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L’hiver de pluie – Lise Tremblay – Une lecture de ciels gris et de mélancolie…

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Lise Tremblay – L’hiver de pluie – Bibliothèque Québécoise XYZ éditions (20/09/2005)

Premier roman de l’auteure, L’hiver de pluie, cisèle son récit de mélancolie et d’errance au sein de la ville de Québec. Les hommes y sont soit petits, soit gros, toujours fuyants ou impuissants, incapables de tendresse et d’amour. Les aventures malheureuses, les déboires affectifs, les rencontres manquées et la ville et ses cafés peuplés de solitudes, de gens pas tout à fait comme il faudrait, voués au malheur et à la déconfiture (si l’on peut dire), sont au diapason de ces ciels gris, de ces flaques sur le sol dans lesquelles se reflète un ciel immensément gris. C’est le roman, peut-être, d’une génération, de la désespérance.

L’hiver de pluie,  est un court récit,  qui excède à peine une centaine de pages,  divisé en deux parties inégales, dans lesquelles des tranches de vie, des moments sont relatés, (beaucoup de références à Poulin que je ne connais pas) qui donnent son atmosphère au livre, intimiste, où la narratrice est aux prises avec les mots, leur impuissance, et la tentation du silence, « dans un pays où on assassine les mots à force de redites], où on les épuise, un pays de peu de mots » (p. 99) ?

La narratrice écrit des lettres qu’elle n’enverra pas à l’homme dont l’abandon, le manque , la conduit à marcher sans fin. Elle marche pour ne pas céder à l’inertie, pour garder la vie en elle, mais elle marche sans but.

Ceux qui marchent : « Ils ne survivent que par compassion, caressés par leur propre douleur qu’ils voient se refléter dans le regard des passants. Ceux qui marchent ont des regards de bêtes qui meurent à petit feu, des bêtes qu’on a oubliées… »

C’est tellement bien écrit, c’est beau aussi comme un ciel pommelé, mais au sortir de cette lecture, on a envie de crier, de sauter dans les flaques, et d’arracher quelques rayons au soleil.

C’était ma dernière lecture pour « Québec en novembre » avec  Karine et Yueyin.

Milena Agus Terres promises

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Milena Agus Terres promises,traduit de l’italien par Marianne Faurobert, Editions Liana Levi,01-03-2018,  176 pages

Quelle sera donc la saveur de ce nouveau cru ? Un nouveau livre de Milena Agus est toujours promesse de découverte, d’humanité et de bienveillance. On ne voit pas ses personnages arrimés à leur portable, ou indécrottables geeks scotchés devant leur écran. Non, ils sont toujours décalés, dans le temps, ou dans l’époque à laquelle ils appartiennent.

Ce sont des rêveurs qui échappent aux canons de la beauté ou de la réussite sociale. Peut-être est-ce pour cela qu’ils peuvent nous apprendre quelque chose.

Après quoi courons-nous toujours ? Quelle terre promise, quel mirage parviennent-ils à nous faire avancer encore et toujours, jusqu’à parfois, nous boucher l’horizon ?

Pour Raffaelle, il s’agit du continent, pour son épouse  la Sardaigne, pour Félicita , le bonheur est partout où l’on est, parfois on passe à côté sans le voir.

« […] puisque personne ne la trouve jamais, cette terre promise, pourquoi ne pas s’arrêter en route, dès qu’on arrive quelque part où on se sent bien ( ?) »   

Le pivot de ce récit est Félicita, petite femme boulotte, qui regarde ses contemporains avec bienveillance et amour, généreuse et candide à la fois, aimant la vie et le sexe. Car tous les personnages féminins qui sont les héroïnes des romans de l’auteure aiment passionnément le sexe.

Ce qui symbolise leur appétit de la vie et des autres. Ce roman est aussi un avertissement : car après quoi courons-nous aujourd’hui qui pourrait précipiter notre perte, si nous oublions ce souci nécessaire de l’humanité de l’autre ?

Ce livre se lit comme un poème… à méditer !

Et que le vaste monde poursuive sa course folle Colum Mc Cann

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Vignette Les hommes sont des femmes comme les autresColum Mac Cann  Et que le vaste monde poursuive sa course folle  10/18 domaine étranger

Let the great world spin, 2 009 – Belfond 2OO9 pour la traduction française

Colum Mc Cann est né à Dublin en 1965 et vit aujourd’hui à New York. « Et que le vaste monde poursuive sa course folle », a remporté le National Book Award.

Le roman est basé sur un fait réel : le 7 août 1974, Philippe Petit, funambule, a marché sur un câble entre les tours du World Trade Centre. Le funambule en a fait un récit personnel dans son ouvrage Trois Coups (Herscher, 1983). Le titre du roman « Et que le vaste monde poursuive sa course folle vers d’infinis changements » est emprunté au poème Locksley Hall d’Alfred Lord Tennyson.

