Archives pour la catégorie Attention pépite !

Anne Sexton, « Tu vis ou tu meurs », oeuvres poétiques (1960-1969) » bientôt disponible en France

Et nous sommes de la magie se parlant à elle-même,

bruyante et solitaire. Je suis la reine de tous mes vices

oubliés. Suis-je toujours égarée ?

Jadis j’étais belle. Maintenant je suis moi-même,

comptant des mocassins rangée après rangée

sur l’étagère muette où ils continuent d’espérer

Cela faisait des années que j’attendais cela, et ce sont les Edition « des femmes – Antoinette Fouque » qui ont réalisé ce rêve de voir enfin traduites, en France, les oeuvres poétiques d’Anne Sexton ! Prix Pulitzer en 1967 pour « Live or Die », immense poétesse qui devint une figure marquante du confessionalisme américain incarné par le poète Robert Lowell, Anne Sexton(1928-1977) est l’autrice d’une oeuvre poétique composée de plus d’une dizaine de recueils. Elle s’est vue décerner de nombreux titres honorifiques dans des universités telles que Harvard, Colgate ou encore Boston.

Son style est novateur et transgressif, d’une incroyable modernité, les menstruations, l’avortement, le lien matriciel ou l’inceste et la psychanalyse sont parmi les thèmes de cette poésie iconoclaste. Poétesse tourmentée, à la biographie parfois polémique (voir Diane Wood Middlebrook, Anne Sexton, a biography), qui finira par se suicider, à l’instar de Sylvia Plath, et dont le poème « Mercy Street » a fait l’objet d’une chanson par Peter Gabriel, son oeuvre mérite d’être davantage connue en France.

Le 13 janvier 2022 paraîtra « Tu vis ou tu meurs », oeuvres poétiques (1960-1969) », traduit de l’anglais par Sabine Huynh, et présenté par Patricia Godi. Cette édition réunit les quatre premiers recueils d’Anne Sexton (1928-1977) publiés dans les années soixante.

« Chaque être en moi est un oiseau.
Je bats toutes mes ailes.
Ils voulaient te retrancher de moi
mais ils ne le feront pas.
Ils disaient que tu étais infiniment vide
mais tu ne l’es pas.
Ils disaient que tu étais si malade que tu agonisais
mais ils avaient tort.
Tu chantes comme une écolière.
Tu n’es pas déchirée. »
A. S., Pour fêter ma matrice

Anne Sexton

Les saisons de l’amour / Clémentine Beauvais – Songe à la douceur

Un jeu un peu torturé de chronique en vers libre ! 🙂

Clémentine Beauvais accomplit un tour de force littéraire et un travail formel de grande ampleur à travers ce roman en vers libre inspiré de l’œuvre d’Alexandre Pouchkine.

Elle parvient à traduire dans un récit universel, les troubles, les atermoiements et les émerveillements du sentiment amoureux à travers les personnages de Tatiana et Eugène qui se rencontrent au début de l’adolescence, se perdent lors d’un événement tragique pour se retrouver par hasard dix ans après.

Une petite merveille littéraire qui continue de faire son chemin, en livre de poche, et a permis selon certains de « secouer la littérature », de réconcilier poésie et roman, de faire sentir la musicalité et le rythme de la langue, tout en jouant avec délectation avec l’histoire littéraire et la mise en réseau du patrimoine et matrimoine littéraire.

Elle prouve aux jeunes et aux moins jeunes que la culture n’est pas ennuyeuse, que des liens se tissent entre les œuvres, de manière parfois souterraine, et qu’à travers le temps et l’espace les thèmes sont universels.

La réflexion sur la forme et son possible carcan, surgit au détour de cette lettre d’amour écrite par Tatiana, convoquant les vers de Ronsard, Charles Baudelaire, Victor Hugo, Aragon, Arthur Rimbaud, Marie-Hortense de Villedieu et quelques autres. Le personnage s’interroge à la fin de cet exercice épistolaire :

 » Parfois, s’aperçoit-elle, on veut trop bien faire,

Faire alexandrin quand on peut faire libre. Faire rime quand on peu faire résonance. Faire écrit quand on peut faire ému. »

L’autrice crée un univers romanesque et poétique dans lequel la forme ne sacrifie ni au fond, ni à l’émotion.

Toute une réflexion passionnante sur le fond et la forme, sur les contraintes d’écriture, (que l’on songe à l’OULIPO par exemple), qui selon certains stimulent la créativité et selon d’autres épuisent le fond, ce que l’on a à dire, en faveur de la forme (la façon de le dire), en contraignant la pensée à enfiler un costume parfois trop étroit.

Un pur bonheur de lecture.

Je viens d’apprendre que ce roman est adapté au théâtre par Justine Heynemann avec six jeunes comédien·nes et musicien·nes de la compagnie Soy.

ARTCENA – Catherine Benhamou présente « Romance »

Accabadora de Michela Murgia

Accabadora de Michela Murgia, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Editions Seuil 2011, 216 pages

Dans la Sardaigne des années cinquante, Maria enfant solitaire et délaissée, se voit offrir l’espoir d’une vie meilleure grâce à Tzia Bonaria, la « accabadora », couturière déjà âgée, célibataire sans enfants, qui fait d’elle « sa fille d’âme », c’est-à-dire sa fille adoptive.

Maria reçoit amour et tendresse de la part de la vieille femme, mais aussi l’opportunité de faire des études et d’apprendre le métier de couturière, afin de pouvoir assurer son indépendance. Cette émancipation féminine est assez inhabituelle dans cette société traditionnelle où la division des tâches s’organise encore fortement par le genre.

