Archives pour la catégorie Sexisme et littérature

Charlotte Perkins Gilman – Herland – Une des plus grandes utopies féministes à découvrir de toute urgence…

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Charlotte Perkins Gilman – Herland – Pavillon poche – Robert Laffont, 2016 et 2019 pour la présente édition. Traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner.

Charlotte Perkins Gilman, dont j’ai déjà parlé ici, crée, grâce à ce roman, une utopie féministe sans concessions, qui influencera plus tard, selon Alberto Manguel, la génération qui suivit l’œuvre de Betty Friedan, en l’occurrence Les Gurérillères de Monig Wittig en 1963, The Handmaid’s Tale de Margaret Atwood en 1985, et The cleft de Doris Lessing.

Elle imagine une société, où ce que l’on appelle aujourd’hui les valeurs virilistes , c’est-à-dire, la compétition, la rivalité, la prédation, et l’usage de la force pour l’obtenir, n’ont plus cours.

Trois américains découvrent sur un haut plateau un petit pays, pas plus grand que la Hollande. Les homme en ont disparu depuis très longtemps et une société féminine, dont la perpétuation se fait par parthénogenèse, et possédant un très haut niveau d’organisation et de culture, s’est fortement structurée autour de valeurs de partage, de solidarité et de coopération. La maternité y est sacrée mais elle n’est pas la voie exclusive des femmes car la plupart d’entre elles ont une seule fille. Ce qui leur permet de satisfaire leurs aspirations. N’oublions pas qu’à l’époque de Gilman la contraception est peu efficace, quand elle existe. Cette société est gouvernée par une « Land Mother », sorte de figure un peu tutélaire, assez peu démocratique en fait.

Les femmes exercent toutes les professions, n’ont aucune faiblesse congénitale, sont sportives et musclées et ne pratiquent pas la minauderie ! Cette mise en situation permet une critique de l’éducation des filles dans la société de son temps.

L’éducation est très fortement investie et la pédagogie, visant à faire de chacune une citoyenne éclairée et membre à part entière de la communauté, est une véritable science. C’est une société du partage et non de la concurrence. Les femmes de cette fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ne participent que très peu au monde intellectuel et économique. La critique sociale de Gilman permet de mettre en relief les inégalités dues au patriarcat.

La question que je me suis posée est celle de savoir comment auraient évolué les femmes dans nos sociétés s’il n’y avait pas eu le patriarcat. Sont-elles, par nature, plus éducables, plus compréhensives, plus solidaires ? Ou est-ce seulement une question d’éducation ? Beaucoup de questions qui agitent le féminisme, mais aussi la pensée en général. Hommes et femmes, sommes-nous si différents ? Pour ma part, je ne le crois pas. On peut modeler le corps des femmes par le sport, et le mouvement, les rendre plus aguerries et plus fortes, comme on peut éduquer l’usage de la force chez les hommes. Dans les groupes où les femmes sont en majorité, je n’ai pas remarqué qu’elles étaient plus pacifiques ni plus bienveillantes. Elles sont juste humaines.

Un livre vraiment intéressant, quelques longueurs parfois, de très belles réflexions mais parfois aussi ces femmes s’avèrent trop parfaites, et cela m’a questionné également.

Ce livre a paru d’abord sous forme de feuilleton dans le magazine de Gilman dont elle rédigeait non seulement les articles mais aussi les annonces publicitaires.

Les Testaments – Margaret Atwood/ Eblouissant !

Les testaments

Testaments – Margaret Atwood – Collection Pavillons – Robert Laffont, octobre 2019

 Lorsque j’ai appris la sortie de ce nouvel opus du chef-d’œuvre dystopique de Margaret Atwood « La servante écarlate », je me suis demandé pourquoi l’autrice avait ressenti le désir d’écrire cette suite : une série télévisée s’en était chargée avec brio, malgré quelques critiques cependant sur une forme de surenchère dans la cruauté et la violence du système totalitaire de Galaad.

Mais Margaret Atwood, dans ses remerciements, à la fin de l’ouvrage, ne manque pas d’adresser ses plus vifs remerciements aux « équipes MGM et de Hulu qui ont adapté le livre en une captivante série télévisée, magnifiquement réalisé et maintes fois primée ».

Mais il est à noter qu’elle ne mentionne que l’adaptation du roman et non la suite.

Parce que la patronne, c’est elle, et la suite sera la sienne !

Mais quid de cette suite ? Est-il encore possible de maintenir la même tension, le même suspense et la même émotion  ?

Le récit se situe quinze ans après « la servante écarlate » dans un régime théocratique corrompu, dont les rouages impitoyables assassinent, torturent et réduisent au silence tous ceux et surtout toutes celles qui lui résistent.

Testaments, est le récit de trois femmes dont l’une est la fondatrice du système, et les deux autres  deux jeunes filles dont l’une a été élevée à Galaad, et l’autre au Canada.

Les destins de ces trois femmes vont être réunis sous le sceau du secret, dans une lutte clandestine et souterraine, éminemment dangereuse qui pourrait les broyer.

Je n’en dirais pas plus, parce qu’il ne faut rien savoir  afin de pouvoir se laisser porter par le récit.

Selon Margaret Atwood, il s’agissait de répondre à une question récurrente qui lui était posée : « Comment Galaad s’est-il disloqué ? »

Testaments y apportent une réponse.

« Il arrive que les totalitarismes s’effondrent, minés de l’intérieur, parce qu’ils n’ont pas réussi à tenir les promesses qui les avait portés au pouvoir ; il se peut aussi qu’ils subissent des attaques venues de l’extérieur ; ou les deux. Il n’existe pas de recette infaillible, étant que très peu de choses dans l’histoire sont inéluctables. »

 Il s’agit selon moi d’un récit virtuose, qui ne vous lâche pas, dont le suspense est haletant et vous fait vibrer jusqu’à la dernière page.

Je vous le dis, Margaret Atwood voulait avoir le dernier mot. Et elle l’a eu dans cette suite éblouissante.

Fanny Raoul et Typhaine D au Café de la Gare le samedi 12 octobre – Un texte puissant et beau !

J’avais écrit une petite chronique sur ce texte magnifique !

Fanny-Raoul

Raoul (Fanny) – Opinion d’une femme sur les femmes

« Il est remarquable de voir des philosophes s’attendrir sur le sort d’individus dont un espace immense les sépare tandis qu’ils ne daignent pas s’apercevoir des maux de ceux qu’ils ont sous les yeux ; proclamer la liberté des nègres, et river la chaîne de leurs femmes est pourtant aussi injuste que celui de ces malheureux ».

