Archives pour la catégorie D’elles ils écrivent aussi…

Célébrer le féminin et la nouvelle année !

Il ne fallait pas moins d’un duo, un homme et une femme, pour finir cette année 2020 et célébrer la nouvelle qui s’annonce encore si difficile.

Gil Adamy inaugurera une nouvelle exposition en janvier et pour ma part je vais engager de nouveaux projets ! Nous allons donc joindre nos forces et nos voix pour vaincre le mauvais sort et ouvrir des routes nouvelles !

 Gil Adamy m’a gentiment donné carte blanche pour extraire de son œuvre, éminemment politique et poétique, ses figures de femmes sous le charme desquelles je suis tombée. J’avais écrit un très court  texte avec lequel ses figures sont entrées en résonnance dans une forme de complicité inattendue.

Gil Adamy a conceptualisé le terme d’art conversationnel : « Par le biais du tableau, je leur demande d’entrer en conversation avec leur présent et leur avenir collectif, pour répondre à cette question : Quelle société voulons nous pour demain ? C’est le concept d’une « Société à colorier ». En laissant au spectateur la responsabilité de colorier l’avenir au travers des parties en noir et blanc du tableau, je propose le concept de « l’Art conversationnel ». Avec ce dessin en noir et blanc qui reste à colorier, l’Art devient collaboratif, intègre l’autre. »

Je suis donc entrée en conversation avec son œuvre, dans sa partie la plus féminine, la plus poétique, et pour moi, dans ses aspects formels, la plus inventive.

Le plasticien a créé une forme particulièrement intéressante dans son traitement du corps féminin, qu’il met en mouvement jusqu’à le tordre tout à fait, jusqu’à faire apparaître ce qui est habituellement caché. En même temps,  il réhabilite les parties du corps de la femme, soumises au désir inavoué des Hommes parce que liées à  leur ambivalence la plus profonde.

 La beauté d’une chute de reins, l’arrondi d’une croupe, mais aussi l’anus, caché entre deux lunes, accèdent à la même dignité que la face. J’ai pensé inévitablement à Picasso, à son traitement de la figure humaine, qui permet de lire la face et le profil.

D’autre part, entre le corps et le vêtement, s’établit une connivence qui rend obsolète toute forme de hiérarchisation. Le vêtement ne cache pas un corps qui devrait être invisible au regard, mais permet de le comprendre, de le décrypter dans ses aspects les plus formels.

Le vêtement se fait chair, devient une seconde peau, qui vibre en quelque sorte, de « l’intérieur ». Les camaïeu de couleurs animent la toile et lui donnent un tempo.

D’ailleurs il me l’a dit lui-même, ses seules intentions, en sexualisant le vêtement, étaient de permettre l’arrondi, le traitement de la ligne, de l’arabesque.

                Toutes ses figures féminines portent des robes qui épousent étroitement leurs corps et permettent de lire le mouvement.

Et à les regarder ainsi, si belles, j’avais envie, moi aussi, d’être emportée par la danse.

Il y aurait encore beaucoup à dire dans cette conversation avec le peintre, conversation ininterrompue qui ne se clôt jamais sur aucune interprétation.

Je vous laisse la poursuivre, à votre tour.

Gil Adamy exposera sur un autre projet en collaboration avec François Pache à partir du mois de janvier.

Mélancolie ouvrière – la belle figure de Lucie Baud, une des premières femmes syndicalistes françaises

Vendredi 10 juillet à 20h55 sur Arte. Téléfilm français de Gérard Mordillat (2018). Avec Virginie Ledoyen. 1h30. (Disponible en replay jusqu’au 11 août sur Arte.tv).

Une grande figure des luttes de femmes !

Mélancolie ouvrière, Michelle Perrot, Le Seuil, 2014

J’ai regardé ce soir ce beau film de Gérard Mordillat adapté d’un livre de Michelle Perrot, « Mélancolie ouvrière » qui a tenté de retracer la lutte mais aussi l’histoire de cette femme, ouvrière en soie du Dauphiné. Femme rebelle, courageuse, et qui paya très cher ses engagements. Elle organisa et soutint les grèves des ouvrières dans les usines de la soie dans lesquelles les femmes étaient exploitées, et où des fillettes de 10 à 12 ans travaillaient 12 heures par jour, quand ce n’était pas plus.