Mais la vie de TZia Bonaria recèle bien des parts d’ombre. Que fait-elle pendant ses absences nocturnes ? Elle est l’« accabadora », la « dernière mère » dans le village où elle jouit d’une place très particulière au sein de la communauté de ses concitoyens. Mais quel rôle joue-t-elle exactement, et cela n’a-t-il pas une légère odeur de soufre ? Que va découvrir Maria et va-t-elle accepter la vérité ?

Ce roman est somptueux, poétique et délicat. Il y a chez les autrices italiennes de la dernière décennie, une exploration tout à fait passionnante des arcanes de la psychologie humaine, et une vraie tentative de tisser la mémoire collective du rôle joué par les femmes dans leur émancipation au sein des sociétés traditionnelles.

Un vrai coup de cœur !

Silvia Avallone – Marina Belleza/ Un monde à réenchanter

Marina Belleza, bellissima. | Actu Du Noir (Jean-Marc Laherrère)

Silvia Avallone – Marina Belleza  (2013) – Liana Levi 204 (J’ai Lu n°11 630)

Dans une Italie désenchantée, au fond de la vallée Cervo,  Andrea rêve de reprendre la ferme d’alpage de son grand-père, Marina court les télécrochets afin de se faire un nom, et de décrocher le succès et l’argent.

Ils s’aiment depuis toujours, mais s’engagent sur des chemins à l’opposé l’un de l’autre.

Marina Belleza est le roman d’un nom, comme Anna Karénine, Madame Bovary, résumant à lui seul les contradictions et les soubresauts d’une époque.

Comme toutes les femmes, Marina est identifiée à sa beauté, une beauté futile, liée uniquement à l’apparence, discriminante. Elle doit subir les sifflets, les remarques, les quolibets des hommes lorsqu’elle apparaît quelque part.

Elle utilise sa beauté comme une arme mais elle ne l’investit pas à la manière de ces midinettes qui sont ses concurrentes. Elle est une travailleuse acharnée depuis toujours ; elle investit dans son talent, dans sa voix.

« Quand je chante, dit-elle, je suis un homme. » Elle lutte pour la reconnaissance de son talent.

Elle en joue d’ailleurs, elle ose les tenues provocantes, fait d’innombrables caprices. Pourrait passer pour une vulgaire bimbo.

Andrea n’aime pas ce côté futile de Marina, il la connait autrement, talentueuse, fière, forte et indépendante, comme le cerf dans la forêt.

Les filles luttent pour conquérir leur liberté et partent du handicap hérité de leurs mères, de leur position de soumission, celle que leur a imposé la société.

Le roman va être la conversion de Marina vers son authentique beauté, la rage qui l’habite, son talent, sa soif de liberté.

Andrea rêve d’avoir une femme qui le seconderait, des enfants et sa ferme.

Deux rêves que tout oppose …

Dans l’entretien qu’elle donne à Mediapart, Silvia Avallone explique qu’elle a voulu donner la parole à ces jeunes, trahis par les grandes villes, qui n’offrent plus d’opportunités et retournent en province, dans les villages désertés, où les industries ont toutes fermées.  Des jeunes qui tentent de se réapproprier la beauté, en inventant leurs propres défis et leurs propres solutions.

Elle se défausse de cette société berlusconienne, du « bling bling » où l’on obtient tout, tout de suite, et où l’on vend du rêve. Une société qui repose sur la visibilité, la télévision, l’argent facile.

« L’époque du miracle économique, de la Roue de la Fortune et de la marionnette Gabibbo, quand il semblait évident qu’on pouvait vendre n’importe quoi : un projet politique, une paire de jambes, une plaque d’aggloméré aux faux airs de bois massif, une époque désormais ensevelie sous les pancartes annonçant « Tout disparaître » et « Fermeture définitive ».

Selon elle, il s’agit de réinventer autre chose, car on ne peut pas gagner dans le désert, ce dont va se rendre compte Marina, qui comprendra à un moment donné qu’elle fait fausse route.

En position de faiblesse, ses héros vont devoir se dépasser, surmonter les difficultés, franchir des barrières, psychologiques et sociales. Devenir des héros et des héroïnes du quotidien.

Inventer d’autres rêves, dans une Europe désenchantée, qui ne porte plus de grands rêves ou de projets, et où l’on a clamé la fin des idéologies dans un présent où il n’y a plus rien à désirer que des choses matérielles, vaines et futiles. Pourtant, selon elle, l’Eldorado est là où tu décides qu’il va être. Et ses personnages ont quelque de chose de brutal, de forcené, habités par leur soif de conquête.

« Il fallait devenir des héros, des rêveurs, des fous.« 

L’Eldorado ce n’est pas forcément ailleurs, à l’étranger, l’Italie contient son propre Eldorado.

Les romans de Silvia Avallone contiennent ce souffle puissant des grands romans populaires, qui véhiculent des thèmes importants, sociaux et politiques.

Sa littérature est engagée et enragée, elle veut raconter des histoires que nous pourrions tous habiter, qui nous racontent. En Italie, ou ailleurs …

Dolores Prato – Brûlures /Eté 2020 des romancières italiennes

Un Livre Que J'ai Lu (19) : Brûlures (Dolorès Prato) - LE JOURNAL ...