Le droit à la citoyenneté pleine et entière, contre l’invisibilisation et l’exclusion des espaces d’expression et de décision

 » Le droit à la citoyenneté pleine et entière, contre l’invisibilisation et l’exclusion des  espaces d’expression et de décision.[…]

— La fameuse règle de grammaire : « le masculin l’emporte sur le féminin » apprend
dès le plus jeune âge aux filles et aux garçons, qui domine et qui subit. La mise sous le tapis des noms de métiers au féminin qui ont trait à la création ou à des fonctions prestigieuses en termes de transmission de savoir (autrice, écrivaine, doctoresse, philosophesse , inculque l’idée que les femmes ne pourraient créer, que « l’intelligence des femmes, c’est dans les ovaires »Léo Ferré.
— Les politiques mémorielles mises en œuvre pour valoriser et diffuser l’héritage français contribuent quant à elles à valoriser et diffuser une représentation tronquée de l’Histoire dont les femmes sont les grandes absentes. Dans l’ensemble des dispositifs de valorisation de l’héritage culturel français, les femmes sont sous-représentées, comme si les hommes étaient les seuls pourvoyeurs de l’héritage culturel, politique et artistique français. Le terme « patrimoine » est éloquent à cet égard, puisqu’il signifie littéralement « héritage du père ». »

Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes Bilan 2013-2019

A lire ici…

Féminisme, le deuxième sexe (3) – Le poids de la religion et des sectes aux Etats-Unis – Festival America

Dominique Chevalier : Un système religieux, un système sectaire, a établi des mœurs et une hiérarchie qui ne sont pas à l’avantage des femmes, je voudrais vous entendre sur la religion dans la lutte des femmes.

Dans les sectes, le pouvoir est toujours détenu par un homme…

Jennie Melamed : Les Etats-Unis ont toujours eu une position étrange par rapport à la religion et je n’ai trouvé ça dans aucun des autres pays occidentaux que j’ai visités. Je n’ai pas trouvé cette espèce de pulsion sauvage où on se définit soi-même par rapport à la religion.Je suis frappée par le fait que Dieu, la peur de l’enfer, tous ces concepts soient utilisés pour justifier toutes les actions qui ont été entreprises par les hommes notamment l’esclavage, les rôles contraignants attribués aux femmes, aux enfants, la justification « C’est ce que veut Dieu et si vous ne voulez pas aller en enfer, faites ce qu’on vous dit. ». Mais je suis très intéressée aussi par le fait que des groupes chrétiens, juifs, musulmans, de femmes sont en train de récupérer les idées positives qui sont dans les textes originaux, les textes fondateurs religieux, en avançant que « Nos textes remontent très loin, ils sont très anciens, cela a maintenant évolué,il faut maintenant les comprendre autrement. » Aux Etats-Unis, on a énormément de sectes, dont certaines sont plus célèbres que d’autres, je pense ici à la scientologie, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs et qui est authentiquement américain, et c’est tellement étrange et inconcevable pour moi que je trouve cela fascinant, même si cela suscite chez moi une très grosse colère, quant à l’exploitation que cela représente des individus. En ce qui concerne les sectes, ce qui m’a frappé, c’est que le pouvoir est toujours détenu par un homme, Dieu est toujours représenté par une puissance masculine, je n’ai jamais trouvé d’exemple de secte où le pouvoir soit donné aux femmes, ou soit dirigée par une femme. Dans les recherches que j’ai faites, j’ai vu beaucoup de choses autour de la situation des enfants, il y a un texte de la nièce de David Miscavige qui a grandi dans la scientologie, une vie de labeur physique épuisant, elle n’allait pas à l’école, ne recevait aucune éducation, ni aucune culture. Heureusement il y a beaucoup de gens prêts à voir le pouvoir féminin comme quelque chose de positif, comme une force pour aller de l’avant mais il faut savoir que, à cet égard, les sectes n’évoluent pas, ne changent pas, on ne voit aucun progrès dans le partage du pouvoir avec les enfants, et les femmes, qui leur permettrait de décider de leur vie. Je trouve cela à la fois cela fascinant et terrifiant.J’ai récemment été contactée par une jeune femme qui avait quitté une secte, en laissant une partie de sa famille derrière elle, qui ne voulait pas la suivre, et qui me disait qu’il y avait bien sûr des différences entre ce qu’elle avait vécu elle dans cette secte et ce qui était décrit dans mon livre, mais qu’il y avait aussi beaucoup de points communs, et que c’était ça qui était assez effrayant.

Des femmes droguées et violées par plusieurs hommes de leur propre colonie…

Leni Zumas : Ce que disait Jenny au sujet des sectes, il y a un roman très émouvant par l’auteure canadienne Miriam Toews, au sujet d’une colonie mennonite établie en Bolivie, et il a été découvert que de 2005 à 2009 des femmes droguées et violées par plusieurs hommes de leur propres colonies et bien sûr, ces femmes, conformément à l’orthodoxie de cette secte, n’avaient aucune éducation, n’avaient pas le droit d’apprendre à lire, ni à écrire, et le roman s’articule autour des décisions qui vont être prises par les femmes après cela.

  • Sur une île américaine, des familles vivent depuis plusieurs générations en totale autarcie et dans la croyance que le monde a plongé dans le chaos. Elles suivent le culte strict érigé par leurs pères fondateurs et mènent une vie simple, rythmée par les rites de leur foi. Dans cet environnement rigoureux, un groupe de très jeunes filles s’approchent de « l’été de la fructification », la cérémonie qui fera d’elles des femmes. L’une d’elles va se révolter, entraînant ses amies dans sa lutte désespérée, confrontant sa communauté à ses mensonges et à ses lourds péchés.

    « Entre Kazuo Ishiguro et Margaret Atwood. » The New York Times Book review

Féminisme, le deuxième sexe (2) – La question de l’avortement aux Etats-unis, Festival Americia 2018

Dominique Chevalier : Leni Zumas, vous situez votre roman dans un futur quasi immédiat, où sont remis en cause, plus que gravement, d’une part l’avortement, et d’un autre côté, la procréation médicalement assistée.  Dans les années 70, c’était la lutte pour rendre l’avortement légal, est-ce que vous pouvez expliquer à un public français, qui ne comprend pas pourquoi la loi ayant été votée, du droit à l’avortement, pourquoi aux Etats-Unis, cette loi donne-t-elle l’impression d’être en permanence remise en cause ? En France, la loi qui a rendu l’avortement légal, a été voté en 1975, certes il y avait, et il y a toujours des opposants à l’avortement, mais personne sérieusement ne remet en cause la loi Veil. Expliquez comment ça fonctionne aux Etats-Unis, pourquoi du coup on a l’impression que c’est toujours remis en cause ? Le public français ne sait pas comment ça fonctionne aux Etats-Unis.

