Archives pour la catégorie Je les ai rencontrées au Salon du Livre de Paris

Gabriela Adamesteanu Une matinée perdue,

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Gabriela Adamesteanu Une matinée perdue, traduit du roumain par Alain Paruit. (Gabriela Adamesteanu, 1984) Editions Gallimard 2005 pour la traduction française.

Folio n°5533, 535 pages

Ce livre est considéré aujourd’hui comme un chef-d’œuvre de la littérature roumaine contemporaine et a été traduit en plus de dix langues.

 

Gabriela Adamesteanu écrit l’Histoire de son pays, la sonde à travers plusieurs destins de femmes : Vica, femme du peuple, dont la gouaille revient tout au long du récit, Ivona et sa mère Sophie Ioanu, Gabriela, la tante d’Ivona, qui appartenaient à la haute bourgeoisie roumaine avant la dictature communiste, et Marie-Françoise, personnage qui pour être tout à fait secondaire n’en représente pas moins le prototype de l’intellectuelle, qui reste célibataire parce que son physique n’est peut-être pas suffisamment avantageux malgré sa culture et son intelligence, une femme nouvelle en gestation mais qui fait encore peur aux hommes.

Gabriela Adamesteanu reconnaît que son roman est un roman de femmes[1], même si elle a particulièrement travaillé le personnage du professeur Mironescu, mari d’une de ces femmes dans le roman. Peut-être la misogynie de ce personnage qui n’est que le reflet de son époque n’est-il pas très sympathique. Il ne comprend pas vraiment les changements qui sont à l’œuvre et représente un peu la figure de l’intellectuel dans sa tour d’ivoire, qui refuse de s’engager ou de se salir les mains.

Les femmes tiennent donc ce roman de bout en bout, écartées de la vie politique, mais pratiquant un héroïsme du quotidien.

Les hommes sont désœuvrés ou complotent. D’ailleurs dans le roman, ils sont rongés par une maladie qui fonctionne comme une métaphore.

Ce roman polyphonique retrace l’Histoire de la Roumanie, de la première guerre mondiale à la période précédant la révolution roumaine et la chute de Ceausescu.

L’importance de l’Histoire pour l’auteure, vient, dit-elle, du fait qu’elle est pour elle le moyen de reconstruire une Histoire falsifiée par le pouvoir roumain pendant la dictature communiste.  Les dictatures réécrivent toujours l’Histoire à leur avantage et oblitèrent également sinon les événements gênants, du moins leur propre forfaiture. Tout est filtré et réarrangé selon le pouvoir qui impose sa propre interprétation de l’Histoire..

Récit assez long qui demande parfois un peu de patience, mais présence magnifique d’une voix qui résonne encore longtemps après la lecture, l’œuvre de Gabriela Adamesteanu, tout à fait singulière et puissante, comptera, c’est sûr, dans ce siècle. Peut-être la nécessité qui a présidé à ce projet d’écriture et qui lui donne un souffle propre aux épopées, aux grands récits mythiques, donne une amplitude à son œuvre que l’on retrouve également chez la poétesse Ana Blandiana. Peut-être toutes deux ont-elles vécu l’écriture comme une urgence,  jusque dans leur corps, parce que c’est ce que j’ai senti moi, lectrice, ce côté charnel de l’écriture, cette chair d’encre et de meurtrissures. Ce battement, en elle, qui a accompagné ma lecture.

 

