Archives pour la catégorie – Femmes du Monde entier

Marie-Louise Gagneur – 1832 – 1902

Détail – Portrait Galerie des gens de Lettres

Née Marie-Louise Mignerot en 1832, Marie-Louise Gagneur a publié des essais, des nouvelles et plus de vingt romans. Membre de la Société des Gens de lettres, elle œuvre pour la féminisation des noms de métiers, lutte pour l’égalité des droits des femmes, et dénonce le sort injuste qui leur est fait depuis la Restauration, les plaçant sous la tutelle de leur mari, et leur interdisant de divorcer.

Ses propositions sur la féminisation du nom d’écrivain sont rejetées, sous prétexte que ce métier n’est peu ou pas exercé par les femmes. Elle mourra à l’entrée du siècle, en 1902, quelques mois après avoir reçu la Légion d’Honneur.

Elle dénonce l’éducation des femmes dans les couvents auxquelles on fait subir un véritable lavage de cerveau, visant à les rendre parfaitement soumises à Dieu et à leur mari. Son expérience du couvent nourrira son anticléricalisme.

Les éditions « talents hauts » publie un inédit, « Trois sœurs rivales » , roman feuilleton  du journal « La presse » de juillet à août 1861 dans lequel « elle place les premiers jalons de son combat en faveur de l’émancipation des femmes »[1].

En outre le site Gallica lui consacre un long article sous la plume de Roger Musnik avec des liens vers ses œuvres désormais dans le domaine public.

Elle mérite d’être redécouverte, la littérature est pour elle une arme de combat, qu’elle manie avec une redoutable efficacité et sa vie est passionnante à lire (Voir Gallica).


[1] Préface d’isabelle Pasquet

L’oiseau rare – Guadalupe Nettel/ Derrière les mères, l’aventure !

Guadalupe Nettel – L’oiseau rare, 2020 – Editions Dalva, 2022 pour l’édition française.

Pendant de nombreux siècles, les femmes ont été reléguées à leur fonction reproductrice, et leur ventre contrôlé de façon drastique par l’organisation patriarcale de la société. Il s’agissait de s’assurer de la filiation, d’autant plus qu’aucun test génétique ne pouvait permettre de confirmer la paternité. Le destin des femmes est depuis toujours lié à leur corps et à l’enfantement, qu’elles le ressentent comme un accomplissement ou comme une malédiction. Rarement un choix.

Le roman de Guadalupe Nettel est passionnant parce qu’il met en scène, à travers plusieurs destins de femmes, ce choix, toujours crucial, de la maternité et l’émergence d’une pluralité de voies.

Les histoires se nouent autour d’un phénomène de la nature qui est le parasitisme de couvée. Un oiseau dépose parfois son œuf dans le nid d’une autre espèce, dont il évince à certaines occasions l’œuf originaire, afin que le sien soit couvé et nourri.

Laura et Alina ne voulaient pas renoncer à leur liberté en étant mère. Avoir un enfant, c’est souvent sacrifier une part de son développement personnel, des études ou une carrière. Or chacune va être mère à sa manière, et déléguer une partie de ce pouvoir à quelqu’un d’autre.

On pourrait presque parler de co-maternité. Les sociétés traditionnelles laissaient rarement les femmes seules après l’accouchement, elles étaient secondées par le reste de la famille ou de la communauté dans laquelle elles vivaient. Le monde moderne et l’émancipation des femmes les a rendues à la solitude et la maternité est devenue, d’une autre façon, un fardeau harassant, les tâches domestiques leur étant dévolues dans leur majorité. Les choses changent lentement, les pères prennent de plus en plus leur part. Aurelio, le mari d’Alina, se révèle un père attentif et aimant.

Laura prend une autre voie, elle secondera une mère défaillante en adoptant symboliquement.

Devenir mère signifiera pour chacune transformer leurs préjugés.

En toile de fond, cependant, les violences faites aux femmes et les nombreux féminicides qui ont lieu au Mexique. Les traumatismes, quand elles s’en sortent, et la peur qui condamne certaines d’entre elles à ne plus sortir de chez elles.

Le récit, parfaitement écrit et articulé, se lit presque comme un polar, tellement les rebondissements sont nombreux. Je l’ai littéralement dévoré. Il est à la fois intelligent et prenant, et entre parfaitement en résonance avec notre époque. Il nous aide aussi à réfléchir.

