Archives pour la catégorie Femmes américaines (Voix afro-américaines)

Why should you read Toni Morrison’s “Beloved”? Yen Pham et Héloïse Dorsan Rachet

Réalisé par ma chère fille, dont j’adore le travail, les dessins et l’univers. Sur cette œuvre majeure de Toni Morrison.

Paru en 1987, se situant après la guerre de Sécession américaine, il aborde l’histoire de l’esclavage à travers l’histoire de Sethe, une ancienne esclave, hantée par le fantôme de sa fille. Cette histoire est inspirée de la vie de Margaret Garner, une esclave afro-américaine qui échappa à l’esclavage fin janvier 1856 et s’est réfugiée dans l’Ohio, Etat libre.

« Sethe est une ancienne esclave qui, au nom de l’amour et de la liberté, a tué l’enfant qu’elle chérissait pour ne pas la voir vivre l’expérience avilissante de la servitude. Quelques années plus tard, le fantôme de Beloved, la petite fille disparue, revient douloureusement hanter sa mère coupable. Loin de tous les clichés, Toni Morrison ranime la mémoire, exorcise le passé et transcende la douleur des opprimés. » Editions 10/18

Maya Angelou – Rassemblez-vous en mon nom.

Rassemblez-vous en mon nom – Maya Angelou, traduit le l’anglais « Gather Together in my Name »(1976) (Etats-Unis) par Christiane Besse, Les éditions Noir sur Blanc, 2020

Longtemps traduite par une maison d’édition canadienne, Les Allusifs, les éditions Noir sur Blanc rééditent cet opus autobiographique de Maya Angelou ou Marguerite Johnson de son vrai nom.

Je la connaissais de loin, de nom, bien sûr, mais je ne l’avais jamais lue, jamais rencontrée dans ses mots, dans sa chair faite verbe. Je savais d’elle qu’elle était poétesse, elle avait lu un de ses poèmes à l’investiture de Bill Clinton, il me semble, écrivaine ( elle a intégré le  « Harlem Writers Guild », son œuvre étant pour une large part autobiographique (mais quelle vie !), militante pour les droits civiques, enseignante et réalisatrice. Ce fut James Baldwin qui la poussa à écrire, et la force de son témoignage sert de mémoire aux générations d’aujourd’hui.

D’elle je ne saurai jamais si elle a vraiment été heureuse, mais sa vie est pleine de sens, orientée par sa créativité et la force de ses combats.

D’ailleurs, elle confie à un journaliste « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Et certainement,  il faut lire cette formidable interview publiée par le journal La Croix.

« Rassemblez-vous en mon nom », raconte la période de sa vie qui débute à 17ans, après la naissance de son premier enfant, alors qu’elle cherche à quitter la maison familiale pour être autonome et gagner sa vie.

Je ne sais pas si tout est exactement autobiographique,  mais quelle verve en tout cas ! Le récit est émaillé d’événements rocambolesques, et j’avoue que j’ai bien ri parfois, tant elle excelle à raconter la naïveté et l’arrogance de cette jeune femme, qui dans la dureté de ce monde, côtoie la prostitution, la drogue, le jeu et la misère sociale avec une forme d’insouciance et de naïveté, qui donne une certaine légèreté au récit tout en dénonçant l’absurdité, la violence, et l’arbitraire d’un système ségrégationniste. Le monde qu’elle décrit, est un monde « séparé », une frontière invisible relie le monde des Blancs à celui des Noirs, matérialisé seulement parfois par une ligne de chemin de fer. La ségrégation condamne les afro-américains à la misère, au désespoir et à l’exploitation des frères de misère. Elle raconte avec une certaine ironie, comment le destin de ces derniers semble lié aux sociétés de chemins de fer, qui est un des rares bassins d’emploi, mais où des travaux subalternes les maintiennent dans la pauvreté, leur seule richesse étant de manger leur nourriture chiche dans de la vaisselle de choix héritage de ces compagnies.

Je ne sais pas si c’est un bon livre, j’ignore encore ce que j’en retiendrai, en dehors de la rencontre, mais je suis heureuse, vraiment, d’avoir fait la connaissance de Maya Angelou.

Maya Angelou – « Un feu d’invincible joie, qui anéantit l’adversité et embrase la combativité » Christiane Taubira

Publié pour la première fois en 1974, sous le titre « Gather Together in my Name », Les éditions Noir et Blanc réédite en 2020 ce texte autobiographique.