Ce roman polyphonique s’articule autour de cet événement extraordinaire auquel vont assister ou prendre part les différents personnages du roman avec pour toile de fond New York, ville tentaculaire, cruelle et magnifique d’où s’élancent les Twin towers, symboles de l’Amérique triomphante. Dans la solitude de la grande ville, des personnages se côtoient, se frôlent parfois sans se connaître, s’ignorent le plus souvent : femmes ayant perdu leurs enfants pendant la guerre du Vietnam, prostituées sur le retour, junkies, prêtres ouvriers. Les fils se croisent pour former la trame du récit, tel ce câble tendu au-dessus du vide, au-dessus du monde. Temps arrêté et suspendu, moment de poésie et de beauté pure. Des événements en spirale s’enroulent autour de cette journée, des moments décisifs dans la vie des gens, des rencontres et des ruptures. Et ainsi va le monde, dans sa course, indifférent aux destinées humaines.

C’est un roman très bien construit, très bien écrit mais je n’ai pas ressenti de grande émotion, il me faut bien l’avouer, même si j’ai admiré les prouesses d’écrivain .

Le faon de Magda Szabό, grande dame des lettres hongroise

Le faon – Magda Szabό, Viviane Hamy 2008, Az oz, 1959 traduit du hongrois, texte revu et corrigé par Suzanne Canard

Vignette femmes de lettresEszter, comédienne célèbre, évoque dans un long monologue douloureux et amer, une enfance de privations et de frustrations, au sein d’une famille de doux intellectuels rêveurs incapables d’assurer le bien-être de la famille. Issus d’une vieille famille aristocratique mais ruinée, le père est un avocat « doux dingue » qui refuse de défendre ses clients, et la mère, une brillante pianiste qui, pour assurer la survie de la famille, donne des cours de piano. Pour ne pas abîmer ses mains, et priver la famille de cette seule source de revenus, elle délègue tous les travaux ménagers à sa fille.
Elève brillante, mais maussade et jalouse, Eszter envie férocement le faon d’une de ses camarades, Angela. Celle-ci représente tout ce qu’elle n’est pas et tout ce dont elle est privée, l’aisance, les égards, une vie rêvée de petite fille choyée.
La jeune femme tente d’exorciser les démons de la jalousie qui la hantent. Car Angela a tout, même l’homme dont Eszter est amoureuse.
Mais Eszter tient peut-être là sa revanche à moins que l’amour ne devienne sa possible rédemption.

Il n’est pas toujours facile de suivre le monologue tendu et douloureux de ce personnage possédée par la rancœur, la jalousie et l’amertume même si force est de s’incliner devant le talent de l’auteure à faire vivre son personnage.

« Construit comme une tragédie antique, Le Faon explore les Enfers d’une Médée hongroise dont le monologue tient autant de l’exorcisme que de l’expiation. » L’Express

logo 1Magda Szabό est une grande dame de la littérature hongroise. Elle a été considérée, de son vivant, comme une auteure classique. Elle est décédée en 2007, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Le roman qui l’a fait connaître en France, La Porte, a obtenu le Prix Femina étranger en 2003.

Dans la nuit Mozambique – Laurent Gaudé

         laurent-gaude-dans-la-nuit-mozambique

         Vignette Les personnages féminins dans l'ecriture masculine Ce livre est constitué de quatre récits, quatre nouvelles, quatre voix et des hommes, engagés dans l’Histoire et dans la violence de ce monde, victime ou bourreau le plus souvent, en proie à la culpabilité et aux souvenirs. Des esclaves qui tentent de s’échapper, un capitaine négrier, un ancien poilu reconverti en mercenaire et trafiquant, un poète qui se souvient de la femme qu’il a aimée, ou trois officiers de marine qui se retrouvent chaque année autour d’un bon repas, ces histoires sont des histoires d’hommes.

Dans la nouvelle « La nuit Mozambique » un rituel s’instaure, chaque convive doit à son tour raconter une histoire. Dans ce récit, l’Afrique est figurée, convoquée, espace de fantasme et de projection dont Laurent Gaudé avoue ne pas savoir s’il correspond à la réalité mais qui libère quelque chose qui a trait à l’écriture. A propos d’un autre livre, il avouait ne jamais situer ces récits dans un espace proche: l’ailleurs a une magie que le proche n’a pas, elle sert de révélateur, à la manière d’une plaque photographique, à sa propre intériorité. Elle est peut-être l’éloignement de l’universel …

De ces hommes, on approche la sueur, les corps échauffés par la violence, ruinés par la vieillesse, corps en fuite, corps en mouvement. Même lorsque les hommes sont assis, ils voyagent à leur corps défendant, ils évoquent, ils racontent et alors surgissent les bateaux et les éléments. Tels ces clandestins entassés dans la coque, sacrifiés à l’égoïsme et à l’argent. Le teint est fiévreux, la brûlure apparente, la nuit enveloppe les tragédies d’une touffeur presque tropicale. Les dents crissent, les fronts frappent les poutres.