Il vise à donner les droits fondamentaux d’une personne, le droit à la propriété, le droit à la vie, à un simple embryon, un zygote, qui n’est composé que d’une seule cellule

Leni Zumas : Je faisais des recherches sur le traitement de la fertilité, c’est une problématique que j’avais rencontrée moi-même dans ma vie privée et j’ai découvert ce mouvement qui accordait le droit de , le statut de personne à l’embryon, j’ai vu ça sur des sites web, sur le New York Times, sur CNN, etc et ça m’a vraiment effrayée, et ce mouvement donnant le statut de personne, est aujourd’hui soutenu par le vice-président américain, Mike Pence,  et certains membres du congrès américain, et il vise à donner les droits fondamentaux d’une personne , le droit à la propriété, le droit à la vie,  à un simple embryon, un zygote, qui n’est composé que d’une seule cellule Qu’il soit l’équivalent et l’égal d’un citoyen à part entière, cela me dépasse complètement, je ne sais pas comment gérer ce genre d’informations. La peur et le choc que j’ai ressenti, en me disant que c’était horrible, me rappelle que le christianisme évangéliste qui existe aux Etats-Unis est très lié à cela. Il y a l’idée  que les croyances religieuses d’une ou de quelques personnes, permettent de décider pour les autres citoyens, donc ce ne sont pas seulement des critères évangélistes mais  une affaire d’hommes, les hommes ont décidé, ils disent « C’est moi qui décide, c’est moi qui gère le corps des femmes, les femmes ne sont qu’une propriété » et c’est une logique pernicieuse, une vraie honte.

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DC : Si un embryon a des droits, le supprimer, c’est forcément supprimer une vie, et c’est donc forcément, logiquement un meurtre, d’où mise ne cause de l’avortement bien entendu. Je voulais simplement faire un tout petit point d’explication. il se trouve que la loi qui donne la qualité de l’avortement aux Etats-Unis, n’est pas une loi qui a été votée par les deux chambres du congrès, c’est un arrêté de la Cour Suprême, c’est-à-dire une décision prise par les neuf juges de la Cour Suprême,. Il y a donc deux manières de faire des lois aux Etats-Unis, un système qui consiste à passer par les deux chambres de l’Assemblée, le Congrès et l’autre, puisque la Cour Suprême est la cour d’appel, lorsqu’une dispute sur un sujet quelconque vient à l’attention de la Cour Suprême des Etats-Unis, ils prennent une décision, un arrêté et cet arrêté a force de loi, sur laquelle elle s’est déterminée en 1973 et a été que, en effet, l’avortement était légal. Simplement lorsqu’un arrêté, a été pris par une cour suprême, cet arrêté peut quelque temps plus tard être remis en cause par un autre arrêté de la cour suprême, composé éventuellement de juges différents, de juges plus ou moins conservateurs, c’est ce qui s’est passé pour la peine de mort, il n’y avait pas de peine de mort aux Etats-Unis. Puis une autre cour suprême a décidé que ce n’était pas fédéral mais une affaire de chaque Etat, et du jour au lendemain 38 états ont rétabli la peine de mort, voilà, il y a des grands sujets comme ça, qui peuvent constamment être remis sur le tapis, parce qu’ils sont liés à des arrêtés de la cour suprême, d’où l’importance que prend la nomination d’un juge à la cour suprême, c’est une énorme affaire, nous retiendrons  parce qu’il y a un scandale en train de se mener en ce moment aux Etats-unis, par rapport à la nomination éventuelle d’un nouveau juge, on en parlera plus tard.je voudrais qu’on continue et demander à Jane, en particulier si elle peut rebondir sur ce qu’on était en train de dire sur la religion.

L’avortement, un sujet toujours aussi brûlant aux Etats-unis

Vivian Gornick : Je voudrais intervenir sur le sujet de l’avortement qui est très très compliqué : le contexte dans lequel j’ai grandi, c’est celui du féminisme des années quarante, cinquante, qui avait une vision très philosophique, existentielle, des sujets, et a été une grande, grande inspiration pour moi, et pour leur combat pour les droits de la femme , et ce que j’ai vu et ce dont j’ai été témoin  et continue à être témoin c’est que parfois il y a une immense, immense force qui est mise en œuvre pour beaucoup d’activisme et très peu de progrès, au final les choses deviennent peu de chagrin, et s’essoufflent. Par exemple, pour la génération précédente, leur grand combat a été celui du droit de vote des femmes, et c’est vrai que toute leur pensée a été à un moment concentrée autour de cette question, et c’est la même chose en fait pour l’avortement, on pourrait presque aujourd’hui résumer le combat pour le droit des femmes à la lutte pour l’avortement parce que c’est sujet majeur, ça touche certainement à quelque chose d’assez primitif, et que, en fait, tout comme le droit de vote, l’avortement est considéré comme non naturel pour les femmes. Il existe donc, aux Etats unis en tout cas, une droite chrétienne très mobilisée sur ces questions, qui en exploite les ressorts émotionnels, ils ont des positions extrêmement fermes, et très étayées. Bien sûr il y a la question du système des courts de justice, de la Cour suprême, le fait que le système américain fait que cette menace est toujours un peu suspendue au-dessus de nos têtes. Ce problème ne pourrait être réglé que si le sentiment général de la société évolue, s’il y a un vrai changement dans la morale. Moi-même je suis surprise que ça reste un sujet toujours aussi brûlant, toute ma vie et jusqu’à ma mort cela risque de le rester, et donc effectivement tout comme Leni, je suis surprise que ce problème ne soit toujours pas réglé ; les arguments sont tellement ancrés des deux côtés que le système judiciaire ne les fera pas changer tant que les sociétés n’auront pas progressé sur la question.

 

Festival America 2018 – Féminisme, le deuxième sexe – Vivian Gornick, le féminisme radical et son origine

Litterama, les femmes en littérature, s’était donné pour mission de rendre compte le plus largement possible de la présence des femmes et des thématiques féministes ou autour des femmes de ce festival. Je remercie le service de presse de ce festival de m’en avoir donné l’opportunité. Ce festival a été, il faut encore le souligner, un écho au mouvement metoo et a accompli une petite révolution dans l’organisation et la conception des conférences autour de ces sujets. Le public, pas seulement féminin, y a été tout à fait sensible, et le nombre de visiteurs a encore augmenté cette année. Il y aura, à mon avis, un avant et un après dans ce domaine.

Née en 1935, Vivian Gornick,  icône féministe en Amérique, mais aussi journaliste,  et critique littéraire respectée, était présente lors de plusieurs conférences dont celle sur le féminisme. Voici donc une partie de son intervention, que j’ai retranscrit le plus fidèlement possible, qui explique l’origine du féminisme radical aux Etats-Unis, dans les années 60-70.