Les patrons, scandalisés, clament qu’augmenter les ouvrières les conduira à la faillite. Inutile de dire que cela n’est pas arrivé…Mais je crois qu’on entend encore certaines de ces diatribes encore de nos jours.

Elle aida les ouvrières italiennes, recrutées en grande partie dans le Piémont, et réduites pratiquement en esclavage, non seulement elles étaient payées encore moins que les ouvrières françaises mais on ne changeait leurs draps qu’une fois par an. de très belles scènes dans le film où ces femmes chantent.

Le choeur des esclaves…

« Je suis entrée comme apprentie chez MM. Durand frères. J’avais alors douze ans. » Ainsi commence le témoignage de Lucie Baud (1870-1913)…

Dans son livre, Michelle Perrot tente de comprendre son histoire, ses;luttes, ses souffrances et ses échecs mais aussi la singularité qui fait d’elle une personnalité forte, une meneuse, une femme révoltée.Ses échecs, ses chagrins qui durent être immenses. Sa mélancolie…Ce qui la brisa…

Ces femmes à qui l’on doit tant…

Dix Petites Anarchistes – Daniel de Roulet – « Ni Dieu, ni patron, ni mari »

Dix Petites Anarchistes – Daniel de Roulet – Ni Dieu, ni patron, ni mari

Libretto – Editions Bûchet/Chastel, Libella, Paris, 2018

Dix petites anarchistes

A l’instar des « Dix Petits Nègres » d’ Agatha Christie, nos Dix Petites Anarchistes, ouvrières horlogères, émigrant de Suisse à la fin du XIXe siècle vers la lointaine Patagonie pour y bâtir une société anarchiste, « à la vie, à la mort » vont chacune vivre une histoire singulière, tout au long d’un périple qui va les mener de la Suisse à Buenos Aires, en passant par les terres australes, inhospitalières et battues par des vents incessants. La dernière d’entre elles, Valentine, tiendra le récit de leurs aventures dans un carnet vert.

Ces horlogères qui émigrent sont ouvrières et développent une forte conscience politique en cette deuxième moitié du XIXe siècle. Elles souhaitent inventer un monde meilleur et n’ont pour toute richesse que de petites montres, des « oignons », qu’elles vont céder ou conserver et qui rythment leurs péripéties, la façon dont ils ont été perdus, retrouvés et ont servi à la cause anarchiste.

En effet, on ne retient souvent de l’Histoire, que les succès, les découvertes et les accomplissements. L’émigration est toujours, plus ou moins, la route vers la fortune, et on tait les échecs migratoires. Ici pas d’Eldorado ou de Terre promise, mais une époque où la puissance de l’argent et une société patriarcale broient les femmes qui souhaitent s’émanciper. Les femmes qui vivent seules sont, au mieux, des prostituées.

A Saint Imier, dans une Suisse pauvre où l’industrie horlogère est encore balbutiante, elles ont entendu les discours anarchistes de Bakounine, et réalisé qu’un autre monde est possible.

De ces émigrations souvent forcées, on ne connaît qu’une histoire fragmentaire, quelques lettres et de rares survivants. L’auteur tente ici de redonner une voix à toutes ces oubliées.

On ne peut pas dire qu’elles ont froid aux yeux ces femmes, elles sont fortes et revendiquent ne vouloir « Ni Dieu, ni patron, ni mari ». Elles vivent leurs amours librement, sont entreprenantes et luttent pour l’égalité.  Leur utopie est un principe de vie, et si elles ne posent pas de bombes, elles offrent vaillamment leur poitrine aux balles dans les manifestations.

En France, c’est la fin de la Commune et son lot de déporté.e.s, de violence, d’iniquités, dans une société cruelle où les inégalités sont criantes. Mais c’est aussi le début de la révolte.

Les anarchistes se démarquent des autres mouvements politiques et contestataires : « pas d’avant-gardisme, abolir tous les pouvoirs, la démocratie n’est pas le vote mais la recherche du consensus ».

En effet, l’Anarchie n’a pas pour vocation de prendre le pouvoir, au contraire, elle cherche à s’en tenir éloignée.

