Archives pour la catégorie ♥♥♥♥ – J’ai adoré

Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces – Ella Balaert

Lire «  Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces » d’Ella Balaert, c’est, selon les mots de Sylvie Germain, « apprendre à écouter la langue là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au cœur des mots », c’est aussi croiser le fil avec l’autrice, tisser avec elle patiemment, parfois au bord du souffle, cette histoire sans fin qu’elle déroule de nouvelle en nouvelle. Une fois le livre refermé, ce livre à la couverture mousseuse, troué de bleu et de rouge en son centre, avec ce beau grain des éditions des femmes, on sait que l’énigme n’en sera que plus belle, plus épaisse et plus obscure encore, à jamais irrésolue.

Il serait tentant de dire qu’il s’agit de nouvelles fantastiques, qui puisent certainement à l’héritage du grand maître, et que le surnaturel et l’inexpliqué surgissent dans le réel pour mieux le mettre à l’épreuve, ce serait une définition hâtive, un peu scolaire, mais bon, faute de mieux ! Moi je dirais que c’est le contraire, c’est le réel qui fait irruption dans un certain nombre de faits et de sentiments humains irrationnels et inexpliqués, et que cette tension du réel, de l’inévitable, de la folie, de la solitude et de la finitude humaine fait imploser le récit, pour le poursuivre à la nouvelle suivante.

Oui, « ceux qui rêvent éveillés ont connaissance de mille choses », ceux qui ne croient pas à l’innocence des poissons rouges dans leur bocal, mais qui voit la main qui les a placés là, à tourner indéfiniment, tel cet Ecce Homo Scribens, dernier représentant de son espèce, que l’on vient regarder comme le poisson dans son bocal (l’oie).

Dans la férocité, il y a une force indomptable, une énergie démultipliée, un appel aux courants profonds qui nous habitent, et à ceux qui nous relient à la nature. La férocité des hommes donne peut-être la guerre, engendre la violence mais pas seulement. On peut être féroce sans être cruel. Peut-être cette force, cette férocité est-elle nécessaire à l’écrivain pour dynamiter les apparences et les faux-semblants.

Cela a d’étranges résonances d’ailleurs avec nos librairies fermées. La force des grands textes, se mesure à leur pouvoir de nous murmurer indéfiniment des choses à l’oreille, si on veut bien les écouter.

Oui, le manque d’amour, la manipulation sont choses bien réelles (l’araignée), et on peut bien vous offrir quelques roses magnifiques, vous ne saurez rien des intentions de celui qui vous les offre, de la façon dont il vous considère, fleur-femme peut-être, juste bonne à paraître.

La force de la littérature, c’est de ne jamais « réduire l’inconnu au connu, la nuit au jour, le mystère à la science », et qui laisse pour Fortunato (Le bourdon) et nous-mêmes des questions sans réponse. Qui nous plonge dans l’obscur et l’opaque, qui nous rend à la peur de l’inconnu et au monde.

J’ai frémi parfois, je me suis glacée aussi (la meute), j’ai senti l’inquiétude, l’intranquillité de celle qui veut bien être bousculée, et j’ai ri aussi. Si je vous dis qu’une de ces nouvelles a pour titre « Le bouc », vous vous douterez peut-être de ce qui va advenir ? Et bien vous resterez, je suis sûre, bien en deçà de la chute incroyable de ce récit. Elle m’a horrifiée et à la fois beaucoup amusée.

Voilà, finalement je ne vous ai rien raconté, vous ne saurez définitivement pas de quoi parle ce livre, il vous faudrait aller de chronique en chronique, mais ce serait vain, je vous l’assure, autant lire ce livre sans tergiverser, vous ne serez pas déçu.e.

Dominique Bona –  Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir / L’été des femmes artistes – Litterama

Dominique Bona –  Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir – Editions Grasset& Fasquelle, 2000

Dominique Bona –  Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir – Editions Grasset& Fasquelle, 2000

Dominique Bona, grande érudite, s’appuie sur un travail de documentation remarquable pour nous livrer cette biographie de Berthe Morisot qu’elle va lier, pour l’essentiel, à la famille Manet, et entre tous,  Edouard Manet, illustre peintre, contemporain des impressionnistes qui n’a jamais voulu se rallier au mouvement, et que Berthe a rencontré au tout début de sa formation lorsque elle allait copier des œuvres au Louvre.

Le Musée d’Orsay lui consacre une magnifique exposition que l’on peut voir encore jusqu’au mois de septembre.

Je ne retracerai que vaguement les grandes lignes de cette biographie, d’autres l’ont fait beaucoup mieux que je ne le pourrais. Je voudrai juste souligner ce qui a été, pour moi, la force et l’intérêt de ce livre.

Tout d’abord, Dominique Bonat, si elle ne néglige pas l’influence d’Edouard Manet sur le style de Berthe Morisot, montre comment elle s’en est vite dégagée et de quelle manière elle a trouvé sa voie et son propre style.

Berthe Morisot a-t-elle eu une histoire d’amour avec le peintre ? On ne le saura jamais avec certitude. Manet la peindra plusieurs fois en de sublimes figures, à la fois sensuelles et énigmatiques.

