Archives pour la catégorie Femmes chinoises

Le Nüshu, une écriture-femme en Chine

Une conférence passionnante ! Du textile au texte : tisser son émancipation.

Le Nüshu est « l’écriture des femmes », un système d’écriture exclusivement utilisé par les femmes du district de Jiangyong dans la province du Hunan en Chine.

En dehors de la conférence de Loan Diaz, présentée ici , vous trouverez d’autres informations en cliquant sur ce lien : Nushu, une écriture féminine sur le site LTL Mandarin school.
  •  (nǚ) signifie « femme »
  •  (shū) signifie « écriture » ou « style d’écriture »

Créée au XVème siècle, le Nüshu est une écriture inventée par les femmes, pour les femmes, que les hommes ne peuvent pas comprendre.

Ce n’est pas une langue puisqu’elle n’est pas parlée. Elle est la seule écriture au monde spécifique aux femmes.

L’héritier – Roselyne Durand-Ruel ou la transmutation des valeurs

L'héritier

Roselyne Durand-Ruel  présente dans « L’Héritier » une saga familiale chinoise, qui balaie l’histoire de la Chine des années 70 à aujourd’hui. Liu Sin-Ming est le seul fils d’un couple d’intellectuels, « rééduqués » dans les laogai ( goulag maoïste), victimes d’un collectivisme forcené et d’une idéologie sans pitié. Hong Kong, l‘opulente, est par contraste, son antithèse. Y règnent un capitalisme décomplexé, et une liberté d’entreprendre qui attirent de nombreux étrangers dont quelques français qui témoignent de la difficulté de créer une entreprise en France :

« Il faut être cinglé ou inconscient pour monter sa boîte en France. Surtout pour quelqu’un comme moi qui n’a travaillé qu’en Asie. L’entrepreneur est responsable de tout, libre de rien et suspecté en permanence par l’administration. On comprend pourquoi les jeunes rêvent de devenir fonctionnaires. Ni soucis, ni stress, la garantie de l’emploi et une pléthore de vacances. »

Le ton est donné comme vous l’aurez compris: Ce roman est un roman d’initiation, l’initiation d’un jeune homme contraint à fuir son pays pour trouver un peu de liberté et pouvoir épanouir ses talents. Son père le prépare pendant de longues années à devenir champion de natation sans dévoiler l’objectif final et même si le fils n’est pas fan de la discipline, en bon chinois il obéit à son père. Ce moment m’a fait penser au film « Welcome » dans lequel un jeune homme veut franchir la Manche à la nage pour rejoindre l’Angleterre. Ce mode de locomotion assez original deviendrait presque à la mode en littérature et au cinéma ! Sin Ming va tenter à son tour une aventure dans laquelle de nombreux chinois, candidats à l’exil, ont péri avant lui. Il franchit courageusement « le rideau de bambou » à la nage.

Va commencer pour lui l’apprentissage d’une sorte d’inversion de toutes ses valeurs, du collectivisme à l’individualisme et de l’obéissance confucéenne à l’exercice de l’esprit critique.

Peut-on toutefois oublier totalement l’éducation que l’on a reçue ? Héritier des traditions de son pays, où »la face », sorte d’honneur viril, tient une grande place, où le fils devient l’héritier et le garant de la continuation de la famille,  Sin Ming se trouve confronté à des choix cornéliens, pris dans des dilemmes que sa double culture ne lui permet pas de résoudre. Et c’est peut-être là tout l’intérêt de ce livre. Quelle est notre marge de liberté, quel poids ont les valeurs héritées, comment tracer sa propre route ?

Ce roman de presque cinq cent pages se lit avec plaisir. Il sait doser les différents ingrédients qui font une bonne histoire : l’amour, le danger, la réussite et l‘argent. Il propose une certaine vision de la Chine d’aujourd’hui mais surtout celle de l’auteure qui l’air de rien, passe au crible toute une série de valeurs fondatrices d’une civilisation, ainsi que la délicate question de l’articulation entre bonheur individuel et intérêt collectif.  Je ne me suis pas retrouvée dans cette ode au libéralisme, et bon nombre d’assertions m’ont considérablement agacées.  D’autre part, la facture en est vraiment très classique, trop classique, et la construction irréprochable n’empêche pas un sentiment de déjà-lu. Toutefois ses qualités en font un bon pavé pour l’été !

Au final, les quelques femmes qui traversent ce roman, sont des femmes énergiques, loin de l’image de la femme soumise. Elles ont beaucoup de mal toutefois à trouver le bonheur, enchaînées pour une part à la tradition, ou victime d’une idéalisation de l’amour à l’occidentale qui ne correspond pas toujours à la réalité.

« Entre une existence de princesse à Hong Kong et un r^le de soubrette en chef chez mon paternel, y a pas photos », s’était-elle dit avec pragmatisme. D’ordinaire les hommes prennent sans rien donner. »

« – La passion, peut-être. L’amour ? Est-ce que j’ose y croire ? Quant à toi tu devrais lire des romans russes ou français.