Éditeur : ALLIA (31/08/2000), nouvelle traduite par Monique Bacelli

« Cette nouvelle, que tous les critiques ont définie comme « parfaite », condense un univers poétique élaboré au long de toute une vie, et en même temps le dépasse par la description miraculeuse de l’instant du passage, de l’ouverture au monde, avec sa promesse effrayante de bonheur et de liberté. » Note de l’éditeur

En 1902, l’oncle qui l’avait recueillie, n’ayant pas les moyens de la garder, elle entra au collège des sœurs Visitandines, où elle resta huit ans.

Brûlures est l’évocation des brûlures externes et internes qui firent tant souffrir Dolores Prato.

«Je suis venu apporter le feu sur la terre ; que veux-tu d’autre sinon qu’il flambe ? »

Celle d’abord du mystère de ses origines et de sa mère qui l’abandonna, elle, la bâtarde.

« …un point noir, une tache, une zone d’ombre dans laquelle nous étions confondues elle et moi ; peut-être une terrible brûlure »

De ces années au couvent, où les mystères de la vie terrestre sont évoqués comme de possibles brûlures, le péché de chair, où la philosophie du lieu est de « punir son corps et le réduire en esclavage, non pas mourir mais souffrir », l’autrice évoque des moments symboliques, des moments charnières qui la menèrent vers la liberté.

« Pour la première fois je vis, au-delà des toits, un morceau de mer nocturne ! Il y avait de la lumière même dans le noir : une lumière chargée de nuit que je n’aurais jamais pu imaginer si je ne l’avais pas vue. »

De cette liberté qu’elle entrevoit, elle ne perçoit que des fragments, des promesses, durement conquises. Car on ne lui fait aucun cadeau, tout se paie par d’intenses brûlures, on dit de la honte qu’elle est cuisante, qu’elle vous met le feu aux joues, de la même façon que la chair brûle, elle aussi, et vous met le feu au derrière.

« Et, en effet, on évoquait souvent certaines « brûlures » sans plus de précisions, que le « monde » avait l’habitude d’infliger à ceux qui avaient trop de familiarités avec lui. »

Faire des études, fuir le pensionnat, devient le seul espoir… Échapper à la monotonie, à l’enfermement, à la sécurité mortifère d’une vie où l’on ne risque rien, retenue par l’obéissance de la dette, la reconnaissance de la honte.

« Je voyais toutes ces choses nouvelles sans savoir ce qu’elles étaient : un mystère sans peurs, plus grand que l’océan et moi libre, dans cette ampleur vitale. »

Nous ne sommes pas condamnés à brûler, il suffit juste d’apprendre les usages du monde, de la même façon qu’il faut utiliser de manière raisonnée l’eau et le soleil pour ne pas attraper d’insolation et de coups de soleil.

La brûlure est aussi celle du désir et de l’amour, de la vague qui claque contre une cuisse, de la morsure du soleil sous la peau.

La brûlure de la vie en soi.

Vivre tout simplement …

Les Testaments – Margaret Atwood/ Eblouissant !

Les testaments

Testaments – Margaret Atwood – Collection Pavillons – Robert Laffont, octobre 2019

 Lorsque j’ai appris la sortie de ce nouvel opus du chef-d’œuvre dystopique de Margaret Atwood « La servante écarlate », je me suis demandé pourquoi l’autrice avait ressenti le désir d’écrire cette suite : une série télévisée s’en était chargée avec brio, malgré quelques critiques cependant sur une forme de surenchère dans la cruauté et la violence du système totalitaire de Galaad.

Mais Margaret Atwood, dans ses remerciements, à la fin de l’ouvrage, ne manque pas d’adresser ses plus vifs remerciements aux « équipes MGM et de Hulu qui ont adapté le livre en une captivante série télévisée, magnifiquement réalisé et maintes fois primée ».

Mais il est à noter qu’elle ne mentionne que l’adaptation du roman et non la suite.

Parce que la patronne, c’est elle, et la suite sera la sienne !

Mais quid de cette suite ? Est-il encore possible de maintenir la même tension, le même suspense et la même émotion  ?

Le récit se situe quinze ans après « la servante écarlate » dans un régime théocratique corrompu, dont les rouages impitoyables assassinent, torturent et réduisent au silence tous ceux et surtout toutes celles qui lui résistent.

Testaments, est le récit de trois femmes dont l’une est la fondatrice du système, et les deux autres  deux jeunes filles dont l’une a été élevée à Galaad, et l’autre au Canada.

Les destins de ces trois femmes vont être réunis sous le sceau du secret, dans une lutte clandestine et souterraine, éminemment dangereuse qui pourrait les broyer.

Je n’en dirais pas plus, parce qu’il ne faut rien savoir  afin de pouvoir se laisser porter par le récit.

Selon Margaret Atwood, il s’agissait de répondre à une question récurrente qui lui était posée : « Comment Galaad s’est-il disloqué ? »

Testaments y apportent une réponse.

« Il arrive que les totalitarismes s’effondrent, minés de l’intérieur, parce qu’ils n’ont pas réussi à tenir les promesses qui les avait portés au pouvoir ; il se peut aussi qu’ils subissent des attaques venues de l’extérieur ; ou les deux. Il n’existe pas de recette infaillible, étant que très peu de choses dans l’histoire sont inéluctables. »

 Il s’agit selon moi d’un récit virtuose, qui ne vous lâche pas, dont le suspense est haletant et vous fait vibrer jusqu’à la dernière page.

Je vous le dis, Margaret Atwood voulait avoir le dernier mot. Et elle l’a eu dans cette suite éblouissante.

