrivant eux-mêmes. » Lettre au Dr Orne, D. W. Middlebrook p 82

 » If I write RATS and discover that rats reads STAR backwards […] then is star untrue ? Of course, I KNOW that words are just a counting game, I know this until the words start to arrange themselves and write something better than I would ever know. […] All I am is the trick of words writing themselves. »

Anne Sexton, « Tu vis ou tu meurs », oeuvres poétiques (1960-1969) » bientôt disponible en France

Et nous sommes de la magie se parlant à elle-même,

bruyante et solitaire. Je suis la reine de tous mes vices

oubliés. Suis-je toujours égarée ?

Jadis j’étais belle. Maintenant je suis moi-même,

comptant des mocassins rangée après rangée

sur l’étagère muette où ils continuent d’espérer

Cela faisait des années que j’attendais cela, et ce sont les Edition « des femmes – Antoinette Fouque » qui ont réalisé ce rêve de voir enfin traduites, en France, les oeuvres poétiques d’Anne Sexton ! Prix Pulitzer en 1967 pour « Live or Die », immense poétesse qui devint une figure marquante du confessionalisme américain incarné par le poète Robert Lowell, Anne Sexton(1928-1977) est l’autrice d’une oeuvre poétique composée de plus d’une dizaine de recueils. Elle s’est vue décerner de nombreux titres honorifiques dans des universités telles que Harvard, Colgate ou encore Boston.

Son style est novateur et transgressif, d’une incroyable modernité, les menstruations, l’avortement, le lien matriciel ou l’inceste et la psychanalyse sont parmi les thèmes de cette poésie iconoclaste. Poétesse tourmentée, à la biographie parfois polémique (voir Diane Wood Middlebrook, Anne Sexton, a biography), qui finira par se suicider, à l’instar de Sylvia Plath, et dont le poème « Mercy Street » a fait l’objet d’une chanson par Peter Gabriel, son oeuvre mérite d’être davantage connue en France.

Le 13 janvier 2022 paraîtra « Tu vis ou tu meurs », oeuvres poétiques (1960-1969) », traduit de l’anglais par Sabine Huynh, et présenté par Patricia Godi. Cette édition réunit les quatre premiers recueils d’Anne Sexton (1928-1977) publiés dans les années soixante.

« Chaque être en moi est un oiseau.
Je bats toutes mes ailes.
Ils voulaient te retrancher de moi
mais ils ne le feront pas.
Ils disaient que tu étais infiniment vide
mais tu ne l’es pas.
Ils disaient que tu étais si malade que tu agonisais
mais ils avaient tort.
Tu chantes comme une écolière.
Tu n’es pas déchirée. »
A. S., Pour fêter ma matrice

Anne Sexton

Vendela Vida – Se souvenir des jours heureux/ Ou l’utopie du bonheur

Vendela Vida – Se souvenir des jours heureux (The lovers, 2010) –  pour la traduction française, Adèle Carasso, Albin Michel , 2011

Yvonne, veuve depuis peu, accepte l’invitation de ses enfants à les rejoindre  pour une croisière en Méditerranée.  Auparavant, elle passera une semaine seule à Datça, sur la côte turque, où elle avait séjourné avec son mari pour leur lune de miel.

Ce séjour ravive en elle le souvenir des jours heureux, désormais enfuis. Son séjour sera jalonnée de rencontres, notamment celle d’un petit garçon pêcheur de coquillages…

J’avais acheté ce livre lors d’un des derniers Festival America, un peu au hasard, sans connaître ni l’autrice, ni son œuvre.

Ce roman est déconcertant à plusieurs égards. Peut-être le foisonnement des questions qui l’habitent instaure-t-il une fome digressive dans le récit qui le rend un peu bancale ou un peu étrange.

Finalement, se souvenir des jours heureux pourrait être vain, le bonheur étant une utopie rarement atteinte. Certes, Yvonne a aimé son mari mais les tensions dans leur couple, les non-dits, leurs échanges conflictuels à propos de leur fille rebelle et fragile, mais aussi de leur fils, ont-ils altéré profondément leur mariage.