Pas d’épanchement, seulement « la tristesse des hommes face à leur finitude », tout au plus la vieillesse donne-t-elle « des mains de vieille femme », car les jeunes hommes ont des mains de « fauve » et des sourires arrogants, la violence, dit une personnage, « je la sentais en moi, par jaillissements».

Je me suis laissée prendre par ces histoires sombres, presque souterraines, mais sans passion. J’aime beaucoup Laurent Gaudé, et je le lis régulièrement parce que je le trouve intéressant mais j’avoue que ces univers où le masculin est âpre et torturé m’oppressent un peu.

Dans l’or du temps – Claudie Gallay

Dans l'or du tempsDans l’or du temps de Claudie Gallay – Editions du Rouergue, 2006, repris en poche éditions Babel

Vignette femmes de lettresDans une maison en Normandie, en bord de mer, un couple s’installe avec leurs deux filles. L’homme, le narrateur, rencontre alors une vieille dame, Alice Berthier, lourdement chargée, et lui propose de la raccompagner chez elle. Commence alors une étrange relation entre les deux. L’homme est à une période cruciale de sa vie où il s’interroge sur le sens de ses choix et la profondeur de ses engagements et Alice Berthier, sentant approcher la mort, sent le besoin de confier à cet inconnu le secret qui a rongé sa vie d’adulte. La distance ainsi créée permet à chacun de retrouver soi en l’autre, dans une confession toujours différée.

Là encore, comme dans le roman « Rosa Candida » c’est une femme auteur qui se met dans la peau d’un homme, et qui plus est un homme vivant une crise dans son couple. Il est indécis, il ne sait pas, il découche, il tergiverse, à sa compagne de s’occuper des filles. Il a l’impression de n’avoir rien décidé, ni sa paternité, ni cette maison en Normandie. Rien.

D’ailleurs c’est un leitmotiv, à chaque fois que quelqu’un lui demande quelque chose, il répond qu’il ne sait pas. Mais il n’arrive pas non plus à mettre de mots sur son malaise, ni à véritablement exprimer ses sentiments.

Anna, la compagne du narrateur, s’insurge contre les modèles que reproduisent ses filles, elle déteste les voir jouer à la poupée, à la dinette ou lire Martine. Mais comment lutter ? « On offre toujours des poupées aux filles ». D’ailleurs le narrateur l’avoue, les femmes sont bien plus fortes que les hommes. Elles décident, elles s’occupent des enfants. Elles ne peuvent pas s’octroyer le luxe du doute, du malaise, partir pendant des heures sans dire où elles vont. Anna peut pleurer, tempêter, qu’à cela ne tienne, mais elle doit tenir. Elle, au contraire, exprime ses doutes, ses interrogations, dit combien elle est blessée.

Les femmes de ce roman ont ce statut particulier d’être reliées au regard des hommes, à leur désir. Alice avoue que les femmes commencent à mourir bien avant d’être mortes mais dès qu’elles commencent à vieillir et qu’aucun homme ne les désire plus. Elles sont dans une relative passivité jusqu’au moment où le désespoir et la colère leur insufflent une force ou une folie dont elles ne se croyaient pas capables. Car les hommes ont aussi un terrible pouvoir dit le livre… Il retrace aussi la découverte de la civilisation des Indiens Hopis en Arizona par les intellectuels de l’époque, André breton notamment et donne un panorama des croyances des Indiens.

J’ai surtout été intéressée par l’aspect documentaire de cette œuvre plus que par l’œuvre littéraire elle-même. Je n’ai pas retrouvé la magie des « Déferlantes » que j’avais vraiment adoré mais l’oeuvre est intéressante et bien écrite.

Evelina de Fanny Burney (1752 – 1840)

vignette femme qui écritEvelina ou The History of a Young Lady’s Entrance into the World (1778), José Corti , domaine romantique 1991. “C’est l’œuvre la plus pétillante, la plus divertissante et la plus agréable du genre” note le Monthly Review en avril 1778. La critique est élogieuse et voit en elle le digne successeur de Richardson et de Fielding. Il est vrai qu’elle excelle dans le ton de la comédie, et prodigue généreusement au lecteur coups de théâtre, et retournement de situation . Elle campe des personnages hauts en couleur au verbe flamboyant et populaire ou à la délicatesse châtiée des aristocrates, dont elle n’épargne ni la suffisance, ni le ridicule : ainsi de ce personnage qui prétend venir au théâtre seulement pour qu’on le voie, et avoue ne rien écouter de la pièce. Aucun pan de la société n’échappe à son observation minutieuse, de la bourgeoisie enrichie qui prétend imiter les nobles, aux prostituées qui se promènent dans les jardins. Les femmes ne sont jamais très bien loties et doivent supporter pour maris d’affreux personnages, tel ce capitaine de marine qui se plaît à tourmenter une française à laquelle il n’épargne ni ses sarcasmes, ni des farces du plus mauvais goût.