«  Elle mesure toujours la vie d’après ses drames mais dissimule son pessimisme sous un masque de sérénité. Ce tourment profond et constant, qui jamais ne se dissipera et dont son regard porte les reflets, la rapproche de Manet, lui permet de comprendre et d’aimer ce qu’il peint, la violence, la brutalité de sa vision, le magnétisme de ses couleurs la fascinent. »

L’auteure a cherché dans les archives, aucune lettre n’est restée qui pourrait l’attester ou l’infirmer. On peut juste s’étonner cette absence de traces de la relation qu’il y eut entre ces deux êtres, pendant toute une période, si proches.

Le talent de Dominique tient aux hypothèses qu’elle élabore, au suspense qu’elle entretient savamment sur cette relation entre deux êtres hors du commun. Et surtout aux éléments qu’elle met en scène pour vous faire revivre la vie, les pensées, le caractère de cette artiste singulière. Vous pourrez ainsi vous faire votre propre idée. Vous nous direz ce qu’il en est selon vous, et votre analyse.

Berthe Morisot fut un des chefs de file du mouvement impressionniste, première et seule femme à exposer aux côtés de Monet, Degas et Renoir.

On connaît l’origine du nom donné au mouvement, attribuée à une remarque sarcastique du critique d’art Louis Leroy. Il aurait écrit après avoir vu une toile de Monet: « Que représente cette toile ? Impression ! Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans ». Claude Monet devant donner un titre à son tableau, un paysage au Havre peint en 1872, propose « Mettez Impression, soleil levant ».

Elle créa, avec ses amis, le groupe d’avant-garde les « Artistes Anonymes Associés » qui allait devenir la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs dans laquelle figureront ceux que l’on a appelé impressionnistes à la suite du fameux Monsieur Leroy.

L’autre intérêt de cette biographie est de montrer la condition de la femme artiste au XIXe siècle, la façon dont l’art, de même que l’écriture, ont permis aux femmes de revendiquer une certaine indépendance. Lorsque Berthe peint, c’est-à-dire lorsqu’elle travaille, c’est son mari et sa fille que l’on peut voir sur le tableau.

Mais ce parcours d’artiste exigera de surmonter les conflits intérieurs qui la minent.

« Tiraillée entre deux pôles, entre deux exigences, celle de la peinture et celle de la femme, « elle se monte et se démonte comme devant », dit sa prosaïque mère. Elle lutte pour affirmer sa différence. Des conflits psychologiques la minent. Maux de tête et d’estomac, crampes, migraines. »

Elle a réussi à écrire une biographie extrêmement vivante, précise et documentée, et sa parfaite maîtrise de tous les éléments biographiques, la synthèse qu’elle peut alors opérer, rend le récit d’une grande fluidité, et son sens de la narration lui donne suspense et intérêt.

L’art de Berthe Morisot voulait « Fixer quelque chose de ce qui passe ». L’art de Dominique Bona, est de restituer l’atmosphère de ces années-là, les mouvements intérieurs de Berthe Morisot, ses combats et ses contradictions, afin que nous aussi, nous puissions approcher ce mystère.

A lire absolument…

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source image : wikipedia

Alias Grace – La série d’après le roman de Margaret Atwood – Captive

  • Captive, Robert Laffont, 1998 ((en) Alias Grace, 1996) adapté en 2017 sous forme de mini-série de six épisodes par Netflix

La série est parfaitement construite, et elle est relativement fidèle au roman. Remarquablement interprétée par Sarah Gadon, dont la retenue et la subtilité dans le jeu donnent toute l’ambiguïté et le charme nécessaires à un tel personnage, son format permet d’en dessiner suffisamment toute la complexité.

Née le 4 avril 1987 à Toronto, elle a notamment joué dans les films A Dangerous Method, Cosmopolis et Maps to the Stars, trois films du réalisateur canadien David Cronenberg qui excelle à mettre en scène la complexité de personnages ambivalents et troubles.

Depuis 2017 / 45min / Titre original : Alias Grace de Sarah Polley, Noreen Halpern,

avec Sarah Gadon, Edward Holcroft, Rebecca Liddiard

La princesse de Clèves, dîner-théâtre au Théâtre de Montansier décembre 2018

 « La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat. Jamais cour n’a eu autant de belles personnes ni d’hommes admirablement bien faits. Le goût que le roi François Ier avait pour la poésie et pour les lettres régnait encore en France, et le roi, son fils Henri II, bonsoir votre majesté, comme vous aimiez les exercices du corps, tous les plaisirs étaient à la cour. »

Bruno Schwartz  joue « La princesse de Clèves » de Madame de Lafayette, avec talent, et nous emporte dans ce magnifique texte classique dont l’austérité disparaît dans les ombres et les lumières de la scène de ce théâtre somptueux qu’est le théâtre de Montansier à Versailles,  proposant à chaque spectateur une complicité particulière, choisissant au sein du public quelques spectateurs qui assument les rôles de quelques personnages à leur corps consentant, autour d’une table dressée où sera servi le dîner à la fin du spectacle. Des pauses ménagées dans le récit sont consacrées à la description des usages de la table à l’époque de Mme de Lafayette.