–         Pour être frustrée de n’avoir jamais éprouvé le grand frisson ?

–         Non, pour apprendre à rêver !

–         Mais ma vie est toute tracée !

–         Dommage ! Le Prince Charmant ne hante pas les petites filles de l’Ouest par hasard. Elles s’identifient aux héroïnes de la littérature. Une sorte de formation à l’esprit romanesque qui n’existe pas dans cette partie du monde. »

Un roman est cité cmme roman d’apprentissage de Sin Ming, il s’agit d’une ode à l’individualisme radical : La Source vive est un roman de l’écrivain américaine Ayn Rand publié en 1943 sous le titre The Fountainhead. Ce sera Description de l'image  Ayn Rand Portrait.png.son premier grand succès, adapté par la suite au cinéma par King Vidor en 1949 (voir Le Rebelle).

Le récit décrit la vie d’un architecte individualiste dans le New-York des années 1920, qui refuse les compromissions et dont la liberté fascine ou inquiète les personnages qui le croisent. (Source Wikipédia)

 

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Amour dans une vallée enchantée de Wang Anyi

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Amour dans une vallée enchantée de Wang Anyi ,1993, Wang Anyi,2008 Philippe Picquier,  2011 Philippe Picquier pour l’édition en poche

 Une jeune femme étouffe dans son quotidien et s’ennuie dans son couple. Comme une éclaircie dans ce quotidien morne, elle est envoyée à un colloque d’écrivains à Ushan, endroit niché dans la montagne, enveloppé de brumes, pour une dizaine de jours. Elle tombe alors sous le charme d’un écrivain célèbre et ils vont s’aimer dans un amour aux accents mystiques, silencieux et secret le temps d’une brève rencontre.

 Wang Anyi est une écrivaine chinoise née en 1954 de parents tous deux écrivains .  Son père, traité de droitiste en 1957, est démis de ses fonctions dans l’armée et dix ans après,  la Révolution culturelle va ranger sa mère, comme nombre d’écrivains, parmi les « esprits malfaisants » . Elle se réfugie dans la lecture des grands écrivains chinois et étrangers, notamment Balzac. Depuis la parution de ses premiers textes en 1976, elle ne va plus cesser de publier nouvelles, romans et essais, remportant de nombreux prix littéraires. Le chant des regrets éternels, paru en 1995, obtiendra l’une des plus hautes distinctions chinoises, le prix Maodun, en l’an 2000. Elle est élue en 2001 présidente de l’Association des écrivains de Shanghai. Source Editions Picquier.

 Amour dans une vallée enchantée fait partie d’une trilogie, avec Amour dans une petite ville, et Amour sur une colline dénudée qui avaient été« vivement critiqués pour « avoir osé aborder les problèmes du sexe et de l’adultère, sujets jusqu’alors interdits. […] (Celui-ci) a lui aussi subi les foudres de la critique pour avoir présenté une femme qui se libère, pendant une brève parenthèse, du carcan des convenances sans avoir à en souffrir. L’auteur qui se défend d’être féministe expose là une certaine conception de la liberté de la femme. »Source Yvonne André.

 La narratrice décrit sa vie quotidienne étriquée entre un travail monotone et une vie conjugale sans grand intérêt. Cette échappée dans la montagne va être l’occasion de vivre un nouvel amour. La montagne est somptueuse, les gouffres vertigineux, les chutes d’eaux impressionnantes. « Cette vallée enchantée agit comme un piège dont on ne parvient pas à sortir. »remarque–t-elle. Le paysage est à l’unisson de l’aventure de ces personnages, comme en contrepoint à la progression des sentiments. D’ailleurs elle-même se sent comme « une eau courante », même le silence est « une membrane transparente à la surface de l’eau ».La montagne semble « prendre la parole »  et dans le brouillard pourrait se dissimuler « un autre monde inconnu des humains et que, manquant d’audace et de liberté, ils n’avaient pas l’idée de s’y aventurer ».

 Les personnages pourraient être universels, d’ailleurs l’utilisation des pronoms, il, elle, servent à renforcer cette impression. Ils sont encore jeunes, éduqués, intelligents, à l’imagination foisonnante et ne se satisfont pas d’une vie banale. La culture ouvre à d’autres types d’émotions esthétiques et amoureuses, affine la sensibilité. Le roman a d’ailleurs parfois la froideur d’une démonstration.

Les personnages préfèrent l’espoir à sa réalisation ; ils ont l’expérience de l’amour et sont comme « des enfants, toujours en train de rêver ». Car toutes les expériences vécues sont comme une sorte de terreau où peut s’épanouir un amour nouveau, et « ressuscitent mystérieusement, en écho à l’appel qu’elle ressent à présent, aussi le choc dépasse-t-il en intensité tout ce qu’elle a connu dans le passé. »

La qualité d’un amour a son importance, délivré des contingences du quotidien des femmes, hors de portée de leur colère et de leur frustration dans une société encore très traditionnelle où la femme, comme ses consœurs occidentales, doit gérer une double journée de travail.