Fanny Burney ne s’éloigne jamais pourtant de la morale de son temps et fustige les »bas-bleu » qui offensent le code de réserve féminine en vigueur à l’époque. D’ailleurs, son héroïne a tout d’une ingénue obéissante qui passe son temps à défendre sa vertu. Pour une femme d’aujourd’hui, elle est passablement énervante. Mais pour l’époque, elle représente la femme idéale, rougissante, modeste, gracieuse et obéissant à son tuteur qui dirige sa conduite. Il va de soi qu’elle ne peut se diriger entièrement elle-même. Dans ce roman épistolaire, l’auteure raconte l’entrée d’une jeune provinciale de dix-sept ans dans la haute société londonienne. Sa naissance obscure et son peu de fortune, lui font affronte un préjugé de classe dominant à l’époque qui la met à l’écart, et lui fait endurer le mépris et la disgrâce. C’est sur ce même thème que Jane Austen bâtira Orgueil et préjugés quelque trente ans plus tard. Si Fanny Burney est totalement étrangère au monde d’une féministe comme Mary Wollstonecraft (qui dit-on l’admira), elle n’en prend pas moins quelques risques et égratigne  la société patriarcale de son temps à coup d’ironie feutrée et de satire sociale. Son art du dialogue rend le récit vivant et les 444 pages passent sans peine. A découvrir…

Mois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou.

le mois anglais

La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry

La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry – Rachel Joyce – XO éditions 2012

Vignette femmes de lettresAu soir d’une vie, on pourrait croire que tout est joué : Harold Fry, la soixantaine, vit une retraite paisible aux côtés de sa femme Maureen. Ils ne se parlent plus guère, une ombre plane entre eux, une sorte de menace, un événement dont aucun ne parle jamais et des regrets, des rancunes souterraines empoisonnent leur vie.
Un matin Harold reçoit la lettre d’une ancienne amie qu’il n’a pas vue depuis plus de vingt ans. Elle lui écrit pour lui dire adieu.
Harold lui répond quelques mots et sort pour poster la lettre. Il ne rentrera pas chez lui ce soir-là et commence un périple du sud au nord de l’Angleterre qui devrait durer plusieurs semaines. Il veut marcher pour qu’elle vive, pour la remercier, pour lui dire qu’il l’aime.
Cette marche devient un pèlerinage, un temps où Harold se retrouve enfin, et où les souvenirs affluent : sa mère qui l’a abandonné, ses mauvaises relations avec son fils. Harold affronte enfin ses démons et tente de donner des réponses aux questions qui le hantent.
Mais parviendra-t-il au terme de son voyage ? Rien n’est moins sûr. Mal équipé, sans entraînement, Harold tente l’aventure sans en avoir mesuré vraiment les difficultés. Et s’il parvient à Berwick-upon-Tweed, qui (qu’y) trouvera-t-il ?
Un roman bien ficelé : une quête spirituelle, la nécessité de revenir à l’essentiel, une critique intelligente des phénomènes de médiatisation, et de la récupération par une certaine société du spectacle de ce qui peut faire le « buzz », font de ce roman original, pétillant, émouvant et parfois drôle un joli voyage littéraire.

Rachel Joyce vit en Angleterre, dans une ferme du Gloucestershire, avec sa famille. Elle a été pendant plus de vingt ans scénariste pour la radio, le théâtre et la télévision, et comédienne de théâtre, récompensée par de nombreux prix. Elle reçoit en 2012 le prestigieux National Book Award.

« Deux secondes de trop » est publié en février 2014.

le mois anglaisMois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou.

La clandestine du voyage de Bougainville, « Jeanne Barré, la voyageuse invisible »

Michèle Kahn raconte l’histoire romancée de Jeanne Barré, première femme à avoir accompli un voyage autour du monde lors de l’expédition de Bougainville.
A une époque où les femmes sont interdites à bord des bateaux, Jeanne, qui connaît parfaitement les plantes, guérisseuse à ses heures, se travestit en valet pour suivre son amant botaniste, Philibert Commerson, à bord de l’Etoile le 10 janvier 1767. Son histoire est romancée dans La Bougainvillée, de Fanny Deschamps (1982), et reprise en 2014 par Michèle Kahn dans « La clandestine du voyage de Bougainville » qui en propose une manière d’épopée.