« Quand le sucre est mis au goût du jour, il vaut littéralement son pesant d’or. Pour montrer son pouvoir et sa richesse, on le met donc à toutes les sauces… […]

Un très beau moment, une belle soirée, où se conjuguent plaisirs de l’ouïe, plaisir des yeux, et plaisir de la table.

D’après Madame de la Fayette, conception et mise en scène Benoit Schwartz, scénographie Elisabeth de Sauverzac et Benoit Schwartz, lumières Nicolas Villenave

avec Benoit Schwartz, Production Compagnie La Bao Acou, Espace culturel Luxembourg/Meaux

Jusqu’au 05 décembre pour des scolaires et en tournée

Brad Watson – Miss Jane/ Découverte Festival America 2018

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« Miss Jane, c’est moi », a déclaré Brad Watson au Festival America.

« Miss Jane » est un roman d’une grande délicatesse, d’une excessive pudeur, et pourtant d’une honnêteté remarquable. Car si Jane urine ou défèque dans ses jupes c’est avec la plus grande dignité. Victime de son « cloaque persistant ».

Ce personnage lui a été inspiré par sa grand-tante Mary Ellis «Jane» Clay, qui toute sa vie souffrit d’incontinence urinaire.

« Je me suis posé de grandes questions avant d’entrer dans la peau de cette femme. C’est le livre qui va permettre cette entrée dans le personnage. »

En effet, lorsque Jane Chisolm vient au monde en 1915, dans une petite ferme du Mississippi, le docteur Thompson s’aperçoit qu’elle n’est pas tout à fait comme les autres : elle ne s’est pas formée totalement.

Le livre est la quête de ce mystère. Pourquoi est-elle différente ? L’absence de ce qui n’est pas est toujours indirectement évoqué, enfoui dans le secret des jupons. Nous n’y avons pas accès, pour respecter la pudeur de Jane peut-être, nous laisserons les jupes virevolter autour de ses jambes nues. Nous aurons seulement droit à la brochure illustrée de l’anatomie féminine, mais dont on aura enlevé toutes les illustrations.

Libre dans la nature, à l’abri du regard des hommes, ou claquemuré dans un appartement dont elle peut rarement sortir, Jane vit un perpétuel exil.

C’est bien le sens du lieu, de la nature, comme les serpents, les marais qui vont donner leur place aux personnages et le rapport d’identification qu’ils permettent. « Ils font le lien entre les personnages et moi » explique l’auteur.

Cela représente, pour l’héroïne, le lieu dont elle ne peut sortir, s’enfuir, pour incarner sa vie, son devenir.

Les années passant, le cercle déjà étroit de ses relations et de sa famille se rétrécissant jusqu’à devenir peau de chagrin, elle devra affronter l’inexorable solitude.

Pourtant Miss Jane est aussi un roman d’émancipation, la conquête d’une certaine dignité, un acte de bravoure qui consiste tout simplement à vivre.

Un très beau roman, lu avec Nadège.

L’avis de Nadège, « Les mots de la fin »

Le cœur battant de nos mères – Brit Bennett / Devenir mère ou pas – Découverte Festival America

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Le cœur battant de nos mères, The Mothers (2016), Brit Bennett, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Autrement 2017 (J’ai Lu n°11977)

Le choix du titre en français est assez surprenant, car il induit des représentations qui ne sont peut-être pas tout à fait celles du roman, le titre en anglais est « Les Mères », car la question centrale du roman est bien de devenir mère ou pas. Il évoque des destins de femmes dont la dimension maternelle a été source d’interrogations, et de difficultés, voire d’impuissance. Le suicide, l’avortement, la difficulté à assumer ce rôle de mère sont au cœur du récit.

« L’avortement prenait peut-être un autre aspect quand c’était juste un sujet intéressant pour un article ou un débat autour d’un verre, quand vous n’imaginiez pas que cela pouvait vous atteindre. »

Le droit des femmes à disposer de leur corps et la question de l’avortement a été largement évoqué lors des débats du Festival America autour du Féminisme.

La narration est menée par un chœur, comme au sein de la tragédie, mais un chœur de Mères.

L’auteure avoue s’intéresser depuis longtemps au rôle des femmes au sein des Eglises, souvent cantonnées aux basses œuvres et rarement mises en avant. Elle a donc décidé de leur donner la parole, de les faire sortir de cet anonymat.

Nadia et Aubrey, les deux protagonistes de l’histoire vivent sans leur mère et se sentent trahies, abandonnées. Leur réponse va consister, par ricochet, à se mettre à distance de la maternité, par peur de devenir leur propre mère et de connaître la même fin tragique ou à conjurer le sort, devenir une mère autre. Deux alternatives que les deux personnages vont devoir choisir.

Le fait d’être membre d’une communauté religieuse va avoir une incidence sur leur vie de jeune femme en devenir. L’Eglise a été un refuge pour elles deux, elles y ont trouvé un soutien. Toutefois cette communauté fermée, et bienveillante, va devenir une force de répression, une force maléfique qui va aussi les juger.