On croise dans ce roman Malatesta, Bakounine, Nathalie Le Mel et quelques autres, qui vont secouer les consciences et organiser la lutte.

Sur un bateau, elles rencontreront, détenue dans une cage, Louise Michel  en route vers Nouméa.

Il faut quelques pages pour entrer dans ce livre, ensuite, on se laisse emporter et captiver par ces portraits de femmes fortes,courageuses et intelligentes, parfois émouvantes et aussi par la peinture de toute une époque passionnante par le foisonnement et la force des idées qui vont naître et bouleverser le monde.

Libretto propose encore et toujours de beaux textes. Merci.

T’es pas mon genre ! Ou un amour sans résistance, Gilles Rozier/ Gabriel Debray, Chantal Pétillot, et Xavier Béjat au Théâtre Le Local à Belleville

un amour sans résistance

Au cœur de Belleville, dans ce quartier foisonnant et populaire, qui évoque Edith Piaf, Willy Ronis mais aussi les célèbres Triplettes, se niche un théâtre qui est un petit bijou ! Je refuse souvent des invitations ou des services de presse, par manque de temps mais ce partenariat avec le théâtre le Local a été une magnifique découverte à laquelle je ne m’attendais pas.

Dans le texte de la pièce, le sexe du narrateur ou de la narratrice n’est pas précisé.

« Une question en suspens, de sorte que le texte peut être compris de deux manières différentes, comme une relation hétéro ou homosexuelle », explique Gilles Rozier.

Question qui passionne Litterama. La pièce est jouée en alternance par un comédien et une comédienne, Chantal Pétillot, et Xavier Béjat.

Ce soir j’ai vu la version féminine, j’irai bientôt voir la version masculine dont je vous parlerai aussi.

Le texte mis en scène par Gabriel Debray est selon ses propres mots, d « une écriture vive, ciselée, très visuelle, cinématographique, pleine de retournement de situation, comme dans un bon polar. »

D’ailleurs la mise en scène est une réussite, comme tout dans cette pièce. La scène est vivante, elle possède sa propre pulsation, qui s’accorde à celle de la comédienne, son jeu d’ombres et de lumière, devient l’articulation entre la mémoire et le récit au présent, entre le territoire du souvenir, cet homme caché dans la cave, et le lieu symbolique de l’Histoire que la narration fait surgir dans une lumière éblouissante et parfois cruelle.

Ce soir, nous avons vu jouer la merveilleuse Chantal Pétillot, dont chaque mot, chaque geste est une évidence, habitée, transfigurée, faisant corps avec le texte, respirant avec lui, grondant ou se pâmant, dans un jeu presque musical, parfois fluide ou syncopée avec quelques points d’orgue. Un jeu inspiré, dont on ne sort jamais indemne. Une modulation constante du corps et de la voix, un souffle, un grand vent, qui nous emporte, nous, spectateurs dans cette histoire d’amour parfois terriblement sombre. Je crois que ce soir nous avons aimé avec elle, avec la même douceur, la même fureur. Mais cette femme aime-t-elle l’homme qu’elle a sauvé, ou n’est-il que le jouet de son désir, ou simplement un peu de crédit à sa bonne conscience ? Chantal Pétillot joue habilement des ambiguïtés de son personnage et de ses zones d’ombre.

Le visage de la comédienne est parfois si proche des spectateurs qu’il apparaît comme en gros plan. D’ailleurs elle ne craint pas devenir planter son regard dans le vôtre.

Elle m’a fait penser à Marlène Dietrich, avec sa voix de basse, et cette sorte d’élégance.

Je crois que l’amoureux.se de théâtre a le devoir d’être un aventurier, pour aller à la rencontre des théâtres de quartier, vers des pièces qui ne bénéficient pas de la publicité qu’ils mériteraient. Je vais souvent au théâtre, et j’ai rarement été aussi émue.

Bien implanté dans le tissu urbain, Le Local est un lieu de création, d’actions culturelles et de pratiques artistiques amateurs, situé au 18 rue de l’Orillon Paris 11e au cœur du quartier Politique de la Ville Belleville/Fontaine au Roi.  L’association « Ombre et lumière » et ses artistes souhaitent favoriser des rencontres, des échanges et applique des tarifs adaptés à un public aux revenus modestes. Les actions qu’elle met en œuvre cherchent avec la parole, avec « des paroles », à créer des rencontres, des échanges culturels entre les artistes et les publics. Ces paroles s’expriment par différentes formes et provoquent d’autres paroles, elles-mêmes sources de création.