Toni Morrison s’en est allée de ses pas ailés…

Nous apprenons la disparition, à l’âge de 88 ans, de cette immense autrice que fut Toni Morrison.

D’elle, j’ai lu Home et Beloved …

Paroles de femmes : Toni Morrison

 

Vidéo : E comme esclavage : un devoir de mémoire… Festival America

J’avais pris pas mal de notes mais j’ai découvert la vidéo, et c’est certainement mieux de la proposer à ceux que le sujet intéresse. On y retrouve Yaa Gyasi, l’autrice de « No home » et notre flamboyante ancienne ministre, Christiane Taubira. Sans compter Dany Laferrière, éminent écrivain.

Yaa Gyasi – No home / Une saga à couper le souffle !

Yaa Gyasi – No home (2016, Homegoing) – Calmann-Lévy, 2017 pour la traduction française, traduit de l’anglais ((Etats-unis), par Anne Damour

Dans notre monde de blogueurs, la lecture et l’écriture sont intimement mêlées, elles s’épousent l’une l’autre, et se tissent d’échos, dont la source est notre monde intérieur et la façon dont la lecture des autres, la rencontre des livres, donnent jaillissement à notre propre fond.

C’est ce que nous donnons à lire parfois.

Le roman de Yaa Gyasi est de ceux qui a suscité chez moi une grande émotion, et de grands bouleversements intérieurs qui tiennent essentiellement à la façon dont je suis en ce monde, reliée aux autres et surtout à ma fille, immense amour.

C’est ainsi qu’elle se dessine :

art - Copie

Elle dessine aussi souvent dans ce blog.

La lecture du roman de Yaa Giasi a été souvent douloureuse et magnifique. J’aurais pu serrer les poings, de rage, et d’impuissance, face à ce qui a été, qui ne peut être changé et qui nous constitue ma fille et moi à travers le mélange des peaux, des gênes, des histoires vécues avant nous. Notre mémoire porte la trace de ces déracinements, de ces arrachements. Et moi, blanche, mon âme s’est noircie irrémédiablement. Avec bonheur, et parfois aussi autre chose.

Car c’est l’histoire de deux femmes, de deux destins, qui les conduira de l’Afrique aux Amériques, en ce XVIIIe siècle qui n’est pas seulement celui des Lumières.

En effet, au XVIIIe siècle, sur la Côte-de-l’Or, au plus fort de la traite des esclaves, deux femmes Effia Otcher et Esi Asare, nées de la même mère, voient  leurs destins se nouer dans le même lieu (même si elles ne se rencontreront jamais),  à Cape Coast, dans le fort souterrain, où s’entassent les corps des esclaves, par centaines, dans des conditions inhumaines, et au-dessus, dans la lumière, face à la mer, dans les appartements, et puis plus tard dans une petite maison, où le mariage du capitaine du fort, Jame Collins, et de Effia otcher donne naissance à Quey Collins écartelé par ce métissage et par la violence de la traite.

Le métissage en ces temps, n’avait rien de la rencontre heureuse et souhaitée, elle portait la marque de la brisure. On ne mesure pas le poids, dans l’inconscient collectif, de cette histoire du métissage. Et chez nous, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, en portent encore les stigmates.

Ces destins broyés de génération en génération, dont les séquelles se font encore sentir dans la société américaine, témoignent de la barbarie, de la folie au cœur des hommes.

Yaa Giasi n’élude pas la responsabilité des africains, dont les guerres tribales incessantes, attisées par les anglais, ont fourni des esclaves au système de la traite. Et je crois que c’était la première fois que je lisais, dans un roman, l’évocation de ce système.

Une autre blogueuse, Carole dit bien la respiration de cette lecture, de ce souffle que l’on retient, de cette temporalité incertaine.

 

Zora Neale Hurston

Author Zora Neale Hurston

Grâce à CultURIEUSE, je me suis procuré enfin « Une femme noire » de Zora Neale Hurston. Née en janvier 1901, dans une petite ville du Sud, elle est considérée par de nombreuses femmes de lettres afro-américaines, Toni Morrison, Paule Marshall et Alice Walker entre autres, comme l’initiatrice, celle par qui tout a été rendu possible. Première femme noire anthropologue, elle a participé au mouvement « Harlem renaissance » qui a initié un renouveau de la littérature et de l’art. La littérature écrite par les femmes noires a un intérêt particulier : elle permet de redéfinir la culture propre en dehors des critères des « Blancs » dominants dans un monde régi par les lois ségrégationnistes, mais aussi de s’élever contre l’oppression masculine. Ces femmes ont une singulière énergie car elles se battent sur plusieurs fronts à la fois. Elle puise dans la littérature orale, et célèbre une culture populaire sans s’appesantir  sur l’amertume de la communauté noire face à l’exclusion et à la violence. Elle utilise l’écriture phonétique pour rendre le rythme particulier du « black speech », et volontiers lyrique, s’appuie sur les dialectes du sud riches d’une grande variété de nuances entre le parler des villes, le patois des campagnes et le jargon des ouvriers.

