Archives pour la catégorie Thématique : Les mères en littérature

Les Testaments – Margaret Atwood/ Eblouissant !

Les testaments

Testaments – Margaret Atwood – Collection Pavillons – Robert Laffont, octobre 2019

 Lorsque j’ai appris la sortie de ce nouvel opus du chef-d’œuvre dystopique de Margaret Atwood « La servante écarlate », je me suis demandé pourquoi l’autrice avait ressenti le désir d’écrire cette suite : une série télévisée s’en était chargée avec brio, malgré quelques critiques cependant sur une forme de surenchère dans la cruauté et la violence du système totalitaire de Galaad.

Mais Margaret Atwood, dans ses remerciements, à la fin de l’ouvrage, ne manque pas d’adresser ses plus vifs remerciements aux « équipes MGM et de Hulu qui ont adapté le livre en une captivante série télévisée, magnifiquement réalisé et maintes fois primée ».

Mais il est à noter qu’elle ne mentionne que l’adaptation du roman et non la suite.

Parce que la patronne, c’est elle, et la suite sera la sienne !

Mais quid de cette suite ? Est-il encore possible de maintenir la même tension, le même suspense et la même émotion  ?

Le récit se situe quinze ans après « la servante écarlate » dans un régime théocratique corrompu, dont les rouages impitoyables assassinent, torturent et réduisent au silence tous ceux et surtout toutes celles qui lui résistent.

Testaments, est le récit de trois femmes dont l’une est la fondatrice du système, et les deux autres  deux jeunes filles dont l’une a été élevée à Galaad, et l’autre au Canada.

Les destins de ces trois femmes vont être réunis sous le sceau du secret, dans une lutte clandestine et souterraine, éminemment dangereuse qui pourrait les broyer.

Je n’en dirais pas plus, parce qu’il ne faut rien savoir  afin de pouvoir se laisser porter par le récit.

Selon Margaret Atwood, il s’agissait de répondre à une question récurrente qui lui était posée : « Comment Galaad s’est-il disloqué ? »

Testaments y apportent une réponse.

« Il arrive que les totalitarismes s’effondrent, minés de l’intérieur, parce qu’ils n’ont pas réussi à tenir les promesses qui les avait portés au pouvoir ; il se peut aussi qu’ils subissent des attaques venues de l’extérieur ; ou les deux. Il n’existe pas de recette infaillible, étant que très peu de choses dans l’histoire sont inéluctables. »

 Il s’agit selon moi d’un récit virtuose, qui ne vous lâche pas, dont le suspense est haletant et vous fait vibrer jusqu’à la dernière page.

Je vous le dis, Margaret Atwood voulait avoir le dernier mot. Et elle l’a eu dans cette suite éblouissante.

Le cœur battant de nos mères – Brit Bennett / Devenir mère ou pas – Découverte Festival America

Résultat de recherche d'images pour "le coeur battant de nos mères"

Le cœur battant de nos mères, The Mothers (2016), Brit Bennett, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Autrement 2017 (J’ai Lu n°11977)

Le choix du titre en français est assez surprenant, car il induit des représentations qui ne sont peut-être pas tout à fait celles du roman, le titre en anglais est « Les Mères », car la question centrale du roman est bien de devenir mère ou pas. Il évoque des destins de femmes dont la dimension maternelle a été source d’interrogations, et de difficultés, voire d’impuissance. Le suicide, l’avortement, la difficulté à assumer ce rôle de mère sont au cœur du récit.

« L’avortement prenait peut-être un autre aspect quand c’était juste un sujet intéressant pour un article ou un débat autour d’un verre, quand vous n’imaginiez pas que cela pouvait vous atteindre. »

Le droit des femmes à disposer de leur corps et la question de l’avortement a été largement évoqué lors des débats du Festival America autour du Féminisme.

La narration est menée par un chœur, comme au sein de la tragédie, mais un chœur de Mères.

L’auteure avoue s’intéresser depuis longtemps au rôle des femmes au sein des Eglises, souvent cantonnées aux basses œuvres et rarement mises en avant. Elle a donc décidé de leur donner la parole, de les faire sortir de cet anonymat.

Nadia et Aubrey, les deux protagonistes de l’histoire vivent sans leur mère et se sentent trahies, abandonnées. Leur réponse va consister, par ricochet, à se mettre à distance de la maternité, par peur de devenir leur propre mère et de connaître la même fin tragique ou à conjurer le sort, devenir une mère autre. Deux alternatives que les deux personnages vont devoir choisir.

Le fait d’être membre d’une communauté religieuse va avoir une incidence sur leur vie de jeune femme en devenir. L’Eglise a été un refuge pour elles deux, elles y ont trouvé un soutien. Toutefois cette communauté fermée, et bienveillante, va devenir une force de répression, une force maléfique qui va aussi les juger.

Le chœur de Mères exprime aussi la frustration par rapport à toutes les épreuves qu’elles ont été amenées à vivre dans leur condition de femmes. Elles projettent inévitablement leurs souffrances passées sur la jeune génération.

La question de l’avortement est inévitablement traitée, et d’une façon qui m’a paru terriblement maladroite car le fœtus est toujours envisagé comme un bébé, et non comme un futur possible bébé et par conséquent les femmes assument une forme de culpabilité lorsqu’elles interrompent volontairement leur grossesse.

« Tu l’as tué ! » s’écrie un des personnages.

