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L’écriture au féminin au XVIIIe siècle

Les femmes et l'ecriture 3

A partir du XVIIIe siècle, les femmes écrivent davantage et dans de nombreux domaines. A Venise par exemple, elles publient 49 ouvrages au XVIe siècle, 76 au XVIIe et 110 (presque autant que les hommes) de 1700 à 1750. ( Romans mais aussi philosophie, polémique, science, traductions, pièces de théâtre et livrets d’opéra) (3). C’est par les salons que la culture se diffuse essentiellement.
Et comme l’indique Henri Coulet, les françaises ont pu s’appuyer sur l’exemple des Anglaises car de 1780 à 1800 elles ont pu lire, traduites en français, les œuvres de plus de 50 romancières d’Outre-manche, : Sarah Fielding, Ann Radcliffe, Frances d’Arblay, Clare Reeve, Anne Hughes, Aghes Maria bennett etc » (1)
Les femmes de lettres sont toutes issues (à ma connaissance) de la bourgeoisie ou de la noblesse, et choquent par leur liberté de ton, enfin elles « osent » s’exprimer et sortir de cette réserve féminine plus ou moins silencieuse, animent parfois des salons, émettent des avis ou des opinions. Diantre ! En bref, elles offensent, par leurs manières, la pudeur de l’époque, ou sont méprisées simplement parce qu’elles sont des femmes. Un grand nombre de romancières écrivent pour les femmes, dont Mme Riccoboni, qui eut un large succès. La vocation du roman était de raconter l’individu, des passions qui l’agitent, et des contradictions qu’il doit résoudre. Et cet individu était une femme en situation avec les contraintes sociales particulières qu’elle subissait..
La littérature écrite par les femmes au XVIIIe siècle s’inscrit dans une société très misogyne, où il importe, pour les femmes qui s’avisent d’écrire, de cantonner leur écriture et leurs sujets dans les limites étroites de la bienséance.

Anne-Thérèse de Lambert dans un essai intitulé « Réflexions nouvelles sur les femmes » , en 1723 avertit : « Si l’on passe aux hommes l’amour des lettres, on ne le pardonne pas aux femmes ». Écrire et publier ne deviendront possible qu’à celles qui observeront un tant soi peu les convenances et les dictats moraux de l’époque en grande partie imposés par la religion et entérinés par la tradition qui génère la haine des femmes.
La littérature, à cette époque, s’adresse le plus souvent au public lettré (noblesse, et bourgeoisie). Au XVIIIe siècle, elle s’adresse peu aux classes populaires, qui bénéficient de « La bibliothèque bleue », sous-littérature de colportage. Entre les deux va naître une littérature de subversion, qui « va porter les textes philosophiques les plus radicaux avec ceux de la lutte antireligieuse comportant eux-mêmes ceux de la libération des mœurs » interdite , (Voltaire, Rousseau, d’Holbach , Raynal en sont les grands noms) et qui va se développer au siècle suivant avec les progrès de l’alphabétisation.(2)
Cette liberté de ton et d’idées n’est pas permise aux femmes, et la plupart d’entre elles devront écrire une littérature genrée, décrire des amours impossibles, les luttes intérieures entre le désir (à peine suggéré) et le devoir, et le triomphe pour finir de la morale et de la religion. Dans la Paysanne pervertie de Rétif de la Bretonne, un libertin, s’insurge, « Une femme autrice sort des bornes de la modestie prescrite à son sexe » (On pourrait demander par qui ?), en fait plus ou moins des prostituées (à l’instar des comédiennes). Donc on ne permet aux femmes d’écrire qu’une littérature moralisatrice et dévote (manuel de dévotion, traité orthodoxes sur l’éducation des filles, recueils de conseils moraux et pratiques). Cependant quelques femmes commencent à faire un pas de côté, à s’instruire dans les salons ou auprès de leurs frères, de leurs maris, ou d’amis de la famille et s’engagent dans la transgression des interdits.
Dès le début XVIIe siècle, Mlle de Gournay dénonce dans des pamphlets l’injustice de la condition des femmes. Or, elle est vieille fille et n’a pas de vie de famille à sacrifier. Pour écrire, il faut souvent abandonner l’ambition d’avoir un mari ou des enfants qui requièrent le plus clair du temps d’une femme. On se place dans un processus d’exclusion sociale, pour des femmes qui n’ont pas accès à des métiers valorisant dans la majorité des cas. C’est pourquoi de nombreuses femmes écrivains publiaient sous des noms d’emprunt ou sous l’anonymat.« Écrire, c’est perdre la moitié de sa noblesse », constate Mlle de Scudéry qui publia ses premiers romans sous le nom de son frère.
Pourtant les écrits de ces femmes ne remettent pas en cause la religion et la société, ce sont des œuvres bien sages. A la fin du siècle, néanmoins, avec la Révolution française, les écrits se mêleront de politique, le plus célèbre d’entre eux est bien sûr , après le « Prince philosophe » d’Olympe de Gouges au féminisme encore ambigu, sa « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » qui annonce le très beau texte en 1801 de Fanny Raoul « Opinion d’une femme sur les femmes ». Mais il ne s’agit pas là de romans.