 

Une nouvelle Miranda, libérée du patriarcat étouffant de « La tempête » de Shakespeare. A l’opéra…

Miranda, en latin, veut dire « celle qui doit être admirée ».

A L’Opéra Comique, le semi-opéra (alternance du parlé et du chanté, genre populaire au XVIIe siècle) conçu par Katie Mitchell, Cordelia Lynn et Raphaël Pichon à partir d’œuvres de Shakespeare et Purcell (mais aussi de Matthew Locke, Orlando Gibbons, Jeremiah Clarke, et aussi Ann Boleyn…), remet à l’honneur Miranda, unique personnage féminin de The tempest de Shakespeare.

Cet opéra est  une création originale de la metteuse en scène Katie Mitchell , de la dramaturge Cordelia Lynn, et du chef d’orchestre Raphaël Pichon .

Qui est donc Miranda, fille unique de Prospero, élevée de manière libre mais soumise au pouvoir des hommes ?

« Violée, abusée, mariée alors qu’elle n’était encore qu’une enfant » elle représente une figure du martyre féminin, et de son statut de victime dans une société patriarcale qui la violente. les femmes, ici, utilisent  » le désir de vengeance, la violence, l’invective, le reproche, la déploration « .

Dans cet opéra, Miranda organise un faux suicide (une noyade) afin de revenir demander des comptes aux hommes qui ont marqué sa vie et se venger.

D’objet de convoitise, elle devient sujet de la narration.

La critique (essentiellement Télérama) pointe un certain manichéisme dans ce huit clos (étouffant ?) où les femmes sont toutes des victimes et les hommes tous des salauds. Mais il faut dire que dans la pièce de Shakespeare, c’est bien la violence de ce monde d’hommes qui sert d’armature au récit. Et il me semble que la librettiste voulait rééquilibrer le monde un peu patriarcal de Shakespeare.

Seul lueur d’espoir du récit, Ferdinand, le mari de Miranda, s’exclame :  « Je veux trouver un moyen d’aimer qui ne blesse pas. Un amour sans douleur. Sans craintes »

mezzo : Kate Lindsey (Miranda); soprano : Katherine Watson (Anna, épouse de Prospéro) ; ténor : Allan Clayton (Ferdinand); soprano (14 ans) Aksel Rykkvin (fils de Miranda); baryton : Marc Mauillon (le pasteur)

Orchestre : ensemble Pygmalion

Miranda, faible et fragile femme dans la Tempête de Shakespeare ?

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Créateur :John William Waterhouse; Crédits :Sotheby’s

« Vous parlez comme si Miranda n’était qu’une poupée de chiffon. Comme si elle était couchée, jambes écartées, affalée sur les meubles et totalment offerte avec, sur elle, une pancarte disant : « violez-moi ». mais ça ne se passerait pas ainsi.

« Premièrement elle est forte. Elle n’a pas été engoncée dans des corsets ni coincée dans des pantoufles de verre et d’autres choses de ce genre à la cour. C’est un garçon manqué; depuis l’âge de trois ans, elle escalade toute l’île. […]

« Ce n’est pas tout. Prospéro a déjà dit qu’il avait enseigné à Miranda bien plus que ce que d’autres jeunes filles peuvent apprendre […]

in Margaret Atwood « Graine de sorcière ».

 

Lady Chatterley D.H. Lawrence

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H. Lawrence, Lady Chatterley, Le livre de poche n° 5398 , Editions des Deux-Rives (1955,1980), 384 pages

Lady Chatterley ou L’amant de Lady Chatterley a fait date dans l’histoire de la littérature et dans la construction des personnages féminins par des auteurs. Lady Chatterley est devenue une héroïne, qui s’émancipe de son milieu et  brise les chaînes de son aliénation par la force de sa vie sensuelle.

Je ne sais pas s’il est utile de rappeler le scandale qui accueillit le roman à sa sortie en Angleterre en 1960, le procès qui s’ensuivit, et qui se solda par un acquittement, mais la liberté de ton, la sensualité, et l’érotisme magnifique de ce roman ne pouvaient laisser personne indifférent, et la pudibonderie de l’époque ne manqua pas de s’en offusquer.