Le récit décrit une des manifestations contre l’avortement de l’Eglise, le Cénacle, à laquelle appartiennent Aubrey et Nadia :

« Notre manifestation n’avait duré que trois jours. (Non pas à cause de nos convictions chancelantes, mais à cause des militants qui nous avaient rejoints, le genre de Blancs complètement fous qui se retrouveraient un jour à la une des journaux pour avoir fait sauter des cliniques et poignardé des médecins. »

Quand au chœur, elles disent avoir toutes été mères dans leur cœur ou dans leur corps.

Une jolie ficelle qu’il suffirait de tirer…

Brit Bennett est diplômée de littérature à Stanford et fait partie des cinq meilleurs auteurs américains du National Book Award. Son roman a été finaliste de nombreux prix littéraires. Son dernier ouvrage , Je ne sais pas quoi faire des gentils Blancs, est paru chez Autrement. On la compare bien sûr inévitablement à Toni Morrison ( !).

Jeanette Winterson- Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

pourquoi être heureux quand on peut être normal

Jeanette Winterson – Pourquoi être heureux quand on peut être normal –traduit de l’anglais par Céline Leroy – Editions de l’Olivier

Parler d'homosexualitéCe pourrait être un conte de la folie ordinaire, dans lequel règne une terrible ogresse qui n’aime pas la vie, celle-ci aurait pour nom Mrs Winterson, et au lieu de dévorer les enfants, elle en adopterait un qu’elle prénommerait Jeanette. Pas facile de vivre avec une ogresse, surtout lorsqu’elle est pentecôtiste, qu’elle a banni tous les livres (ou presque) de la maison, et que, pour vous punir, elle vous laisse la nuit entière dehors tout en attendant l’Apocalypse.

Une ogresse qui essaie de conformer son énorme masse à la normalité, et qui devant l’homosexualité de sa fille lui demande « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? »

Ne pas être vraiment la fille, ne pas pouvoir revendiquer le lieu où on habite, dont on n’a pas la clef, toujours à attendre sur le seuil. Comment ne pas se dissocier, comment ne pas se couper de soi-même ?

Heureusement pour la petite Jeanette, « Les histoires sont là pour compenser face à un monde déloyal, injuste, incompréhensible, hors de contrôle. » et très vite elle a l’amour des mots, se sert des livres comme refuge. Elle y trouve la vie qui lui manque : « Un livre est un tapis volant qui vous emporte loin. Un livre est une porte. Vous l’ouvrez. Vous en passez le seuil. En revenez-vous ? »

Les livres sont devenus son foyer, car elle les ouvre « comme une porte », et pénètre dans un espace et un lieu différent dont cette fois elle a la clef, et dont personne ne peut la chasser.

Mais cette enfance dévastatrice a laissé ses marques, ses cicatrices, toujours prêtes à se rouvrir, et Jeanette Winterson souffre d’une forme atténuée de psychose, elle entend des voix :

« J’abritais en moi une autre personne – une part de moi – ou ce que vous voudrez – à ce point dévastée qu’elle était prête à me condamner à mort pour trouver la paix. »

Alors c’est une autre lutte qu’il faut encore entreprendre, contre la dépression, la folie, le suicide.

Jeanette survit, écrit, aime. Elle fait d’elle une fiction pour pouvoir vivre. Elle se raconte dans un lieu dont la trame serrée puisse la tenir en vie. Elle nous éblouit, nous transporte, nous chavire d’émotions.

Ce livre aura été pour moi un véritable coup de cœur.

 Il a obtenu le prix Marie-Claire 2012

le mois anglais

Mois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou pour la 4ème année consécutive et auquel je participe avec plusieurs livres cette année.

Geneviève Brisac « Week-end de chasse à la mère »

