
Sonietchka – Ludmilla Oulitskaïa, traduit du russe par Sophie Benech , éditions Gallimard, 1998
« Il n’est pas dans la littérature, de personnage féminin qui soit moins héroïque, ni plus lumineux, plus pur, que la Sonietchka de Ludmilla Oulitskaïa »
Ce personnage de femme est tout à fait particulier. Nimbé d’une lumière presque surnaturelle, sanctifié par des qualités qui, pour ne pas être totalement absentes de ce monde, sont relativement rares, elle avance dans la vie portant sur les êtres et les choses un regard d’une grande bonté. On dit souvent que les gens heureux n’ont pas d’histoire, et bien Sonia démentirait tout à fait cet adage. Elle a quelque chose d’une sainte, sans la souffrance et le renoncement auxquelles celles-ci sont associées.
D’ailleurs, comme le souligne une étude, « n’y a-t-il d’expression romanesque de la bonté qui ne soit, implicitement ou non, chrétienne, c’est-à-dire qui ne doive, par définition, être entièrement désintéressée et sacrificielle ? »[1] Disons plutôt qu’elle a une conscience aiguë de tout ce qui lui est donné, la beauté et l’amour.
Elle redéfinit ce qu’on appelle l’« âme russe » que Dostoïevski, définit comme « le besoin spirituel le plus élémentaire du peuple russe […] la nécessité de la souffrance ». Ce concept est suffisamment complexe pour que je ne m’y attarde pas, car cela demanderait une érudition que je n’ai pas, mais je crois que l’auteure dépeint une forme de fatalisme, qui n’exclut pas la lutte (D’ailleurs les camps sibériens en sont la preuve), mais qui permet de trouver parfois le bonheur, malgré les aléas de l’Histoire. On ne peut pas dire que le peuple russe ait été épargné par l’Histoire, et les biélorusses non plus !
Le premier bonheur de Sonia est la lecture, elle « tombe en lecture comme on tombe en syncope, ne reprenant ses esprits qu’à la dernière page du livre ». Et sa passion de la lecture est telle que son physique ingrat se dote d’un derrière en forme de chaise ! Elle cultive sa passion de la lecture » en menant paître son âme dans les vastes pâturages de la grande littérature russe ». Robert, un peintre plus âgé qu’elle, va parvenir à lui faire lever le nez de ses livres, pour la plonger dans une vie bien réelle lorsqu’il la demande en mariage dans la bibliothèque où elle travaille. Il a connu les camps, mis au ban de la société communiste, éprouvé comme la majorité des Russes par les difficultés matérielles de l’après-guerre, « sa vie exténuée, recroquevillée contre terre ». Ils vivent en Biélorussie, ce qui me semble-t-il a son importance. En effet, elle n’a été constituée comme nation qu’en 1991, à la chute de l’Union soviétique, incorporée pendant longtemps à d’autres grandes puissances. Il me semble que cela demande une sorte d’endurance, de patience vis-à-vis de l’Histoire !
Sonia cultive donc le bonheur domestique (pour vivre heureux, vivons cachés), couronné par la naissance de sa fille Tania.
C’est par Tania que Jasia, fille de déportés, fait la connaissance de Robert et Sonia,, elle était « la seule à lui laisser la possibilité de penser par elle-même, de réfléchir à voix haute, de choisir à tâtons ces petits riens à partir desquels un être dessine à son gré le motif originel sur lequel viendront se greffer tous les ramages de sa vie future. »
Jasia qui pourrait être un motif de jalousie, une épine dans sa chair (Je sais, c’est un peu christique), devient une raison de plus d’être heureux.
Ce livre est un petit bijou, il faut le dire, ciselé, à la langue poétique, riche, profonde. Il faut le lire, car Ludmilla Oulitskaïa est une grande dame des lettres russes.
[1] https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2011-1-page-427.htm
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