L’autrice : Guadalupe Nettel est née au Mexique en 1973 et a partagé sa vie entre Mexico, Barcelone, ou Paris. Elle est l’autrice de plusieurs livres de contes, de recueils de nouvelles et de romans : l’Hôte (Actes Sud, 2006), Le Corps où je suis née (Actes Sud, 2011) et Après l’hiver (Buchet-Chastel, 2016). Lauréate de nombreux prix littéraires, en France, en Espagne et au Mexique, , elle est traduite dans une dizaine de pays et elle est considérée aujourd’hui comme l’autrice la plus lumineuse de sa génération.

Corps de fille, corps de femme/ des femmes Antoinette Fouque- Parlement des écrivaines francophones

Voix d’écrivaines francophones /

Corps de fille, corps de femme, Récits, des femmes Antoinette Fouque, 2023, en partenariat avec Le Parlement des écrivaines francophones

Avec ce premier volume d’une série de livres dont la visée est d’explorer le « dire » des femmes dans leur être au monde, à travers leurs expériences singulières, les éditions des femmes, Antoinette Fouque réalisent un véritable exploit éditorial en conjuguant l’ouverture à la francophonie, ce français d’outre-langue chatoyant et changeant, à l’exploration du féminin.

C’est aussi une démarche politique au sein de la lutte féministe et à travers l’engagement littéraire pour changer la perception de ce féminin, si souvent menacé, attaqué et violenté dans le monde.

Des cris à l’é-cris-ture pour faire taire la violence, et à travers les voix des autrices tracer des chemins. Marie-Rose Abomo-maurain, Emna Belhaj Yahia, Anissa Bellefqih, Sophie Bessis, Bettina de Cosnac, Suzanne Dracius, Alicia Dujovne Ortiz, Sedef Ecer, Lise Gauvin, Viktor Lazlo, Sylvie Le Clech, Danielle Michel-Chich, Madeleine Monette, Cécile Oumhani, Fawzia Zouari tracent les sillons.

Dans ces récits, les femmes enfreignent les lois tacites de la société patriarcale qui condamnent les femmes à restreindre leur espace à leur foyer,  à travers « un corps qui prend des libertés », qui ose revendiquer l’espace tout entier, l’espace public comme son possible territoire. Dé la « petite Nigériane excisée à la lame de rasoir rouillée » à « la fillette mariée de force qui ne pourra plus aller à l’école », le corps des femmes est l’enjeu de tous les pouvoirs .

Comme l’écrit si bien Sedef Ecer, il faut être libre pour créer, parce que les femmes « inventent leurs histoires avec leurs cinq sens », et que l’imagination se nourrit de la mémoire de leur corps.

« Mon corps n’est pas le prix à payer » s’insurge l’adolescente d’une de ces histoires, mon corps n’est pas coupable, et les signes de ma féminité ne sont pas des fautes ou les stigmates d’un corps maudit.

Mon corps est puissance, déploiement, lieu de tous mes trésors.

« Surtout ne pas souffler mot du bonheur, du plaisir et de l’immensité de leurs espaces… »C’est ce que disent aussi ces récits : affranchissez-vous des mille pesanteurs invisibles afin de ne plus « buter sur vos corps », partez à l’aventure de vous-mêmes, vous, femmes. 

Un livre à lire absolument.

Rosemonde Gérard ( 1866-1954)

Rosemonde Gérard ( 1866-1954) Photo credit : Wikipedia

Je me souviens d’une conversation passionnée avec Jacques Fournier, ancien directeur de la Maison de la Poésie de saint-Quentin-en-Yvelines (Il a fait tout un travail biographique et des lectures autour de Rosemonde Gérard), et sa compagne, au sujet de la pièce qui faisait grand bruit à l’époque autour d’Edmond Rostand, et dans laquelle Rosemonde Gérard, compagne de l’écrivain, jouait un rôle tout à fait mineur. Ce qui prouve combien les processus d’invisibilisation des œuvres de femme sont encore vivaces dans nos sociétés.

Or, Rosemonde Gérard était loin d’être une inconnue dans le domaine des Lettres. Son premier recueil poétique, Les Pipeaux, la fait connaître en 1889 et la même année elle épouse Edmond Rostand.

