1931, traduit par Michel Cusin, Gallimard, Folio
Dans une lettre du 12 juillet 1931 à Ethel Smyth, Virginia avouait que son livre était fondamentalement illisible. Peut-être parce qu’il rompait avec les canons esthétiques de l’époque et demandait au lecteur une conversion intérieure de son propre regard, un effort pour lire autrement.
Ce roman de Virginia Woolf est un roman « expérimental ». Il fut considéré comme une œuvre d’avant-garde à côté de l’Ulysse de Joyce. Ce roman est d’une grande maîtrise et d’une réelle virtuosité sur le plan du récit et de la langue. Par sa construction tout d’abord et par sa « charge » poétique. C’est d’ailleurs comme cela que je l’ai lu, comme j’aurais pu le faire d’un recueil de poèmes, en goûtant certains très beaux passages, la beauté des métaphores, le rythme des phrases, et le délaissant de temps à l’autre pour aller lire autre chose.
Je n’ai pas pu le lire comme j’aurais lu un roman. La narration est trop distendue pour que la tension propre à la narration me donne envie de continuer sans m’interrompre.
Virginia Woolf voulait rompre avec le roman victorien ou édouardien et inventer une autre forme, créer une sorte de poème dramatique. Et j’avoue que j’aime beaucoup parfois les idées et les révolution dans les idées, les essais, même s’ils n’aboutissent pas. Et la préface m’a énormément intéressée qui explique les visées woolfiennes.
Les sept personnages tiennent toute la structure du récit par les liens qu’ils entretiennent entre eux et si les lieux varient : d’abord le bord de mer, puis les pensionnats, le, Londres et Hampton court, ils existent parce qu’ils sont le creuset dans lequel se forment leur devenir. Le lien amoureux est pour moi très fort dans le récit et il est ce qui en constitue la trame à défaut vraiment d’événements. Percival, Bernard qui a un réel talent de conteur (« Mais moi si je me trouve en compagnie avec d’autres, les mots font tout de suite des ronds de fumée – regardez comme les phrases aussitôt s’échappent en volutes de mes lèvres »), Neville homosexuel qui « inspire la poésie », Louis le poète, Susan, qui se réalise comme mère et épouse un fermier mais qui au fond a raté sa vie, Jinny séduisante et libre ,« espiègle et fluide et capricieuse », et Rhoda mystérieuse, « la nymphe toujours ruisselante de la fontaine » dont on sait peu de choses, si ce n’est qu’elle est la maîtresse de Louis, tous ses personnages aiment : Neville aime Percival, celui-ci aime Susan mais cette dernière aime Bernard.
Mais c’est une lecture très personnelle.
Leurs vies sont évoquées en neuf chapitres qui correspondent à neuf âges successifs, de l’enfance à la vieillesse, se déroulant comme la course du soleil dans le ciel en une journée. Les voix surgissent et se retirent comme des vagues, et il faut une certaine attention pour ne pas manquer le changement de personnages, tout comme nous devons être attentif à chaque vague qui survient avec force.
Livre aussi de sensations : « Ces flèches de sensations lumineuses » qu’excelle à décrire Virginia Woolf dans une langue magnifique, nous permettent de comprendre qui nous sommes, non pas des être ayant une identité stable, « quand nous raisonnons et lançons ces affirmations fausses : « je suis ceci ; je suis cela ». Alors la parole est fausse. Mais des êtres multiples, composés de « mille facettes », mouvants et insaisissables comme ces vagues.
Une lecture exigeante et belle.
Je pense qu’il faudra que je revienne à ce livre pour mieux le comprendre. Peut-être au fond que je n’ai rien compris du tout.
Et lu aussi dans le cadre du mois anglais et avec Titine, Denis et bien d’autres… (je mettrai les liens au fur et à mesure de mes lectures.