Mais la version qui fut ainsi jugée comme outrage aux bonnes mœurs et délit d’obscénité n’est que la troisième version du roman. Il y en eut deux autres, toutes écrites de 1925 à 1928

Lady Chatterley en est la première, à laquelle il manquait quelques pages, le départ en est sensiblement le même, à savoir le retour de la guerre de Clifford Chatterley, mutilé et paralysé dans son foyer auprès de sa femme. Toutefois le titre même annonce la focalisation sur le personnage féminin et c’est ce qui nous intéresse ici.

Lady Chatterley souhaite avoir un amant pour s’épanouir sexuellement,et avoir un enfant;  son mari accepte. Elle entame alors une liaison avec le garde-chasse, Oliver Parkin.

La découverte de l’amour sensuel va transformer l’héroïne profondément. Cet appel à nos forces essentielles et primitives illustre pour D. H. Lawrence sa thèse de la nécessité d’un retour à la vie naturelle et sa critique féroce de la civilisation industrielle déshumanisante. C’est par la sensualité et la sexualité que nous retrouvons ce lien à la vie naturelle, aux forces primitives et harmonieuses qui la régissent. Pas de mot d’amour, ni de serment, ni de conventions n’entravent ce pur élan. Les barrières artificielles forgées par les êtres humains que sont les classes sociales et l’argent n’ont plus lieu d’être. L’être humain dans son authenticité ne se présente plus masqué mais nu, d’une beauté nue et magnifique.

Toute une civilisation judéo-chrétienne contemptrice du corps, et toute une philosophie héritée du platonisme qui font du corps le lieu de la chute, de la déchéance ou d’une pauvreté ontologique se trouvent ici déminées.

Le corps est qui nous sommes, mais il est aussi le lieu d’une forme de spiritualité et d’accord avec le monde, car il est aussi un ensemble de nerfs, de conducteurs tactiles qui nous font accéder aux émotions et à l’amour.

Car il n’y a pas d’amour sans le corps, ou alors n’est-ce qu’une façon hypocrite de masquer notre impuissance. D. H. Lawrence comprend et saisit la sensualité féminine dans sa profondeur et son tumulte. Le titre original devait être normalement « Tenderness » et cet amour en est tissé, tendresse pour le corps et pour nos forces vives.

« Cette fois, et pour la première fois de sa vie, la passion éclata en elle. Tout à coup, des profondeurs les plus intimes de son être, des frémissements surgirent venant des régions où, autrefois, existait seul le néant. S’élevant, se gonflant, augmentant comme une volée de cloches qui carillonnaient en elle de plus en plus frénétiquement, la nouvelle clameur l’emplissait toute entière. Extasiée, elle entendait, sans les reconnaître pour les siens, ses cris à elle, ses cris brefs et sauvages à mesure que se déroulaient ces ondulations splendides, de plus en plus profondes qui, tout à coup, s’échappèrent en une richesse semblable à celle des derniers bourdonnements des grandes cloches. »

La plus que vive extrait – Christian Bobin

Belle, oui, belle de cette beauté que donne à un visage de femme le grand air de la liberté, belle, gaie, douce,attentive, distraite, insouciante, fatiguée, légère, insupportable, adorable, désordonnée, riante, désespérée, charmante, songeuse, désordonnée encore et lente, très lente, et libre et belle comme la vie.

Christian Bobin, La plus que vive.

 

 

 

Brad Watson – Miss Jane/ Découverte Festival America 2018

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« Miss Jane, c’est moi », a déclaré Brad Watson au Festival America.

« Miss Jane » est un roman d’une grande délicatesse, d’une excessive pudeur, et pourtant d’une honnêteté remarquable. Car si Jane urine ou défèque dans ses jupes c’est avec la plus grande dignité. Victime de son « cloaque persistant ».

Ce personnage lui a été inspiré par sa grand-tante Mary Ellis «Jane» Clay, qui toute sa vie souffrit d’incontinence urinaire.

