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Nella Larsen – Clair-obscur / Noire ET blanche ?

Clair-obscur

En 1927, à Chicago, se retrouvent deux amies d’enfance, perdues de vue depuis longtemps. Leurs caractères et leurs ambitions sont très différents ; on peut même dire que tout les oppose, hormis le fait d’être suffisamment claires de peau pour passer pour blanches, alors qu’elles possèdent du sang noir toutes les deux. La ségrégation, depuis les lois de Jim Crow, obligent noirs et blancs à vivre séparés, et le métissage n’existe pas. Dans l’Amérique ségrégationniste, on est noir ou blanc et il faut choisir son camp. La belle et sulfureuse Claire a épousé un Blanc raciste, en lui cachant ses origines, et vit dans la hantise d’être découverte. Irène a choisi une autre voie : elle est devenue une mère de famille respectable et revendique au contraire son appartenance à la communauté noire. Son amie l’exaspère et la fascine à la fois. Toutes les deux, de chaque côté de la colour line, sont la proie conscience ou inconsciente d’une terrible quête identitaire.

 

Ces deux femmes possèdent une complexion claire qui leur permet de passer pour blanches et peuvent être prises pour des Espagnoles ou des Italiennes au teint mat.

Irène a choisi : son mariage avec un homme qui ne peut pas « passer » pour blanc et le le fait d’être mère de deux fils dont l’un est foncé fait d’elle une mère de famille respectable. Elle  côtoie le gratin des cercles de Harlem, et mène une vie de femme installée et bourgeoise. Sa vie est toute tracée dans les limites qui lui sont imposées, sans danger.

Claire, dont le prénom est suffisamment symbolique est une femme inquiète et troublée dont la vie peut basculer à tout moment. Moralement, elle est du mauvais côté, elle ment et trompe son monde. Pour autant Irène est-elle vraiment plus intègre ? Ne cherche-t-elle pas, au fond, à préserver les apparences, en sacrifiant tout à la sécurité et à la routine, déterminée à faire le bonheur de sa famille sans vraiment penser à elle-même ?

On peut condamner Claire, qui pour « passer » a accepté des compromis qui la déchirent mais elle représente aussi « le risque, l’audace, l’avenir ». Elle est tout le temps sur le fil du rasoir et joue un jeu dangereux. Elle veut pourtant être des deux côtés de la ligne car elle veut retrouver la communauté noire. Elle veut retourner à quelque chose, mais quoi ? Qu’est-ce que l’identité, qu’est-ce qu’une race , puisque cette question est cruciale à l’époque ? La réponse n’est jamais donnée, mais diffractée à travers quantité de situations et de problèmes.

La question morale de la trahison et du mensonge se pose des deux côtés de la colour line. Trahir une communauté ? Se trahir soi-même ? Irène n’est-elle pas elle aussi dans le compromis, au sein de cette bourgeoisie noire qui « singe » parfois la communauté blanche et se tient sagement à l’intérieur des limites qui lui ont été fixées ? Que représente la loyauté ? Et la liberté ?

En ces temps de ségrégation, l’engagement est une nécessité pour lutter contre l’oppression, la lutte pour les droits un engagement politique qui a véritablement un sens.

Alors pourquoi rester sur cette « fine » line ? Pour ne pas se laisser enfermer ? Pour ne pas avoir à choisir et pouvoir affirmer, je suis noire ET blanche ?

Ce livre est passionnant par les questions qu’il pose avec intelligence et finesse. Un peu moins de deux cent pages, mais une maestria qui m’a parfois laissée sans voix. C’est un roman éminemment philosophique qui posent les problèmes et les met en situation.

« Passing » , ou Clair-obscur est un classique maintenant de la littérature américaine qu’il faut absolument connaître.

Je dédie cet article, avec tout mon amour, à une superbe jeune femme noire ET blanche, métisse, Héloïse.