Dominique Chevalier : «  Nous avons la chance d’avoir parmi nous Viviane Gornick qui est véritablement une icône du féminisme, elle est à la fois journaliste, écrivain, professeure, critique littéraire, elle a été féministe radicale, et elle a écrit plusieurs essais sur 

le féminisme. C’est quelqu’un qui est véritablement une référence aux Etats-Unis, et je voulais lui demander, elle est décrite comme une féministe dans les années 60-70, ça voulait dire quoi, être féministe radicale dans les années 60-70 aux Etats-Unis ?

  • […]ce qui était considéré comme radical et sans doute pour la première fois c’est que la lutte pour le droit des femmes était vu comme une philosophie plus large, donc vraiment générale, qui en plus entrait dans le contexte d’une lutte, plus générale, pour les droits humains, ceux qui ne se limitaient pas à juste demander l’égalité des salaires, ou des choses comme ça, se considéraient ou étaient considérés comme radicaux.

« Les hommes de gauche, et les hommes noirs de ces mouvements, étaient sexistes et parfois encore plus sexistes que les autres » 

Sur l’origine du féminisme radical, moi, comme énormément de femmes de mon époque, on est issues du mouvement de la « new left », la nouvelle gauche, donc ces mouvements qui sont présents aux Etats-Unis mais aussi en Europe, partout dans le monde à partir des années soixante, soixante-huit, nous étions donc des sortes de fondatrices, de ce « new left » mais étant que femmes, ce qu’on a vu dans ces mouvements de gauche c’est que les hommes de gauche, et les hommes noirs de ces mouvements, étaient sexistes et parfois encore plus sexistes que les autres, et qu’on s’est vu être traitées, comme des servantes ou des enfants, on nous disait que ce n’était pas encore notre tour de parler, et donc ça a fait émerger une sorte de cri, très fort, pour demander l’égalité.

« On nous disait, arrêtez de créer de la division » 

Et donc et à chaque fois qu’on essayait de faire passer ces revendications, on nous disait qu’on créait de la division, et donc en fait c’est quelque chose qui remonte à très loin, c’est-à-dire même la révolution française, où quand les femmes ont commencé à dire, ah okay, très bien, il y a eu les droits de l’Homme mais que se passe-t-il pour les Vivian Gornickdroits de la femme, on leur a dit aussi à cette époque, arrêtez de créer de la division. Ca a été la même chose pour les suffragettes, qui étaient toutes membres des mouvements abolitionnistes, pour libérer les esclaves, et c’est en ça, un peu, que naît le féminisme radical, c’est un moment, une volonté pour s’exprimer, pour les femmes de mener leurs propres combats, puisqu’on leur demandait juste de prendre une position plus en recul, et que par exemple, on a offert le droit de vote aux hommes noirs, avant de l’offrir aux femmes.        © Mitchell Bach

« On ne sera plus gentilles ! » 

Et ces femmes ont affirmé, « ben non, il faut que ce soit tout le monde en même temps ou personne, et on ne reculera plus, et on ne sera plus gentilles et on ne voudra plus qu’on nous dise toujours , « ce n’est pas ton moment, ce n’est pas ton moment, ce n’est pas ton moment,  il y a des problématiques plus importantes, s’il te plaît, reste un petit peu en arrière », et ça c’est quelque chose que j’ai entendu pendant toute ma jeunesse, dans les mouvements féministes et , je pense qu’on ne peut plus attendre.

Dans La femme à part, Vivian Gornick traverse ses souvenirs, capturant l’essence de New York et de sa propre existence avec justesse.

La fille, désormais sans sa mère, décédée, devient une femme à part, arpentant son monde et le nôtre. Dans les bus de Manhattan et les rues du West Side, elle explore l’amitié, la solitude, le féminisme, la vieillesse, le sexe, la littérature, la place des Noirs dans la société américaine… Un voyage aussi intime qu’universel.

 « En parlant d’elle, Vivian Gornick nous tend un miroir. Et nous bouleverse. » The New York Times

 

Paroles de femmes : Louise Colet (1810-1876)

Louise Colet

« Il était de ceux qui, malgré leur médiocrité, professent pour l’esprit des femmes un superbe dédain.
A ses yeux, j’étais folle de vouloir le diriger en politique ou en morale. Il me renvoyait à mes chiffons, à mon piano, aux caquetages du monde[…] »

« Ma grand-mère me parlait beaucoup de la vie mondaine et futile que mène une jeune femme aussitôt après son mariage, et jamais de cette vie enchaînée, sans issue dans ce monde, qui fait de la femme une misérable esclave, lorsque, ne trouvant pas l’amour et le bonheur dans le mariage, elle n’accepte pas comme compensation les distractions dangereuses des passions ou les puériles jouissances de la vanité. »

« Je fus bien coupable d’accomplir aussi légèrement un tel acte, mais est-ce moi qui fus coupable ? Sont-ce les femmes qui sont coupables quand elles se déterminent en aveugles dans cette grande affaire de la vie ? N’est-ce pas plutôt l’éducation qu’on nous donne ? Que nous apprend-on hélas ! sur le mariage ? Qui de nous a lu, jeune fille, le texte de ces lois qui disposât à jamais de notre liberté, de notre fortune, de nos sentiments, de notre santé même, de tout notre être enfin, de ces lois faites, non pour nous protéger, mais contre nous, de ces lois dont la société a fait des devoirs, et qui deviennent des supplices lorsque l’amour ne les impose point ? »

In « Un drame dans la rue de Rivoli , Louise Colet (1810-1876)

Les femmes et l'ecriture 3

Mon école sous un manguier – Bharti Kumari

Bharti-Kumari-Mon-ecole-sous-un-manguier

Vignette Violences faites aux femmes  On savait déjà qu’il est plus dur d’être une fille dans certains pays que dans d’autres. L’Inde souffre d’un déficit de naissances en ce qui concerne les filles qui est la conséquence de différentes pratiques visant à les empêcher de naître : l’échographie prénatale permet l’avortement sélectif,  la malnutrition des filles ( elles sont moins bien nourries que les garçons à qui on réserve les meilleurs morceaux) retarde leur développement, et leur abandon dans les régions les plus pauvres est une pratique courante. De nombreux rapports témoignent de cela mais il n’est pas inutile de le rappeler. Une fille est considérée comme une charge car elle est nourrie pendant des années pour finalement intégrer la famille de son mari en tant que jeune épouse. Et même si la dot est interdite, l’usage de cette coutume se perpétue et représente une charge financière parfois insupportable pour la famille.