mots de gabriela

Ana Blandiana – Elégie du matin

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ÉLÉGIE DU MATIN

Au début, j’avais promis de me taire
Mais plus tard, au matin,
Je vous ai vus sortir avec des sacs de cendre devant les portes
Et la répandre comme on sème le blé ;
N’y tenant plus, j’ai crié : Que faites-vous ? Que faites-vous ?
C’est pour vous que j’ai neigé toute la nuit sur la ville,
C’est pour vous que j’ai blanchi chaque chose toute la nuit – ô si
Vous pouviez comprendre comme il est difficile de neiger !
Hier soir, à peine étiez-vous couchés, que j’ai bondi dans l’espace
Il y faisait sombre et froid. Il me fallait
Voler jusqu’au point unique où
Le vide fait tournoyer les soleils et les éteint,
Tandis que je devais palpiter encore un instant dans ce coin,
Afin de revenir, neigeant parmi vous.
Le moindre flocon, je l’ai surveillé, pesé, éprouvé,
Pétri, fait briller du regard,
Et maintenant, je tombe de sommeil et de fatigue et j’ai la fièvre.
Je vous regarde répandre la poussière du feu mort
Sur mon blanc travail et, souriant, je vous annonce :
Des neiges bien plus grandes viendront après moi
Et il neigera sur vous tout le blanc du monde.
Essayez dès à présent de comprendre cette loi,
Des neiges gigantesques viendront après nous,
Et vous n’aurez pas assez de cendre.
Et même les tout petits enfants apprendront à neiger.
Et le blanc recouvrira vos piètres tentatives à le nier.
Et la terre entrera dans le tourbillon des étoiles
Comme un astre brûlant de neige.

 

source  poésie.net    Anna Blandiana

Otilia Valeria Coman(née le 25 mars 1942) est sous son nom de plume d’Ana Blandiana une poétesse, essayiste et figure politique roumaine. Son surnom de Blandiana vient du nom du village du Judet d’Alba en Transylvanie, le village natal de sa mère.

Après la révolution roumaine de 1989, Ana Blandiana entre dans la vie politique. Elle est l’initiatrice de la création d’un Mémorial de la résistance et des victimes du communisme, à Sighet, ville du Nord de la Roumanie

(source wikipédia)

La poésie derrière le Mur  Samedi 23 Mars 2013 de 14:00 à 15:00 

Grand Public Pavillon Roumanie (R78) Lettres roumaines

Modérateur Jean-Pierre SIMEON (Directeur Printemps des Poètes)

Participants: Ana BLANDIANA(une poétesse, essayiste et figure politique roumaine), Dinu FLAMAND, Ion MURESAN (sous réserve) Salondulivredeparis.com 

Poésie et mémoire Dimanche 24 Mars 2013 de 12:00 à 13:00

Stand CNL (N84)

Grand entretien avec Ana Blandiana
Ana Blandiana est une poétesse dont l’œuvre est emblématique d’une littérature partagée entre les tensions de l’oppression et une tradition vive de créativité. Elle fonde le Mémorial des Victimes du Communisme et de la Résistance, à Sighet (nord de la Roumanie) Salondulivredeparis.com

Milena Agus / Nicole Garcia

Sur le stand des auteurs du Salon du livre 2012 à Paris a eu lieu une belle rencontre et un intéressant dialogue entre Milena Agus, dont je viens juste de terminer le dernier livre et Nicole Garcia dont j’aime également beaucoup les films, « Un balcon sur la mer » est l’un des derniers que j’ai préférés. Je me suis donc armée de mon calepin et de mon stylo et j’ai pris quelques notes.milena 1

 

« La princesse de Ricotta » de Milena est-il un livre sur les perdants ? demande la journaliste qui doit animer le débat. Des trois comtesses qui habitent trois appartements dans l’ancien palais familial aujourd’hui en décrépitude à Cagliari en Sardaigne, l’une, Maddalena, n’arrive pas à avoir d’enfants, l’autre, Noemi, souhaiterait rétablir la splendeur ancienne du palais mais n’y parvient pas, la troisième, la comtesse de Ricotta, qui ne sait rien faire, a un fils qui louche et ne réussit pas à rencontrer l’amour. On la nomme princesse de Ricotta car avoir des mains de Ricotta veut dire être maladroit. En effet la ricotta est un fromage mou sans grande consistance. Ce sont des gens qui ne réussissent pas mais qui essaient désespérément.milena 2

Milena Agus explique que c’est sans doute un peu autobiographique car elle ne se sent pas elle-même faire partie des gagnants, aussi éprouve-t-elle une certaine sympathie pour les perdants. Il s’agit peut-être à travers l’écriture de donner une revanche possible pour les perdants. Et le public a aimé une histoire qui est à rebours de l’air du temps qui glorifie plutôt la réussite et l’argent.