Vignette Les femmes et le théatreLe théâtre de Sartrouville a proposé cette histoire« Jeanne barré, la voyageuse invisible » , du 17 au 21 mars 2015 à travers un texte d’Eudes Labrusse et une mise en scène de Jérôme Imard & Eudes Labrusse.
« Des campagnes françaises aux plages de Tahiti, l’étonnant voyage d’une femme au siècle des lumières.
Un beau matin de 1776, une jeune femme s’embarque sous le nom de Jean Barré à bord d’un des navires de l’expédition légendaire de Bougainville. Pendant deux ans, aux hasards de la mer, elle vit travestie en homme au milieu des marins et des plus grands savants de l’époque. Jeanne Barré est la première femme à avoir fait le tour du monde. Son histoire, bien réelle, est pourtant percée de mystères. Eudes Labrusse en comble les vides en réinventant la vie intérieure de l’aventurière et son périple autour du monde. Toutes voiles dehors, c’est ce destin de femme exceptionnelle que deux comédiens et un violoncelliste nous invitent à découvrir à bord d’un imposant « bateau-théâtre ». Une rencontre avec une personnalité surprenante, aussi déterminée que brillante ! »

La marche de Mina – Yoko Ogawa/ Les femmes au Japon

la marche de Mina

Mina est une petite fille asthmatique qui, dans le Japon des années 70, se rend à l’école sur le dos de Pochiko, un hippopotame nain. Tomoko, sa cousine, entame sa première année de collège, hébergée par sa tante car sa mère doit se rendre dans une grande ville pour y suivre des cours de couture. Un drame semble couver sous l’apparence anodine des choses, les fréquents séjours de Mina à l’hôpital, l’absence de son père pour de longues périodes sont comme autant de menaces. Les non-dits tissent le récit de pesants silences, et d’une sorte de malaise qui court tout au long de l’histoire. Les personnages semblent étouffer dans cette atmosphère à couper au couteau même si des fils de tendresse tiennent tous les personnages ensemble et l’amitié de Mina et Tomoko, la narratrice, telle une bouffée d’air pur, adoucit le tranchant des larmes intérieures et des souffrances cachées.

Il faut aimer Proust pour aimer ‘La marche de Mina », un récit long, pesant parfois, un récit attentif toutefois à la profondeur des êtres, exaspérant de lenteur, mais riche de douceur et de tendresse. Yoko Ogawa, après avoir été fan de base-ball dans « La formule préférée du professeur » explore ici le monde du hand-ball, et installe une sorte de tension dramatique, qui ne se résout qu’avec le dénouement du récit. J’ai eu un peu de mal je l’avoue, surtout qu’ayant moins de temps dans un quotidien chargé, la lecture a subi un étirement supplémentaire quia failli être fatal à la lecture de ce livre.

J’avais beaucoup aimé « La formule préférée du professeur » mais j’avais trouvé là encore des longueurs parfois mais c’est une autre perception du temps, des événements que l’on peut retrouver chez d’autres auteurs japonais. A suivre toutefois, de belles qualités d’écriture et la création, véritablement, d’une œuvre singulière.

Les réécritures de Médée 8/11 : L’Assassine Médée 99 de Yonnick Flot

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Yonnick Flot L’Assassine Médée 99, Editions Proverbe, 1999

Vignette Les femmes et le théatreCette Médée-là n’a a priori aucun lien de parenté avec La Médée antique, si l’on excepte quelques détails troublants. Tout d’abord, elle vit, ici en France, en 1999, dans le quartier des Batignolles à Paris. Elle est comédienne et va bientôt être jugée devant un tribunal : elle a assassiné ses deux enfants. On est bien loin de La Colchide et de la toison d’or.

Elle reçoit son avocat commis d’office en prison : son crime épouvantable fait d’elle un monstre et aucun avocat à la réputation établie ne veut la défendre.

D’ailleurs qui est-elle ? Un cas psychiatrique ? Une amante trahie qui sombre dans la déraison ?

Des ressemblances avec la Médée d’Euripide commencent à apparaître à la lecture : son amant s’appelle lui aussi Jason, et comme le Jason corinthien il l’a trahie pour une femme plus jeune, plus belle peut-être qui récolte les honneurs et les succès.

Médée des Batignolles est elle aussi une étrangère : elle vient d’un autre pays « mais il n’était pas de la bonne race, pas de la bonne religion, pas de la bonne géographie, pas de la bonne politique… ». Médée, comédienne, femme, doit jouer son rôle jusqu’au bout dans une pièce écrite avant elle.