brisac - Week-end de chasse à la mère

Geneviève Brisac est attentive à ce qui se trame dans le monde de l’infime, du quotidien, aux révolutions qui se jouent sans qu’une seule goutte de sang soit versée, mais dont les victimes sont innombrables. Combien de femmes auront été sacrifiées sur l’autel de la « bonne mère », de cet ensemble d’opinions et de préjugés qui commandent aux femmes ayant enfanté? Nouk, souffrant d’anorexie dans Petite, est ici la mère divorcée d’Eugénio, enfant gâté, tendre et tyrannique. Est-elle une bonne mère ? Son entourage ne tarit pas de recommandations et de conseils, qui sont le signe d’une subtile condamnation. S’organise alors une traque insidieuse, à coup de petites phrases et de sous-entendus. C’est « Un week-end de chasse à la mère ». On les connaît pourtant les mères, avec leur sens du sacrifice et de l’abnégation, celles d’avant soixante-huit. Les psychologues et les psychanalystes ont assez dénoncé ces mères castratrices, dévorantes et intrusives . Toute une génération ne s’est-elle pas soulevée contre le poids des mères ? « En chœur, nous maudissions nos mères, raconte Nouk en parlant d’elle et de son amie Martha, […]. Les mères, cette engeance ! disions nous. La littérature n’est-elle pas pleine de leur crimes et de leur bonne conscience, de leurs plaintes et de leurs ravages. Désertons ! était notre mot d’ordre. Plus jamais ça et plus jamais nous ! »
Les mères de l’après-féminisme sont-elles mieux loties ? Doutant de leurs capacités maternelles, ayant toujours peur de mal faire, aidées en cela par un inconscient collectif qui a intégré et digéré la responsabilité des mères dans les pathologies de leurs enfants – comme si les pères, eux, par nature distants, n’étaient là que pour atténuer les ravages d’une trop grande fusion maternelle- être mère n’est pas une sinécure.
« Il n’y a que les mères mortes, me surprends-je à penser parfois, celles-là ne font pas de mal, elles sont les plus douces et les plus parfaites. »
Mais lorsque les mères ne sont pas criminelles, elles sont les otages consentants, les victimes toutes désignées de ces petits « pachas égoïstes » qui les « séquestre mentalement » pour les abandonner lorsqu’ils n’ont plus besoin d’elles.
Il s’agirait de leur faire entrer dans le crâne « que nous ne sommes pas des mères au foyer et qu’ils nous doivent respect et assistance. »
Nouk travaille dans une bibliothèque pédagogique où l’on trouve toute sorte d’ouvrages pour aider les mères, scientifiquement, cette fois, rationnellement, à être de bonnes mères. Puisque les anciennes étaient de mauvaises mères par un trop plein d’animalité, et un manque cruel de réflexion, empêtrées dans une tradition qui ne se discutait pas,  les nouvelles seront éduquées et consciencieuses. Elles auront la distance de la raison.
Geneviève Brisac connaît parfaitement l’univers woolfien, et le poids des pierres que l’on glisse dans ses poches, la terrible pesanteur du désespoir. Comment Nouk s’en sortira-t-elle ? Parviendra-t-elle enfin à être la mère qu’il faut à son fils ? Il faut lire ce livre pour le savoir, véritable observatoire de la maternité, à la fois mélancolique et drôle.

Les réécritures de Médée (1/11) : Médée endeuillée de Sylvain Grandhay

Médée endeuillée de Sylvain Grandhay, 2011, 80 pages, éditions du Panthéon

Vignette Les femmes et le théatreSylvain Grandhay revisite le mythe intemporel de Médée, magicienne de Colchide qui aide Jason et les Argonautes à conquérir la Toison d’Or. Femme étrangère, femme barbare, Jason l’épouse par gratitude et lui donne deux fils avant de la répudier pour épouser la fille de Créon, roi de Corinthe.
Médée, femme bafouée, organisera la plus terrible des vengeances.

Dans la version de Sylvain Grandhay, dans des références constantes au monde contemporain (Jason lui annonce la rupture par texto) mêlant des aspects oniriques et des anachronismes, Médée est la « femme totale », amoureuse et passionnée, « fatale » dans tous les sens du terme, femme d’un seul homme, mais aussi femme sensuelle, éminemment charnelle et sauvage qui bascule dans le crime par excès de colère et d’amour.
Elle se révolte contre la toute-puissance de la société patriarcale :
« Les hommes ont tous les droits ici-bas. », reconnaît-elle, amère, dans un des nombreux dialogues avec sa nourrice à qui elle se confie.

L’amour de Médée est un amour charnel, sensuel, qui la gouverne entièrement et auquel tous ses actes sont soumis.
« Je suis femme avant d’être Médée. Je nous revois, lui et moi, nus, sur la toison d’or, enlacés, la première fois embrassée et embrasée. Je découvrais, par une mystérieuse abolition du temps et de l’espace, le goût de sa patrie. Je sentais le parfum des olives qui mûrissent sous le soleil, celle des lavandes céruléennes et l’odeur du goudron qui fond sous la chaleur de l’été. »

Médée devient criminelle, dans un basculement, et une logique qui est la conséquence de la nature de cet amour. Quand on lui fait remarquer qu’il y a plusieurs étapes dans le deuil, qu’il lui suffit d’attendre, elle se moque, elle n’est pas femme de nuances, ni de raison. Sa seule logique est implacable, le crime lui coûte, car elle aime ses enfants, mais ses enfants eux-mêmes n’existent qu’en raison de son amour pour Jason auquel elle a tout sacrifié. Si Jason disparaît, tout doit disparaître avec lui.

Amour absolu et charnel, d’autant plus redoutable, qu’il est éminemment pulsionnel et sexuel. L’amour est jouissance de soi et de l’autre, fièvre et tourment, extase et dénuement.

La tragédie de Médée est qu’elle aime toute seule, de cet amour-là, qui est sa valeur suprême. Jason conditionne l’amour à sa réussite personnelle, à son ambition politique, alors que Médée est toute entière dans sa passion.

Il y a de très beaux passages dans cette pièce, d’autres un peu moins réussis, notamment les moments où la nourrice raconte à nouveau la fuite de Médée avec Jason, et la trahison dont va souffrir celui-ci à son retour en Grèce. Finalement, une pièce doit être jouée et vue, et j’aimerais bien voir celle-là.