Le chœur de Mères exprime aussi la frustration par rapport à toutes les épreuves qu’elles ont été amenées à vivre dans leur condition de femmes. Elles projettent inévitablement leurs souffrances passées sur la jeune génération.

La question de l’avortement est inévitablement traitée, et d’une façon qui m’a paru terriblement maladroite car le fœtus est toujours envisagé comme un bébé, et non comme un futur possible bébé et par conséquent les femmes assument une forme de culpabilité lorsqu’elles interrompent volontairement leur grossesse.

« Tu l’as tué ! » s’écrie un des personnages.

Le récit décrit une des manifestations contre l’avortement de l’Eglise, le Cénacle, à laquelle appartiennent Aubrey et Nadia :

« Notre manifestation n’avait duré que trois jours. (Non pas à cause de nos convictions chancelantes, mais à cause des militants qui nous avaient rejoints, le genre de Blancs complètement fous qui se retrouveraient un jour à la une des journaux pour avoir fait sauter des cliniques et poignardé des médecins. »

Quand au chœur, elles disent avoir toutes été mères dans leur cœur ou dans leur corps.

Une jolie ficelle qu’il suffirait de tirer…

Brit Bennett est diplômée de littérature à Stanford et fait partie des cinq meilleurs auteurs américains du National Book Award. Son roman a été finaliste de nombreux prix littéraires. Son dernier ouvrage , Je ne sais pas quoi faire des gentils Blancs, est paru chez Autrement. On la compare bien sûr inévitablement à Toni Morrison ( !).

La femme comestible, premier roman de Margaret Atwood

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La femme comestible, The edible woman, 1969, traduit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch, Pavillons poche Robert Laffont, Paris 2008, 522 pages

La femme comestible est le premier roman de Margaret Atwood, publié en 1969 et écrit au plus fort du Canadian Woman’s Liberation Movement. Constitué de trois parties d’inégales longueurs, la narration alterne de la première à la troisième personne pour revenir à la première, témoignant de la quête d’identité de la narratrice.

Depuis que Marian est fiancée, et qu’elle sait qu’elle va se marier, abandonner son travail et certainement faire des enfants, l’angoisse l’étreint et elle ne peut plus rien avaler. Conflit entre ses désirs, certainement inconscients, et le rôle social qu’elle est amenée à jouer, le rapport à la nourriture devient le fil conducteur du récit.

Opératrice en marketing, son quotidien d’enquêtrice, la mène de porte à porte, à tenter de cerner les besoins ou désirs des consommateurs pour mieux les manipuler grâce à de savantes études marketing. Or, malgré la révolution sexuelle des années soixante, Marian MacAlpin est prisonnière des valeurs de la génération qui la précède, produit de consommation comme un autre, dont on attend qu’il réponde exactement aux attentes du consommateur masculin.

En effet, une femme, à l’époque ne se définit qu’à travers l’homme qui partage sa vie, mère nourricière, et reproductrice, ses enfants assurent son destin, circonscrit au cercle étroit du foyer. Elle est une femme comestible, dévorée symboliquement par son mari et ses enfants. Jusqu’à ce qu’elle reprenne le contrôle de sa vie. Marian sent en effet que son moi et son corps sont en train de se séparer, et que ce dernier ne lui obéit plus traduisant sa coupure avec la réalité. L’assimilation par le corps des aliments est analogue à l’assimilation par le corps social et  la transformation de la femme en sujet socialement acceptable. Elle est ainsi « digérée ». L’homme assume un rôle de prédateur, la femme étant une proie comme une autre. C’est aussi pour cette raison qu’elle ne peut plus manger, elle entend le « cri » de la carotte, par solidarité en quelque sorte avec toutes les autres proies.

Margaret Atwood analyse finement les stéréotypes de genre à travers plusieurs personnages, soit qu’ils les respectent ou  qu’ils en prennent le contre-pied, tel Duncan, qui refuse d’être un homme fort et protecteur. Ou Ainsley qui veut faire un bébé toute seule, en dehors du mariage.

Il y aurait bien d’autres choses à dire, tellement ce roman est riche de symboles et de métaphores. Il est souvent d’un humour grinçant, j’avoue que j’ai souvent ri à sa lecture.

« Vous risqueriez de faire quelque chose de destructeur : le besoin de nourriture passe avant le besoin d’amour. Florence Nightingale était une cannibale, vous savez. » , l’avertit Duncan.

lire margaret Atwood

Cycle Margaret Atwood – Captive

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Margaret Atwood, Captive (Alias Grace, 1996) , traduit de l’anglais (Canada) par Michèle Albaret-Maatsch, Robert Laffont, 10/18 , 1998 pour la traduction française, 613 pages

Captive est le deuxième roman que je lis de cette auteure et je suis toujours aussi séduite par l’écriture de Margaret Atwood, sa façon de camper les personnages, de nouer l’intrigue, et de créer en nous le désir de lire, de la lire.