T’es pas mon genre ! Ou un amour sans résistance, Gilles Rozier/ Gabriel Debray, Chantal Pétillot, et Xavier Béjat au Théâtre Le Local à Belleville

un amour sans résistance

Au cœur de Belleville, dans ce quartier foisonnant et populaire, qui évoque Edith Piaf, Willy Ronis mais aussi les célèbres Triplettes, se niche un théâtre qui est un petit bijou ! Je refuse souvent des invitations ou des services de presse, par manque de temps mais ce partenariat avec le théâtre le Local a été une magnifique découverte à laquelle je ne m’attendais pas.

Dans le texte de la pièce, le sexe du narrateur ou de la narratrice n’est pas précisé.

« Une question en suspens, de sorte que le texte peut être compris de deux manières différentes, comme une relation hétéro ou homosexuelle », explique Gilles Rozier.

Question qui passionne Litterama. La pièce est jouée en alternance par un comédien et une comédienne, Chantal Pétillot, et Xavier Béjat.

Ce soir j’ai vu la version féminine, j’irai bientôt voir la version masculine dont je vous parlerai aussi.

Le texte mis en scène par Gabriel Debray est selon ses propres mots, d « une écriture vive, ciselée, très visuelle, cinématographique, pleine de retournement de situation, comme dans un bon polar. »

D’ailleurs la mise en scène est une réussite, comme tout dans cette pièce. La scène est vivante, elle possède sa propre pulsation, qui s’accorde à celle de la comédienne, son jeu d’ombres et de lumière, devient l’articulation entre la mémoire et le récit au présent, entre le territoire du souvenir, cet homme caché dans la cave, et le lieu symbolique de l’Histoire que la narration fait surgir dans une lumière éblouissante et parfois cruelle.

Ce soir, nous avons vu jouer la merveilleuse Chantal Pétillot, dont chaque mot, chaque geste est une évidence, habitée, transfigurée, faisant corps avec le texte, respirant avec lui, grondant ou se pâmant, dans un jeu presque musical, parfois fluide ou syncopée avec quelques points d’orgue. Un jeu inspiré, dont on ne sort jamais indemne. Une modulation constante du corps et de la voix, un souffle, un grand vent, qui nous emporte, nous, spectateurs dans cette histoire d’amour parfois terriblement sombre. Je crois que ce soir nous avons aimé avec elle, avec la même douceur, la même fureur. Mais cette femme aime-t-elle l’homme qu’elle a sauvé, ou n’est-il que le jouet de son désir, ou simplement un peu de crédit à sa bonne conscience ? Chantal Pétillot joue habilement des ambiguïtés de son personnage et de ses zones d’ombre.

Le visage de la comédienne est parfois si proche des spectateurs qu’il apparaît comme en gros plan. D’ailleurs elle ne craint pas devenir planter son regard dans le vôtre.

Elle m’a fait penser à Marlène Dietrich, avec sa voix de basse, et cette sorte d’élégance.

Je crois que l’amoureux.se de théâtre a le devoir d’être un aventurier, pour aller à la rencontre des théâtres de quartier, vers des pièces qui ne bénéficient pas de la publicité qu’ils mériteraient. Je vais souvent au théâtre, et j’ai rarement été aussi émue.

Bien implanté dans le tissu urbain, Le Local est un lieu de création, d’actions culturelles et de pratiques artistiques amateurs, situé au 18 rue de l’Orillon Paris 11e au cœur du quartier Politique de la Ville Belleville/Fontaine au Roi.  L’association « Ombre et lumière » et ses artistes souhaitent favoriser des rencontres, des échanges et applique des tarifs adaptés à un public aux revenus modestes. Les actions qu’elle met en œuvre cherchent avec la parole, avec « des paroles », à créer des rencontres, des échanges culturels entre les artistes et les publics. Ces paroles s’expriment par différentes formes et provoquent d’autres paroles, elles-mêmes sources de création.

 

En librairie le 10 octobre, la suite de « La servante écarlate » traduite en français. Un démenti à la série télévisée ?

Une alternative à la série télévisée dont les saisons se suivent et se ressemblent : violentes et insupportables parfois. Géniales aussi le plus souvent. D’ailleurs je viens d’apprendre que ce livre va également faire l’objet d’une série télévisée.

« Le chef-d’oeuvre dystopique de Margaret Atwood, La Servante écarlate, est devenu un classique contemporain… auquel elle offre aujourd’hui une spectaculaire conclusion dans cette suite éblouissante.

Quinze ans après les événements de La Servante écarlate, le régime théocratique de la République de Galaad a toujours la mainmise sur le pouvoir, mais des signes ne trompent pas : il est en train de pourrir de l’intérieur.
À cet instant crucial, les vies de trois femmes radicalement différentes convergent, avec des conséquences potentiellement explosives. Deux d’entre elles ont grandi de part et d’autre de la frontière : l’une à Galaad, comme la fille privilégiée d’un Commandant de haut rang, et l’autre au Canada, où elle participe à des manifestations contre Galaad tout en suivant sur le petit écran les horreurs dont le régime se rend coupable. Aux voix de ces deux jeunes femmes appartenant à la première génération à avoir grandi sous cet ordre nouveau se mêle une troisième, celle d’un des bourreaux du régime, dont le pouvoir repose sur les secrets qu’elle a recueillis sans scrupules pour un usage impitoyable. Et ce sont ces secrets depuis longtemps enfouis qui vont réunir ces trois femmes, forçant chacune à s’accepter et à accepter de défendre ses convictions profondes. En dévoilant l’histoire des femmes des Testaments, Margaret Atwood nous donne à voir les rouages internes de Galaad dans un savant mélange de suspense haletant, de vivacité d’esprit et de virtuosité créatrice. »

Lady Chatterley D.H. Lawrence

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H. Lawrence, Lady Chatterley, Le livre de poche n° 5398 , Editions des Deux-Rives (1955,1980), 384 pages

Lady Chatterley ou L’amant de Lady Chatterley a fait date dans l’histoire de la littérature et dans la construction des personnages féminins par des auteurs. Lady Chatterley est devenue une héroïne, qui s’émancipe de son milieu et  brise les chaînes de son aliénation par la force de sa vie sensuelle.