 J’ai beaucoup aimé ce livre, sa lenteur, ses belles descriptions. Le style est épuré,  un peu froid cependant à certains moments du récit et ne conviendrait pas à certains lecteurs qui pourraient manquer d’empathie. Tout y est analysé minutieusement, décrit dans un récit curieusement absent de tout lyrisme qui pourrait lasser ou ennuyer ceux qui aiment la passion dans le texte. L’auteur a une grande distance avec ses personnages et les observe de manière presque clinique. Mais un charme puissant agit dans ce récit un peu lancinant.

Chi Li – Trouée dans les nuages

chi li

Chaque mois, nous commémorons la disparition d’Hubert Nyssen en publiant un article sur un des livres publiés par Actes Sud (grâce à l’initiative de Denis.du blog « le bonheur de lire »)

A travers un livre « Trouée dans les nuages » et un auteur , Chi Li (池莉)

 J’ai choisi de m’intéresser à la collection « Lettres chinoises » dirigée par Isabelle Rabut depuis 1997 et qui privilégie les œuvres modernes et contemporaines. En effet, la plupart du temps,  c’était surtout la littérature des années 30 qui était mise à l’honneur. Une autre des particularités de cette collection est de publier des séries du même auteur formant comme une anthologie de l’œuvre.

Un autre auteur de grande qualité est publié dans cette collection Yu Hua, dont j’ai déjà chroniqué l’excellent livre « Brothers ».

Née en 1957, Diplômée en 1979 de la faculté de médecine de l’université des sciences et de la technologie de Wuhan , elle exerce d’abord en tant que médecin puis retourne à l’université de Wuhan en 1983 dont elle ressort cette fois diplômée en langue et littérature chinoises et se consacre à l’écriture. Elle est considérée comme l’auteur le plus représentatif du courant néoréaliste chinois, mouvement né en réaction  aux principaux courants littéraires, « La recherche des racines » et « La littérature d’introspection ».     En France, son oeuvre est publiée chez Actes Sud.

Chi Li s’attache à dépeindre la Chine des trente dernières années, constituée des citoyens ordinaires confrontés aux problèmes du quotidien (travail, famille, logement)  et brosse des portraits féminins saisissants qui lui permettent d’aborder la condition de la femme en Chine bien loin de la réalité des discours officiels. Elle parvient ainsi, à travers toute une série de tableaux de la société chinoise, à relier les destins individuels à l’histoire collective tout en menant une réflexion sur des problèmes universels : l’amour, la maternité etc .

Lire l’excellent article de ce site

L’œuvre : Trouée dans les nuages

Jin Xiang et Zeng Shanmei forment un couple sans histoire et paraissent profondément attachés l’un à l’autre ? Zeng Shanmei, sans être véritablement belle, possède « une féminité hors du commun » ; gracieuse et menue, mais à la poitrine généreuse, elle plaît beaucoup à ses collègues masculins mais par sa simplicité et sa retenue, elle a su également gagner l’estime de ses collègues féminines.

De tempérament placide, tout deux sont deux parfaits exemples de l’éducation chinoise qui consiste à savoir cacher ses sentiments et posséder une parfaite maîtrise de soi.

Mais il suffit d’un repas avec d’anciens camarades de classes, pour que la façade se fissure et  laisse voir la véritable personnalité de l’un et de l’autre. De révélations en révélations, au sein d’un huit-clos étouffant et meurtrier, les personnages mettent bas les masques et révèlent des secrets enfouis tout au long de leur existence.

A travers cette guerre du couple, se livre une autre beaucoup plus souterraine et insidieuse qui est la guerre des sexes. Ici comme ailleurs, les femmes ont bien du mal à trouver l’égalité.

Du statut au fond peu enviable de la belle femme ( qui affole les hommes et rend la vie impossible aux personnes de son sexe) aux clichés de toutes sortes à propos des femmes (la femme est par essence dissimulatrice, elle ne peut haïr un homme avec lequel elle fait l’amour, une femme écrivain ne peut pas être jolie, une femme doit être vierge au mariage, un homme marié a le droit de violer sa femme), jusqu’aux violences dont sont victimes régulièrement les femmes, tout prouve encore une fois la problématique universelle du droit des femmes.

J’ai beaucoup aimé ce court roman qui est aussi un coup de poing il faut l’avouer tant ce huis-clos peut être éprouvant (pour les nerfs). L’écriture est fluide, la pensée claire, les développements bien menés, la psychologie des personnages très fouillée et les rebondissements savamment orchestrés (On a parfois l’impression d’être dans un thriller).