Une intéressante mise en abyme structure la pièce : la comédienne qui va jouer Médée ressent quelques angoisses à jouer pareil rôle avant d’entrer en scène: « Pas le trac, la trouille. Pas du public, d’Elle. De jouer son rôle. J’aurais jamais dû accepter. Comment dire l’indicible, traduire l’impensable, l’incompréhensible, l’inexplicable, défendre l’indéfendable ? Je peux tout pardonner à une femme sauf ça ! »

Une comédienne « n’a pas le choix », elle doit dire son texte « jusqu’à la fin ».

« Il me reste à commettre pour l’éternité l’acte de la parole. Le théâtre crie la vérité ; le monde chuchote le mensonge. Je suis l’éphémère immortelle. Je meurs tout juste née mais je renais tous les soirs et le malheur d’exister devient le bonheur de jouer. »

La pièce sera jouée, rejouée sans fin, pour l’éternité. Médée revivra chaque soir devant les yeux des spectateurs. Elle n’aura pas d’échappatoire… Son crime sera posé à jamais devant elle.

L’enfance est le lieu où tu passes le restant de tes jours: Rosa Montero « Le territoire des barbares »

Rosa Montero

           L’enfance est le lieu où tu passes le restant de tes jours. Tu as beau faire, les souvenirs t’enchaînent, et tes blessures s’ouvrent inlassablement dans une infernale répétition. De victime tu deviens bourreau : «  Les enfants des ivrognes deviennent alcooliques, les enfants de déments deviennent fous, les enfants battus battent à leur tour leurs enfants ». Ne te fais surtout pas d’illusion, la liberté, c’est pour les riches et les bien-portants… Tout est écrit d’avance dans un déterminisme absolu et fou. Ou peut-être que c’est exactement le contraire, tu n’as pas de rôle à jouer, ta liberté est posée devant toi et tu as toujours le choix entre une gifle et une caresse. Deviens ce que tu es, disait Nietzsche. Les enfants maltraités subissent souvent une double peine : celle qu’ils ont subie et celle du soupçon, d’une violence inouïe, qui les condamne à répéter l’injustice dont ils ont été la victime. « Tout se joue avant six ans » clament les tenants d’une certaine psychologie construite à coup de statistiques. Borys Cyrulnik, après Werner et Smith, deux psychologues scolaires américaines, qui ont observé le phénomène, et John Bowlby, a défini la résilience comme « un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l’événement traumatique pour ne plus vivre dans la dépression. La résilience serait rendue possible grâce à la structuration précoce de la personnalité, par des expériences constructives de l’enfance (avant la confrontation avec des faits potentiellement traumatisants) et parfois par la réflexion, ou la parole, plus rarement par l’encadrement médical d’une thérapie, d’une analyse ».

Elle permet de s’échapper du territoire des barbares. Ce territoire clos sur lui-même où se déploie la violence la plus absolue, où règnent la drogue, la prostitution et le meurtre.

Zarza vit une vie bien rangée, semble-t-il, entre les livres qu’elle publie pour une maison d’édition et son frère handicapé à qui elle rend visite régulièrement. Mais surgi d’un passé trouble et douloureux, son frère jumeau, tout juste sorti de prison, menace de la retrouver et de se venger. Mais de quoi ? Et pourquoi ?

Ce livre est une sorte de thriller psychologique que j’ai lu d’une traite mais que j’oublierai, je pense, aussi vite. Il y a cependant une mise en abyme intéressante avec l’histoire du Chevalier à la rose de Chrétien de Troyes et un parallèle intéressant avec l’histoire des jumeaux.

La théorie de la contorsion – Margaux Motin

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Qu’est-ce que la théorie de la contorsion ?

C’est la faculté de s’adapter à toutes les situations ! Ce qui requiert une grande souplesse. Mais toutefois on peut profiter de cette douceur de votre caractère pour vous ranger dans des cases, ce qui est beaucoup moins bien ! Dessiner en fin de compte permet de résister !

Finies les jeunes filles bien élevées qui serrent les dents … et les fesses ! Margaux Motin n’a pas peur d’aligner quelques gros mots, ce qui à priori n’est pas très féminin, a utiliser des images légèrement scatologiques, et à mettre les pieds dans le plat !

Elle le dit : « Dès qu’on essaie de me ranger dans des cases, je suis trop nombreuses, on fait des crises de claustrophobie… »

Son héroïne, longue et glamour, passionnée par la mode et les pompes, un brin (vous avez dit un brin ?) futile, femme-enfant parfois, boudeuse, mutine, utilisant tous les clichés du genre pour mieux les désamorcer quelques planches après, de la mère à l’amante, à la copine, Margaux Motin utilise tous les clichés, les pétrit, les remodèle, les régurgite à sa façon, dans un jeu et un art très personnel.