Je ne sais pas s’il est utile de rappeler le scandale qui accueillit le roman à sa sortie en Angleterre en 1960, le procès qui s’ensuivit, et qui se solda par un acquittement, mais la liberté de ton, la sensualité, et l’érotisme magnifique de ce roman ne pouvaient laisser personne indifférent, et la pudibonderie de l’époque ne manqua pas de s’en offusquer.

Mais la version qui fut ainsi jugée comme outrage aux bonnes mœurs et délit d’obscénité n’est que la troisième version du roman. Il y en eut deux autres, toutes écrites de 1925 à 1928

Lady Chatterley en est la première, à laquelle il manquait quelques pages, le départ en est sensiblement le même, à savoir le retour de la guerre de Clifford Chatterley, mutilé et paralysé dans son foyer auprès de sa femme. Toutefois le titre même annonce la focalisation sur le personnage féminin et c’est ce qui nous intéresse ici.

Lady Chatterley souhaite avoir un amant pour s’épanouir sexuellement,et avoir un enfant;  son mari accepte. Elle entame alors une liaison avec le garde-chasse, Oliver Parkin.

La découverte de l’amour sensuel va transformer l’héroïne profondément. Cet appel à nos forces essentielles et primitives illustre pour D. H. Lawrence sa thèse de la nécessité d’un retour à la vie naturelle et sa critique féroce de la civilisation industrielle déshumanisante. C’est par la sensualité et la sexualité que nous retrouvons ce lien à la vie naturelle, aux forces primitives et harmonieuses qui la régissent. Pas de mot d’amour, ni de serment, ni de conventions n’entravent ce pur élan. Les barrières artificielles forgées par les êtres humains que sont les classes sociales et l’argent n’ont plus lieu d’être. L’être humain dans son authenticité ne se présente plus masqué mais nu, d’une beauté nue et magnifique.

Toute une civilisation judéo-chrétienne contemptrice du corps, et toute une philosophie héritée du platonisme qui font du corps le lieu de la chute, de la déchéance ou d’une pauvreté ontologique se trouvent ici déminées.

Le corps est qui nous sommes, mais il est aussi le lieu d’une forme de spiritualité et d’accord avec le monde, car il est aussi un ensemble de nerfs, de conducteurs tactiles qui nous font accéder aux émotions et à l’amour.

Car il n’y a pas d’amour sans le corps, ou alors n’est-ce qu’une façon hypocrite de masquer notre impuissance. D. H. Lawrence comprend et saisit la sensualité féminine dans sa profondeur et son tumulte. Le titre original devait être normalement « Tenderness » et cet amour en est tissé, tendresse pour le corps et pour nos forces vives.

« Cette fois, et pour la première fois de sa vie, la passion éclata en elle. Tout à coup, des profondeurs les plus intimes de son être, des frémissements surgirent venant des régions où, autrefois, existait seul le néant. S’élevant, se gonflant, augmentant comme une volée de cloches qui carillonnaient en elle de plus en plus frénétiquement, la nouvelle clameur l’emplissait toute entière. Extasiée, elle entendait, sans les reconnaître pour les siens, ses cris à elle, ses cris brefs et sauvages à mesure que se déroulaient ces ondulations splendides, de plus en plus profondes qui, tout à coup, s’échappèrent en une richesse semblable à celle des derniers bourdonnements des grandes cloches. »

Profession : autrice, Catel/ Claire Bouilhac – Mme de La Fayette (1634-1693)

Margaret Atwood – La voleuse d’hommes ou La guerre des sexes aura bien lieu…

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Margaret Atwood – La voleuse d’hommes  ( The Robber Bride, 1993), Editions Robert Laffont, 1994, traduit de l’anglais (Canada) par Anne Rabinovitch, collection 10/18, n°3744

Margaret Atwood est tout simplement géniale : quelle idée astucieuse que d’investir ce terrain qui paraît à première vue uniquement masculin, le territoire de la guerre, et sa discipline la polémologie, sous les traits de Tony, universitaire réputée, dont l’engouement pour la dynamique des massacres spontanés n’a d’égal que son goût des conclusions tranchées. La guerre, comme tout le monde le sait, ne se déroule pas seulement, voire plus, sur les terrains de bataille, ou dans les zones de conflits armés, elle peut se dérouler sous nos crânes, dans nos vies et au cœur de notre psychisme.

La guerre peut avoir une réelle séduction pour ceux dont la rage ou les blessures profondes génèrent une violence impossible à contenir.

Nous sommes à Toronto, dans les années 90, et la guerre et la dévastation  se dissimulent habilement sous les traits harmonieux et la silhouette de rêve de Zénia (Xénia ?). Il est bien connu que l’adversaire, pour pouvoir vaincre, prend appui sur nos faiblesses.