De même Datça, sorte de paradis perdu, se révèle-t-il le lieu de toutes les contradictions entre l’orient et l’occident. Ce qu’elle avait ignoré à l’époque, les rapports économiques, de domination, une forme d’exploitation à travers le tourisme, la pauvreté, soudain parviennent à sa conscience. Elle se heurte à l’animosité de certains turcs et finit par prendre conscience d’une forme d’arrogance de cet occident qu’elle représente.

« Vous les Américains. Vous pensez toujours que tout est lié à vous. Que tout – bon ou mauvais – vient de vous. »

Ce voyage est un voyage initiatique dans lequel elle va finir par se trouver elle-même, loin des clichés, avec sa part de solitude mais peut-être un peu plus libre qu’avant.

Une lecture agréable mais sans plus.

Why should you read Toni Morrison’s “Beloved”? Yen Pham et Héloïse Dorsan Rachet

Réalisé par ma chère fille, dont j’adore le travail, les dessins et l’univers. Sur cette œuvre majeure de Toni Morrison.

Paru en 1987, se situant après la guerre de Sécession américaine, il aborde l’histoire de l’esclavage à travers l’histoire de Sethe, une ancienne esclave, hantée par le fantôme de sa fille. Cette histoire est inspirée de la vie de Margaret Garner, une esclave afro-américaine qui échappa à l’esclavage fin janvier 1856 et s’est réfugiée dans l’Ohio, Etat libre.

« Sethe est une ancienne esclave qui, au nom de l’amour et de la liberté, a tué l’enfant qu’elle chérissait pour ne pas la voir vivre l’expérience avilissante de la servitude. Quelques années plus tard, le fantôme de Beloved, la petite fille disparue, revient douloureusement hanter sa mère coupable. Loin de tous les clichés, Toni Morrison ranime la mémoire, exorcise le passé et transcende la douleur des opprimés. » Editions 10/18

Maya Angelou – Rassemblez-vous en mon nom.

Rassemblez-vous en mon nom – Maya Angelou, traduit le l’anglais « Gather Together in my Name »(1976) (Etats-Unis) par Christiane Besse, Les éditions Noir sur Blanc, 2020

Longtemps traduite par une maison d’édition canadienne, Les Allusifs, les éditions Noir sur Blanc rééditent cet opus autobiographique de Maya Angelou ou Marguerite Johnson de son vrai nom.

Je la connaissais de loin, de nom, bien sûr, mais je ne l’avais jamais lue, jamais rencontrée dans ses mots, dans sa chair faite verbe. Je savais d’elle qu’elle était poétesse, elle avait lu un de ses poèmes à l’investiture de Bill Clinton, il me semble, écrivaine ( elle a intégré le  « Harlem Writers Guild », son œuvre étant pour une large part autobiographique (mais quelle vie !), militante pour les droits civiques, enseignante et réalisatrice. Ce fut James Baldwin qui la poussa à écrire, et la force de son témoignage sert de mémoire aux générations d’aujourd’hui.

D’elle je ne saurai jamais si elle a vraiment été heureuse, mais sa vie est pleine de sens, orientée par sa créativité et la force de ses combats.

D’ailleurs, elle confie à un journaliste « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Et certainement,  il faut lire cette formidable interview publiée par le journal La Croix.

« Rassemblez-vous en mon nom », raconte la période de sa vie qui débute à 17ans, après la naissance de son premier enfant, alors qu’elle cherche à quitter la maison familiale pour être autonome et gagner sa vie.

