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La cattiva – Lise Charles / l’amour et l’ennui

 lise charles la cattiva

Marianne Renoir, rencontre à quinze ans Pierre Pansart descendant du pape Sixte Quint et de la grande famille des Peretti, dont Stendhal a raconté quelque part les aventures. Flattée peut-être par les attentions de ce jeune érudit , il connaît le grec et le latin, l’italien aussi, car il passe tous ses étés dans la villa de ses aïeux, près de Ferrare, Marianne succombe …

Six ans plus tard, Marianne et Pierre se retrouvent dans la villa de Camporiano. Les soubresauts d’un amour finissant nous sont contés ici par la plume alerte de Lise Charles qui possède un talent certain à décrire les mouvements intérieurs de son héroïne, partagée entre un reste d’amour, la haine, et le dégoût.

Marianne s’ennuie avec Pierre mais elle n’ose pas le quitter, les atermoiements du cœur sont la matière de ce récit. Elle aurait voulu « qu’il fût tout bon ou tout mauvais », pense parfois qu’elle « s’effondrerait » s’il n’était pas là mais au fond, ne le supporte plus. Pourquoi aime-t-on, pourquoi n’aime-t-on plus ? Que voit-on de celui que l’on croit aimer ? L’amour est-il la prescience de la valeur d’un être, comme le dit Ortega y Gasset, ou au mieux, un aveuglement salutaire ?

Elle éprouve pour lui désormais « un mépris calme, un dégoût intérieur » et se plaît à imaginer cent fois les détails d’une possible rupture. L’instant d’après une « félicité tournoyante » s’empare d’elle et la ferait presque pleurer de bonheur.

Méchante, elle ne l’aime plus et se plaît à l’humilier, captive, elle ne peut se défaire de cette relation. Elle voudrait aimer pourtant et se heurte à sa propre impuissance, « de quels dévouements, de quels élancements n’aurait-elle pas été capable » ? Car c’est terrible, n’est-ce pas, de n’avoir personne à aimer, de se sentir prisonnière ou morte, prise au piège d’une relation qu’on ne souhaite plus, d’une liberté dont on ne sait pas user, avec ce choix à portée de main comme un vertige.

« Elle en était venue à envier les femmes des siècles passés. »

Pierre lui, n’est pas un personnage qu’on se plaît à aimer, et on se demande ce qu’est cet amour qu’il dit ressentir alors que c’est « quand elle dort, (qu’)elle a l’air d’une petite morte », que son amour est le plus fort. On sent le cuistre, mais parfois aussi un maladroit un peu rustre malgré toute sa culture, et plus rarement un homme touchant .

Au terme de cet été peut-être, le dénouement aura-t-il lieu?

« Je voulais montrer une situation où l’on s’ennuie un peu, avec la déliquescence. L’amour comme une bonace, tel que l’écrit La Rochefoucauld, mais aussi l’amour comme Stendhal. À la fois l’ennui, l’exaltation, le dégoût, et, en même temps, que ça aille vite. » confie-t-elle au journaliste Pierre Lançon de Libération, qui a fait une très belle critique de ce roman.

Le problème c’est que nous lecteurs, nous ennuyons avec elle. C’est brillant, c’est vrai, magnifiquement écrit, truffé de références, ( d’ailleurs Lise Charles est brillante, En 2004, élève du lycée Henri-IV, elle a obtenu les premiers prix aux concours généraux de français, d’allemand, de grec ; l’année suivante, un second prix de philosophie. Et est aussi douée en mathématiques, prépare un doctorat ), mais peut-être est-ce trop, trop réussi, trop bien écrit, au détriment de l’émotion. Je suis restée en dehors de ce récit bien maîtrisé, de cette langue trop bien soignée. Je n’ai rien ressenti pour ces personnages, j’ai admiré le style, l’écriture, la construction ; mes élans sont restés purement intellectuels. Vous me direz, c’est déjà ça.

C’est vrai, mais pourquoi lit-on, si ce n’est pour être emporté au-delà de soi ?

PPRF copie

Ce livre est le dernier de la sélection que je lis pour les ouvrages qui ont passé le second tour. Les résultats auront lieu certainement la semaine prochaine et c’est celui que j’ai le moins aimé.

Fugue – Anne Delaflotte Mehdevi / L’adieu à la mère

fugue

j'aime un peu beaucoup passionnémentj'aime un peu beaucoup passionnément

Il faut lire ce roman comme un conte qui commencerait par la fin. Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. A défaut de prince et de princesse, vous prenez deux bourgeois trentenaires, à la situation matérielle confortable, dans une grande et belle maison située à la lisière d’une forêt.

Le prince moderne, est pilote de ligne et ressemble à Paul Newman, la princesse est une femme moderne, mère au foyer (Cendrillon ?) avec Bac +5 ou presque. Elle est longue, belle et mince.

Ajoutez à cela qu’elle n’a pas une marraine mais plusieurs… Et qu’elle s’aperçoit dans un murmure qu’elle ne s’éclate pas franchement dans la maternité. Il faut dire que quatre enfants en à peine dix ans ce n’est pas une sinécure !

« Oui, enfin non, je veux dire, je veux être : «  juste quelqu’un ». Pas toujours et seulement cette créature qu’est la mère, qui donne la vie, apprend le langage et la mort, qui tisse des liens qu’elle doit apprendre à défaire. »

 Et puis bien sûr elle attend le prince qui rentre tous les trois jours.

Jusqu’au jour où un cri de désespoir lui fait perdre sa voix. Heureusement, j’allais dire, parce qu’au bout de tant de perfections, la tension de la lectrice monte dangereusement !

Et commence alors ce qui est le plus intéressant dans le roman, l’héroïne devenue muette perd sa queue de sirène pour retrouver ses deux jambes et une certaine indépendance.

Elle y gagnera autre chose de bien plus précieux grâce à la musique et au chant.

Si vous croisez « la Petite Sirène » et « Le vilain petit canard », vous comprendrez la réaction de son entourage qui, au lieu de l’épauler, lui fait subir sarcasmes, bouderies et vexations. Et elle, au lieu de banalement se mettre en colère, tente de les comprendre. Là, une petite touche de « Sœur Thérèse d’Avila » ne ferait pas de mal.

La fugue s’entendra ici dans ses trois sens, la fugue de la fille de Clothilde, l’art de la fugue, figure musicale et la propre fuite de l’héroïne hors de modèles qui ne lui conviennent pas vraiment.

J’ai aimé dans ce roman-conte, la rencontre avec le chant, la musique et la scène, espace sacré où s’opère toute transformation et don total de soi. Une rencontre amoureuse qui illumine sa vie et lui fait prendre un autre sens.

« De l’ombre à la lumière, du corps embarras au corps oublié, Clothilde vocalisait et emplissait la salle d’énergie et de joie. »

Au final, j’ai passé un bon moment de lecture, avec quelques beaux passages qui m’auront véritablement transportée au cœur de cette musique faite toute entière du silence bruissant de l’écriture. Et c’est là le tour de force de l’écriture de se faire murmure, cri pour se transformer en un superbe chant à la condition expresse de prendre ce roman pour ce qu’il n’est pas : un joli conte.