Ce qui reste de nos vies – Zeruya Shalev / Prix Femina étranger 2014

Ce qui reste de nos vies

Zeruya Shalev – Ce qui reste de nos vies du monde entier Gallimard – 2014 (2011 pour la version originale) Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz

Le livre de Zeruya Shalev, tout primé qu’il est, se mérite. J’ai failli l’abandonner plusieurs fois mais toujours quelque chose m’a retenu de renoncer tout à fait. Et la fin vaut vraiment la peine que l’on arrive jusqu’au bout, même suant, haletant et à bout de forces. Un pavé (416 pages) et un récit spiralaire qui avance tout en se répétant, parfois beaucoup. Pourtant ce livre est une œuvre, un bel objet littéraire, très bien écrit, donc très bien traduit et pétri d’intelligence autant que de sensibilité.
Que faire de « Ce qui reste de nos vies », quand il ne reste plus de temps, quand on est au seuil de la mort et que l’on a l’impression d’avoir tout raté, quand on est malheureux dans un couple à bout de souffle, ou quand on arrive à la cinquantaine avec pour (seul ?) horizon la ménopause ? Que faire, se résigner ou avancer quand même, trouver un nouveau souffle ?Un cheval, une bataille, pour ne pas mourir avant de mourir vraiment.
C’est toute la question posée par ce livre brillant à la narration parfois un peu relâchée mais qui traduit bien les hésitations et les atermoiements de ses personnages. Faut-il se résigner et se contenter de ce que l’on a, ou risquer le tout pour le tout, que la vie vaille encore la peine d’être vécue? Parfois on aimerait bien les pousser un peu ou agir à leur place tant on a l’impression de les voir faire du sur-place, mais ce serait trop tôt car chaque personnage a droit à son temps propre, qui est celui de la réflexion et la maturation nécessaire à la prise de décision.
Hemda est au seuil de la mort, et sa conscience part en lambeaux, elle vit à travers ses souvenirs que viennent interrompre un présent indistinct, et la visite de ses deux enfants Dina et Avner à L’hôpital de Jerusalem. Avner y rencontre une femme venue accompagner son amant mourant, et une fois disparue, se met à sa recherche, quant à Dina, quadragénaire insatisfaite, elle assiste à l’éloignement de sa fille adolescente et se met en tête d’adopter un enfant.

Zeruya Shalev analyse finement les relations qui existent entre parents et enfants, les non-dits, le ressentiment et la colère qui les animent parfois, autant que la tendresse et la douceur qui permettent d’avoir un foyer et de se construire. On comprend, on compatit, on s’élance, avec eux, vers une autre vie…

« Quel drôle d’âge, malaisé, soupire-t-elle, quarante-cinq ans, il fut un temps où les femmes mouraient à cet âge-là, elles terminaient d’élever les enfants et mouraient, délivraient le monde de la présence épineuse de celles qui étaient devenues stériles, enveloppe dont le charme s’était rompu. »

La porte des enfers- Laurent Gaudé /Renversement du personnage de la mère

La-porte-des-enfers-de-Laurent-Gaude

Vignette Les personnages féminins dans l'ecriture masculineLaurent Gaudé est un auteur toujours imprévisible. Aucun livre ne ressemble à un autre et dans ce livre-ci le personnage de la mère opère un renversement de la piéta, de la madone qui est particulièrement intéressant.

Un couple uni éclate à la mort de leur enfant unique victime d’une balle perdue dans un règlement de comptes à Naples . Le père accablé erre dans la ville tandis que la mère, folle de douleur, n’accepte pas la mort de son fils et demande au père d’aller le chercher…jusqu’en enfer.

Le récit bascule alors et raconte l’épopée du père dans sa descente vers les enfers. Il va chercher son fils et le trouve après un périple plein de dangers. Mais qu’adviendra-t-il d’eux, le retour est-il possible et la tragédie s’annuler ? Rien n’est si sûr…

 Ce beau livre de Laurent Gaudé, magnifiquement écrit, avec une maîtrise remarquable de la langue et de la construction du récit, pose la question du deuil et de la séparation. Ce moment de souffrance est aussi le moment de la rupture dans l’ordre des générations, et de la transmission. Le père n’apprendra plus rien à son fils et ne pourra plus lui léguer son expérience et son savoir . Aussi est-ce le monde qui meurt ce jour-là dans le dernier souffle de l’enfant.

L’auteur nous livre aussi une vision très personnelle des enfers, en rupture avec l’enfer chrétien bien qu’il utilise, même s’il s’en défend, un vocabulaire qui rappelle cet héritage : les âmes qui attendent, qui pleurent, qui gémissent. Mais ce sont plus des références mythologiques que mystiques. A chaque deuil, ce sont des morceaux de nous-mêmes qui meurent avec les défunts, mais aussi des morceaux d’eux qui restent en nous. Notre mémoire est le lien entre le monde des vivants et celui des morts. Aussi ce roman n’est-il pas sombre, car la mort permet de penser la vie, de construire du sens, et d’appréhender une question largement évacuée par les sociétés occidentales dévorées par le consumérisme.

La littérature est aussi cette quête du sens. La mère maudit le monde plusieurs fois, elle ne se résigne pas à la mort de son fils, sa colère est sa manière de garder son fils vivant . A l’instar de cette mère, la littérature est cette bataille pour donner vie et souffle aux grandes questions qui agitent le Monde. Laurent Gaudé dit dans une interview qu’il veut faire entrer le monde entier dans ses livres, et intégrer des personnages qui n’y ont pas accès habituellement parce qu’ils sont des exclus. Ces personnages un peu cabossés par la vie permettent d’explorer toute la gamme des sentiments . On dit que les gens heureux n’ont pas d’histoire. Et c’est un peu vrai. Pas tout à fait cependant, je pense à cette écriture des bonheurs minuscules de Philippe Delerm par exemple.