           Bharti Kumari non seulement est une fille mais en plus elle est « intouchable », dalit (qui veut dire opprimé). Les dalits sont au bas de l’échelle sociale et représentent l’impureté. Ce système millénaire des castes est un système de discrimination normalement interdit mais qui est toujours largement suivi. Les dalits sont cantonnés aux travaux sales et difficiles de manière héréditaire et leur ascension sociale est limitée.

          D’autre part, Bharti est une enfant abandonnée qui a été recueillie par un couple de paysans. Depuis toute petite, elle aime apprendre et tente de surmonter les difficultés de sa condition. Un événement dramatique va bouleverser sa vie et lui permettre d’intégrer une école de bon niveau à trois kilomètres de son village. A son retour, elle réunit, à l’ombre d’un manguier, les enfants qui ne peuvent aller à l’école et leur enseigne ce qu’elle a appris.

          Son témoignage est une leçon de vie et de courage. La lire permet d’accompagner ce beau parcours.

Festival d’Avignon off 2015 – Du domaine des murmures avec Leopoldine Hummel – compagnie La Caravelle DPI

Du domaine des murmures (Goncourt des lycéens 2011) – Programme du OFF 2015 – Avignon Festival & Compagnies – Théâtre des Halles, salle de la Chapelle.

femmes-de-lettres les femmes et le théâtre 1 jpg« 1187, le Moyen Âge. Franche Comté, le domaine des Murmures. Le châtelain impose à sa fille unique,« Lothaire-le-brutal ». Esclarmonde, 15 ans, refuse le mariage. Le jour de la noce, elle se tranche l’oreille. Elle choisit d’épouser le Christ. Protégée par l’Eglise elle est emmurée vivante, une recluse. Pourtant, neuf mois plus tard, la pucelle donne naissance à un fils. L’enfant a les paumes percées : les stigmates du Christ…Mystère ? Menace ? Miracle ? Du fond de sa tombe. Esclarmonde va défier Jérusalem et Rome, les morts et les vivants et même le Ciel, pour sauver son fils. « 

J’avais lu le roman de Carole Martinez ( ) que j’avais beaucoup aimé. Léopoldine Hummel donne chair à ce texte avec une grande force et beaucoup de subtilité. Son jeu est d’une grande justesse; elle n’en fait ni trop, ni trop peu. Le personnage a une profonde force morale, et les émotions qui l’agitent laissent voir toute la richesse de son intériorité. Elle murmure, chante, fait vibrer sa voix avec une infinité de degrés. Comment forcer le destin et conquérir sa liberté dans une société qui vous enferme dans un rôle et dans des codes ? Esclarmonde défie le monde et Dieu…
La seule chose qui m’a gênée dans la mise en scène est l’utilisation d’un micro dont la comédienne n’avait absolument pas besoin dans cette petite chapelle. Leopoldine Hummel était lumineuse et inspirée, faisant corps avec son texte, amoureusement. Une belle performance, et la profondeur d’un souffle pendant 1h15.
Interprète(s) : Leopoldine Hummel
Charge de production et de diffusion : Daniel Legrand
Adaptation scénographie et mise en scène : José Pliya
La Caravelle Diffusion Production Internationale, cie de création, se veut un laboratoire pour questionner le « vivre ensemble »Soutien : Conseil Général du Doubs
Cette pièce avait été jouée du 5 mai au 12 juillet au Théâtre de poche Montparnasse avec une autre comédienne, Valentine Krasnochock.

Jeanette Winterson- Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

pourquoi être heureux quand on peut être normal

Jeanette Winterson – Pourquoi être heureux quand on peut être normal –traduit de l’anglais par Céline Leroy – Editions de l’Olivier

Parler d'homosexualitéCe pourrait être un conte de la folie ordinaire, dans lequel règne une terrible ogresse qui n’aime pas la vie, celle-ci aurait pour nom Mrs Winterson, et au lieu de dévorer les enfants, elle en adopterait un qu’elle prénommerait Jeanette. Pas facile de vivre avec une ogresse, surtout lorsqu’elle est pentecôtiste, qu’elle a banni tous les livres (ou presque) de la maison, et que, pour vous punir, elle vous laisse la nuit entière dehors tout en attendant l’Apocalypse.

Une ogresse qui essaie de conformer son énorme masse à la normalité, et qui devant l’homosexualité de sa fille lui demande « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? »

Ne pas être vraiment la fille, ne pas pouvoir revendiquer le lieu où on habite, dont on n’a pas la clef, toujours à attendre sur le seuil. Comment ne pas se dissocier, comment ne pas se couper de soi-même ?

Heureusement pour la petite Jeanette, « Les histoires sont là pour compenser face à un monde déloyal, injuste, incompréhensible, hors de contrôle. » et très vite elle a l’amour des mots, se sert des livres comme refuge. Elle y trouve la vie qui lui manque : « Un livre est un tapis volant qui vous emporte loin. Un livre est une porte. Vous l’ouvrez. Vous en passez le seuil. En revenez-vous ? »

Les livres sont devenus son foyer, car elle les ouvre « comme une porte », et pénètre dans un espace et un lieu différent dont cette fois elle a la clef, et dont personne ne peut la chasser.

Mais cette enfance dévastatrice a laissé ses marques, ses cicatrices, toujours prêtes à se rouvrir, et Jeanette Winterson souffre d’une forme atténuée de psychose, elle entend des voix :

« J’abritais en moi une autre personne – une part de moi – ou ce que vous voudrez – à ce point dévastée qu’elle était prête à me condamner à mort pour trouver la paix. »

Alors c’est une autre lutte qu’il faut encore entreprendre, contre la dépression, la folie, le suicide.

Jeanette survit, écrit, aime. Elle fait d’elle une fiction pour pouvoir vivre. Elle se raconte dans un lieu dont la trame serrée puisse la tenir en vie. Elle nous éblouit, nous transporte, nous chavire d’émotions.

Ce livre aura été pour moi un véritable coup de cœur.

 Il a obtenu le prix Marie-Claire 2012

le mois anglais

Mois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou pour la 4ème année consécutive et auquel je participe avec plusieurs livres cette année.