Je ne sais pas si tout est exactement autobiographique,  mais quelle verve en tout cas ! Le récit est émaillé d’événements rocambolesques, et j’avoue que j’ai bien ri parfois, tant elle excelle à raconter la naïveté et l’arrogance de cette jeune femme, qui dans la dureté de ce monde, côtoie la prostitution, la drogue, le jeu et la misère sociale avec une forme d’insouciance et de naïveté, qui donne une certaine légèreté au récit tout en dénonçant l’absurdité, la violence, et l’arbitraire d’un système ségrégationniste. Le monde qu’elle décrit, est un monde « séparé », une frontière invisible relie le monde des Blancs à celui des Noirs, matérialisé seulement parfois par une ligne de chemin de fer. La ségrégation condamne les afro-américains à la misère, au désespoir et à l’exploitation des frères de misère. Elle raconte avec une certaine ironie, comment le destin de ces derniers semble lié aux sociétés de chemins de fer, qui est un des rares bassins d’emploi, mais où des travaux subalternes les maintiennent dans la pauvreté, leur seule richesse étant de manger leur nourriture chiche dans de la vaisselle de choix héritage de ces compagnies.

Je ne sais pas si c’est un bon livre, j’ignore encore ce que j’en retiendrai, en dehors de la rencontre, mais je suis heureuse, vraiment, d’avoir fait la connaissance de Maya Angelou.

Maya Angelou – « Un feu d’invincible joie, qui anéantit l’adversité et embrase la combativité » Christiane Taubira

Publié pour la première fois en 1974, sous le titre « Gather Together in my Name », Les éditions Noir et Blanc réédite en 2020 ce texte autobiographique.

La guerre des Scarlett

Nous avons pu lire dans la presse ou écouter à la radio différentes chroniques ou des brèves relatant les conflits qui opposent les deux maisons d'éditions Gallmeister et Gallimard pour la réédition du texte (la première édition date de 1939) tombé cette année dans le domaine public mais  publié à l'origine par Gallimard, et la polémique qui n'a cessé d'enfler suite au retrait - pour "contextualisation" du film "Autant en emporte le vent." - réalisé par Victor Fleming - d'une plate-forme de streaming.

Gallmeister réédite le texte, événement salué par la critique, en plusieurs volumes dans une nouvelle traduction portée par Josette Chicheportiche qui a dû travailler pendant une année afin de revisiter l’oeuvre et la façon jugée scandaleuse d’évoquer les rapports raciaux dans le sud des Etats-Unis.

Le passionnant dossier de presse fourni par Gallmeister explique les choix de traduction dans son rapport au texte original. Là où le traducteur historique avait élidé tous les « r », Josette Chicheportiche choisit de coller au plus près du roman de l’autrice..

Gallimard pour sa part conserve la traduction originale de Pierre-François Caillé (1907- 1979) mais la fait suivre, dans sa collection Folio, d’une édition augmentée où figure la correspondance du traducteur avec Margaret Mitchell.

Dans les exemples fournis par l’éditeur, « Scarlet was not beautiful » traduit dans la première édition : « Scarlett n’était pas d’une beauté classique », devient tout simplement « Scarlett n’était pas belle ».

La réédition de Gallimard et celle de Gallmeister

Je déplore, quant à moi, que « Voyage au bout de la nuit » parfaitement nauséabond, ne soit pas, lui aussi, recontextualisé. C’est ma première réaction.. Je trouve vraiment intéressant que l’oeuvre soit retraduite, cela permet de gommer les outrances, et le défaut de perspective mais on ne pourra pas oublier le contexte de l’époque qui est celui de l’esclavage.

Je comprends également que des stéréotypes raciaux véhiculés à travers des œuvres patrimoniales dont l’audience est très large, contribuent à les véhiculer et à les enraciner dans l’inconscient collectif. Il ne faut pas oublier qu’ils sont tellement prégnants qu’un homme et son fils ont été tués alors qu’ils faisaient simplement du jogging. Et cela, c’est proprement insupportable. On ne pourra pas dire qu’ils ont été emportés par le vent, si ce n’est celui, sifflant, d’une balle.

Charlotte Perkins Gilman – Herland – Une des plus grandes utopies féministes à découvrir de toute urgence…

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Charlotte Perkins Gilman – Herland – Pavillon poche – Robert Laffont, 2016 et 2019 pour la présente édition. Traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner.