C’est aussi une belle histoire d’amour, même si le couple éclate dans un premier temps avec la mort du fils, un lien ou un fil invisible qui est celui de la narration les tient unis ensemble, et c’est peut-être cela qui est, à mon avis, le plus beau dans la littérature.

Interview de Laurent Gaudé

Inès Benaroya – Dans la remise / Sélection prix de la romancière 2014

7771402104_dans-la-remise-le-premier-roman-d-ines-benaroya

 Dans la remise – Inès Benaroya, 02 avril 2014, français, Flammarion, 288 pages

Une belle découverte que ce livre présenté parmi les huit de la sélection du Prix de la Romancière 2014.

 Anna a tout pour être heureuse, un mari beau et attentionné, un métier passionnant et une réelle aisance matérielle. Ils étaient d’accord tous les deux ; ils ne voulaient pas d’enfant. Non seulement les enfants sont sales et bruyants mais plus encore ils risqueraient leur rappeler leur enfance fracassée… Mais deux événements vont perturber ce fragile équilibre : le décès d’ une mère qui ne l’a jamais aimée et l’intrusion, une nuit, d’un jeune vagabond dans sa remise. Incapable d’en parler à son mari, elle porte ce secret qui devient de plus en lourd jusqu’au jour où tout bascule…

« Dans ma famille, les mères n’aiment pas leurs enfants. J’ai préféré m’abstenir. »

Ce premier roman est un magnifique roman sur l’enfance et le désir d’enfant, sur les choix conscients et inconscients qui pèsent sur lui. Pour être père et mère, il faut convoquer des modèles souvent hérités des parents que nous avons eus et de l’amour que nous avons reçu.

Mais voilà Anna, elle, n’a pas reçu d’amour de la part de sa mère, Ava, qui l’a envoyée en pension pour l’éloigner d’elle et ne pas avoir à s’en occuper. Sa mère vient de mourir, et Anna retrouve la mémoire…L’intrusion du petit vagabond dans sa remise réveille en elle un désir d’enfant qu’elle croyait à jamais éteint et qui va bouleverser sa vie.

« Mais déteste-t-on sa mère pour un lot de nuit sombres ? »

Ce roman rappelle, s’il était besoin, que l’amour maternel n’est pas « naturel », qu’il n’est pas un instinct dont hériterait toute femme sur le point d’enfanter, un instinct qui procéderait d’une «  » nature féminine « , mais bien plutôt d’un comportement social, variable selon les époques et les mœurs.

Être mère s’apprend, se construit ; c’est s’insérer dans un milieu et une culture. Avoir un enfant ne veut pas dire qu’on l’a désiré, des grossesses accidentelles sont encore légion malgré la contraception et les Interruptions Volontaires de Grossesse.

Ces grossesses interviennent le plus souvent chez des jeunes femmes trop fragiles et trop déstructurées pour maîtriser une contraception, respecter des horaires de prise de médicament et toutes choses supposant une maîtrise de son corps, de sa vie, de ses choix. Il y a ces êtres qui se laissent voguer sans but, au fil des rencontres et du courant, incapables parfois de s’aimer eux-mêmes et a fortiori les autres. Les dénis de grossesses, les bébés congelés dans des frigos. Le mal-amour se transmet parfois de génération en génération…

Dans la remise est un roman subtil et délicat, d’une belle écriture et d’une belle facture. L’émotion est au rendez-vous, les personnages sont parfaitement convaincants, et nous y reconnaissons parfois nos propres blessures symboliques. Un vrai coup de cœur pour moi.

sélection 2014 image achetée sur Fotofolia

Moi, Clea Shine Carolyn D. Wall / Se construire femme…

Moi, Clea Shine

Carolyn D.Wall – Moi, Cléa Shine, Grands romans Points Calmann-Lévy 2012 , original Carolyn D. Wall, 2012 Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Estelle Roudet

Ce roman est en deux temps bien distincts, le flash back sur l’enfance malheureuse de Clea Shine qui, abandonnée par sa mère, est recueillie par Jerusha Lovemore, femme noire du sud du Mississipi. Et le deuxième temps sur sa vie d’adulte. La fillette blanche est rebelle, n’a pas sa langue dans sa poche et tente de se construire malgré les blessures… Son regard reste souvent rivé à une maison de triste apparence, dont les murs s’ornent souvent de quolibets. Une femme vit là, à la fois proche et lointaine.

Un peu plus loin, une prison. Un paysage de tristesse, et dans ce paysage un petit garçon, Finn, qui vit perché dans un chêne…

Et puis dans la deuxième partie la vie de Clea Shine devenue adulte… Chute ou rédemption, résilience ou folie, comment Clea est-elle parvenue à grandir ?

J’avais lu et aimé son précédent roman Aurora Kentucky qui faisait le portrait d’une femme courageuse que la vie n’a pas épargné. Celui-là fait également un assez beau portrait de femme mais l’écriture m’a moins emportée. J’ai trouvé la construction moins aboutie, même si la première partie sur l’enfance de Cléa est véritablement belle. Des clichés alourdissent en quelque sorte le deuxième moment du récit et c’est un peu dommage.

Ayana Mathis – Les douze tribus d’Hattie

Les douze tribus d'Hattie

 

Les douze tribus d’Hattie d’Ayana Mathis, aux éditions Gallmeister, 2012.