 

De beaux dessins très dynamiques, drôles, au trait noir agrémenté de couleurs tendres ou vives, c’est selon ! Elle agace, elle exaspère, elle réjouit !

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Son blog : Le blog de Margaux Motin

Printemps Sigrid Undset

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Printemps , 1914

 

Née en 1882, Sigrid Undset s’est consacrée très tôt à la littérature. Parallèlement à son travail de secrétaire, elle écrit. Auteure entre autres de Maternités, Jenny (qui fera scandale), de Vigdis la Farouche et de Kristin Lavransdatter, elle a reçu le prix Nobel de littérature en 1928. Elle est morte à Lillehammer en 1949.

Rose Wegner, l’héroïne de ce roman, attend l’amour pour être révélée à elle-même, un amour qui serait la fusion de deux êtres autant que deux destins et qui ferait d’elle la possession, la chose, de l’homme qu’elle aimerait. Que faire alors si cet amour ne vient pas ? Se résigner, et rester seule, sans famille et sans soutien dans l’existence ? Ou se contenter d’une amitié amoureuse et de la construction d’un foyer ?

Dans ce roman, Sigrid Undset plante le cadre d’une modernité héritée de la révolution des transports et plus largement de la révolution industrielle-dans de grandes villes mornes et tristes- et d’une certaine révolution des mœurs, car le divorce est autorisé en Norvège, pays protestant. Une nouvelle figure féminine émerge, qui travaille pour assurer sa subsistance et celle de sa famille même si, une fois mariée, elle réintègre le plus souvent le foyer.

 Printemps est un roman ou curieusement la narration est plutôt du côté masculin même si le narrateur est extérieur à l’histoire et qu’il pénètre de manière égale les pensées des personnages. Les pensées et les actions de Rose ne prennent du relief qu’en fonction des pensées de Torkild, personnage masculin. Car ici , la femme ne prend toute sa mesure que dans son rapport au foyer et à la maternité. Elle n’existe pas réellement en dehors de sa « vocation naturelle » qui est d’enfanter et d’assurer la stabilité du foyer. Toute femme qui s’écarte de ce chemin sombre dans la déchéance (le personnage de la mère et de la sœur), tout comme celle qui n’obéit pas à ses devoirs d’épouse et de mère même si l’homme, infidèle, abandonne lui, le foyer (le père de Torkild).

J’ai apprécié ce roman bien construit, où les sujets de réflexion ne manquent pas, car Sigrid Undset, catholique et conservatrice, est aussi une fine analyste des sentiments humains. On y apprend aussi comment hommes et femmes vivaient à l’époque. J’ai trouvé en outre un écho au mouvement naturaliste en littérature, l’hérédité y est évoquée, les tares familiales ainsi que la vigueur, la santé du corps qui s’étiole dans ces emplois de bureau, loin de la vie au grand air.

 Sigrid Undset, on l’a bien compris, n’est pas féministe, elle pense que la femme ne s’épanouit pleinement que dans la maternité et elle ne fut pas très appréciée des féministes de son temps qui prônaient l’affranchissement de la tutelle de l’homme et du foyer, entraves à l’épanouissement de la femme en tant qu’individu. Sur le tard cependant, elle reconnut les bénéfices de ces mouvements sur la condition des femmes.

Il faut savoir qu’en 1840, les femmes célibataires sont mineures toute leur vie et peuvent si elles le souhaitent se placer sous l’autorité d’un tuteur ; les femmes mariées quant à elles passent de l’autorité de leur père à celle de leur mari. Puis, plus tard, la majorité sera abaissée à la vingt-cinquième année. Les femmes peuvent cependant travailler dans certains secteurs.

Au fil des ans, de nouvelles lois favorables aux femmes feront leur apparition. Les femmes divorcées ou veuves seront majeures sans condition d’âge. Les conditions socio-économiques du pays joueront fortement sur les problématiques féminines : l’exil, la pauvreté du pays, la baisse de la natalité.

Dans le roman , l’héroïne est secrétaire, une autre est journaliste. La littérature féminine avant Sigrid Undset, reflète les préoccupations et les valeurs de l’époque, comme ce fut le cas pendant l’époque victorienne en Angleterre, les intrigues se nouent essentiellement autour de la chasse au mari. (Les femmes écrivains de l’époque sont :Hanna Winsnes, Marie Wexelsen, et Anne Magdalene Thoresen).

Avec le mouvement féministe, de nouvelles préoccupations se font jour dans des romans et sous la plume d’auteures qui contestent la norme : Camilla Collet dont le roman « Les filles du Préfet » (1854) fera l’effet d’un coup de tonnerre. Il raconte l’initiation sentimentale de deux jeunes gens, ce qui a l’époque est regardé alors comme une faiblesse uniquement féminine.