Ce roman retrace la vie de Grace marks, 16 ans, condamnée à perpétuité pour le meurtre de son employeur. Le second crime, celui de la gouvernante, ne sera pas jugé.  Qui est Grace Marks, et quelle comédie joue-t-elle lorsqu’elle prétend ne pas se souvenir de ce qu’elle a fait le jour du meurtre ? N’est-elle qu’une habile manipulatrice ? C’est ce que le docteur Jordan va s’attacher à découvrir, curieux des nouvelles méthodes de la psychiatrie, influencé par les études sur l’hystérie de Charcot, et les balbutiements de ce qui sera plus tard la psychanalyse. Il souhaite sonder le mystère de ces profondeurs, de cet inconscient, nouveau continent presque vierge de cette fin du XIXe siècle. Est-on ce que l’on se rappelle ou alors ce que l’on a oublié ? Margaret Atwood brosse avec talent les polémiques de cette fin de siècle, les débats qui l’animent sur la nature de l’âme ou de l’esprit.

A travers Grace, le poids du déterminisme social, la violence qu’il exerce sur la classe laborieuse, dont le destin est la pauvreté – les chances de s’élever dans la hiérarchie sociale étant quasi-inexistantes – est finement analysé. La condition des servantes dans les familles bourgeoises, l’injuste répartition des richesses, sert de filigrane au récit.

Mais ce sont ces relations entre Grace et le docteur Jordan qui donnent sa profondeur au récit, et peut-être son romanesque. Elles illustrent le danger de la relation thérapeutique particulière instaurée entre eux, où le manque de distance compromet ce qui pourrait être une guérison.

Et parfois, peut-être vaut-il mieux ne pas se souvenir…

Ce cycle est aussi un challenge auquel vous pouvez participer jusque en septembre 2019.

Portrait de femme – Madeleine – Pierre Lemaître, Couleurs de l’incendie

Couleurs de l'incendie

Les couleurs de l’incendie – Pierre Lemaître – 03 janvier 2018

Ce second volet de la trilogie inaugurée par « Au revoir là-haut », prix Goncourt 2013, fait la part belle aux femmes, et surtout à l’une d’entre elles, Madeleine, la fille de Marcel Péricourt dont les obsèques sont célébrées en ce mois de février 1927.

Eduquée comme l’étaient les femmes de la grande bourgeoisie des années trente, Madeleine ne sait rien faire, on peut dire qu’elle a juste appris à lire et à peine à compter, et surtout à dépenser l’argent que lui octroie l’Homme de la famille, son père, qui n’a pas cru bon de l’initier aux arcanes de son empire financier. Elle est la maîtresse de maison, organise repas et réceptions quand cela est nécessaire et dirige la domesticité de la maison.

Les femmes vivent à travers les hommes, et réussissent à travers un bon mariage qui seul peut leur assurer la prospérité.

Madeleine, à la mort de son père, jeune divorcée d’un mari passablement indigne, a tout le profil d’une possible victime, prisonnière d’un monde dont elle ne connaît pas les rouages. Elle est aveugle à ce qui se passe autour d’elle mais aussi en elle.

Cette cécité conduit au drame, Paul, son fils, se jette de l’immeuble familial, et l’élucidation de ce drame, la ruine qui va l’accompagner, vont permettre à Madeleine de prendre son destin en main.

Pour cela, elle va se servir des hommes, des autres, pour assouvir sa vengeance et punir les coupables, dans un machiavélisme qui n’a rien à envier à celui des hommes ambitieux, cupides et corrompus qui l’entoure.

D’ailleurs les rapports de force s’organisent autour des hommes, une femme seule ne peut rien faire, et Madeleine, dans ce contexte,  saura armer son bras. Mais les couleurs de l’incendie illuminent une Europe décadente, antisémite et violente qui fait écho à ce drame familial et social.

Ce second volet de la trilogie est particulièrement réussi. Pierre Lemaître orchestre savamment son récit, ménage le suspense et n’est pas avare de retournements de situations. Il fait progresser la narration de manière implacable à la façon d’un piège qui se resserre inexorablement et qui procure bien des frissons au lecteur. A lire et à suivre …

Selon la Presse, le troisième volet se situerait dans les années quarante, et l’auteur, emporté par son sujet, envisagerait même de poursuivre cette fresque jusqu’au tome 10 (1920-2020). Lire ici !

Kazuo Ishiguro Nocturnes

Kazuo ISHIGURO, Nocturnes - littexpress

Kazuo Ishiguro, parolier de Stacey Kent, est  mélomane passionné. Dans son livre, « Nocturnes », qui est un recueil de cinq nouvelles, la musique est le fil conducteur qui lie ces histoires entre elles. Quintette, pour certains critiques, symphonie en cinq variations dur le même thème, les critiques se sont attachés à voir dans ce recueil une structure musicale.

Nocturnes de Chopin, tout d’abord, par leur aspect mélancolique, et par leur brièveté et les thèmes chers au romantisme, le temps qui passe, l’amour. Et une forme plus moderne, le jazz des vieux standards , des chanteurs de jazz, pour tordre le cou au romantisme. En effet, ces cinq nouvelles sont à la fois cruelles et drôles, et véhiculent un humour féroce. Les héros sont plutôt des anti-héros, des losers, qui se trouvent à ce point de leur existence, la quarantaine passée pour beaucoup d’entre eux, où l’on perd ses illusions, et où l’on fait le constat amer qu’il y a peut-être des rêves que l’on ne réalisera jamais. Ceci dit, on ne saura pas, au lecteur d’imaginer, chaque nouvelle se finit par un point d’orgue, note tenue aussi longtemps que le lecteur le voudra bien, que la vie le permettra. Il y a toujours un espoir.