Charis, Tony et Roz, trois amies, ont comme dénominateur commun une enfance difficile qui a laissé des failles en chacune d’elles, ce dont va profiter l’impitoyable Zénia pour détruire les hommes, leurs hommes. La guerre des sexes aura bien lieu… et c’est une femme qui la mène et qui profite des fantasmes des hommes pour mieux les asservir. Ses camarades n’en seront que les victimes collatérales.

Margaret Atwood est une romancière absolument géniale. A chaque roman, le quatrième maintenant, je l’apprécie davantage.

Même si j’ai trouvé les cent premières pages un peu longuettes, ensuite le récit s’accélère et devient captivant. Margaret Atwood a une maîtrise dans la construction du récit qui est tout simplement époustouflante et elle mène son lecteur ou sa lectrice jusque au dénouement final sans jamais faiblir.

lire margaret Atwood

Si vous voulez participer au cycle de lectures, c’est ici.

Coeur Cousu de Carole Martinez

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Le mot texte vient du latin textus, de texere, tisser. Celui qui conte, qui raconte est celui qui tisse, qui met ensemble, et fait naître l’histoire et le sens. Celui qui a une histoire, naît et meurt, a donc un début et une fin, un sens, une direction. Frasquita, l’héroïne de cette histoire, hérite de sa mère une boîte que se transmettent de mère en fille, les femmes de la famille,  depuis plusieurs générations.  Cette boîte est rempli de fils et d’aiguilles. Frasquita n’est pas celle qui raconte, celle qui tisse, car c’est Soledad, sa fille, qui aura pour rôle de transmettre l’histoire familiale, celle qu’on lui a racontée et qui s’est déroulée dans sa plus grande partie avant sa naissance.

Frasquita est celle qui coud, qui répare, qui recoud, qui fait tenir ensemble les deux bords du monde, l’ici et l’au-delà. Elle ne répare pas les blessures, car la cicatrice aussi fine soit-elle garde la mémoire des souffrances passées. Simplement elle recoud. Parfois le fil casse et l’homme et son désir qu’elle avait ainsi rassemblés, se séparent à nouveau.

Dans ce roman qui est aussi le récit d’une folle équipée, d’un voyage et d’une fuite, les femmes ne sont pas épargnées, victimes des traditions d’une Espagne du sud ancestrale et archaïque, où la religion se mêle de traditions païennes héritées des temps encore plus anciens et d’un fervent mysticisme. Les rencontres sont toujours manquées entre les hommes et les femmes dans cette société rigide où le plaisir est interdit et seule la procréation est valorisée pour la survie du groupe. Cette histoire se passe pourtant à l’époque de Pasteur, apprend-on avec surprise, tant on se croirait encore au Moyen-Age.

D’ailleurs l’une des filles se demande à un moment du récit si ce que ces femmes se transmettent à travers cette boîte n’est pas tout simplement leur douleur.

Mais cette société se fissure : bouleversements politiques, guerre civile, nouvelles idéologies font trembler ses bases. Car l’histoire de Carole Martinez se nourrit d’éléments empruntés à l’histoire, et possède une veine parfois réaliste, mêlée au merveilleux, à la magie des contes et de la poésie. C’est pourquoi certains critiques le rangent dans la tradition latino-américaine du réalisme merveilleux.

L’écriture de Carole Martinez sait rester légère malgré la gravité parfois du propos.

Ce roman a été un parfait coup de cœur. J’ai beaucoup aimé son écriture, très poétique et le texte s’orne de magnifiques métaphores. Une belle découverte, à lire absolument.

La fabrique de l’intime – Ecrits autobiographiques de femmes du XVIIIe siècle

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La Fabrique de l’intime. Mémoires et journaux de femmes du XVIIIe siècle, par Catriona Seth, Robert Laffont, Bouquins, 1216 p., 30 euros

On ne peut que se réjouir de l’intérêt de la critique et d’une certaine partie des lecteurs pour l’histoire de l’écriture des auteures. Cela pourrait bien être la revanche post-mortem de ces femmes dont Rousseau disait  dans une lettre écrite à d’Alembert en  1758 : « Les femmes, en général, n’aiment aucun art, ne se connaissent à aucun, et n’ont aucun génie. Elles peuvent réussir aux petits ouvrages qui ne demandent que de la légèreté d’esprit, du goût, de la grâce, quelquefois même de la philosophie et du raisonnement. Elles peuvent acquérir de la science, de l’érudition, des talents et tout ce qui s’acquiert à force de travail. Mais ce feu céleste qui échauffe et embrase l’âme, ce génie qui consume et dévore, cette brûlante éloquence, ces transports sublimes qui portent le ravissement jusqu’au fond des cœurs, manqueront toujours aux écrits des femmes : ils sont tous froids et jolis comme elles. »

Malheureusement cette vision étroite et misogyne a empêché l’accès des femmes au monde de la littérature, en les enfermant dans le cercle étroit du foyer.