Charlotte Perkins Gilman, dont j’ai déjà parlé ici, crée, grâce à ce roman, une utopie féministe sans concessions, qui influencera plus tard, selon Alberto Manguel, la génération qui suivit l’œuvre de Betty Friedan, en l’occurrence Les Gurérillères de Monig Wittig en 1963, The Handmaid’s Tale de Margaret Atwood en 1985, et The cleft de Doris Lessing.

Elle imagine une société, où ce que l’on appelle aujourd’hui les valeurs virilistes , c’est-à-dire, la compétition, la rivalité, la prédation, et l’usage de la force pour l’obtenir, n’ont plus cours.

Trois américains découvrent sur un haut plateau un petit pays, pas plus grand que la Hollande. Les homme en ont disparu depuis très longtemps et une société féminine, dont la perpétuation se fait par parthénogenèse, et possédant un très haut niveau d’organisation et de culture, s’est fortement structurée autour de valeurs de partage, de solidarité et de coopération. La maternité y est sacrée mais elle n’est pas la voie exclusive des femmes car la plupart d’entre elles ont une seule fille. Ce qui leur permet de satisfaire leurs aspirations. N’oublions pas qu’à l’époque de Gilman la contraception est peu efficace, quand elle existe. Cette société est gouvernée par une « Land Mother », sorte de figure un peu tutélaire, assez peu démocratique en fait.

Les femmes exercent toutes les professions, n’ont aucune faiblesse congénitale, sont sportives et musclées et ne pratiquent pas la minauderie ! Cette mise en situation permet une critique de l’éducation des filles dans la société de son temps.

L’éducation est très fortement investie et la pédagogie, visant à faire de chacune une citoyenne éclairée et membre à part entière de la communauté, est une véritable science. C’est une société du partage et non de la concurrence. Les femmes de cette fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ne participent que très peu au monde intellectuel et économique. La critique sociale de Gilman permet de mettre en relief les inégalités dues au patriarcat.

La question que je me suis posée est celle de savoir comment auraient évolué les femmes dans nos sociétés s’il n’y avait pas eu le patriarcat. Sont-elles, par nature, plus éducables, plus compréhensives, plus solidaires ? Ou est-ce seulement une question d’éducation ? Beaucoup de questions qui agitent le féminisme, mais aussi la pensée en général. Hommes et femmes, sommes-nous si différents ? Pour ma part, je ne le crois pas. On peut modeler le corps des femmes par le sport, et le mouvement, les rendre plus aguerries et plus fortes, comme on peut éduquer l’usage de la force chez les hommes. Dans les groupes où les femmes sont en majorité, je n’ai pas remarqué qu’elles étaient plus pacifiques ni plus bienveillantes. Elles sont juste humaines.

Un livre vraiment intéressant, quelques longueurs parfois, de très belles réflexions mais parfois aussi ces femmes s’avèrent trop parfaites, et cela m’a questionné également.

Ce livre a paru d’abord sous forme de feuilleton dans le magazine de Gilman dont elle rédigeait non seulement les articles mais aussi les annonces publicitaires.

Les Testaments – Margaret Atwood/ Eblouissant !

Les testaments

Testaments – Margaret Atwood – Collection Pavillons – Robert Laffont, octobre 2019

 Lorsque j’ai appris la sortie de ce nouvel opus du chef-d’œuvre dystopique de Margaret Atwood « La servante écarlate », je me suis demandé pourquoi l’autrice avait ressenti le désir d’écrire cette suite : une série télévisée s’en était chargée avec brio, malgré quelques critiques cependant sur une forme de surenchère dans la cruauté et la violence du système totalitaire de Galaad.

Mais Margaret Atwood, dans ses remerciements, à la fin de l’ouvrage, ne manque pas d’adresser ses plus vifs remerciements aux « équipes MGM et de Hulu qui ont adapté le livre en une captivante série télévisée, magnifiquement réalisé et maintes fois primée ».