Par la suite, elle publie d’autres ouvrages, notamment l’Arc-en-ciel en 1926, Les Papillotes en 1931, Féeries en 1933, et Rien que des chansons en 1939.

Elle a écrit aussi pour le théâtre, Un bon petit diable avec son fils Maurice, et des pièces comme La Robe d’un soir, La Marchande d’allumettes, ou La Tour Saint-Jacques.

D’ailleurs la vie de Rosemonde Gérard ne se résume pas à sa vie amoureuse, car elle en eut plusieurs.

Non, sa vie se lit dans ses poèmes, dans ce feu sacré qu’elle entretiendra toute sa vie.

Nous connaissons tous ces quelques vers : « Car vois-tu, chaque jour je t’aime davantage,
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain. »

Ils font partie d’un très beau poème « Lorsque nous serons vieux ».

J’ai appris par Diglee, et son magnifique recueil dont je vous conseille la lecture « je serai le feu », aux éditions « la ville qui brûle », qu’elle avait entrepris le projet littéraire d’un recueil de poèmes exclusivement composé de poétesses, Les Muses françaises publié en 1943 chez Fasquelle éditeurs.

En 1901, elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur

Elle fait partie du jury Femina en 1939.

Cathe­rine Wein­zaep­flen, Ismaëla

Cathe­rine Wein­zaep­flen, Ismaëla, Edi­tions des Femmes — Antoi­nette Fouque, Paris, 2023, 128 p. 

Ismaëla a quitté le Mexique pour un futur meilleur aux États-Unis. Dans ce trajet pour l’exil, elle risque sa vie . Et elle rencontre l’amour. Elle s’arrache à ce cocon douillet alors que rien ne l’assure qu’elle trouvera un travail et un logement à son arrivée dans un pays qui ne veut pas d’elle.

Ismaëla n’est pas une « perdante », mais une femme pleine de vie, qui malgré l’aridité de son existence et les privations qu’elle endure pour envoyer de l’argent à sa famille, est toujours en éveil. Elle observe, raisonne, et des pensées la traversent, des flux qui ont la beauté de cette mer qu’elle regarde le plus souvent de loin.

A travers son regard, apparaît Los Angeles, prise dans le brouillard, à cinq heures du matin ou floutée par la vitre d’un bus, une ville où les inégalités sont criantes, et où se côtoient d’extravagantes propriétés et des logements misérables.

Les souvenirs, les odeurs, les couleurs du Mexique, viennent rythmer le récit, lui donnent une douceur et un balancement qui effacent la grisaille des jours sans joie.

Et au cœur de cette femme, qui ne se résume jamais à sa pauvreté, palpite une vie secrète, d’infinis mouvements, la pulsation du désir. Et l’émerveillement. Elle est éblouie par la beauté de certains lieux, par les fontaines, les sculptures, par la facilité avec laquelle sa fille s’adapte à ce nouveau monde.

Elle savoure les petits matins et les moments où le ciel s’éclaire, l’odeur des hibiscus. Elle est incroyablement vivante.

A travers ses rencontres, elle fait l’expérience d’autres vies que la sienne, d’autres mondes, d’autres manières d’être femme.

L’autrice parvient à nous captiver, à travers son regard, à nous intéresser aussi aux problématiques sociales et politiques soulevées par la situation des émigré.e.s mexicain.e.s.

Plus largement, elle fait écho aux migrations que connaît l’Europe qui accueille, plus ou moins mal, ses réfugié.e.s. Elle rappelle cette injustice fondamentale dont souffrent les populations qui ne trouvent ni le travail, ni la sécurité, ni l’éducation dans leurs pays minés par la corruption, la guerre, et une pauvreté endémique.

Tout s’incarne en Ismaëla, tout devient, proche, palpable, et cette colère qu’elle dit ne plus pouvoir éprouver, nous la prenons avec nous, pour qu’elle puisse continuer à gronder et à secouer le monde.

Laurène Marx Borderline love/ «  Chez moi les femmes elles se passent l’amour et la beauté comme une maladie. »

Je retrouve l’écriture de Laurène Marx, après la lecture de  « Pour un temps sois peu », intense et profonde.