« Cette première anthologie de textes autobiographiques de femmes du XVIIIe siècle embrasse tout le siècle des Lumières, du journal de Rosalba Carriera, jeune pastelliste à Paris pendant la Régence, aux souvenirs de Victoire Monnard, apprentie sous la Révolution, en passant par le journal de Germaine de Staël, les Notes sur l’éducation des enfants d’Adélaïde de Castellane ou de Charlotte-Nicole Coquebert de Montbret, ou encore les Mémoires particuliers de Manon Roland sous la Terreur. Une artiste italienne en France, une actrice anglaise célèbre en visite à la cour de Versailles, une Française inconnue, fille d’artisan, côtoient ici une religieuse limousine dans sa province ou la princesse de Parme, mariée à l’héritier du trône autrichien.
Toutes ont livré par écrit leurs pensées secrètes, leurs sentiments, leurs craintes, leurs joies, leurs espoirs, comme un envers de la  » grande histoire « . Leurs textes, très divers dans leur forme et leur contenu, témoignent du développement d’une véritable écriture personnelle, faite de repli sur soi ou d’élan vers l’autre.
Écrire, pour ces femmes attachantes, pleines d’esprit, généreuses, qui s’affirmaient tout en doutant d’elles-mêmes, a été le moyen de conquérir un espace intime où elles pouvaient exprimer leur caractère et leur désir d’émancipation. Elles apparaissent comme les pionnières de la littérature féminine moderne. Et elles demeurent en cela, d’une certaine manière, nos contemporaines.

Ce volume contient des textes de : Rosalba Carriera (1675-1757), Marguerite-Jeanne de Staal-Delaunay (1684-1750), Suzanne Necker (1737- 1794), Françoise-Radegonde Le Noir (1739-1791), Isabelle de Bourbon-Parme (1741-1763), Félicité de Genlis (1746-1830), Jeanne-Marie Roland (1754-1793), Mary Robinson (1758-1800), Charlotte-Nicole Coquebert de Montbret (1760-1832), Adélaïde de Castellane (1761-1805), Germaine de Staël (1766-1817), Marie-Aimée Steck-Guichelin (1776-1821) et Marie-Victoire Monnard (1777-1869). »

Biographie de l’auteur

Catriona Seth est professeur des universités en littérature française à l’université de Lorraine et professeur associé au département d’histoire de l’université Laval (Québec). Elle est l’auteur de nombreux travaux importants sur la littérature et l’histoire des idées du XVIIIe siècle, entre autres Marie-Antoinette. Anthologie et Dictionnaire (Bouquins, 2006), Les rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole (Desjonquères, 2008) et la récente édition des Liaisons dangereuses de Laclos (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2011).

 

Au pays de Donald, « La servante écarlate » relève la tête !

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Margaret Atwood – La servante écarlate (The Handmaid’s tale), Pavillons poche Robert Laffont, 2017, traduit de l’anglais (Canada) par Sylviane Rué

Il est particulièrement intéressant de lire ou de relire aujourd’hui « La servante écarlate » de Margaret Atwood, à la lumière de l’histoire récente des Etats-Unis, et des manifestations qui ont eu lieu pour protester contre les restrictions au droit à l’avortement, suivant la politique menée par Donald Trump, dans certains Etats américains ( Voir les photos ici)

Et l’auteure de rappeler la fondation profonde des Etats-Unis sur « la brutale théocratie de la Nouvelle Angleterre puritaine du XVIIe siècle, avec ses préjugés contre les femmes » et sa résurgence dans une certaine frange chrétienne extrémiste du Parti Républicain.

Pour ceux qui n’auraient pas encore lu l’histoire ou vu la série (saison 1 dirigée par Reed Morano sur un scénario de Bruce Miller, avec Elisabeth Moss dans le rôle principal, tournée entre septembre 2016 et février 2017 ), « La servante écarlate » est une dystopie situant le nouveau régime de la république de Gilhead, fondée par des fanatiques religieux, aux Etats-Unis. A la suite d’une chute de la fécondité due à la pollution et aux maladies sexuellement transmissibles, les quelques femmes encore fertiles sont réduites au rang d’esclaves sexuelles auprès des notables du régime. Defred, « servante écarlate » parmi d’autres n’a plus le droit ni de lire, ni de travailler, et ne possède plus rien.

Ce qui fait la force du régime, c’est son organisation : les femmes y sont surveillées et contraintes par des femmes, parmi elles certaines sont croyantes et persuadées du bien-fondé d’un tel régime.

Ce n’est pas sans rappeler le débat qui fait rage aux Etats-Unis et ailleurs entre les féministes essentialistes (considérées par beaucoup comme des antiféministes) et les autres, l’expérience de la maternité étant pour les premières la source essentielle du pouvoir féminin et ce qui les définit (l’éthique du care) ; dans cette optique, la contraception et l’avortement feraient obstacle au cycle naturel du corps féminin (et donc à son destin).   D’ailleurs, Defred le dit ainsi en s’adressant intérieurement à sa mère : « Tu voulais une culture de femmes. Et bien, la voici. »

Mais Margaret Atwood, ne fait pas de son héroïne, une simple héroïne féministe, cela va bien au-delà, en ce sens que la structure pyramidale du pouvoir, concentre hommes et femmes dans les strates supérieures – même si les hommes ont une réelle suprématie – de la même manière qu’en ces couches inférieures, existent des hommes et des femmes pareillement dépossédés d’une partie importante de leur liberté.

Elle rappelle en cela que toutes les femmes ne sont pas féministes, et que cela a été le principal obstacle à l’émancipation des femmes. Certaines se satisfont d’un rôle subalterne en échange du confort et de la sécurité. Bref, cela est un autre débat, forcément très politique et …polémique.

Vous comprendrez pourquoi « La servante écarlate » s’est vendu et continue à se vendre, à des millions d’exemplaires dans le monde entier, devenant une « sorte de référence pour ceux qui écrivent à propos d’évolutions politiques visant à prendre le contrôle des femmes, particulièrement celui de leur corps et de leurs fonctions reproductrices » (page 513).