« Je me suis posé de grandes questions avant d’entrer dans la peau de cette femme. C’est le livre qui va permettre cette entrée dans le personnage. »

En effet, lorsque Jane Chisolm vient au monde en 1915, dans une petite ferme du Mississippi, le docteur Thompson s’aperçoit qu’elle n’est pas tout à fait comme les autres : elle ne s’est pas formée totalement.

Le livre est la quête de ce mystère. Pourquoi est-elle différente ? L’absence de ce qui n’est pas est toujours indirectement évoqué, enfoui dans le secret des jupons. Nous n’y avons pas accès, pour respecter la pudeur de Jane peut-être, nous laisserons les jupes virevolter autour de ses jambes nues. Nous aurons seulement droit à la brochure illustrée de l’anatomie féminine, mais dont on aura enlevé toutes les illustrations.

Libre dans la nature, à l’abri du regard des hommes, ou claquemuré dans un appartement dont elle peut rarement sortir, Jane vit un perpétuel exil.

C’est bien le sens du lieu, de la nature, comme les serpents, les marais qui vont donner leur place aux personnages et le rapport d’identification qu’ils permettent. « Ils font le lien entre les personnages et moi » explique l’auteur.

Cela représente, pour l’héroïne, le lieu dont elle ne peut sortir, s’enfuir, pour incarner sa vie, son devenir.

Les années passant, le cercle déjà étroit de ses relations et de sa famille se rétrécissant jusqu’à devenir peau de chagrin, elle devra affronter l’inexorable solitude.

Pourtant Miss Jane est aussi un roman d’émancipation, la conquête d’une certaine dignité, un acte de bravoure qui consiste tout simplement à vivre.

Un très beau roman, lu avec Nadège.

L’avis de Nadège, « Les mots de la fin »

The first known female sherif : Constance Kopp

Une nouvelle héroïne de polar : Constance Kopp

 

Les héroïnes de polar n’ont qu’à bien se tenir car une nouvelle venue pourrait bien les détrôner manu militari. Il s’agit de Constance Kopp, créée par l’américaine Amy Stewart (libraire de son étét), à partir d’un personnage ayant réellement existé.

Elle est née à Brooklyn en 1878,  était assez grande pour une femme de l’époque car elle mesurait 1,75 m et pesait près de 90 kilos. De quoi impressionner, vous l’avouerez !

Elle parlait couramment le français et l’allemand. Elle ne voulait pas se marier car cela l’aurait contrainte à rester à la maison.

Elle aurait affirmé ainsi son indépendance : “Some women prefer to stay at home and take care of the house. Let them. There are plenty who like that kind of work enough to do it. Others want something to do that will take them out among people and affairs. A woman should have the right to do any sort of work she wants to, provided she can do it.”

Elle devient en 1915, « la terreur des voyous et des scélérats avec arme et menottes » mais ne possède pas d’insigne de sherif car de fortes résistances s’opposent à sa nomination.  L’époque est passablement misogyne et la place d’une femme est dans son foyer.

La littérature change de plus en plus, et de manière heureuse. Les héroïnes, ne sont plus les jeunes souffreteuses du XIX siècle, elles possèdent force de caractère et désir d’indépendance. Et cela se traduit particulièrement dans le monde du polar que les femmes investissent de plus en plus et dans lequel elles excellent.

Trois tommes ont été pour l’instant publiés :

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Anna Karénine par Golshifteh Farahani

Portrait de femme – Madeleine – Pierre Lemaître, Couleurs de l’incendie

Couleurs de l'incendie

Les couleurs de l’incendie – Pierre Lemaître – 03 janvier 2018

Ce second volet de la trilogie inaugurée par « Au revoir là-haut », prix Goncourt 2013, fait la part belle aux femmes, et surtout à l’une d’entre elles, Madeleine, la fille de Marcel Péricourt dont les obsèques sont célébrées en ce mois de février 1927.

Eduquée comme l’étaient les femmes de la grande bourgeoisie des années trente, Madeleine ne sait rien faire, on peut dire qu’elle a juste appris à lire et à peine à compter, et surtout à dépenser l’argent que lui octroie l’Homme de la famille, son père, qui n’a pas cru bon de l’initier aux arcanes de son empire financier. Elle est la maîtresse de maison, organise repas et réceptions quand cela est nécessaire et dirige la domesticité de la maison.