Dix-sept ans de Colombe Schneck

Dix-sept ans de Colombe Schneck – 07 janvier 2015 – Grasset – 47 pages

Vignette femmes de lettresCe court récit pour rappeler que le droit à l’avortement, partout menacé, est essentiel à la liberté des femmes. A dix-sept ans, Colombe Schneck devient enceinte d’un beau garçon dont elle n’est pas amoureuse. Pas question de sacrifier son avenir, ses études. Fille de médecins de gauche, compréhensifs et à l’écoute, elle décide de subir une IVG. A l’heure des discours de certains politiques qui voudraient restreindre l’application de la loi, sous prétexte d’une banalisation de l’avortement, l’auteure rappelle qu’il ne s’agit pas d’un moyen de contraception, que c’est un événement qui reste un choix à assumer, qui laisse des traces, dont on ne peut parler facilement, parce qu’il renvoie à une certaine culpabilité. L’avortement de confort n’existe pas, c’est une fiction commode. Et c’est bien là le problème, 40 ans après la loi Veil, cette difficulté à affronter le regard des autres. Annie Ernaux, dans « L’événement » (paru en 2000 , personne n’en fit écho) raconte la solitude dans laquelle l’a plongé un avortement en 1963 , cinq ans avant la légalisation de la pilule et onze ans avant celle de l’IVG, à une époque où l’avortement était illégal et risqué. Si la jeune fille de 17 ans est enceinte, c’est par négligence, une pilule oubliée, l’insouciance de celle qui croit que cela ne peut pas lui arriver.
Le corps des femmes peut enfanter, et c’est une différence irréductible avec celui des hommes. C’est la brutalité du biologique, sa violence, son aliénation parfois mais aussi son pouvoir de création. Après le combat de Simone Veil, 44 ans après «Le manifeste des 343» paru dans le no 334 du magazine Le Nouvel Observateur dans lequel des Françaises reconnaissent « Je me suis fait avorter » s’exposant à des poursuites pénales, l’auteure raconte une nouvelle fois la rébellion, et l’illusion due peut-être à la liberté que donne la contraception, que les garçons et les filles sont à égalité. « Je suis aussi libre que mon frère, ma mère est aussi libre que mon père. », et que les femmes sont délivrées du biologique.
Un livre court et sensible.

Logo Prix Simone Veil

sélection 2015

La couleur des sentiments – Kathryn Stockett

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Le tour de force de ce roman est de parler des femmes, de toutes les femmes, à travers un prisme qui est la situation des employées de maison noires dans le Mississipi en 1962. Les lois raciales sont encore en vigueur et la ségrégation n’est pas encore un souvenir, Rosa Parks a obtenu la mixité dans les bus, Marthin Luther King rassemble autour de lui des noirs et des blancs dans une lutte commune pour les droits civiques, tandis qu’à Jackson, Mississipi, quelques bourgeoises blanches militent pour obtenir une loi qui oblige les femmes noires à avoir des toilettes séparées des blancs dans les maisons où elles travaillent.

Ce roman polyphonique donne la parole à trois femmes, Aibileen, Miss Skeeter et Minny. Deux bonnes noires et une jeune bourgeoise blanche que vont lier l’envie commune de changer les choses, et de prendre en main leur destin.

Les bonnes comme leurs maîtresses sont victimes d’une hiérarchisation des rôles dans une société extrêmement cloisonnée. Le seul pouvoir de ces femmes blanches est celui qu’elles exercent sur plus opprimées qu’elle. Cela seul les rendrait pathétiques si elles étaient moins sottes et moins cruelles.

Eugenia Skeeter voudrait être écrivain mais ne peut le dire à sa famille qui ne songe qu’à lui trouver un bon mari. Point de salut hors du mariage : les vielles filles, les secrétaires, les professeurs, bref toutes les femmes émancipées, ne sont pas vues d’un très bon œil. Pourtant les américaines sont déjà plus émancipées que la plupart des européennes puisqu’elles ont obtenu le droite vote à l’échelon fédéral en 1920.

On considère alors que la nature des femmes les rend plus apte à éprouver qu’à raisonner. L’instinct maternel mais aussi leur sentimentalité exacerbée les destinent à être des épouses et des mères, à entretenir , garder le foyer et perpétuer la descendance. Elles sont aidées par des bonnes noires qui assurent le gros du travail et sont payées une misère, ravalées au rôle de ménagère, degré le plus bas de la féminité –il n’y a qu’à voir comment on traite la souillon dans les contes de fée.

Le roman se moque allègrement de ces clichés, l’instinct maternel n’est pas ce qui est le plus partagé par ces grandes bourgeoises, prises qu’elles sont par leur mondanités, déléguant parfois presque totalement le soin des enfants à leur bonne.

 

La révolte de ces femmes va les conduire à écrire en secret. L’écriture devient un acte autant salvateur que libérateur. Ecrire, c’est à la fois témoigner et prendre la parole dans un monde largement réservé aux hommes. Mais avant d’écrire, elles lisent, elles dévorent les livres interdits aux noires parce qu’elles ne peuvent les emprunter dans les bibliothèques des blancs. Lire, écrire, c’est combattre l’ignorance dans laquelle on maintient les femmes comme dans une prison.

Ecrire et publier, c’est soumettre au débat, dévoiler ce qui est caché, donner à voir autant que dénoncer. C’est aussi s’engager dans la maîtrise d’une parcelle de ce pouvoir que donne l’éducation et le savoir. Ceux qui ont le pouvoir se reconnaissent entre eux à la façon dont ils parlent ou écrivent. Toutes choses qui demandent un long apprentissage dégagé des tâches subalternes. Ecrire, c’est se délivrer de la matérialité des choses.

 J’ai dévoré ce livre, tout à tour émue, amusée et captivée par l’histoire de ces femmes, histoire portée par des voix chaleureuses et inoubliables. Le récit est parfaitement rythmé et nous emporte littéralement … A lire absolument …

 

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est le livre de chevet de Skeeter, (Eugenia).

Le quai de Ouistreham – Florence Aubenas

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vignette Les femmes et la PenséeC’est curieusement une autre lecture  « La couleur des sentiments » qui m’a conduit à ce livre. Les femmes de ménage noires du roman sont indispensables mais invisibles pour leurs employeurs blancs. La femme de ménage a un statut particulier parce qu’elle est presque obligatoirement une femme et non qualifiée. Une femme qui n’a pas de qualification sait au moins faire le ménage si elle ne sait pas faire autre chose. A priori, on l’a éduquée pour tenir un foyer !

Florence Aubenas part à Caen en 2009 et s’inscrit au chômage avec seulement un bac sur son CV et de longues années d’inactivité due à son statut de femme au foyer. A Pôle Emploi, on lui propose de devenir agent de propreté dans des entreprises. Elle fait alors l’expérience du monde de la précarité où « on travaille tout le temps sans avoir de travail, on gagne de l’argent sans vraiment gagner notre vie. »

Ce livre est bouleversant parce qu’il nous plonge au cœur d’un monde inconnu pour la plupart d’entre nous, un monde où les valeurs ne sont plus les mêmes ou la misère n’est jamais loin de l’extrême pauvreté de ces travailleurs qui peinent à gagner 800€ par mois.