Margaret Atwood est pressentie depuis plusieurs années pour le Prix Nobel de Littérature, elle est une des auteures majeures de la littérature de notre temps.

Cycle romancières portugaises : Dulce Maria Cardoso – Le retour

 

Dulce Maria Cardoso est née à Fonte Longa dans la région de Trás-os-Montes mais sa famille a émigré en Angola. Ils reviennent au Portugal par le pont aérien organisé en 1975 à quelques mois de la proclamation de l’Indépendance de l’Angola.  Elle étudie tout d’abord le droit à l’Université de Lisbonne avant de commencer à écrire, quelques années plus tard. Son roman « Os Meus sentimentos » traduit par « Violetta, mon amour » obtiendra une reconnaissance internationale grâce au Prix de littérature de l’Union Européenne en 2009.

vignette femmes du MondeDans le roman de Dulce Maria Cardoso, un jeune adolescent raconte la fuite précipitée de sa famille en 1975, hors d’Angola, vers la métropole portugaise, l’accueil dans un hôtel à Lisbonne, et la reconstruction après le traumatisme de l’exil et de la dépossession. L’approche formelle est vraiment intéressante : l’écriture est proche du langage parlé, les dialogues s’insèrent dans la voix du jeune garçon (d’un discours rapporté à un discours direct) qui porte ainsi de multiples voix comme autant de perspectives sur ce qui est vécu. Ce que disent les autres est toujours filtré par le prisme de sa subjectivité propre. La narration à la première personne permet de comprendre les sentiments du jeune homme, les émotions qui le bouleversent, sa découverte de l’amour et de la sexualité, sa honte et l’ostracisme dont lui et les siens sont victimes.

« Ceux d’ici nous aiment de moins en moins, on exploitait les nègres et maintenant on veut leur voler leurs emplois en plus de leur saccager leurs hôtels, de saccager la belle métropole qui sera jamais plus la même. » (p222)

Mais ce qui revient toujours, est les raisons qui ont poussé à l’exil : la misère endémique du Portugal qui a produit un peuple de migrants.

«  […] je sais bien que cette terre nous demande de la sueur, des larmes et du sang et qu’elle nous donne en échange un quignon de pain dur […]

Cette lecture ne peut que faire écho à la situation du Portugal aujourd’hui, des investissements étrangers dans le tourisme, et de ce boom qui semble donner un nouveau souffle à ce pays mais dont les richesses risquent ne pas profiter à ceux qui en ont le plus besoin.

Les français aisés investissent au Portugal et cela fait flamber les prix de l’immobilier. Le Portugal devient un paradis fiscal pour nombre de gens fortunés et les longues plages désertes risquent rejoindre un jour les plages bétonnées de la côte espagnole. On ne peut pourtant que se réjouir d’une prospérité qui reviendrait enfin aux pays du sud.

Dulce Maria Cardoso est un grand écrivain.

 

Dulce Maria Cardoso was born in the region of Trás-os-Montes in Portugal but her family emigrated to Angola. They return to Portugal by the airlift organized in 1975 a few months after the proclamation of Independence of Angola. She first studied law at the University of Lisbon before starting to write, a few years later. His novel « Os Meus sentimentos » translated by « Violetta, my love » will receive international recognition thanks to the European Union Literature Prize in 2009.

In Dulce Maria Cardoso’s novel, a young teenager is relating the story of his his family forced to flee from Angola back to Portugal among thousands of returnee families, to the far-away portuguese homeland  when Portugal’s fifty-year old dictatorship was overthrown,  the reception in a hotel in Lisbon, and how they try to rebuild their lives after the trauma of exile and dispossession. The formal approach is really interesting: the writing is close to spoken language, the dialogues are inserted in the voice of the young boy (of a speech related to a direct speech without speech marks, with little punctuation which thus carries multiple voices like so many perspectives on what he’s living. The author is using stream of consciousness, switching between third and first persons in the same sentence, from present to past tense What others say is always filtered by the prism of its own subjectivity. Storytelling in the first person helps to understand the feelings of the young man, the emotions that upset him, his discovery of love and sexuality, his shame and discrimination against returnee families.

But what always comes back are the reasons that led to exile: the endemic misery of Portugal that produced a migrant people.

This novel can only echo the situation of Portugal today, foreign investment in tourism, and this boom that seems to breathe new economic life into this country but  doesn’t benefit to poor people who needs it.

The well-to-do French people are investing in Portugal and that is making property prices soar. Portugal becomes a tax haven for many wealthy people the long deserted beaches may one day become similar to the concrete beaches of the Spanish coast. However, we can only be satisfied with the delivering prosperity to the countries of South Europe.

Dulce Maria Cardoso is a great writer.

« 975, Luanda. A descolonização instiga ódios e guerras. Os brancos debandam e em poucos meses chegam a Portugal mais de meio milhão de pessoas. O processo revolucionário está no seu auge e os retornados são recebidos com desconfiança e hostilidade. Muitos nao têm para onde ir nem do que viver. Rui tem quinze anos e é um deles. 1975. Lisboa. Durante mais de um ano, Rui e a família vivem num quarto de um hotel de 5 estrelas a abarrotar de retornados – um improvável purgatório sem salvação garantida que se degrada de dia para dia. A adolescência torna-se uma espera assustada pela idade adulta: aprender o desespero e a raiva, reaprender o amor, inventar a esperança. África sempre presente mas cada vez mais longe. »