Mais il est à noter qu’elle ne mentionne que l’adaptation du roman et non la suite.

Parce que la patronne, c’est elle, et la suite sera la sienne !

Mais quid de cette suite ? Est-il encore possible de maintenir la même tension, le même suspense et la même émotion  ?

Le récit se situe quinze ans après « la servante écarlate » dans un régime théocratique corrompu, dont les rouages impitoyables assassinent, torturent et réduisent au silence tous ceux et surtout toutes celles qui lui résistent.

Testaments, est le récit de trois femmes dont l’une est la fondatrice du système, et les deux autres  deux jeunes filles dont l’une a été élevée à Galaad, et l’autre au Canada.

Les destins de ces trois femmes vont être réunis sous le sceau du secret, dans une lutte clandestine et souterraine, éminemment dangereuse qui pourrait les broyer.

Je n’en dirais pas plus, parce qu’il ne faut rien savoir  afin de pouvoir se laisser porter par le récit.

Selon Margaret Atwood, il s’agissait de répondre à une question récurrente qui lui était posée : « Comment Galaad s’est-il disloqué ? »

Testaments y apportent une réponse.

« Il arrive que les totalitarismes s’effondrent, minés de l’intérieur, parce qu’ils n’ont pas réussi à tenir les promesses qui les avait portés au pouvoir ; il se peut aussi qu’ils subissent des attaques venues de l’extérieur ; ou les deux. Il n’existe pas de recette infaillible, étant que très peu de choses dans l’histoire sont inéluctables. »

 Il s’agit selon moi d’un récit virtuose, qui ne vous lâche pas, dont le suspense est haletant et vous fait vibrer jusqu’à la dernière page.

Je vous le dis, Margaret Atwood voulait avoir le dernier mot. Et elle l’a eu dans cette suite éblouissante.

Toni Morrison s’en est allée de ses pas ailés…

Nous apprenons la disparition, à l’âge de 88 ans, de cette immense autrice que fut Toni Morrison.

D’elle, j’ai lu Home et Beloved …

Paroles de femmes : Toni Morrison

 

La fille tatouée – Joyce Carol Oates – La dialectique du maître et de l’esclave, un roman souvent controversé.

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La fille tatouée – Joyce Carol Oates, ,Le livre de poche  2008 (Stock), 416 pages

La fille tatouée s’appelle Alma ; elle échoue à Mount Carmel Avenue, comme une « épave qui aurait flotté de la ville en contrebas jusqu’à ce quartier vallonné de petites boutiques, de boulangeries et de restaurants de luxe ». Elle sait à peine lire, et semble complètement dénuée de curiosité intellectuelle. Son regard est vide et sans expression, dans un visage jeune, sensuel, à la peau très blanche. Mais elle dégage une sorte de puissance érotique qui ne laisse pas les hommes indifférents. Pauvre, abandonnée, elle semble une proie facile.

Qui aurait pu deviner que Joshua Seigl, frisant la quarantaine, écrivain riche et renommé, mais dévoré par un puissant sentiment de culpabilité (celle des survivants de l’Holocauste peut-être), allait poser les yeux sur elle, alors qu’il a la réputation d’un séducteur qui plait aux femmes ?

Comment deux êtres aussi différents vont-ils pouvoir communiquer, voire se comprendre ?

Joshua lui offre un poste, persuadé de sa propre générosité. Alma va accepter , vite rongée par des sentiments violents et contradictoires. Pour tout dire, elle se sent idiote à côté de lui ; elle ressent encore davantage son manque d’éducation et sa misère. Elle en veut passionnément à cet homme d’être juif, riche et estimé et va ruminer des idées de vengeance.

Joshua, quant à lui, ne craint plus d’être jugé par un de ses pairs. Il sait que le monde qu’il représente ne l’intéresse pas. Il se sent attiré par elle mais ne sait pas comment lui parler sans l’embarrasser ou la blesser. Il accumule les maladresses.

