Archives pour la catégorie Femmes cubaines

Zoé Valdès – La femme qui pleure / Dora Maar – L’été des femmes artistes/ Litterama

Zoé Valdès – La femme qui pleure – Arthaud poche – 2016 Flammarion

La Femme qui pleure eBook by Zoé Valdés

Doraa Maar fut une artiste surréaliste, photographe et peintre, et aussi muse de Picasso. Une rétrospective de son œuvre lui a été consacrée récemment au Centre Pompidou. Sa carrière a été complètement absorbée par son rôle de muse, à l’ombre du génie de Picasso. Il a fait d’elle « La femme qui pleure », manifeste de la déconstruction du portrait.

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Portrait de Dora Maar, Pablo Picasso, 1937 | Paris 1937 Huil… | Flickr

Le livre de Zoé Valdès retrace une période censée être clef, un voyage à Venise, quelques années après sa rupture avec Picasso, en compagnie de deux amis, à l’issue duquel elle se retirera du monde pour vivre mystique et recluse, loin des mondanités parisiennes.

L’originalité du récit tient à ce que Zoé Valdès entremêle des éléments de sa propre biographie, et de sa relation rêvée ou imaginaire avec Dora Maar, qui tient plus de la rencontre manquée que d’une véritable relation.

« La vérité c’est que je me trouvais aussi vide qu’elle, à la limite de ma réserve d’illusions […]. », écrit-elle.

Par de savants aller-retours, elle retrace les amours de Dora Maar avec Picasso, dont on peut dire qu’ils sont violents et malsains. L’artiste a disparu au profit de la muse.

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Dora Maar in an Armchair | Pablo Picasso Dora Maar in an Arm… | Flickr

Ce qui est intéressant, cependant, c’est l’effacement dû à ce statut, qui rend le suprêmement visible, l’image, invisible. Cette « femme qui pleure », exposée dans les musées cachera toujours l’autre femme, celle qui crée.

Dora Maar raconte : « Tout s’est alors transformé, mon indépendance a été abolie et je me suis annulée comme artiste ».

Picasso est un ogre, aux appétits sexuels démesurés. Il la méprisera, l’insultera et la fera terriblement souffrir, voilà ce que je retiens de ce livre. Et pour moi ce n’est pas assez.

J’ai eu l’impression d’assister à une scène continue de dévoration.

« Elle revoyait parfois, en ironisant, silencieuse et amusée, les affronts d’apparent désamour qu’elle avait dû essuyer. Le Grand Génie racontant, par exemple, à ses amis que sa maîtresse obéissait plus vite que son chien Kazbeck, un lévrier afghan paralysé de paresse. Tandis que le chien faisait la sourde oreille, Dora répondait en courant au moindre appel, et elle avait grand plaisir à lui obéir. « Ce n’est qu’une fillette, une petite chienne, une bête… Tu lui lances un os et elle court le chercher pour te le rapporter. »

Quand ils faisaient l’amour et qu’il se juchait sur elle, il se moquait de ses gestes, lui pinçait la peau du cou, de la poitrine, lui laissait des bleus partout. »

La frontière devient floue entre vie publique et vie privée. Sur les toiles de Picasso, je vois maintenant l’ombre meurtrie de Dora Maar, comme de longues traînées sales, rougeâtres, imprégnées de ce sang des menstrues avec lequel il aimait peindre…

Et les larmes qu’il lui fit pleurer, sur ce tableau….

Tropique des silences – Karla Suárez

Karla Suarez

Tropique des silences – Karla Suárez – Editions Métailié, Paris, 2002.

Traduit de l’espagnol (Cuba) par François Gaudry

Elle est née à La Havane en 1969. Elle est ingénieur en informatique et vit entre l’espagne et la France. Ce livre a reçu un prix du premier roman en Espagne

La narratrice, que l’on surnomme « P’tit mec » raconte sa vie et ses démêlés familiaux de l’enfance à l’adolescence dans le Cuba joyeux des années 80 jusqu’à la débâcle des années 90 après l’effondrement du mur de Berlin et du bloc communiste.

On la surnomme « P’tit mec » car elle ne joue pas le jeu de la féminité, elle est longue, malingre, toujours habillée en pantalons, et la plupart du temps fourrée avec des garçons avec lesquels elle s’entend plutôt bien, d’autant plus qu’elle aura la chance, très jeune de rencontrer Dieu, Quatre, le Coke et le Poète. Elle n’est pas amoureuse mais ils le sont tous d’elles. Ainsi, elle ne se fait pas d’illusions, ils attendent toujours quelque chose d’elle alors qu’elle-même n’attend rien. Les figures féminines du récit sont pris dans une rage impuissante qui les empêche de vivre et les condamne à la souffrance et la folie. La grand-mère se plaint de ses enfants et ne les accepte pas comme ils sont, la mère de son mari, et la tante, elle se meurt d’un long chagrin d’amour qui la conduit inéluctablement à la folie. La narratrice, lucide, décide très tôt de ne pas suivre les modèles qui l’entourent, elle sait ce qu’elle ne veut pas même si elle ne sait pas encore ce qu’elle veut.

Elle dénonce l’hypocrisie des relations familiales, et des modèles politiques, collectivistes de son pays. Pour elle , rien n’est plus indispensable que le silence et la solitude, pour se trouver soi et pouvoir ensuite rencontrer les autres car « les gens ont si peur de la solitude qu’ils inventent des contrats, des organisations et des filiations de toutes sortes pour ne pas être responsables de leur propre sort ».

Le silence fait taire tous les mensonges, celui du sacrifice, de l’amour conjugal ou filial. On ne vit jamais pour l’autre mais d’abord pour soi-même, car sinon gare … Mourir d’amour, très peu pour elle. Le seul être est d’abord, soi, l’individu. Chacun doit faire ce qu’il veut et tant mieux si parfois on peut le faire à deux ou à plusieurs à condition que chacun respecte les silences de l’autre. Ainsi, les gens peuvent se quitter, partir sans que cela soit la fin de tout. Elle n’est pas insensible, elle a parfois du chagrin, beaucoup, des attachements, de l’amour.

C’est à cette seule condition que peut naître la musique, car la musique est faite des silences qui la composent, et qui font se détacher chaque note. Les êtres sont comme ces notes sur fond de silence…

Karla Suárez possède une écriture sèche et nerveuse, une lucidité qu’on a pu qualifier de cynisme, et une maîtrise certaine du récit et de son tempo. Je ne me suis jamais ennuyée à la lecture de ce roman, même si parfois , les passages de l’adolescence où elle se drogue et boit sans arrêt m’ont paru un peu longs. Dans l’ensemble une lecture agréable, en tout cas enrichissante.