Une des femmes raconte qu’elle ne va pas chez le dentiste car c’est trop cher et qu’il est très difficile d’obtenir un rendez-vous lorsqu’on est titulaire de la CMU. Alors la jeune femme préfère laisser pourrir toutes ses dents jusqu’à ce qu’on les lui arrache toutes à l’hôpital et qu’on lui donne un dentier.

Dans ce monde-là, non seulement les employés fournissent un travail très dur physiquement mais en plus ils sont obligés de subir le mépris de leur employeur, je dirais même la férocité de ceux qui ont le pouvoir de donner quelques heures par ci, par là. Pour pouvoir gagner leur vie, les agents de propreté, en majorité des femmes, sont obligés de cumuler des contrats pour quelques heures et courent d’un poste à l’autre de 5 heures du matin à 22h00 le soir. Le statut d’ouvrier paraît alors le plus enviable parce qu’il assure des horaires de travail compatibles avec une vie de famille. Mais quid des entreprises ? Il n’y en a plus, raconte Florence Aubenas, les usines ont fermé, la France se désindustrialise, les entreprises délocalisent et les ouvriers se retrouvent au chômage sans espoir souvent de retrouver un autre emploi.

Les seules opportunités sont liées au nettoyage et à l’entretien. Et ces femmes sont non seulement mal payées mais exploitées puisqu’on leur demande souvent d’assurer des « missions » en des temps impossibles à tenir. Alors elles font des heures supplémentaires non payées pour ne pas perdre leur emploi.

Dans ce monde de la précarité, les loisirs consistent à rêver devant toutes ces choses hors de prix quand on ne gagne même pas le SMIC, on va se promener au centre commercial comme on irait se promener sur les Champs Elysées.

A l’issue de cette lecture qui m’a fait penser sur certains points au roman que je venais de lire, je me suis demandée comment s’opérait ce lien entre la féminité et la domesticité. Cela m’a intéressée.

Selon les différentes statistiques, les femmes occupent majoritairement des emplois dans le secteur des services « notamment dans des postes relationnels ou touchant aux fonctions domestiques (cuisine, ménage, soins, garde et éducation des enfants) ». Les femmes ayant obtenu le droit de vote assez tardivement en France ont longtemps été cantonnées aux sphères de la domesticité. Il est curieux de noter que des domaines d’activités où elles étaient minoritaires au début du siècle, l’enseignement primaire par exemple, ont été désertés par les hommes  lorsqu’ils ont été investis par les femmes. Il est intéressant de noter également que les interlocuteurs des enseignants sont majoritairement des interlocutrices. Cela est dû à une intégration depuis l’enfance des normes de différenciation sexuelle des tâches. Le contrôle social s’exerce autant sur les hommes que sur les femmes quant au respect. plus ou moins strict de la frontières entre les tâches féminines et masculines. Les tâches domestiques sont liées historiquement à la position subordonnée de la femme dans la sphère domestique.

          La division du travail entre l’homme et la femme est une construction sociale caractérisée par l’opposition « entre les actions continues et duratives, en général attribuées aux femmes, et les actions brèves et discontinues, en général attribuées aux hommes. »(Bourdieu)

Cette division sexuelle des tâches serait-elle naturelle ? Que nenni répond Pierre Bourdieu, c’est une construction fondée sur « l’accentuation de certaines différences et le voilement de certaines similitudes »[1] (Bourdieu, 1998 : pp. 13-21). Donc si l’organisation sociale tend à générer des codes régissant la différenciation des tâches, ces codes eux-mêmes peuvent changer et évoluer ; ils ne sont pas immuables. Voir l’exemple de ceux qu’on a appelé des papas « poules » ou de ces hommes qui osent affirmer leur goût pour la cuisine et les tâches ménagères . Cette division sexuelle des tâches a été renforcée par une façon de penser le monde de manière très dualiste : ce qui relève du domaine de l’esprit est noble, ce qui relève du corps, de sa finitude et de sa corruption est vil. Donc tout ceux qui nettoient, entretiennent ont forcément des occupations basses et serviles. Les mentalités évoluent mais c’est plus difficile peut-être qu’enlever des tâches sur le col d’une chemise !

Virginie Despentes King Kong Theorie

King Kong Théorie Grasset 2006

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Parler d'homosexualité Disons-le tout de suite, Virginie Despentes n’est pas consensuelle, sa langue est crue et sans détours, elle n’a pas peur de jeter des pavés dans la mare et sa pensée, souvent, est radicale. Moi, j’aime sa sincérité, sa virulence et sa force qui n’excluent pas la fragilité fondatrice de tout être humain.

King Kong théorie est une réflexion nourrie des expériences personnelles de l’auteure, celle du viol qu’elle a subi à 17 ans, de la prostitution qu’elle a exercée occasionnellement et de la pornographie, milieu dans lequel elle a travaillé et chroniqué des films.

Son texte est riche, porté par une grande énergie, et agit comme de la dynamite. Il est souvent drôle, très pertinent et polémique. Il est écrit pour toutes celles ou ceux qui ne se sentent en adéquation ni avec le discours dominant,  ni avec la place qui leur est assignée qu’il soit homme ou femme.

Ainsi dit-elle d’où elle écrit, « prolotte de la féminité », et pour qui elle écrit : « J’écris de chez les moches, pour les moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché de la meuf, aussi bien que pour les hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ceux qui voudraient l’être mais ne savent pas s’y prendre, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés. Parce que l’idéal de la femme blanche séduisante qu’on nous brandit sous le nez, je crois bien qu’il n’existe pas. »

En effet, hors de l’apparence, la femme n’a point de salut, dotée d’un physique ingrat, ou passée un certain âge, elle devient invisible aux yeux de la plupart des hommes.

Pourtant la révolution féministe a bien eu lieu, et les femmes aujourd’hui jouissent d’une liberté sans égale dans leur histoire. Pourquoi alors les inégalités subsistent-elles ? Pourquoi les femmes ne se servent-elles pas de cette puissance retrouvée d’exercer leurs talents et d’assouvir leur désirs ? Pourquoi sont-elles minoritaires en politique ?

Parce que tout un ensemble de discours pernicieux tenus « surtout par les autres femmes, via la famille, les journaux féminins, et le discours courant. » sur ce que doit être la féminité les entrave, comme si celle-ci n’était pas le produit de la culture et de l’histoire. Beauvoir est passée par là, et plus récemment Judith Butler.

