
Amour et désamour …
« Dans l’acte amoureux, la personne sort d’elle-même : c’est peut-être le plus grand essai que la Nature fasse pour que chacun sorte de soi-même vers autre chose. Ce n’est pas elle qui gravite vers moi, c’est moi qui gravite vers elle ». Dans cette jolie formule, José Ortega Y Gasset tente de saisir une des caractéristiques de l’amour qu’il complète ainsi : « Dans l’amour, nous abandonnons le repos et l’assise en nous mêmes, et nous émigrons virtuellement vers l’objet. Etre en train d’aimer est ce mouvement constant d’émigration. » . Le monde s’enchante de la présence de l’Autre, se pare des plus vives couleurs, les sensations sont décuplées. Et puis, un jour, quelques heures ou quelques années plus tard, le miracle cesse, nous sommes rendus à l’uniformité des jours, à la grisaille quotidienne : on n’aime plus.
Tous les romans que j’ai lus jusqu’ici et qui ont servi de base au thème « Amour et désamour », sondent la vie de couple, examinent, parfois au scalpel, ses échecs autant que ses succès et examinent les différentes manières de vivre aujourd’hui l’amour dans le couple. On semble loin de l’amour fusion, où l’Autre ne serait qu’un reflet de soi-même, et où l’union physique à travers la sexualité assurerait un arrachement à soi, proche de la mystique. Non, l’Autre est bien celui dont je dois accepter la différence, qui me reconnaît et me conforte dans mon sentiment d’exister. Seul l’amour humain procure cette confiance et cette assurance dans la parfois difficile tâche d’exister. Dans « Sublime amour », de Sophie Fontanel, que par ailleurs j’ai abandonné, l’enfant Claudio Barbaro presse sa mère qui sort souvent le soir, de rester avec lui. Elle lui demande en quel honneur, et l‘enfant répond : « En mon honneur ! ». Et la mère d’éclater de rire. Claudio prend conscience alors de son inexistence. Nous ne sommes « je » que face à un « tu ». C’est cette différenciation qui nous constitue comme sujet.
L’amour se décline sur le mode de la dualité, du couple, même s’il se révèle fragile et éphémère. Angela Huth dans « Invitation à la vie conjugale » décline toutes les modalités de cette vie à deux : du couple monogame et fidèle, au couple « ouvert » dans lequel vie familiale et vie sexuelle sont dissociées, assumant ou pas les infidélités, en passant par le célibat assumé et une vie sexuelle complètement libre, tous les modèles sont passés au crible.
Valentine Goby (Des corps en silence), quant à elle, avertit, mais ne le savait-on pas déjà, que l’amour-passion est voué à l’éphémère et le désir volatile. Il est le résultat de toute une histoire qui a assuré la lente déconnexion du couple d’avec son rôle biologique, économique et social. Le mariage d’amour a remplacé le mariage de raison avec, en contrepartie la fragilisation du lien. Je ne sais plus quel penseur a parlé de « monogamie séquentielle », mais il semble que ce soit dans la littérature le modèle dominant. Le polyamour, terme que l’on utilise aujourd’hui pour les expériences de couples à partenaires multiples semble aussi fragile que les autres car il n’évacue pas le sentiment de jalousie, qui fait beaucoup souffrir, et le danger d’un autre amour-passion qui par son exclusivité pourrait menacer l’équilibre du couple premier. Philosophie Magazine présente cet été un dossier très intéressant sur les différentes figures du couple aujourd’hui, et essaie de répondre à la question : « Sommes-nous fait pour vivre à deux ? ». Il semblerait que la vie à deux soit le meilleur compromis possible, même si on peut aimer plusieurs personnes dans sa vie.
Toute la littérature s’attache à montrer qu’il vaut mieux aimer ces personnes successivement que simultanément : d’une part parce que seul le sentiment amoureux assure un véritable souci de l’autre dans le quotidien, et d’autre part parce que le sentiment d’exclusivité est très souvent lié à la passion amoureuse.
