Et je prendrai tout ce qu’il y a à prendre, Céline Lapertot, Viviane Hamy, 2014
Charlotte, jeune adolescente de dix-sept ans, parricide, jeune Antigone moderne, confie dans une longue lettre adressée au juge, l’histoire de son martyr.
Victime d’un père violent et pervers, et d’une mère passive et confinée dans une souffrance qui la rend hébétée et inerte, Charlotte va grandir grâce à la littérature et au rapport puissant qu’elle entretient avec les mots. Entre elle et la littérature, c’est une relation presque charnelle, un long dialogue amoureux qui seul rend supportable le mutisme dans lequel sa souffrance l’a enfermée. L’écriture sera pour elle son véritable acte de naissance, une sorte de parthénogenèse, qui suppléera en quelque sorte à la défaillance de ses parents.
« Maman est la femme d’intérieur. La femme parfaite pour les hommes qui ne savent se rêver qu’en maîtres de leur petit monde », juge-t-elle du haut de ses sept ans, et c’est contre sa mère, contre ce modèle de femme soumise, qui encaisse les coups, que Charlotte finira par se rebeller. « Par la suite, j’ai saisi toutes les nuances d’une domination sans faille. J’ai vu le processus qui a réduit ma mère à l’état d’esclave et son cerveau à celui de la non-pensée ». Ni femme, ni mère, incapable de protéger son enfant de la violence du père. Si elle analyse le conditionnement dans lequel enferme la violence et la perversité, avec une certaine distance, elle ne pardonne pas.
« Je vois ses yeux qui ignorent l’indignation. Je suis soumise à son regard se mère trop fatiguée pour être éplorée. Et cette soumission-là est bien plus violente que celle imposée par mon père. »
Le texte est ici ce qui tisse, qui répare, qui entrelace les mots à la manière de nouvelles cellules qui répareraient les « trous » dans sa chair. Les trous creusés par la violence de son père et le silence de sa mère.
Ce livre est pour moi un chef d’œuvre d’équilibre dans la construction, et de justesse dans les mots choisis pour évoquer le parcours de Charlotte, avec suffisamment de force mais aussi de pudeur pour ne pas la trahir et faire du lecteur un spectateur de sa souffrance.
Les phrases sont ciselées avec une précision d’orfèvre, le rythme est d’une parfaite intelligence, entre la tension dramatique, et une forme de détente dans le récit . L’auteure a évité tous les écueils qui menacent ce genre de récit.
J’ai profondément aimé ce livre autant dans sa forme que dans le fond. Il m’a ému, troublé parfois, fait réfléchir souvent et il m’a émerveillé aussi. Il est fait de plusieurs tonalités et d’une infinité d’accords qui vous plongent dans une sorte de transe, et d’intense lecture.