 

Un petit bijou, une merveille…

 

Pénélope Bagieu – Culottées Tome 1

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Ce premier opus écrit et dessiné par Pénélope Bagieu retrace la vie et les oeuvres de femmes  au destin singulier, qui ont marqué leur temps ou plus modestement la vie de leur entourage si ce n’est celle de leurs contemporains. Il est souvent très émouvant, car en guise de faits d’armes, il s’agit pour certaines de ces femmes de s’accepter, et de revendiquer leur identité, je pense notamment à l’histoire de la femme à barbe et de sa pilosité toute masculine ou à celle de Margaret Hamilton qui rêvait de jouer des rôles romantiques mais que le physique jugé disgracieux obligea à jouer des rôles de sorcières, mais aussi  à Christine Jorgensen qui naquit homme mais se sentait femme. Toutes ces femmes ont en commun un courage magnifique, une ténacité incroyable et certainement une personnalité hors du commun : pour preuve l’histoire de Giogina Reid qui pour sauver le phare de sa région, conçut et réalisa pendant plus de quinze ans, avec l’aide de bénévoles,  un dispositif ingénieux pour empêcher l’érosion de la falaise sur laquelle il était juché.

Elles ont toutes pour dénominateur commun, d’inventer, de créer et de refuser de rentrer dans le rang : Annette Kellerman révolutionna le maillot de bain féminin, Delia Akeley, divorcé de son explorateur de mari, se lança à son tour seule dans l’aventure, Tove Jansson vécut son homosexualité tout en créant sa série de Moumines que, devenus embarrassants, elle refourgua à son frère, Agnodice alla étudier la médecine en Egypte pour contourner l’iniquité des lois athéniennes en – 350, qui interdisaient au femmes d’étudier et d’exercer la médecine, et Lozen, femme apache, au XIXe siècle refusa de se marier pour pouvoir combattre.

Oui, ces femmes se moquent bien de ce qui est interdit et n’en font qu’à leur tête, quitte à prendre la culotte réservée aux hommes.

Elles prirent également le pouvoir politique ou combattirent l’oppression : Wu Zetian devint la première impératrice de Chine, Nzinga, reine du Ndongo et du Matamba, et Las Mariposas, quatre sœurs courageuses et têtues combattirent la dictature de Trujillo au péril de leurs vies.

Quant à Josephine Baker, tout le monde connaît sa vie ou presque, mais le coup de crayon de Pénélopé Bagieu la fait revivre avec talent sous nos yeux. Pour finir j’évoquerai l’histoire de Josephina van Gorkum qui imagina un stratagème très efficace et néanmoins poétique pour défier les traditions de son pays qui maintenaient les différentes communautés dans une sorte de ségrégation interdisant aux époux d’être enterrés ensemble s’ils étaient de confessions différentes.

Je ne voudrai pas oublier Leymah Gboweee qui obtint le Prix Nobel de la Paix grâce à son action auprès des femmes du Liberia et parvint à alerter la communauté internationale sur les exactions au Liberia, rassembla les femmes de toutes confessions dans la lutte, et lorsque Charles Taylor accepta de quitter le pouvoir, battit la campagne pour convaincre les femmes d’aller voter. C’est ainsi que Ellen Johnson Sirleaf devint la première présidente d’Afrique.

Oui, beaucoup d’émotion dans cette BD, une émotion douce qui laisse le coeur ravi.

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Nouvelle-Zélande : Eleanor Catton – Les Luminaires

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Eleanor Catton – Les Luminaires (The Luminaries, 2013) – folio n° 6186, 1226 pages, Libella, Paris, 2015, pour la traduction française par Erika Abrams de l’anglais de Nouvelle-Zélande.

Man Booker Prize 2013

Nouvelle-Zélande, Ile aux confins du monde occidental, sauvage et rude, d’une beauté menaçante, devient la destination, au XIXe siècle, de tous ceux qui, pour une raison ou autre, veulent commencer une nouvelle vie, tenter leur chance et faire fortune grâce à la prospection des terres aurifères. Le peuple Maori en est peu à peu dépossédé, victimes de ces petits blancs qui les méprisent et les exploitent.

Walter Moody, jeune britannique, débarque à son tour sur l’île, en 1866, après une traversée mouvementée, et prend une chambre dans un petit hôtel de la ville d’Hotikita. Le soir, il assiste à une étrange assemblée dans le salon de l’hôtel où douze hommes se sont réunis pour élucider un mystère dont il détient, sans le savoir, une des clefs.

Vaste fresque, les Luminaires, semble emprunter sa structure à l’Astrologie, chaque titre de chapitre s’y rattachant (Mercure en Sagittaire, etc) et des passages, explicites, expliquant l’influence des astres dans nos vies :

« Ce qui était entrevu sous le signe du verseau… tout ce qui était simple objet de foi, anticipé, prophétisé, présagé, redouté et auguré… tout cela devint manifeste dans les Poissons. »

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard, si un des personnages, vil escroc, prétend faire tourner les tables et prédire l’avenir, car le dix-neuvième siècle est friand de ces spirites dont les prédictions sont assez vagues pour redonner foi en sa propre chance.