Ce roman pourrait être le portrait d’une seule femme diffracté dans des éclats de miroir brisé : Hattie, dont la vie est narrée à travers la vie de ses enfants et les relations qu’ils entretiennent avec elle.
Le récit débute en 1923, à Philadelphie, où la jeune Hattie arrive en compagnie de sa mère et de ses sœurs pour fuir le sud, la ségrégation et la violence contre les noirs.
Au fil des années, ses douze enfants, cinq fils et six filles, vont naître de son mariage malheureux avec August. Ils vont témoigner, chacun à leur manière, des soubresauts de l’histoire américaine et de la condition des afro-américains aux Etats-Unis : Floyd, devenu trompettiste de jazz ; Six, prédicateur presque par hasard ; Ruthie, l’enfant d’une relation adultérine ; Allis, riche mais malheureuse ; Franklin, soldat brisé à Saigon ; ou Cassie, psychotique, décrivent une mère loin d’être exemplaire, souvent rude, aimée et haïe à la fois.
Vie individuelle et Histoire collective sont inextricablement mêlées. Mais qu’est-ce qu’un individu face à l’Histoire ? N’est-il pas toujours impitoyablement broyé par les événements qui la scandent ? Et la vie d’une femme, n’est-elle pas encore plus assujettie aux décisions politiques que prennent ceux qui ont le pouvoir dans un pays, le plus souvent des hommes ?
Au fond, comment Hattie pourrait-elle être heureuse ? Quelle marge de manœuvre lui a-t-on laissée ? Elle est femme et elle est noire. Double restriction dans l’Amérique blanche et raciste des années 30 à 50.
Pourtant, fétu de paille, mais femme énergique et fière, Hattie construira sa vie, une vie, accompagnera ses enfants, envers et contre tout, contre elle-même parfois.

Ce récit polyphonique est d’une grande beauté et Ayana Mathis, une conteuse hors pair. Elle a grandi dans les quartiers nord de philadelphie. « Férue de poésie, elle a suivi plusieurs cursus universitaires sans en terminer aucun, a travaillé comme serveuse puis fact-checker dans divers magazines et a vécu quelque temps en Europe. Publié en 2012 aux Etats-Unis, les douze tribus d’Hattie est son premier roman, salué par la critique américaine, porté aux nues par Oprah Winfrey qui a lancé ainsi la carrière de la jeune Américaine en la comparant à Toni Morrison.

Maine, J. Courtney Sullivan – Famille, je te hais !

Maine

Maine, J.Courtney Sullivan, Maine,(2011)  Editions rue Fromentin (2013), traduit de l’anglais (américain) par Camille Lavacourt

 Famille, je t’aime, et je te hais ! Tel pourrait être le cri des héroïnes de ce roman, trois générations de femmes qui se débattent dans des liens qui les unissent presque malgré elles, constituent leur identité tout en étant cause de leurs souffrances les plus intimes et les plus profondes.

Alice Kelleher, la patriarche de ce roman, est une belle femme encore malgré le poids des années, plutôt acariâtre, et au caractère intraitable, conservatrice, sa foi seule la soutient. Elle n’avait aucune envie de devenir une mère, ni une femme au foyer et les enfants ne l’intéressaient pas. Un accident et un profond sentiment de culpabilité qui s’en est ensuivi en a décidé autrement.

Kathleen, sa fille, a choisi de vivre loin de cette mère avec laquelle elle a des relations plutôt difficiles. Fille mal-aimée, mais mère aimante, elle doit se reconstruire loin d’Alice dont les remarques blessantes et les critiques assassines la font encore terriblement souffrir. Elle est à l’opposé d’Alice, plutôt baba-cool et écolo. Elle est le personnage qui m’a le plus touchée.

Maggie, la petite-fille, est au tournant de sa vie et va se réfugier quelque temps chez sa grand-mère qu’elle parvient à apprivoiser. Elle l’aime bien malgré ses défauts. Elle comprend intuitivement que sa grand-mère souffre d’une blessure ancienne et qu’elle n’est pas si méchante qu’elle le paraît.

Ann Marie, la belle-fille, a sacrifié ses ambitions pour élever ses enfants. Mais il n’est pas sûr qu’elle ait eu d’autre rêve que d’être l’épouse d’un homme respectable et financièrement à l’abri du besoin. On sent dans ce personnage toutes les frustrations accumulées et le conservatisme étouffant par lequel elle se protège des aléas de l’existence. Elle supporte tant bien que mal sa belle-mère et se dévoue pour le reste de la famille. Jusqu’au jour où elle décide de se rebeller…

C’est, rassemblées une dernière fois dans la maison familiale de vacances située dans le Maine, dans une sorte de huit-clos étouffant, que les quatre femmes fois vont vivre l’été qui va bouleverser leur existence.

J’ai eu envie de lire ce livre grâce à :

Clara

  à  Philisine Cave

J. Courtney Sullivan analyse les liens familiaux avec beaucoup de subtilité et les rapports mère-fille avec une plume plutôt acérée dans un récit pétri d’intelligence. J’avais déjà été conquise avec « Les débutantes », et ce second roman confirme le talent de cette auteure même si je suis moins emballée par ce récit dont la lenteur m’a parfois fait un peu décrocher.

Sylvie Germain – Petites scènes capitales

 

Syvie Germain Petites scènes capitales

Sylvie Germain – Petites scènes capitales, roman

Albin Michel, 2013

 Ce qui m’a d’abord intriguée dans ce livre, c’est son titre : Petites scènes capitales. Il y aurait donc des petites scènes, où quelque chose se joue, se montre, est offert au regard  et qui malgré leur apparente trivialité, ou banalité, seraient aussi fugitives qu’essentielles ?