Cette écriture des bords, de la limite-frontière, mais aussi de la ligne, qui si elle démarque relie aussi les bords entre eux dans un savant travail de couture, travaille cette notion de frontière, d’identité, qui nous donne forme et en même temps nous déforme et nous ampute. La couture c’est le travail de création mais aussi de réparation de l’autrice. C’est également une visée vers un au-delà et un deçà qui n’est pas soi mais qui nous institue. Je repense à cette formule de Nietzsche qui disait que l’homme devait faire de lui-même une œuvre d’art, et j’ai cette impression d’une autrice qui d’œuvre en œuvre se crée et se recrée.

Je n’ai jamais vu aucune de ses pièces jouée mais de texte en texte, la rencontre devient inévitable avec la chair des mots.

Le texte de la pièce relate la rencontre entre une jeune femme et une autrice, son double peut-être, à laquelle elle livre le récit de sa vie, afin de retrouver son amoureux perdu, peut-être pour lui expliquer ce qu’est cet amour qui fait mal en elle, pour en faire la genèse et comprendre ce qui le rend si dangereux pour elle et pour les autres. La confession , en même temps qu’elle délivre son message, délivre de tout mal.

«  Chez moi les femmes elles se passent l’amour et la beauté comme une maladie. »

Les métaphores s’organisent autour de l’odeur ( du corps, du tabac, de l’alcool etc.) , la saleté qui recouvre comme une seconde peau  les organes, le corps, omniprésents, de cette mère qui « a pris l’habitude de vivre dans un coin de son corps » et dont la beauté est la malédiction qui la condamne à n’être qu’une apparence et un sortilège, jusqu’ au corps de ce père, qui déborde, qui pue et  prend tout l’espace en passant par ce cousin dont la peau et les organes le fuient.

Elle dénonce ces amours toxiques, qui sont seulement des projections de soi-même en l’autre, de cette volonté de rendre l’autre heureux malgré lui, de force, de soumettre à travers son désir et d’appeler cette violence radicale de l’amour.

«  Je ne veux pas qu’on m’aime mais qu’on ait peur de m’aimer » dit la narratrice.

Dans cette transmission malheureuse, au sein d’une société où parfois s’organise la haine des femmes, « une femme apprend à fuir dans sa tête et à rester dans son corps », à ne pouvoir s’échapper d’elle-même, mais celui-celle qui se sent femme dans sa tête est tout aussi coincé.e dans son corps. Voir, avec quelle férocité, l’histoire de nos sociétés, depuis le XIXe siècle a interdit leur féminin aux hommes. Dégoupiller les normes du genre, c’est peut-être décrasser nos têtes et nos pensées. C’est peut-être aussi traverser la frontière.

Une langue avec ses fulgurances, sa poésie et toujours cet humour féroce qui fait la nique au malheur.

A lire ! A voir !

Jasmin Darznik – L’oiseau captif / La vie et l’œuvre de Forough Farrokhzad, poétesse iranienne (1935-1967)

Jasmin Darznik – L’oiseau captif / La vie et l’œuvre de Forough Farrokhzad, poétesse iranienne (1935-1967)

Bragelonne 2019, pour la traduction française, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Florence Moreau

L’œuvre de cette poétesse persane nous parvient par les multiples détours de la traduction : du persan à l’anglais et de l’anglais au français. J’écris poétesse mais l’autrice voulait être poète, à l’égal des grands poètes de son pays, être traitée de poétesse signifiait être cantonnée à un registre mineur et dévalorisé.

Cette biographie romancée néglige les aspects les moins documentés pour favoriser une forme d’empathie littéraire.

La vie de Forough Farrokhzad se déroule entre le règne de Reza Shah Pahlavi (Etat impérial d’Iran) ,  et les premiers soubresauts de la révolution qui conduiront à la création de la république islamique d’Iran.

Un certain nombre de réformes vont être conduites à cette époque et notamment l’interdiction du port du voile pour les femmes et l’obligation pour les hommes de porter un habit à l’occidentale. Une période passionnante s’ouvre enfin pour les femmes qui excèderait les limites de cet article.

C’est dans ce contexte que Forough Farrokhzad va écrire. Un grand désir de liberté s’empare de la jeune génération sous l’influence, peut-être, de ces nouveaux modes de vie inspirés du monde occidental, et des combats féministes qui l’agitent.