  L’amour est la chose la plus difficile à saisir et pourtant la plus importante. Si on n’est aimé par personne, alors on n’est rien. C’est le sentiment de l’écrivain.

  Nicole Garcia va adapter le livre « Mal de pierres » au cinéma.  Elle l’a perçu comme l’histoire d’une femme qui est contrainte à une grande construction fantasmatique pour pouvoir vivre sa vie conjugale avec son mari. Il lui faut ce détour nécessaire pour aimer son mari si tant est qu’elle parvient à l’aimer. Elle joue tout au long du roman avec les ellipses , c’est un roman ambitieux et qui a séduit Nicole Garcia. Elle raconte qu’elle avait lu ce livre d’une traite, dans le train, en allant de Paris à Marseille. C’est alors qu’elle s’est dit « Il faut absolument que j’adapte ce livre ». La transmission du secret saute une génération et cela doit devenir l’axe de narration du film. Au cinéma, il est nécessaire de suivre un espace-temps. C’est donc la grand-mère qui va raconter son histoire à la petite fille. Selon Nicole Garcia, c’est un hymne à la conjugalité et à l’amour durable. Et si elle s’est reconnue dans le livre de Milena Agus, c’est parce qu’elle aussi parle de perdants dans ces films au début de l’histoire, mais le film leur fait toujours gagner quelque chose. Il y a dans ces histoires, un rêve d’amour qui porte très haut les femmes, une sorte d’ubris. L’héroïne de Mal de pierres va inventer cette histoire pour arriver à vivre.

  Milena Agus raconte que c’est seulement à la fin de l’histoire qu’elle a soudain décidé qu’elle n’avait pas eu lieu. Dans la première version, l’histoire s’arrêtait au moment où le grand-père perdait une jambe à la guerre. Elle s’est rendue compte que le plus beau était de se trouver face à quelque chose qu’on n’attendait pas. Donc elle a construit la psychologie de son personnage de cette manière : une femme qui ne peut vivre qu’un amour imaginaire, qui est incapable de vivre un amour réel, avec lequel elle est obligée de composer. D’où le pouvoir singulier de l’écriture…

 Pour Nicole Garcia, le véritable amour, c’est son mari qui le lui a donné en étant tout simplement .

  Milena Agus a vu certains films de Nicole Garcia et les a beaucoup aimés. Elle estime que la cinéaste peut faire ce qu’elle veut de cette histoire car le cinéma est une autre forme d’art qui a son propre langage.

A partir des détails on arrive au général, c’est ce qui l’a frappée dans ses films.

  Nicole Garcia nous informe que le film sortira dans les deux prochaines années mais que les acteurs ne sont pas encore choisis. Elle n’a encore qu’une vague idée.

  Le journaliste revient sur « la comtesse de Ricotta » et dit que la presse italienne a comparé le livre aux trois sœurs de Tchékov. Milena Agus avoue que c’est en fait un hommage à Grazia Deledda (Sarde qui fut prix Nobel en 1926).

Elle ajoute qu’elle est fille unique et qu’elle a des sœurs amies qui sont toutes également filles uniques. Ce sont des personnages féminins qui bâtissent son œuvre, c’est naturellement que ça surgit car c’est ce qu’elle connaît le mieux. ». Pendant longtemps la Sardaigne a été une société matriarcale, c’étaient les femmes qui avaient les clefs attachées à leur ceinture. Le mari avait la place de l’ombre.

Toutefois dans ses romans, il y a toujours de très belles figures masculines, comme la figure du grand-père qui passe toute sa vie à faire semblant de ne pas comprendre.

  La rencontre s’achève plus tard avec un autographe de celle qui est vraiment un de mes écrivains préférés et dont je ne raterai jamais aucun livre.

 

Yoko Tawada – L’histoire d’une vie

Yoko-Tawada

Yoko Tawada est une de ces personnes dont le sourire illumine complètement le visage, et dont l’intériorité se révèle dans les différentes expressions qui modèlent à loisir le nez, la bouche et les pommettes. Elle a un visage plein d’âme et je suis tombée sous le charme.

J’ai assisté à une des conférences qu’elle a tenues lors du Salon de Paris 2012. Et voilà ce que j’en ai retenu.