Virginie Despentes essaie de montrer comment les hommes, comme les femmes en sont victimes, car si une place est assignée à la femme, une autre est assignée à l’homme. Les hommes oublient trop souvent que leur force enracinée dans l’oppression féminine a un coût : « Les corps des femmes n’appartiennent aux hommes qu’en contrepartie de ce que les corps des hommes appartiennent à la production, en temps de paix, à l’État, en temps de guerre. » Et tout ce qui leur est interdit depuis toujours , les larmes, la sensibilité et tutti quanti.

Comprendre ce qui nous aliène dans la distinction des rôles et des places , « c’est comprendre les mécanismes de contrôle de toute une population ». « Le capitalisme est une religion égalitariste, en ce sens qu’elle nous soumet tous, et amène chacun à se sentir piégé comme le sont toutes les femmes. »

Ainsi dans l’expérience traumatisante du viol qu’elle a subi, Virginie Despentes affirme encore : « J’aurais préféré, cette nuit-là, être capable de sortir de ce que l’on a inculqué à mon sexe […] plutôt que vivre en étant cette personne qui n’ose pas se défendre parce qu’elle est une femme, que la violence n’est pas son territoire, et que l’intégrité physique du corps d’un homme est plus importante que celle d’une femme. »

Toutes ces normes, ces codes assimilés tout au long de l’Histoire, font de la femme une proie et une victime et Virginie Despentes refuse tout cela. Même d’un viol, on peut se relever, car c’est nier le pouvoir absolu que s’arroge le violeur, même si elle admet de cet événement qu’ : « Il est fondateur. De ce que je suis en tant qu’écrivain, en tant que femme qui n’en est plus tout à fait une. C’est en même temps ce qui me défigure, ce qui me constitue. »

Quant à la prostitution, hypocritement vilipendée par les bonnes âmes de la société, elle est un mode des relations hétérosexuelles dans la société patriarcale. Le sexe est souvent tarifé, les femmes n’ayant souvent pas eu d’autre choix que s’assurer un bon mariage pour échapper à leur condition ou monter les barreaux de l’échelle sociale. Mais si la prostitution fait peur, selon elle, c’est que « le contrat marital apparaît plus clairement comme ce qu’il est : un marché où la femme s’engage à effectuer un certain nombre de corvées assurant le confort de l’homme à des tarifs défiant toute concurrence. Notamment les tâches sexuelles ».

Même chose pour la pornographie et le sort qui est fait aux hardeuses, qui parce qu’elles ont gagné leur vie en retirant un « avantage concret de leur position de femelles, doivent être publiquement punies. » Elles ont transgressé la place assignée à la femme, celui de la bonne épouse, de la bonne mère, de la femme respectueuse. Dans ces films faits par des hommes le plus souvent, elles ont une sexualité d’hommes, veulent du sexe et assument à cet égard une totale liberté. D’autre part, elles jouissent à tous les coups. La pornographie elle aussi est une atteinte à l’ordre moral qui est fondé sur l’exploitation de tous et des femmes en particulier : « La famille, la virilité guerrière, la pudeur, toutes les valeurs traditionnelles visent à assigner chaque sexe à son rôle. »

Pour finir, Virginie Despentes raconte sa « montée » à Paris, la réception de son œuvre par les critiques, leur violence, le mépris et le rejet qu’elle ressent plus violemment en tant que fille. Elle est trop « masculine », trop indisciplinée, trop violente. On ne lui pardonne pas la moitié de ce qu’on permet aux auteurs hommes. En gros, elle fait tache. (On tolère Bukowski un ivrogne obsédé sexuel, instable et chaotique parce que c’est un homme). Pas assez féminine, docile, servile. Mais qu’est-ce que  la féminité ?

C’est l’art de la servilité : « C’est juste prendre l’habitude de se comporter en inférieure. Entrer dans la pièce, regarder s’il y a des hommes, vouloir leur plaire. Ne pas parler trop fort. Ne pas s’exprimer sur un ton catégorique. Ne pas s’asseoir en écartant les jambes pour être bien assise. Ne pas s’exprimer sur un ton autoritaire. Ne pas parler d’argent. Ne pas vouloir prendre le pouvoir. Ne pas vouloir occuper un poste d’autorité. Ne pas chercher le prestige. Ne pas rire trop fort … »

Heureusement mon expérience n’est pas tout à fait celle de Virginie Despentes, et les hommes, la plupart du temps, ont été des amis (mais pas toujours non plus). Pourtant je comprends parfaitement ce qu’elle raconte quand elle explique comment chacun de nous est assignée à « son genre », comme s’il était assigné à résidence. Et combien il est difficile parfois d’oser, quand on est une femme. Simplement parce qu’on vous a dit ce que devait être une femme. Néanmoins la douceur est, à mon avis, une conquête féminine, et il est heureux qu’elle sache la donner, la communiquer. De la même façon, la douceur des hommes est signe de leur force, parce qu’elle suppose une maîtrise et un équilibre parfaits de toutes leurs pulsions; en ce sens  elle est l’exact contraire de la faiblesse. Un homme violent est faible, mais un homme qui accepte en lui sa douceur, montre sa force, inégalée.

Parfois les hommes et les femmes se rencontrent au lieu même de cette douceur en eux, qui est leur force. Et c’est heureux.

Humeur… Les écrivains pour dames…

Tout le monde ou presque connaît les paroles de la chanson de Souchon, qui évoque  » ces nouvelles pour dames de Somerset Maugham ». La tradition est longue de ces soi-disant auteurs qui écriraient avec l’intention particulière de plaire aux femmes. Les ingrédients sont toujours les mêmes : mièvrerie, sentimentalisme sirupeux, légèreté, délicatesse et une certaine pudeur (non, les femmes ne …. pas). Bon, je vous le concède, ils ne le font pas toujours exprès ! Mais le succès est souvent au rendez-vous, car ils vendent  beaucoup de livres . Les femmes lisent…énormément.

Cette semaine, j’ai entendu un critique littéraire très connu, sur une chaîne de télévision non moins connue, faire l’amalgame : il semblerait que deux auteurs réputés pour leur lectorat féminin, Grégoire Delacourt (La liste de mes envies) et David Foenkinos (La délicatesse) tentent une reconversion.

Grégoire Delacourt, avec « On ne voyait que le bonheur« , tentative ratée selon ce même critique,  chez Lattès,  sorti le 20 août 2014, et le roman « Charlotte » de David Foenkinos qui s’intéresse au destin d’une artiste peintre allemande qui a été tuée à Auschwitz. Bon, là, il semblerait que ce soit réussi. L’auteur a au moins atteint le purgatoire. Encore quelques efforts, et il sera lu aussi par les hommes, consécration suprême !

J’aimerais savoir ce qu’est un livre écrit pour les hommes ? Du sang ? Du sexe ? Quelques coups de poing ? Quels sont donc les auteurs dont l’écriture virile est plébiscité par les hommes ?

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