La poétesse écrit des poèmes dès l’âge de 14 ans, elle lit le premier devant son père, et n’arrêtera plus d’écrire jusqu’à sa rencontre avec Ebrahim Golestãn, où sa carrière littéraire se doublera d’une carrière cinématographique.

L’intérêt de ce récit tient dans le fait que les processus d’écriture sont replacés dans le contexte historique et littéraire de l’époque car Forough Farrokhzad a fait partie d’un ensemble de poètes qui a transformé les règles d’écriture, sous l’égide de Nima Youshidj qui « rompt les règles de la métrique traditionnelle »[1] pour ouvrir la voie à un lyrisme personnel inspiré des romantiques et une rupture avec les stéréotypes, pour s’ancrer dans la vie, les émotions, et la personnalité de celui ou celle qui écrit. La poésie de la poétesse ne cessera d’évoluer tout au long de sa courte vie vers plus de simplicité, de profondeur. Elle sera vilipendée par une certaine presse populaire qui lui reprochera sa liberté de mœurs, et après son divorce perdra la garde de son fils. Elle sera victime d’une société tiraillée en tradition et modernité.

De nombreux extraits de ses poèmes émaillent le récit dont celui-ci qui fait partie des premiers qu’elle a publiés et que j’aime particulièrement.

J’ai commis un péché, comble de délice,

Dans une étreinte qui fut forte et comme enflammée

J’ai péché dans des bras qui furent brûlants, vengeurs, d’acier.

Dans cette retraite sombre et sans voix

J’ai vu son œil plein de secrets

Dans ma poitrine, mon cœur frémitaux prières de son regard avide.

Dans cette retraite sombre et sans voix

Dévastée à ses côtés, je m’asseyais

Ses lèvres ont déversé sur mes lèvres la tentation

Me délivrant de la tristesse d’un cœur fou.

Dans son oreille je racontai l’histoire d’aimer

Je te veux, ô ma substance, je te veux, ô mon étreinte, qui

Me ranime.

Je te veux mon amour fou.

De désir sa prunelle alors s’est embrasée

Le rouge du vin a dansé dans la coupe

Mon corps au creux de ses doux draps

Contre son corps ivre a tremblé.

J’ai commis un péché, comble de délice,

Contre une idole qui fut fémissante

Insensée, ô mon Dieu, que sais-je,

Qu’ai-je fait dans cette retraite sombre et sans voix.

Il ne vous reste plus qu’à pousser la porte d’une bonne librairie…


[1] Avant-propos de Sara Saïdi B in Au seuil d’une saison froide, recueil de poèmes traduit du persan Sara Saïdi B

Credit photo : wikipedia – Domaine public

Forough Farrokhzad (1935-1967)

Elle révolutionna la poésie iranienne et fut la figure de proue du féminisme en Iran. Elle est l’une des plus grandes icônes iraniennes. Elle mourut tragiquement dans un accident de voiture.

Tâhereh lève le voile -Jalal Alavinia/ Thérèse Marini – Héloïse Dorsan Rachet –

J’ai rapproché cet extrait de cette illustration qui à l’origine sont étrangères l’une à l’autre. (accord de proximité)

La tente des habitants des flammes

a mis feu à tous les voiles

Extrait

In Tâhereh lève le voile Editions l’Harmattan – Poèmes choisis et traduits du persan

Illustration d’Héloïse DORSAN-RACHET

Appel pour les femmes iraniennes

Je relaie l’appel d’Héloïse Dorsan Rachet au soutien des femmes iraniennes.

Héloïse Dorsan Rachet/ Appel pour les femmes iraniennes

Une manifestation a lieu en soutien aux femmes iraniennes place de la République. Vérifiez la date.

Simin Behbahani/ recherche par Héloïse Dorsan Rachet

Je te reconstruirai ma patrie

Même avec l’argile de ma propre âme.

Je te bâtirai des colonnes

Même avec mes propres ossements.

Grâce à ta jeune génération, on s’amusera à nouveau.

Nous ne cessons de pleurer, tellement tu nous manques.

Même si je meurs à 100 ans, je resterai debout dans ma tombe.

Afin de faire disparaître le mal avec mon grognement.

Je suis vieille mais je peux rajeunir pour vivre une nouvelle vie aux côtés de mes enfants.