« Une femme noire » est considéré comme le premier véritable roman féministe de la littérature afro-américaine. Il exalte « la richesse et l’authenticité des traditions noires » et symbolise « la descente en soi-même », selon Françoise Brodsky. Elle poursuit ses études grâce à une bourse pour Barnard College et devient la première Noire anthropologue. Elle célèbre dans ses écrits la beauté noire du « Black American », influencée par le blues, les contes populaires et les negro spirituals.

Elle étudie, à partir de 1927, le folklore des Noirs du Sud et un an plus tard, part à la Nouvelle Orléans, essaie de pénétrer les arcanes de la culture vaudou en étant initiée elle-même. Suite à ces différents travaux, elle publie « Mules and Men », un recueil de folklore. Puis ce sera un premier roman inspiré de la vie de ses parents, « Jonah’s Gourd Vine ». Ce n’est qu’en 1936, alors qu’elle se rend à la Jamaïque et Haïti pour enquêter à nouveau sur le vaudou, qu’elle rédigera « Une femme noire ».

Quelques années plus tard, en 1942, elle publie son autobiographie « Dust tracks on a road. « . Fait marquant, elle publiera en 1959, « Seraph on the Sunwanee », qui pour la première fois met en scène des personnages blancs.

Elle mourra  des suites d’une attaque en janvier 1960. En 1972, Alice Walker (la couleur pourpre) lui rendra hommage en faisant poser une pierre tombale à l’endroit supposé de sa tombe.

Zora Neal Hurston: An Introduction to the Supreme – Literary Others ...

Source : informations données par Françoise Brodsky dans sa préface.

Lorraine Hansberry – première femme afro-américaine dont la pièce a été jouée à Broadway

Lorraine Hansberry, que j’ai découverte lors du documentaire consacré à James Baldwin sur Arte (magnifique !) est la première femme noire américaine dont la pièce ( A raisin in the sun) en 1959 a été jouée à Brodway.

« Raisin in the Sun de Lorraine Hansbury, prend son titre du célèbre poème de Langston Hughes « A Dream Deferred », dont le thème fait écho dans toute la pièce. Dans un petit appartement à Chicago dans les années 1950, les membres de la famille Younger, une famille afro-américaine, ont chacun de grands rêves de quoi faire avec l’argent d’assurance-vie qu’ils vont recevoir du passage de Big Walter. Pour certains membres de la famille, leurs rêves ont été reportés, «différés», pendant des années; Pour d’autres, il ya des obstacles qu’ils doivent surmonter pour poursuivre leurs rêves. »a consulter, source

Nella Larsen – Clair-obscur / Noire ET blanche ?

Clair-obscur

En 1927, à Chicago, se retrouvent deux amies d’enfance, perdues de vue depuis longtemps. Leurs caractères et leurs ambitions sont très différents ; on peut même dire que tout les oppose, hormis le fait d’être suffisamment claires de peau pour passer pour blanches, alors qu’elles possèdent du sang noir toutes les deux. La ségrégation, depuis les lois de Jim Crow, obligent noirs et blancs à vivre séparés, et le métissage n’existe pas. Dans l’Amérique ségrégationniste, on est noir ou blanc et il faut choisir son camp. La belle et sulfureuse Claire a épousé un Blanc raciste, en lui cachant ses origines, et vit dans la hantise d’être découverte. Irène a choisi une autre voie : elle est devenue une mère de famille respectable et revendique au contraire son appartenance à la communauté noire. Son amie l’exaspère et la fascine à la fois. Toutes les deux, de chaque côté de la colour line, sont la proie conscience ou inconsciente d’une terrible quête identitaire.

 

Ces deux femmes possèdent une complexion claire qui leur permet de passer pour blanches et peuvent être prises pour des Espagnoles ou des Italiennes au teint mat.