Enfin, c’est ainsi que je l’ai entendu.. Cela m’a fait penser aussi à autre chose de capital et définitif, la « peine » dite capitale.

La vie de Lili se déroule au fil des pages. Née dans l’après-guerre, elle doit affronter le terrible mystère de la disparition de sa mère. Terrible, parce qu’elle n’est pas seulement absence, mais aussi écho, et que ses voix qu’elle entend, ne sont peut-être au fond  que les siennes. Il y a des mystères qui sont des abîmes parce qu’ils vous soumettent au vertige de l’interprétation. Vous ne saurez jamais les raisons qui poussent une mère à abandonner son enfant, vous ne pouvez qu’imaginer, vous pouvez TOUT imaginer. Et c’est cela le pire, cet espèce de vertige interprétatif.

Le mystère de la naissance en ouvre un autre plus lancinant encore, celui des origines : « Pourquoi suis-je là, pourquoi suis-je moi, en vie, telle que je suis, en cet instant ? Qu’est-ce que je fais là sur la terre ? A quoi bon ? Oui, à quoi bon exister ? A quoi bon moi ? »

Cette étrangeté qu’acquiert alors le monde est une nouvelle naissance, et fait partie de ses petites scènes capitales qui sont à la fois mort et renouveau.

La vie pourrait n’être qu’une simple comédie, et l’essentiel se loger ailleurs. Où est la vraie vie ? Ici-bas ou dans un au-delà ? Où loger le divin ? Les hommes regardent souvent en l’air et depuis si longtemps. Ils sondent le ciel et ses mystères. S’y côtoient science, religion et philosophie.

Sylvie Germain a une parfaite connaissance de la philosophie –elle a un doctorat – et le roman a une forte empreinte de toutes ces questions qui en parcourent l’histoire. La plus essentielle : « Avant, j’étais où ? Et comment j’étais ? »

Il y a quarante-neuf scènes capitales et bien sûr, la disparition de la mère de l’héroïne en est une parmi d’autres. Ce que je peux vous dire c’est qu’elles sont toutes, aussi tragiques qu’elles soient, le lieu d’une renaissance et d’une rédemption possible. Il y a quelque chose qui relève de la grâce (Simone Weil?). De la pesanteur vient peut-être aussi, chez Sylvie Germain, cette légèreté qui nous rend sensibles à la question du divin.

C’est la force et la faiblesse de ce roman : il se déroule comme une argumentation serrée, mais dont les fils parfois sont trop voyants.

J’ai découvert Sylvie Germain, avec « Le livre des nuits » que j’ai trouvé sublime, et qui était dans un parfait équilibre narratif. Ici , les questions philosophiques donnent à la fois une profondeur, et un intérêt mais aussi une certaine lourdeur au roman.

Je reste une inconditionnelle cependant. L’écriture de Sylvie Germain est d’une grande beauté, et l’émotion n’est jamais absente. Elle explore  une autre voie et un autre versant de l’écriture qui rend ses menées si captivantes.

Les mères de Samantha Hayes

les mères de samantha hayes

Les mères de Samantha Hayes – 2013 Le Cherche-midi 2013 pour la traduction française, traduit de l’anglais par Florianne Vidal Collection Thrillers

Vignette Les femmes mènent lenquèteRien de mieux qu’un bon polar pour commencer l’été ! Et celui-là est un des meilleurs que j’ai lus ces derniers temps !

Les mères : cruelles, aimantes, passionnées ou attentives, indifférentes ou maltraitantes sont les véritables héroïnes de ce roman psychologique particulièrement retors et efficace.

Attention, derrière le mythe de la mère aimante et dévouée se cache une réalité bien différente. On ne naît pas mère, on le devient, pourrait être l’avertissement donné par ce roman noir. Les inspecteurs Lorraine Fisher et Adam Scott le savent bien, habitués aux méandres de l’âme humaine. Unis pour le meilleur et pour le pire, enquêtent sur un meurtre particulièrement sordide : une femme sur le point d’accoucher a été sauvagement assassinée, et son bébé n’a pas survécu à une césarienne particulièrement macabre.

Vous habitez Birmingham ? Votre ventre s’arrondit déjà ? Fermez bien votre porte et vos fenêtres et ne vous fiez à personne car les apparences sont trompeuses. Qui peut être l’auteur de meurtres aussi barbares ? Votre voisin de palier ? le plombier qui vient réparer une fuite alors que vous n’avez appelé personne ? Ce collègue à l’apparente bonhommie ? vous n’en saurez rien car le mystère sera savamment entretenu. Samantha Hayes ferre le lecteur avec un art consommé de l’intrigue. Elle s’amuse à semer des fausses pistes jusqu’au dénouement qui opère un retournement assez inattendu.