« Jin, Jiyan, Azadî » (slogan féministe kurde qui signifie « femme, vie, liberté »)

« Figure majeure de la poésie contemporaine persane, née à Téhéran en 1927 et décédée en 2014.
Membre du Conseil de la poésie et de la musique en Iran, elle adhère à l’Association des écrivains iraniens qui lutte contre la censure, peu avant la révolution de 1979. Elle se tourne alors vers la politique, les droits de l’homme et la liberté des femmes. Pendant dix ans, ses poèmes seront censurés en Iran.

Elle reçoit le prix Simone de Beauvoir en 2009 – destiné au collectif de femmes iraniennes « Un million de signatures pour la parité entre hommes et femmes ». » Source Editions Zulma

Crédit photographique : Simin Behbahani photographiée par Fakhradin Fakhraddini.(wikipedia)

A lire aussi :

Saideh Pakravan

Fariba Vafi

Colloque international « L’univers de Gabriela Zapolska, les transferts culturels et la question féminine au tournant des XIXe et XXe siècles », les 27 et 28 septembre

Comme c’est un peu urgent car c’est pour demain et après-demain, et que je trouve l’objet de ce colloque passionnant. je transfère les informations qui m’ont été envoyées.

« Ce colloque dédié à Gabriela Zapolska est le fruit d’une collaboration entre plusieurs centres universitaires polonais, français (Inalco) et ukrainien. Il constitue le deuxième volet du cycle de trois rencontres intitulé « Gabriela Zapolska, à l’occasion du centenaire de la mort de l’autrice de « La Morale de Madame Dulska » » démarré en 2021.

L’univers de Gabriela Zapolska, les transferts culturels et la question féminine au tournant des XIXe et XXe siècles entre Cracovie-Lwów (auj. Lviv)-Varsovie, Paris, la Bretagne et Vienne 

Écrivaine, dramaturge, reporter et actrice, Gabriela Zapolska a été une grande figure de la vie culturelle polonaise et européenne à la charnière des XIXe et XXe siècles (1857-1921). Ses liens avec la France sont nombreux et appuyés sur une excellente connaissance de la langue française ainsi qu’un séjour de six années dans l’hexagone entre 1889 et 1895. Zapolska est montée sur les scènes du Théâtre libre d’Antoine puis du Théâtre de l’Œuvre du symboliste Lugné-Poe, elle été fiancée au peintre Paul Sérusier. En Pologne (et à l’étranger, à Vienne et en Hongrie particulièrement), sa pièce la plus célèbre reste La Morale de Madame Dulska traduite en français par Paul Cazin en 1933 (et revue par Cécile Bocianowski en 2011).  

Zapolska est l’auteure de 41 pièces de théâtre, 23 romans, 177 nouvelles, 252 articles de presse parmi lesquels des reportages et des critiques littéraires et artistiques, un scénario, de poèmes et 1 500 lettres.  

L’œuvre et la biographie de Zapolska continuent de nourrir la réflexion des sociologues, historiens, philosophes et bien sûr des spécialistes de littérature et/ou du théâtre (Anna Janicka) – plus récemment, son œuvre a été relue à travers le prisme des courants de la critique gender ou féministe étant donné que parmi les thèmes de prédilection de Zapolska figurent en bonne place « les divers aspects de la condition de la femme dans une société dominée par les hommes » (Knysz-Tomaszewska) ou encore la peinture à plusieurs niveaux d’une sexualité féminine cantonnée dans le tabou et plus ou moins refoulée et inconsciente. A cela s’ajoutent les efforts récents (Piotr Biłos) en vue de montrer que le théâtre de Zapolska apparaît comme une étape liminaire dans le développement du théâtre philosophique polonais de la révolte et des conflits sociaux ayant marqué le XXe siecle à travers des auteurs tels que Witold Gombrowicz ou Sławomir Mrożek. Précisons en outre que Zapolska a vécu de sa plume. En France depuis des années, Gabriela Zapolska a trouvé une propagatrice fervente en la personne d’Elżbieta Koślacz-Virol à qui l’on doit de nombreuses traductions, des lectures publiques et des travaux rédigés en français.   