L’Homme n’est pas seul, il fait partie de l’Univers, dans un vaste réseau d’influences dont il n’est pas le maître. Eleanor catton explique dans la vidéo que vous pourrez voir ensuite que ce sont les deux sens du mot « fortune », à la fois dans le sens de richesse et dans celui de destin qui a donné la forme de ce roman.

Ce roman est à la fois un récit haletant, qui sait ménager le suspense, et n’est pas avare des retournements de situations, et une sorte de méditation sur la destinée humaine. Les femmes sont rares dans ce milieu d’aventuriers, mais deux d’entre elles pourtant vont servir d’articulation à ce récit.

Sous une facture, à premier abord, assez classique, dans une très belle langue (et une très belle traduction) il est aussi un roman expérimental dans sa structure et sa narration relativement asymétrique. Œuvre d’une jeune prodige, il en acquiert un intérêt supplémentaire. A lire…

Eleanor Catton est née en 1985 au Canada et a grandi à Canterbury, en Nouvelle-Zélande. Elle n’a pas 23 ans quand elle écrit son premier roman « La répétition ». Ce premier roman est acclamé par le public et la critique. Il a remporté le prix Betty Trask, a été nommé Meilleur Premier Roman à l’occasion des Montana New Zealand Book Awards 2009 et a reçu le first Novel Award du site Amazon en 2011.

En recevant le Man Booker Prize pour les Luminaires, elle devient la plus jeune lauréate de ce prix à ce jour.

 

Dianne Warren – Cool water / Un désert au Canada

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Dianne Warren – Cool water Presses de la cité, 2012 pour la traduction française (Dianne Warren 2010)

Traduit de l’anglais (Canada) par France Camus-Pichon

 

Ce livre est d’abord un véritable voyage. Voyage dans la province de la Saskatchewan, à travers les dunes et les prairies des Little Snake Hills où se déroule l’action du livre, dans ou aux alentours de la petite ville de Juliet, au centre-ouest du Canada, au nord du Montana.

Des cow-boys parcourent les dunes, un banquier, Norval Birch endure les affres de la mauvaise conscience, Lynn Trass, dévorée par la jalousie tient « L’oasis café » où se côtoient les habitants des alentours et prépare de délicieuses tartes au citron, Vicki Dolson, mère de six enfants tente de surmonter le désastre de la faillite de leur ferme, Lee a hérité de la ferme de ses parents adoptifs et d’un cheval arabe débarqué là par hasard. Quant à Willard, amoureux sans le savoir de sa belle-sœur Marian, veuve de son frère, il tient le dernier drive-in de la région et projette des films sur écran géant.

Des fermes en ruines témoignent d’un monde qui se meurt. Celui des anciens colons, sans terres, qui étaient venus s’installer là.

Ils sont des citoyens ordinaires de cette zone rurale canadienne qui dément tous les clichés sur cet immense pays. Non, il n’y a pas seulement des forêts et des lacs, il y a aussi une chamelle échappée dans les dunes, et mille battements de cœur, sous un soleil de plomb.

Le soir, d’énormes moustiques vous assaillent.

Le paysage est véritablement le personnage principal de ce livre. Dianne Warren explique qu’elle a eu du mal à lui donner des frontières. C’est pourquoi le récit commence par une course de chevaux dont le parcours est un cercle. Lee est celui qui entretient des relations profondes et poétiques avec le paysage et dont la solitude est la plus profonde.

Les personnages sont liés les uns aux autres, par la géographie ou les sentiments. Par la narration qui les fait se croiser et s’entrecroiser. Qui fait d’eux des hommes et des femmes qui nous ressemblent, sujets aux mêmes tourments, acculés aux mêmes impasses, d’une profondeur insoupçonnée d’eux-mêmes dans un temps cyclique.

L’auteure croise aussi le fil avec nous, car elle nous enserre si bien dans le récit qu’il n’est pas facile de s’échapper.

La saison des femmes de Leena Yadav

Date de sortie 20 avril 2016 (1h 56min) de Leena yadav, avec Tannishtha Chatterjee, Radhika Apte, Surveen Chawla , drame de nationalité indienne. Titre original « parched », Pyramide distribution
De nos jours, en Inde, dans l’Etat du Gujurat , la vie de quatre femmes dans un petit village aux traditions ancestrales. Mariages arrangés, maltraitance physique et morale sont leur lot quotidien.
Elles vont pourtant s’opposer aux hommes et rêver de liberté…
Ce qui est intéressant dans ce film, c’est la partie d’autocritique : en effet la mère marie son fils contre son gré, maltraite sa bru qui ne répond pas à ses attentes. Et c’est là aussi la grande force de film qui analyse la transmission de l’asservissement également par les femmes. D’ailleurs, les rares hommes qui s’opposent au conservatisme de cette société, se font également rudoyer, menacer et risquent même leurs vies.
Ce film n’est pas qu’un mélodrame qui tirerait les larmes au spectateur, il est drôle parfois, cruel aussi et la cinéaste sait capter la fascinante beauté de ces femmes. Il détourne avec adresse les codes du cinéma de Bolliwood au service d’un message plus fort. On a parlé de brûlot féministe mais il est bien plus que cela. A voir…

Fiona Kidman -Le livre des secrets / La Nouvelle-Zélande

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Fiona Kidman – Le livre des secrets – Grands romans points – Sabine Wespieser éditeur (1987 pour la Nouvelle-Zélande – 2014 pour l’édition française), traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Dominique Goy-Blanquet, 466 pages.