Les femmes vivent à travers les hommes, et réussissent à travers un bon mariage qui seul peut leur assurer la prospérité.

Madeleine, à la mort de son père, jeune divorcée d’un mari passablement indigne, a tout le profil d’une possible victime, prisonnière d’un monde dont elle ne connaît pas les rouages. Elle est aveugle à ce qui se passe autour d’elle mais aussi en elle.

Cette cécité conduit au drame, Paul, son fils, se jette de l’immeuble familial, et l’élucidation de ce drame, la ruine qui va l’accompagner, vont permettre à Madeleine de prendre son destin en main.

Pour cela, elle va se servir des hommes, des autres, pour assouvir sa vengeance et punir les coupables, dans un machiavélisme qui n’a rien à envier à celui des hommes ambitieux, cupides et corrompus qui l’entoure.

D’ailleurs les rapports de force s’organisent autour des hommes, une femme seule ne peut rien faire, et Madeleine, dans ce contexte,  saura armer son bras. Mais les couleurs de l’incendie illuminent une Europe décadente, antisémite et violente qui fait écho à ce drame familial et social.

Ce second volet de la trilogie est particulièrement réussi. Pierre Lemaître orchestre savamment son récit, ménage le suspense et n’est pas avare de retournements de situations. Il fait progresser la narration de manière implacable à la façon d’un piège qui se resserre inexorablement et qui procure bien des frissons au lecteur. A lire et à suivre …

Selon la Presse, le troisième volet se situerait dans les années quarante, et l’auteur, emporté par son sujet, envisagerait même de poursuivre cette fresque jusqu’au tome 10 (1920-2020). Lire ici !

Tahar Ben Jelloun au salon du livre de Paris Mars 2017. L’écrivain et les femmes …

Dans son livre « Le terrorisme expliqué à nos enfants » Tahar Ben Jelloun tente d’expliquer  le rapport à la femme des extrémistes qui selon lui est « un problème de sexualité non résolu » et a pour conséquence d’empêcher la femme d’être libre, de la rendre invisible dans l’espace public sous quantité de voiles et de la cantonner à un statut de mineure.

Pour les extrémistes, le corps des femmes est une véritable obsession, il est complètement érotisé et objet de tentation permanente. Ce qui signifie également que le regard des hommes est lui-même érotisé à l’extrême et obsessionnel. Le corps ne peut être détaché des significations qu’on lui prête et chaque parcelle de peau est surgissement du désir, il n’y a pas d’espace neutre où le corps est simplement corps fait pour se mouvoir, pour s’alimenter et pour s’émouvoir. Il s’agit alors d’un corps trivial, voué uniquement au désir et à la reproduction. Selon l’auteur, cela provoque aussi la peur de l’islam, car dans certains pays musulmans : « la femme ne jouit pas des mêmes droits que l’homme », « la polygamie est autorisée, la répudiation aussi, et même la lapidation ».

Dans une interview donnée au journal MarocHebdo, il confie : « Mes premiers livres parlaient de la condition de la femme dans mon pays, puis j’ai abordé la question des relations entre l’homme et la femme dans la société marocaine musulmane, traditionnelle. » , « « Respecter une femme, c’est pouvoir envisager l’amitié avec elle ; ce qui n’exclut pas le jeu de la séduction, et même, dans certains cas, le désir et l’amour. »

Fakhereeddine RADI a publié une thèse sur « Figure de la femme dans les romans de Tahar Ben Jelloun » dont le sujet est celui-ci : « La tragédie du personnage féminin dans certains écrits de Tahar Ben Jelloun, au regard de la réalité, sociale, religieuse, culturelle, économique et politique impose une analyse herméneutique des contours de la situation authentique de la femme marocaine, d’hier et d’aujourd’hui. Cette démarche tentera, dans un premier temps, de mettre en lumière, l’imaginaire littéraire qui met le thème du fantasme de la décadence, de l’érotisme exacerbé et de la volupté débridée au cœur du dispositif narratif chez l’auteur marocain. L’ébauche analytique,des figures féminines dans les romans choisis dans cette étude, cheminera vers l’exposition d’un modèle féminin stéréotypé qui met en exergue la relation conflictuelle de Tahar Ben Jelloun, auteur francophone et francophile par excellence, avec certaines formes de la culture marocaine. Cet apport permettra en fin la mise en évidence d’une forme de nomadisme linguistique mêlant exotisation, oralité et langue française dans un processus de recyclage et de renouvellement thématique constant et permanent. »

Il razzismo spiegato a mia figlia”, di Tahar Ben Jelloun, è un ...