Claudia, enceinte, rayonne. Enfin, elle va être mère. Belle-mère de deux intrépides jumeaux, elle attend impatiemment la petite fille qui sera bien à elle. Son mari, James, officier à bord d’un sous-marin, par pour de trop longues missions. Ils décident alors de recruter une nounou qui pourra aider Claudia quand le bébé sera là. Zoé semble être la perle rare mais son comportement est parfois bien étrange…

« Lorraine trouvait que le temps passait trop vite. Ces jeunes femmes n’en étaient qu’au début. Elles avaient devant elles des nuits et des nuits sans sommeil, de couches-culottes par milliers, sans parler de cette culpabilité, cette impression de ne pas être à la hauteur. »

« Je connais ce regard : c’est celui d’une femme vide, obsédée par le désir, le besoin de donner la vie. Le regard d’une mère frustrée. »

« Je lève les yeux et j’imagine son jeune corps gonflé d’une nouvelle vie – une vie engendrée par la haine et la peur. Elle ne sera jamais capable d’aimer son bébé. Elle ne s’aime déjà pas elle-même. »

J’ai beaucoup aimé ce thriller particulièrement bien construit qui aborde le thème de la maternité sous tous ses aspects. Etre ou ne pas l’être, telle sera la question. La frustration pour celles qui n’y parviennent pas provoque de dangereux déséquilibres. N’est pas mère qui veut mais n’est pas mère non plus qui peut…

Les enquêteurs échappent aux modèles du genre : en pleine crise de couple, leur vie privée empiète souvent sur leur vie professionnelle, au détriment de quelques indices qu’ils laisseront malheureusement échapper. Je n’ai jamais lu Gillian Flynn, ni Mo Hayder, mais Samantha Hayes me semble très bien se débrouiller toute seule car j’ai eu beaucoup de mal à lâcher ce roman !

Je remercie les éditions du cherche-midi pour l’envoi de ce roman.

Quand la nuit – Cristina Comencini

cristina-comencini

 j'aime un peu, bc, passiontj'aime un peu, bc, passiont

Cristina Comenci – Quand la nuit – Le livre de poche n° 32570 2012 Grasset 2011

Les deux livres sélectionnés par le comité de Terrafemina sont particulièrement intéressants ce mois-ci puisqu’ils ont pour thème la violence domestique.

Marina se sent un peu perdue. A bout de nerfs et de fatigue, s’évertuant à être la mère modèle qu’on attend d’elle, elle part à la montagne seule avec son fils. Mais voilà peut-être le problème, être une mère seule avec son enfant… Personne pour vous relayer quand votre enfant nécessite des soins et une surveillance constante parce que l’appartement est, pour un enfant de l’âge de deux ans, un véritable champ de mines où, tout, absolument tout, peut arriver.

Ce livre pourrait s’intituler « Mères au bord de la crise de nerfs » dans une société où les femmes sont parfois seules à élever leurs enfants et où les pères apparaissent et disparaissent tels des météores bienveillants. Mais des météores tout de même…

Nos sociétés ont distendu les liens familiaux, et on n’a pas toujours les grands-parents à portée de mains, ni des tantes et oncles qui prendraient le relais pour soulager les mères qui n’en peuvent plus à ces âges difficiles de l’enfance.  Et c’est un homme, qui va secourir la jeune femme, le tiers indispensable. Un homme difficile et égoïste avec lequel va se tisser une histoire difficile et profonde.

Ce livre exploite le thème de la violence parentale. « Aux tables des bars, dans les rues, des adultes inconscients, libres, fument, bavardent tranquillement, sans hâte, ils ont tout le temps qu’ils veulent. Ils n’ont pas conscience de leurs privilèges. J’avance avec la poussette, j’étais comme eux moi aussi. ». Personne ne vous a pas appris à faire face, on vous a vaguement avertie, mais des tabous empêchent les véritables confidences. On ne vous a pas vraiment dit ce que l’épuisement peut faire de ravages. La maternité est votre destin, l’instinct votre guide, et l’ amour  que vous éprouvez est si profond qu’il vous épargne les contingences. « Enfermée dans les ténèbres qui sont en moi, je ne vois plus rien », raconte la narratrice. Y a-t-il moyen de réparer ce que j’ai fait ? peut-on revenir en arrière ?

Les mères violentes et destructrices hantent la littérature : Folcoche de Vipère au poing, la mère violente de Jules Vallès ou celle de Poil de Carotte. Plus proche de nous la mère de Falaises (Olivier Adam), celle de Chloé Delaume dans le « Le cri du sablier », toutes absentes, violentes et négligentes.

La sphère familiale est un lieu clos, parfois étouffant, qui abrite les violences les plus indicibles. Ouverte sur l’extérieur, elle devient un lieu d’affection et de partage.

« Familles, je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur. », s’écriait André Gide dans « Les nourritures terrestres ».

Les discours lénifiants sur la maternité n’ont plus cours aujourd’hui, on le sait, l’amour s’apprend, et être une mère est autant un apprentissage culturel que biologique. Les mères toutes-puissantes ont fait leur temps dans la littérature et ailleurs. Elles ont d’ailleurs payé très cher ce statut si particulier que la religion a contribué à établir.  Marie, la femme sans sexualité, qui enfante, a fait des femmes

les dépositaires d’un pouvoir aussi contraignant qu’exorbitant …

Un enfant a besoin de multiples relations ouvertes sur l’extérieur pour grandir, afin que le giron maternel puisse être un lieu sécurisant et un repère stable.

Ce livre est intéressant et se lit avec plaisir. Il a pour mérite de raconter l’itinéraire d’une mère qui cède à la violence mais qui essaie de se sortir de cette violence qui l’emprisonne. Il ne sera pas un coup de cœur mais un assez bon livre tout de même.