Fiona Kidman est une grande dame des lettres néo-zélandaise, née en 1940 au nord de la Nouvelle-Zélande. Quand elle était adolescente, elle a vécu à Waipu où elle situe ce roman tissé des histoires qu’elle y a entendues.

Dans ce livre, elle raconte une partie de l’histoire du peuplement du pays par les Européens, notamment les highlanders d’Ecosse, chassés de leur pays par la misère et par le pouvoir absolu des lairds qui les avaient privés de leurs terres.

C’est Norman McLeod, prédicateur sans ministère qui va les guider, dans un long périple, vers la terre néo-zélandaise, sous les rigueurs d’une morale religieuse impitoyable, qui commande aux femmes d’obéir à leurs maris et à dieu.

Isabella, belle femme intelligente et fière, fille de bonne famille, succombe à son charme mais pourtant quelque chose en elle lui résiste ; celui qu’on appelle L’Homme est aussi cruel et agit en despote sur la petite communauté qui l’a suivi.

Sa fille Annie sera une de ses fidèles les plus dévouées, mettant ses pas dans les siens, sans jamais mettre en doute la rigueur de ses prêches. Mais Maria, que l’on appelle la sorcière de Waipu, fille d’Annie, sera victime des préjugés tenaces de cette communauté ; son esprit de rébellion et son désir de liberté seront sévèrement punis. Elle sera bannie et devra vivre recluse.

Mais c’est sans compter sans l’Histoire, les temps vont changer et devenir plus cléments pour les femmes, sans le courage de cette fille têtue qui lit dans le journal que lui a laissé sa grand-mère, une forme d’encouragement à vivre par soi-même.

Ce roman est une magnifique histoire des femmes, de leur courage, de leurs souffrances et de la conquête de leur liberté dans le cadre magnifique de cette grande île au bout du monde. Mais c’est aussi un livre sur les secrets des femmes, la transmission et l’héritage .

J’ai vibré littéralement à la lecture de ce livre, en écoutant la voix de ces femmes, le vent qui balaye cette nature sauvage, et le craquement douloureux des arbres sous la morsure des grands feux allumés par les hommes. Elles sont devenues des amies, des sœurs.

 

David Ebershoff – Danish girl

Danish girl de David Ebershoff traduit de l’américain par Béatrice Commengé , 200, et 2001 pour la traduction française, Editions Stock Collection poche Libretto, n°401

Vignette Les hommes sont des femmes comme les autresQu’est-ce qu’être un homme, ou une femme ? Pourquoi en certains êtres le sexe psychique ne correspond-il pas au sexe biologique ? Et pourquoi est-il si difficile parfois de respecter les limites étroites assignées à chaque sexe ? Cette assignation d’une identité sexuelle a des conséquences que personne n’ignore : des statuts et des rôles bien différents sont attribués à chaque sexe auxquels il doit  se conformer sous peine d’être exclu du groupe social.

A Copenhague, en 1925, Einar Wegener et Greta Waud sont mari et femme et tous deux peintres. Un jour Greta, en l’absence de son modèle, demande à Einar de revêtir une robe et des bas et de poser pour elle. Einar est troublé, et de cette confusion naît Lili, qui petit à petit va prendre la place d’Einar.

Einar se sent femme, d’ailleurs lorsque Lili paraît, tous les regards masculins se tournent vers elle.

Il va devenir le premier homme à changer physiquement de sexe. Einar Wegener deviendra Lili Elbe.

Les études sur le genre ont démontré que nous avons tous tous cinq identités sexuelles : chromosomique, anatomique, hormonale, sociale et psychologique qui coïncident ou non, révélant des identités ambiguës ou hybrides. C’est le cas de l’intersexualité.

Le chirurgien chargé d’opérer Einar découvrira que celui-ci possède des ovaires. En fait la confusion des genres que ressent Einar est confirmée par son intersexualité. Il est une personne de troisième sexe. Il est à noter que l’Allemagne depuis le 1er novembre 2013 est devenue le premier pays à donner le droit d’inscrire la mention « sexe indéterminé » sur le certificat de naissance d’enfants nés intersexuels afin de ne pas les condamner au choix d’une chirurgie corrective qui gommerait définitivement les caractéristiques biologiques de l’un des sexes.

Cette question de l’identité est passionnante parce qu’elle est au cœur de toute vie d’Homme.

Le roman est très bien écrit et se lit d’une traite, l’intrigue ménage savamment le suspense et ferre le lecteur. Un très bon moment de lecture…

  

Lili Elbe vers 1920                                              en 1926 (Photos Wikipédia, licence creative commons)