Irène a choisi : son mariage avec un homme qui ne peut pas « passer » pour blanc et le le fait d’être mère de deux fils dont l’un est foncé fait d’elle une mère de famille respectable. Elle  côtoie le gratin des cercles de Harlem, et mène une vie de femme installée et bourgeoise. Sa vie est toute tracée dans les limites qui lui sont imposées, sans danger.

Claire, dont le prénom est suffisamment symbolique est une femme inquiète et troublée dont la vie peut basculer à tout moment. Moralement, elle est du mauvais côté, elle ment et trompe son monde. Pour autant Irène est-elle vraiment plus intègre ? Ne cherche-t-elle pas, au fond, à préserver les apparences, en sacrifiant tout à la sécurité et à la routine, déterminée à faire le bonheur de sa famille sans vraiment penser à elle-même ?

On peut condamner Claire, qui pour « passer » a accepté des compromis qui la déchirent mais elle représente aussi « le risque, l’audace, l’avenir ». Elle est tout le temps sur le fil du rasoir et joue un jeu dangereux. Elle veut pourtant être des deux côtés de la ligne car elle veut retrouver la communauté noire. Elle veut retourner à quelque chose, mais quoi ? Qu’est-ce que l’identité, qu’est-ce qu’une race , puisque cette question est cruciale à l’époque ? La réponse n’est jamais donnée, mais diffractée à travers quantité de situations et de problèmes.

La question morale de la trahison et du mensonge se pose des deux côtés de la colour line. Trahir une communauté ? Se trahir soi-même ? Irène n’est-elle pas elle aussi dans le compromis, au sein de cette bourgeoisie noire qui « singe » parfois la communauté blanche et se tient sagement à l’intérieur des limites qui lui ont été fixées ? Que représente la loyauté ? Et la liberté ?

En ces temps de ségrégation, l’engagement est une nécessité pour lutter contre l’oppression, la lutte pour les droits un engagement politique qui a véritablement un sens.

Alors pourquoi rester sur cette « fine » line ? Pour ne pas se laisser enfermer ? Pour ne pas avoir à choisir et pouvoir affirmer, je suis noire ET blanche ?

Ce livre est passionnant par les questions qu’il pose avec intelligence et finesse. Un peu moins de deux cent pages, mais une maestria qui m’a parfois laissée sans voix. C’est un roman éminemment philosophique qui posent les problèmes et les met en situation.

« Passing » , ou Clair-obscur est un classique maintenant de la littérature américaine qu’il faut absolument connaître.

Je dédie cet article, avec tout mon amour, à une superbe jeune femme noire ET blanche, métisse, Héloïse.

Nella Larsen et la colour line, auteure métisse dans l’Amérique ségrégationniste des années de l’Entre-deux-guerres

Nella Larsen Etre femme a longtemps constitué un handicap pour être publié, mais être femme et métisse dans la société américaine du début du XXe siècle était une véritable gageure. Nella Larsen, née d’une mère danoise et d’un père antillais, seule métisse d’une famille recomposée, devient l’une des figures de proue de la « Renaissance de Harlem » (ou New Negro Movement), renouveau de la culture afro-américaine, dans l’Entre-deux-guerres (entre 1919 et 1930) dont le foyer est à New York. Ce mouvement est panafricaniste, d’inspiration socialiste, luttant contre le racisme et le paternalisme envers les noirs. La littérature noire américaine (mais aussi la peinture et la musique) se diffuse en dehors de l’élite noire américaine et gagne une reconnaissance de plus en plus affirmée.

Dorothy West, une autre des femmes écrivains, publie quant à elle « The Living is easy » où elle décrit la vie d’une famille noire aisée. En général les auteurs de la Renaissance noire américaine valorisent l’identité noire américaine. Tous les genres sont exploités, pamphlets, articles de journaux, romans, ballades et des travaux d’historiens noirs redonnent une place à la contribution des noirs à leur culture et leur destin.

En 1925, une autre de ses compatriotes, Zora Neale Hurston, écrit « Colour Struck » dans le magazine « Opportunity Magazine » et invente l’expression « Negrotarians ». Elle écrivit « Their Eyes Were Watching God »traduit en français sous le titre Une femme noire). Elle fut diplômée d’Antropologie après avoir fréquenté l’Université et créa le magazine « Fire » avec Langston Hugues et Wallace Thurman. Elle s’intéressa au folklore noir américain répondant ainsi au débat qui agitait cette communauté d’intellectuels, à savoir si la littérature devait être réservée aux élites noires ou intégrer la culture populaire.