Claude Dulong souligne la médiocrité d’ensemble de la production féminine et avance que les femmes ne maîtrisaient pas suffisamment le savoir scientifique et la philosophie pour en débattre . Les salons ne suffisaient pas à l’acquisition du savoir et à l’éducation. (si l’on excepte quelques femmes comme Anna Maria Van Schurman à Utrecht).

Toutefois, j’ai trouvé parmi mes lectures de très beaux romans ou essais (Emilie du Châtelet)qui mériteraient d’être extirpés de l’oubli  et  figurer dans les anthologies littéraires.
Ces interdits sociaux sont fortement intériorisés, la force de la censure inconsciente fait que les femmes s’interdisent d’écrire ou écrivent presque à leur corps défendant, ou parce qu’elles se retrouvent sans ressources et doivent gagner leur vie. On écrit souvent en cachette : Jane Austen elle-même n’écrivait que sur des feuilles volantes qu’elle pouvait facilement dissimuler quand elle travaillait dans la salle commune. C’est par le grincement de la porte du parloir qu’elle devait d’être avertie de toute intrusion. Aussi ne voulait-elle pas que les gonds soient huilés. Les critiques sont voilées et on a pu parler de l’ironie austenienne. « Si elle avait vécu plus longtemps, dit Virginia Woolf, elle aurait osé découvrir le monde, elle aurait eu moins peur. », et rajoute Geneviève Brisac,(4) « La peur est à l’œuvre ici, la peur d’être montrée du doigt et persécutée ».
Peu importe les femmes écrivent, ont toujours écrit, et c’est leur acte de bravoure, la plus grande bataille et la plus grande transgression. Enfin gagnée.

 

vignette les femmes et la poésieEntre autres, cette liste n’est pas exhaustive :

Contes : Gabrielle de Villeneuve – Marie Leprince de Beaumont – Genre épistolaire : Aïssé (1695-1733) Marie du Deffand (1697-1780), Julie de Lespinasse (1732-1776), Françoise-Eléonore de Sabran (1750-1827), Education / Anne-Thérèse de lambert (1647-1733) – Louise d’Epinay (1726-1783), Mémoires / Rose de Staal-Delaunay- Marie-jeanne Roland ; Les Romans / Marie-Louise de Fontaine (..- 1730) et Claudine-Alexandrine de Tencin (1682-1749), Françoise de Graffigny (1695_1758), Marie-Jeanne Riccoboni (1714-1792), Isabelle de Charrière (1740-1805), Écrits politiques Olympes de Gouges(1755-1793)
Sources :
1) Anthologie des romancières de la période révolutionnaire (1789-1800),établie par Huguette Krief préface de Henri Coulet
2) Grandes dames des lettres Michel Lequenne
3) Claude Dulong, Histoire des femmes en Occident, tome III XVI-XVIIIe siècle in Dissidences, la voix, la parole et l’écrit
4) La marche du cavalier p 28 de l’édition points.
5) Martine Reid – Des femmes en littérature.