Ce colloque ambitionne de rendre accessible en français l’état de la recherche sur Zapolska, sa production littéraire, théâtrale et journalistique, et de donner ainsi l’impulsion à de futures recherches françaises. Il fait suite au 1er colloque  intitulé « Gabriela Zapolska : Biographie – Esthétique – Idées » qui s’est tenu à Białystok, les 24 et 25 septembre 2021. »

Publié sur http://www.inalco.fr/actualite/colloque-international-univers-gabriela-zapolska-transferts-culturels-question-feminine

Cécile Sauvage ou l’ardeur d’aimer Le 17/09/2022 à Paris

Lecture

Par des extraits de ses recueils, la Cie donne à entendre la voix de la poétesse Cécile Sauvage (1883-1927), pour découvrir le parcours de sa vie : son entrée en poésie, la naissance de son fils aîné, sa relation passionnelle avec son éditeur, la guerre…

Avec la Cie à Hauteur 2 voix, Véronique Elena Malvoisin, comédienne et Jacques Fournier,

Credit photo : DR

Cécile Sauvage, grande poétesse dont œuvre commence à être redécouverte, est une femme de lettres française, née à La Roche-sur-Yon le 20 juillet 1883 et morte à Paris le 26 août 1927.

Cécile Sauvage est la mère du musicien Olivier Messiaen. Elle chante la mère Nature, distributrice de fleurs et d’étoiles. « La poésie de Cécile Sauvage est une poésie de plein air et de plein vent », écrit Jean de Gourmont en 1910. La neurasthénie va assombrir ses dernières œuvres. (source wikipedia)

Je t’apporte ce soir…

Je t’apporte ce soir ma natte plus lustrée

Que l’herbe qui miroite aux collines de juin ;

Mon âme d’aujourd’hui fidèle à toi rentrée

Odore de tilleul, de verveine et de foin;

Je t’apporte cette âme à robe campagnarde.

Tout le jour j’ai couru dans la fleur des moissons

Comme une chevrière innocente qui garde

Ses troupeaux clochetant des refrains aux buissons.

Je fis tout bas ta part de pain et de fromage;

J’ai bu dans mes doigts joints l’eau rose du ruisseau

Et dans le frais miroir j’ai cru voir ton image.

 Je t’apporte un glaïeul couché sur des roseaux.

Comme un cabri de lait je suis alerte et gaie ;

Mes sonores sabots de hêtre sont ailés

Et mon visage a la rondeur pourpre des baies

Que donne l’aubépine quand les mois sont voilés.

Lorsque je m’en revins, dans les ombres pressées

Le soc bleu du croissant ouvrait un sillon d’or;

Les étoiles dansaient cornues et lactées ;

Des flûtes de bergers essayaient un accord.

Je t’offre la fraîcheur dont ma bouche était pleine,

Le duvet mauve encore suspendu dans les cieux,

L’émoi qui fit monter ma gorge sous la laine

Et la douceur lunaire empreinte dans mes yeux.

(Tandis que la Terre tourne, 1910)

Erin Hortle – L’Octopus et moi / Un roman qui fait commencement

Un roman qui fait commencement !

Erin Hortle – L’Octopus et moi (2020), Editions Dalva, 2021, pour l’édition française.

Avec ce premier roman, les éditions Dalva pour l’édition française et Erin Hortle, l’autrice, opèrent un véritable coup de maître.

Qu’est-ce que le féminin ? Posséder des seins, et un appareil génital qui vous permet d’enfanter ? Où le désir se niche-t-il ? La souffrance et la mort nous relient à notre profonde animalité, à ce lieu en nous, où n’existe aucun mot, mais où la pensée est mouvement, s’opérant par  de doux balancements, de joyeux bondissements,  ou de terribles rugissements lorsque la douleur ou la mort éprouvent notre instinct de vie et de conservation.

« Je laisse mon corps flotter d’avant en arrière et d’arrière en avant et d’arrière en arrière dans les courants les vagues qui bouillonnent tourbillonnent tout autour de moi. »

Dans le monde animal , les pieuvres femelles défendent leurs œufs jusqu’à la mort. Elles les couvent parfois pendant de longues années et meurent ensuite, exténuées, à leur éclosion.

Ce roman est l’histoire d’une rencontre, entre une pieuvre qui cherche à rejoindre l’Océan Pacifique pour y pondre ses œufs et une femme, meurtrie dans son corps et son esprit par de terribles épreuves. Une rencontre aux portes de la mort.