David Ebershoff – Danish girl

Danish girl de David Ebershoff traduit de l’américain par Béatrice Commengé , 200, et 2001 pour la traduction française, Editions Stock Collection poche Libretto, n°401

Vignette Les hommes sont des femmes comme les autresQu’est-ce qu’être un homme, ou une femme ? Pourquoi en certains êtres le sexe psychique ne correspond-il pas au sexe biologique ? Et pourquoi est-il si difficile parfois de respecter les limites étroites assignées à chaque sexe ? Cette assignation d’une identité sexuelle a des conséquences que personne n’ignore : des statuts et des rôles bien différents sont attribués à chaque sexe auxquels il doit  se conformer sous peine d’être exclu du groupe social.

A Copenhague, en 1925, Einar Wegener et Greta Waud sont mari et femme et tous deux peintres. Un jour Greta, en l’absence de son modèle, demande à Einar de revêtir une robe et des bas et de poser pour elle. Einar est troublé, et de cette confusion naît Lili, qui petit à petit va prendre la place d’Einar.

Einar se sent femme, d’ailleurs lorsque Lili paraît, tous les regards masculins se tournent vers elle.

Il va devenir le premier homme à changer physiquement de sexe. Einar Wegener deviendra Lili Elbe.

Les études sur le genre ont démontré que nous avons tous tous cinq identités sexuelles : chromosomique, anatomique, hormonale, sociale et psychologique qui coïncident ou non, révélant des identités ambiguës ou hybrides. C’est le cas de l’intersexualité.

Le chirurgien chargé d’opérer Einar découvrira que celui-ci possède des ovaires. En fait la confusion des genres que ressent Einar est confirmée par son intersexualité. Il est une personne de troisième sexe. Il est à noter que l’Allemagne depuis le 1er novembre 2013 est devenue le premier pays à donner le droit d’inscrire la mention « sexe indéterminé » sur le certificat de naissance d’enfants nés intersexuels afin de ne pas les condamner au choix d’une chirurgie corrective qui gommerait définitivement les caractéristiques biologiques de l’un des sexes.

Cette question de l’identité est passionnante parce qu’elle est au cœur de toute vie d’Homme.

Le roman est très bien écrit et se lit d’une traite, l’intrigue ménage savamment le suspense et ferre le lecteur. Un très bon moment de lecture…

  

Lili Elbe vers 1920                                              en 1926 (Photos Wikipédia, licence creative commons)

Madame Bovary, rhabillée par Paul Emond, Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps.. A voir si vous êtes près de Paris…

Il faut voir ce formidable spectacle, où le texte, adapté par Paul Emond révèle des aspects certainement insoupçonnés jusque là. La mise en scène instaure un décalage qui permet de souligner les ridicules ou les faiblesses des personnages, les contre-emploi sont également très réussis et on y croit complètement. L’humour est bien présent et fait de cette histoire une sorte de tragi-comédie où l’on rit volontiers parfois.  La musique, et notamment la performance de Gilles-Vincent Knapps à la guitare (Conservatoire de jazz) donne une coloration et une atmosphère souvent envoûtante. C’est vraiment très réussi.

Du mardi 08 mars 2016 à 19h00  au jeudi 30 juin 2016 à 19h00…

« Quatre comédiens vont conter, chanter, incarner la grande épopée d’Emma Bovary. La révolte romanesque, le combat instinctif d’une femme qui refuse de se résigner à sa condition et cherche, quel qu’en soit le prix, à faire l’expérience sensuelle et exaltante d’une vie où figurent l’aventure, le plaisir, le risque, la passion et les gestes théâtraux.
Une femme, trois hommes, un récit inexorable comme une tragédie, flamboyant comme un drame, mordant comme une comédie.

BOVARYSME, nom masculin : capacité de l’homme à se concevoir autre qu’il n’est.

Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle.
Gustave FLAUBERT 1858″