Cette renaissance aura un impact majeur sur les intellectuels noirs dans les Caraïbes, l’Afrique de l’Ouest, et en Europe.

Et Nella Larsen dans tout cela ?

Clair-obscur, son deuxième roman, publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1929, et qui est devenu aujourd’hui un véritable classique, pose la question de la frontière, de la limite et de la difficulté de l’identité. Aux Etats-Unis, on est noir ou blanc, Barack Obama, est un président noir, alors qu’il est métis.

Née d’une mère danoise et d’un père originaire des Iles Vierges (propriété du Danemark encore à l’époque), Nellie est déclarée « fille de couleur » à la naissance. Sa mère se remarie et donne le jour à une seconde fille déclarée « blanche ». Nellie, puis Nella eut des relations familiales difficiles notamment avec sa sœur blanche. Sa mère, cependant tente de lui assurer une éducation, connaissant les difficultés dues à la ségrégation et l’inscrit en 1907 à Fisk, université noire de Nashville dans le Tennessee, dont elle est renvoyée après une année médiocre (voir la préface de Laure Murat au roman Clair Obscur, très riche et documentée). Elle fait en même temps plusieurs voyages en Europe où elle fréquenta certainement l’Université de Copenhague en auditrice libre.

En 1909, en réponse à une ségrégation qui se durcit, est créé le NAACP (National Association for the Advancement of Coloured People), qui deviendra par la suite une des plus puissantes organisations de défense des droits civils.

Séparée de sa propre mère qui vit dans un quartier interdit aux noirs, Nella Larsen décroche un diplôme d’infirmières en 1915 et en 1919, elle épouse Elmer Imes, un des premiers noirs à avoir obtenu son doctorat de physique . Le couple s’installe à Harlem.

En 1923, elle passe avec succès son diplôme de bibliothécaire et devient responsable, de la section des livres pour enfants grâce au soutien et à l’amitié d’ Ernestine Rose, blanc militant et sympathisant. Puis Carl Van Vechten, bisexuel, ami de Gertrude Stein dont il sera l’exécuteur littéraire sera une autre rencontre déterminante. Elle lui donne à lire ses premières nouvelles et conquis, il la pousse à écrire un roman. Quicksand (sables mouvants) paraît chez Knopf en 1926, ce roman a pour thème le racisme d’une famille blanche mais aussi critique l’élite noire qui « singe » l’oppresseur.

La position d’une métisse, de part et d’autre de la Colour line, la conduit à rejeter toute injonction identitaire. Histoire en quelque sorte d’une femme ni noire , ni blanche. Le dernier biographe de Nella Larsen, George Hutchinson, fait observer que « Passing », son deuxième roman est l’histoire d’une femme blanche et noire. L’identité qui s’était établie en creux devient positive. De complexion claire, on peut « passer pour une blanche » et naviguer des deux côtés de la Colour line.

Mais à la fin du XIXe siècle, les lois Jim Crow, avec la fameuse « one drop rule » stipule qu’une seule goutte de sang noir suffit à considérer une personne comme legally black. On peut donc avoir l’air blanc mais être noir. L’identité devient beaucoup plus complexe à établir puisqu’elle repose sur quelque chose qu’on ne voit pas. Dans ce type de culture, un métis n’existe pas.

Cette réalité à la fois sociale et politique donne lieu à un motif littéraire, le tragic mulatto (a) dans les « passing novels » et permet de traiter la question de l’émancipation des femmes, des races et des classes. Une goutte de sang noir a , en effet, le pouvoir de vous faire déchoir. « The Quadroons » par Lydia Maria Child, premier texte du genre paraît en 1842. De nombreux romans continueront à alimenter cette veine. Nella Larsen va s’éloigner les lois du genre en exploitant le thème de la fine line, où tout se joue à un cheveu.

Il est passionnant de noter que Judith Butler a souligné combien « le non-dit qui frappe l’homosexualité converge dans l’histoire avec l’illisibilité de la négritude de Claire » , le personnage principal du roman. (Judith Butler, « Passing, queering : le défi psychanalytique de Nella larsen , Ces corps qui comptent, Amsterdam 2 009 p 180»

Qu’en est-il aujourd’hui de la color line, censée avoir disparu ? Toni Morrison est-elle seulement écrivain, ou encore et toujours une femme, et une femme noire comme le souligne certains des articles même les plus élogieux à son égard ?

(source Laure Murat, préface du roman Clair Obscur et Wikipédia pour les éléments relatifs à la Renaissance de Harlem)