Chacun porte en lui une faille, une faiblesse qui va remettre en cause toutes les certitudes et un jour tout va basculer…

Pour l’auteure, « Ecrire, c’est montrer comment les êtres négocient avec la violence ».

Ce roman est magistral ! Féroce aussi ! A partir de la dialectique du maître et de l’esclave –on pense au superbe film de Joseph Losey, The servant – Joyce Carol Oates brosse avec une grande finesse le portrait d’une Amérique coupée en deux, où riches et pauvres ne se rencontrent jamais, voire s’ignorent. Elle peint le mépris de l’élite cultivée et urbaine pour les exclus de la société ultra-libérale, sûre de son pouvoir et de son bon droit. Elle fait basculer deux univers par une simple rencontre !

J’aime énormément cette auteure dont j’ai déjà lu plusieurs livres, sa finesse, sa psychologie des personnages, sa maîtrise de la narration. Lorsque je lis un de ses livres, je ne le lâche plus.

Féminin/masculin Littératures et cultures anglo-saxonnes

Féminin/masculin: Littératures et cultures anglo-saxonnes par [Collectif, Marret, Sophie]

Présentation de l’éditeur

« Les textes réunis dans ce volume rendent compte de la diversité des questions soulevées par les rapports féminin/masculin, en un temps où la participation des femmes à la vie de la cité est devenue d’une actualité brûlante, où l’analyse renouvelée de la notion d’identité (et d’identité sexuelle) se trouve au cœur des débats philosophiques. Le développement des études féministes a conduit à examiner les représentations de la femme dans la presse, les arts et les lettres ainsi qu’à s’interroger sur les marques du féminin dans l’écriture, questions dont il convenait d’esquisser un bilan quelque trente ans après le tournant décisif pris par les revendications des femmes dans les années soixante-dix. Les articles présentés dans l’ouvrage Féminin/masculin, sélectionnés à la suite du congrès de la Société des anglicistes de l’enseignement supérieur qui s’est tenu à Rennes en mai 1998, permettent d’aborder ces questions à partir d’études précises, qui interrogent spécifiquement les littératures et les cultures anglo-saxonnes. »

Accès au texte – cliquez ici !

L’auteure du mois (Décembre) – Ann Bradstreet (1612-1672), première poétesse américaine

L’auteure du mois : Ann Bradstreet (Northampton, Angleterre, 1612- North Andover, Massachussets, 1672). Bien qu’elle n’aille pas à l’école, elle reçoit une excellente éducation, ce qui était assez rare à l’époque ; son père est appelé « le dévoreur de livres ». Elle bénéficie de la tradition Élisabéthaine qui encourage la culture féminine[1].

Née en Angleterre, elle épousa à seize ans Simon Bradstreet et s’installa en 1630 en Nouvelle-Angleterre en compagnie de son mari et de ses enfants[2]. Son père, Thomas Dudley, devint gouverneur de la Massachussets Bay Colony, Simon Bradstreet fut lui aussi nommé Gouverneur. En 1640, elle eut le premier de ses huit enfants. Elle abandonne le confort d’une vie d’aristocrate contre la rude vie des colonies.

Son mari étant fréquemment absent, elle passe ses jours et ses nuits à lire, dévorant la vaste collection de livres de son père : elle lit Thucydide, Plutarque, Ovide, Suétone, Homère, Hésiode, Milton et Hobbes. Elle possédait une vaste culture qui embrassait autant la religion que les sciences , l’histoire, l’art ou la médecine.

On dit que sa bibliothèque rassemblait plus de 800 ouvrages !

Ses premiers poèmes sont assez conventionnels, basés sur des sujets domestiques et religieux mais reflètent les conflits émotionnels et religieux qui l’agitent en tant que femme écrivain et les prescriptions rigoristes du puritanisme qui s’opposent à sa vocation. La sensualité, les beautés et les plaisirs du monde terrestres s’opposent souvent à l’expérience domestique et les promesses de la religion d’une vie au-delà. Si ses poèmes traduisent sa foi, ils expriment aussi, de manière ambivalente, les tensions entre l’âme et le corps.