Toutefois, la littérature se fait aussi l’écho d’une époque : on y retrouve toutes les questions qui agitent la société, et les transformations qu’elle subit. Les tabous se lèvent : ainsi l’amour est-il aussi le refuge des êtres profondément blessés , le lieu d’une possible résilience. Véronique Biefnot, avec son roman « Comme des larmes sous la pluie » non seulement raconte un de ces sauvetages amoureux, mais évoque également la difficulté de l’identité sexuelle à travers l’expérience de la double appartenance , le genre fluide, qui nous rappelle que nous avons tous cinq identités sexuelles : chromosomique, anatomique, hormonale, sociale et psychologique et que si parfois elles coïncident, il arrive aussi qu’elles ne convergent pas, révélant des identités ambiguës ou hybrides. (voir le numéro de Sciences Humaines à ce sujet n°235 de mars 2012).
« C’est toute la différence entre la compulsion de répétition et la résilience. La première est à l’œuvre lorsque je m’engage dans un couple qui agrandit mes blessures au lieu de les recoudre. Ou lorsque je refuse l’amour de peur qu’il m’abandonne de nouveau. C’est ainsi que certains hommes fuient les femmes qu’ils voudraient aimer, tandis que des femmes agressent ceux qui leur manifestent de l’intérêt. Mais ce n’est pas une fatalité. Les carences du passé peuvent au contraire devenir un facteur de stabilité du couple : on est prêt à se donner du mal pour gagner ce dont on a manqué Et c’est ici que se situe la résilience : dans notre capacité à nous appuyer sur ce qu’il y a de plus constructif en nous pour recommencer à construire en dépit de nos blessures. Lorsque celles ou ceux qui ont été blessé(e)s par la vie rencontrent l’homme ou la femme de leurs rêves, il n’est pas rare qu’ils leur cachent les zones sombres de leur existence. C’est une forme d’amputation de la réalité, mais elle leur permet de partir sur des bases optimistes. » indique Boris Cyrulnik dans un entretient à Psychologies Magazine à propos de son livre « « Parler d’amour au bord du gouffre » »
De là, la force du Premier amour, Veronique Olmi (Le Premier Amour) l’a bien compris. La puberté en favorisant la création de nouvelles relations entre les neurones, nous ouvre à de nouveaux apprentissages, et favorise des expériences inédites, qui sous l’effet des hormones et de l’émotion, laissent une empreinte durable. L’individu subit une métamorphose et le premier amour est alors une seconde chance. Peut-être est-ce le cas de l’héroïne de Véronique Olmi qui échappe ainsi au modèle amoureux de ses parents et aux frustrations endurées dans son milieu familial. Le Premier Amour est alors la conquête de soi et de sa liberté.
Dans toutes les cultures , ici ou ailleurs, le cœur se met à battre, un peu plus vite, un peu plus fort, comme cet « Amour dans une vallée enchantée »(Wang Anyi), « Elle se rend compte maintenant que quelque chose s’est réveillé en elle, tant dans son corps que dans son esprit. Telle une eau courante qui coule sans relâche, elle se sent vraiment tout autre ».
L’expérience est si belle qu’on ne peut manquer de la tenter, tant pis si parfois la chute est presque mortelle : « Quelque temps après qu’il eut prononcé le mot pause, je devins folle et atterris à l’hôpital. Il n’avait pas dit : Je ne veux plus jamais te revoir, ni : C’est fini mais après trente années de mariage, pause suffit à faire de moi une folle furieuse dont les pensées s’entrechoquaient comme des grins de pop-corn dans un micro-ondes. » raconte la narratrice d’ « Un été sans les hommes » (Siri Hudsvedt).
De l’amour et son flamboiement au désamour, où tout s’éteint, la littérature ne cesse de s’intéresser sur la force et la fragilité de ce lien.
« Je vous remercie dans le fond de mon cœur du désespoir que vous me causez, et je déteste la tranquillité ooù j’ai vécu avant de vous connaître » s’exclame Mariana Alcoforado, la religieuse portugaise.
De la frénésie à l’ennui, notre vie certainement, oscille sans cesse…
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