Elle est née en 1960 à Tokyo et a migré vers l’Allemagne en 1982 d’où elle écrit et publie à la fois en allemand et en japonais. Elle est écrivain, dramaturge et poète et a remporté de nombreux prix autant en Allemagne qu’au Japon. Elle tire de cette double identité, « une manière singulière, inimitable, qui bouscule les conventions linguistiques et culturelles. »

Elle est l’auteure qui pose le plus explicitement et de la manière la plus fouillée la question des frontières de la langue. Elle possède une manière singulière de bousculer les conventions autant littéraires que sociales ; ses personnages inventent une autre manière de regarder le monde.

Elle raconte la façon dont elle écrit de la poésie : elle écrit des phrases et les laisse en suspens. Elle écrit une première phrase, la dit et n’en garde que le tiers. Le reste demeure dans le silence. Au lecteur de continuer la phrase à sa manière.

Quand elle écrit un roman, elle conçoit une première scène, raconte-t-elle, mais dont l’ambiguïté va servir au développement ultérieur du roman. Tout est caché mais elle ne sait pas ce qu’elle va découvrir. Ecrire c’est creuser pour le découvrir et le mettre au jour.

Quand elle se tait, elle a l’impression qu’il y a un mur extrêmement épais et elle ne sait pas comment elle va passer dans la parole.

Son dernier recueil s’intitule « Les aventures grammaticales de la langue allemande », or jamais la grammaire n’est devenue un thème poétique.

 

En allemand et en français, il existe le je et le tu, et une façon de s’adresser à l’autre selon le degré de familiarité  qui impose le tu ou le vous. Par contre, lorsqu’on veut parler de soi, il n’existe qu’un pronom, « je ». Le génie de la langue se déploie dans la multiplicité de ces mots qui changent en fonction du mode de relation qu’on entretient avec l’autre.

En japonais, le je n’est pas toujours utilisé comme sujet, mais exprime également le rapport avec l’autre. Pour dire « Je vous parle. », on n’utilise ni « je », ni « vous » mais un verbe plus un suffixe verbal qui par exemple peut indiquer que l’on est un inférieur qui s’adresse à un supérieur. Ce qui existe en fait c’est le rapport entre le moi et le vous.

Dans leur langue maternelle, les enfants retiennent d’emblée l’ensemble des codes qui la régissent. Ils sont dans le bain de la langue. Certains d’entre eux, par contre, ne parviennent pas à assimiler d’autres langues.

 

Yoko Tawada est arrivée à 22 ans en Allemagne. Elle explique qu’elle était très immature et donc qu’elle avait la réceptivité de l’enfant par rapport à une autre langue. Elle entendait de l’allemand et ne possédait aucune connaissance syntaxique ni grammaticale . Elle raconte comment elle a expérimenté la langue et comment celle-ci est entrée peu à peu à l’intérieur d’elle. Les émotions qu’elle pouvait éprouver, joie lorsqu’elle comprenait et colère lorsqu’elle ne comprenait pas. Elle se souvient avoir senti les mots comme des choses, des matières qu’on laisse couler dans sa main. Dés le début, la langue a été perçue comme l’expression même de la poésie. La prononciation difficile, demandait une effort corporel. Les mots opposaient une résistance, ils devenaient vivants et ne voulaient pas entrer dans sa bouche. Pour Yoko Tawada, l’alphabet a quelque chose de magique, car avec 20 et quelques lettres on peu exprimer des choses complexes et longues.

Yoko Tawada a écrit « Le journal des jours tremblants » suite au drame de Fukushima. Comment résoudre et dépasser ce problème ? Posséder une seule langue ne résoudrait pas le problème. Chacun doit le résoudre dans sa propre langue. Il ne s’agit pas de se fondre dans le grand courant culturel de la mondialisation. Il faut poser la valeur des différences culturelles, surtout pour les pays minoritaires…

Je vous invite à découvrir Yoko Tawada qui est une auteure exigeante, d’un abord parfois un peu difficile mais qui est absolument passionnante.

 

Yoko Tawada – auteur de l’exophonie, « Loeil nu »