La première édition de ses poèmes, subtilisés par son beau-frère, se fit en Angleterre en 1650 sous le titre  The Tenth Muse Lately Spung up in America. Plus tard reconnus comme les siens, de l’avis de ses homologues masculins, prouvaient qu’une femme éduquée pouvait produire des œuvres considérées comme socialement acceptables par les hommes. Il fallut attendre 1678 pour qu’elle soit publiée à Boston, devenant ainsi la première poétesse anglaise des Etats-Unis. La plupart de ses poèmes sont influencés par sir Philip Sidney et par le poète français Du Bartas. Elle publia aussi des discours poétiques sur la symbolique des quatre saisons, un dialogue entre la métropole et la Nouvelle-Angleterre ainsi qu’une histoire en vers fondée sur History of the world de Raleigh. Sa réputation reste cependant liée à des poèmes plus tardifs et plus courts, où elle se montre plus personnelle et moins dépendante des conventions poétiques, ainsi ce poème sous forme de sonnets élisabéthains.

To my dear and loving husband[3]

If ever two were one, then surely we.

If ever man were loved by wife, then thee.

If ever wife was happy in a man,

Compare with me, ye women, if you can.

I prize thy love more than whole mines of gold,

Or all the riches that the East doth hold.

My love is such that rivers cannot quench,

Nor ought but love from thee give recompense.

Thy love is such I can no way repay;

The heavens reward thee manifold, I pray.

Then while we live, in love let’s so persever,

That when we live no more, we may live ever.

[1] https://www.poetryfoundation.org/poets/anne-bradstreet

[2] Dictionnaire des femmes célèbres, article, Lucienne Mazenod, Ghislaine Schoeller, Robert Laffont, paris 1992

[3] https://www.poetryfoundation.org/poems/43706/to-my-dear-and-loving-husband

Photo : GNU Free Documentation License

Vidéo : E comme esclavage : un devoir de mémoire… Festival America

J’avais pris pas mal de notes mais j’ai découvert la vidéo, et c’est certainement mieux de la proposer à ceux que le sujet intéresse. On y retrouve Yaa Gyasi, l’autrice de « No home » et notre flamboyante ancienne ministre, Christiane Taubira. Sans compter Dany Laferrière, éminent écrivain.

Yaa Gyasi – No home / Une saga à couper le souffle !

Yaa Gyasi – No home (2016, Homegoing) – Calmann-Lévy, 2017 pour la traduction française, traduit de l’anglais ((Etats-unis), par Anne Damour

Dans notre monde de blogueurs, la lecture et l’écriture sont intimement mêlées, elles s’épousent l’une l’autre, et se tissent d’échos, dont la source est notre monde intérieur et la façon dont la lecture des autres, la rencontre des livres, donnent jaillissement à notre propre fond.

C’est ce que nous donnons à lire parfois.

Le roman de Yaa Gyasi est de ceux qui a suscité chez moi une grande émotion, et de grands bouleversements intérieurs qui tiennent essentiellement à la façon dont je suis en ce monde, reliée aux autres et surtout à ma fille, immense amour.

C’est ainsi qu’elle se dessine :

art - Copie

Elle dessine aussi souvent dans ce blog.

La lecture du roman de Yaa Giasi a été souvent douloureuse et magnifique. J’aurais pu serrer les poings, de rage, et d’impuissance, face à ce qui a été, qui ne peut être changé et qui nous constitue ma fille et moi à travers le mélange des peaux, des gênes, des histoires vécues avant nous. Notre mémoire porte la trace de ces déracinements, de ces arrachements. Et moi, blanche, mon âme s’est noircie irrémédiablement. Avec bonheur, et parfois aussi autre chose.