Le style est puissant et réussit à traduire une approche profondément sensuelle, le lecteur ou la lectrice vois-goûte-touche de concert avec la pieuvre et se laisse porter par les mouvements des flots.

Nous ne sommes pas séparé.e.s du monde animal, il fait écho en nous au plus primitif, au plus primordial, dans le bouillonnement de notre sang et les flux du monde qui nous traversent et avec lesquels nous nous entretissons.

Ce roman est profondément original, il fait commencement. Tricoter des seins pour se réparer n’est pas la moindre des surprises que vous y trouverez. Vous ferez connaissance aussi avec les tribulations d’un jeune phoque.

Autour de vous, la Tasmanie, et l’Océan, profondément sauvage, dont le cœur battra avec le vôtre. Un étonnant voyage…

C’est l’observation d’un étrange phénomène de migration des pieuvres qui a servi de point de départ à ce roman, « prétexte à une réflexion sur la manière dont s’enchevêtrent parfois les vies des hommes et celles des animaux. »

« Mêlés dans un même nid de ronces » – Les roses sauvages – Carole Martinez

Editions Gallimard, 2020 – Collection folio n°7036

« Nous faisons nos choix en lisant, Lola sera un bouquet composé à partir de quelques mots écrits et de vos propres souvenirs, de vos matériaux intimes. Elle sera notre œuvre commune, notre enfant, conçue dans le mitan du livre où nous dormons ensemble, lecteur et auteure, mêlés dans un même nid de ronces. »

De ces frontières poreuses entre le livre et moi, j’ai franchi le seuil de la chambre de Lola, postière  boiteuse et solitaire. Je contemple l’armoire bretonne qui palpite, je sens son odeur de vieux chêne, elle bat de ses cœurs en tissus, amassés là, sur les étagères. Les secrets qui les habitent bruissent dans la pièce, petite mélodie invisible, les mots se pressent, comme des lèvres sur le tissu, amoureusement.

L’autrice regarde elle aussi, entrebâille l’armoire, afin que l’histoire puisse commencer. Mes doigts incertains tournent les pages du livre.

Il faudra bien que ce cœur saigne, qu’il s’ouvre, afin que le monde retrouve sa cohérence. Que les mots s’en échappent, voraces, en équilibre sur un fil qui à chaque fois se déroule et menace de casser.

« De l’écriture à la lecture, tout circule, de l’auteur au personnage et du personnage au lecteur, les frontières sont poreuses ».

L’histoire de ces femmes, sauvages et libres qui reprennent possession de leur corps, trament et tissent notre féminin, le féminin du monde, sans lequel rien n’advient, tremble comme une image à la surface de l’eau. Y affleurent les tourments de l’autrice, sa vie aux prises avec l’inquiétude et la fragilité de l’amour.

« Je me suis réfugiée ici, dans cette histoire, pour fuir la mort de l’amour éternel. »

Ce danger de la page, de ce qui pourrait « nous sauter à la gorge et nous étouffer » si nous ne prenions pas garde, si la page et le livre nous absorbaient tout à fait dans la profondeur de ses mystères, et que l’univers réel perde ses contours, se dilue et se crevasse.

La nécessité d’une amarre, de l’amour, de n’importe quel amour … qui puisse solidement nous tenir.

Avec Carole Martinez, lire est faire œuvre commune, « mêlés dans un même nid de ronces », c’est entamer une conversation qui se poursuit de livre en livre, qui jamais ne cesse et toujours s’approfondit, se creuse, se fait, et se défait, pour renaître encore et encore.

Parole d’autrice : Carole Martinez

« Un roman n’est pas un mensonge, puisqu’il ne se présente pas comme la vérité, même s’il s’en donne les apparences. il peut pourtant contenir plus de réalité qu’un témoignage, permettre de toucher à l’intime, de dire ce qui ne saurait être dit autrement. »

« Dans le silence de mes cahiers, un monde a germé qui ressemble plus ou moins au nôtre, un monde fait de bric et de broc, mon héroïne s’y niche entre les lignes, et peu importe si j’use de tiges de ronces pour dire les liens profonds qui la ligotent, d’un peu de suie pour dessiner ses yeux, de morceaux de ferraille pour lui bricoler un corps. »

in « Les roses fauves », Editions Gallimard 2020

Maria Primachenko – artiste ukrainienne