Car c’est l’histoire de deux femmes, de deux destins, qui les conduira de l’Afrique aux Amériques, en ce XVIIIe siècle qui n’est pas seulement celui des Lumières.

En effet, au XVIIIe siècle, sur la Côte-de-l’Or, au plus fort de la traite des esclaves, deux femmes Effia Otcher et Esi Asare, nées de la même mère, voient  leurs destins se nouer dans le même lieu (même si elles ne se rencontreront jamais),  à Cape Coast, dans le fort souterrain, où s’entassent les corps des esclaves, par centaines, dans des conditions inhumaines, et au-dessus, dans la lumière, face à la mer, dans les appartements, et puis plus tard dans une petite maison, où le mariage du capitaine du fort, Jame Collins, et de Effia otcher donne naissance à Quey Collins écartelé par ce métissage et par la violence de la traite.

Le métissage en ces temps, n’avait rien de la rencontre heureuse et souhaitée, elle portait la marque de la brisure. On ne mesure pas le poids, dans l’inconscient collectif, de cette histoire du métissage. Et chez nous, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, en portent encore les stigmates.

Ces destins broyés de génération en génération, dont les séquelles se font encore sentir dans la société américaine, témoignent de la barbarie, de la folie au cœur des hommes.

Yaa Giasi n’élude pas la responsabilité des africains, dont les guerres tribales incessantes, attisées par les anglais, ont fourni des esclaves au système de la traite. Et je crois que c’était la première fois que je lisais, dans un roman, l’évocation de ce système.

Une autre blogueuse, Carole dit bien la respiration de cette lecture, de ce souffle que l’on retient, de cette temporalité incertaine.

 

Brad Watson – Miss Jane/ Découverte Festival America 2018

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« Miss Jane, c’est moi », a déclaré Brad Watson au Festival America.

« Miss Jane » est un roman d’une grande délicatesse, d’une excessive pudeur, et pourtant d’une honnêteté remarquable. Car si Jane urine ou défèque dans ses jupes c’est avec la plus grande dignité. Victime de son « cloaque persistant ».

Ce personnage lui a été inspiré par sa grand-tante Mary Ellis «Jane» Clay, qui toute sa vie souffrit d’incontinence urinaire.

« Je me suis posé de grandes questions avant d’entrer dans la peau de cette femme. C’est le livre qui va permettre cette entrée dans le personnage. »

En effet, lorsque Jane Chisolm vient au monde en 1915, dans une petite ferme du Mississippi, le docteur Thompson s’aperçoit qu’elle n’est pas tout à fait comme les autres : elle ne s’est pas formée totalement.

Le livre est la quête de ce mystère. Pourquoi est-elle différente ? L’absence de ce qui n’est pas est toujours indirectement évoqué, enfoui dans le secret des jupons. Nous n’y avons pas accès, pour respecter la pudeur de Jane peut-être, nous laisserons les jupes virevolter autour de ses jambes nues. Nous aurons seulement droit à la brochure illustrée de l’anatomie féminine, mais dont on aura enlevé toutes les illustrations.

Libre dans la nature, à l’abri du regard des hommes, ou claquemuré dans un appartement dont elle peut rarement sortir, Jane vit un perpétuel exil.

C’est bien le sens du lieu, de la nature, comme les serpents, les marais qui vont donner leur place aux personnages et le rapport d’identification qu’ils permettent. « Ils font le lien entre les personnages et moi » explique l’auteur.

Cela représente, pour l’héroïne, le lieu dont elle ne peut sortir, s’enfuir, pour incarner sa vie, son devenir.

Les années passant, le cercle déjà étroit de ses relations et de sa famille se rétrécissant jusqu’à devenir peau de chagrin, elle devra affronter l’inexorable solitude.

Pourtant Miss Jane est aussi un roman d’émancipation, la conquête d’une certaine dignité, un acte de bravoure qui consiste tout simplement à vivre.

Un très beau roman, lu avec Nadège.

L’avis de Nadège, « Les mots de la fin »