D’autres écrivains suivront, emportées par la seconde vague du féminisme, Eldrid Lunden, Liv Køltzow, Cecilie Løveid et Tove Nielsen . Mais je n’ai trouvé aucun renseignement sur ces femmes sur internet et aucun de leurs ouvrages traduits en français. C’est bien dommage..

Article passionnant sur l’histoire des femmes de lettres norvégiennes

Madame Riccoboni – Histoire de M. le marquis de Crécy

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Madame Riccoboni – Histoire de M. le marquis de Cressy – folio femmes de lettres – Gallimard 2009

 

Marie-Jeanne Riccoboni (1713-1792), amie de Diderot, David Hume et Horace Walpole, fut longtemps actrice à la Comédie-Italienne avant d’écrire des romans qui eurent beaucoup de succès. Sa vie commença sous de sombres auspices : un père bigame, l’entrée au couvent et des relations difficiles avec sa mère avec laquelle elle ne s’entendait pas.
Son mariage ne sera pas plus heureux et elle se séparera de son époux, en 1755, à l’âge de 42 ans. Il lui fallut alors gagner sa vie afin d’être véritablement indépendante. Ce fut l’une des raisons pour lesquelles elle commença à publier ses romans dans la veine des romans sentimentaux, ce qui dut beaucoup à leur succès. Toutefois, elle y ajouta une réflexion critique sur la place des hommes et des femmes dans la société : à travers les situations et les drames , elle montra que les deux ne sont pas traités de la même manière et n’ont pas les mêmes droits.

« Les êtres inconséquents qui nous donnent des lois, note-t-elle dans ce roman, se sont réservé le droit de ne suivre que celle du caprice. » Le comportement de chacun est finement analysé dans le domaine de l’amour, les hommes doivent dominer et séduire et tous les moyens sont bons pour parvenir à leurs fins : duperie, mensonge, stratagèmes de toutes sortes. Les femmes, objets du désir, savent qu’il convient de résister pour faire durer le jeu et garder la flamme, mais qu’elle seront condamnées à abdiquer toute forme de liberté ensuite dans le mariage. Il n’y a guère de liaisons heureuses et les hommes soumis aux appétits de la chair multiplient les maîtresses et les aventures, délaissant la femme qu’ils ont épousée avec autant d’indifférence qu’ils ont mis d’ardeur à la conquérir.

Marie-Jeanne Riccoboni réussira à vivre en femme libre malgré les rigueurs de la morale de son temps : elle partagera la vie de la comédienne Thérèse Biancolelli assumant ainsi des choix qui nécessitèrent certainement un bonne dose de courage.

 

Histoire de M. le marquis de Cressy

M. le marquis de Cressy a le désir de s’établir dans le monde et cherche pour cela une femme qui lui assure la fortune et la position sociale. Cela ne l’empêche pas toutefois de faire une cour assidue à Adéla ïde du Bugei, jeune ingénue de seize ans, qui comme toutes les jeunes filles de son temps et de sa classe est parfaitement ignorante des jeux de l’amour. Son amie, Mme de Raisel, ignorant les sentiments qui agitent la jeune fille, se laisse prendre au charme de l’ambitieux Marquis. Mais ce dernier tout à sa passion pour la belle Adelaïde est inconscient du trouble de la Comtesse jusqu’au jour où un quiproquo lui révèle les sentiments de cette dernière. Partagé entre son désir et son ambition, déterminé à s’élever dans le monde, le marquis retors se jouera des cœurs, et des situations pour parvenir à ses fins.

J’ai beaucoup aimé cette histoire qui dissèque les ressorts de l’ambition et du désir. La langue est belle, la construction du récit est parfaitement bien menée, Madame Riccoboni est particulièrement habile à nouer les intrigues et sait parfaitement jouer des retournements de situations. Elle analyse avec talent l’ambivalence des sentiments, et la situation des femmes de son époque.

Capillaria ou le pays des femmes Frigyes Karinthy

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Vignette Les personnages féminins dans l'ecriture masculineCapillaria ou le pays des femmes de Frigyes Karinthy, Minos Editions de la Différence, traduit du hongrois par Véronique Charaire. Dessins de Stanislao Lepri
Publié en Hongrie en 1926

Capillaria ou le pays des femmes, publié en 1926 est une utopie qui présente un renversement politique des rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes dans un contexte socio-historique où le combat féministe gagne quelques victoires en Europe ( en 1918 les femmes britanniques de plus de trente ans peuvent voter, en 1920, ce sont les américaines blanches).
Ces nouveaux droits acquis bouleversent les mœurs, et certains intellectuels ou écrivains prennent part au débat. Ces changements sont ressentis comme une menace par la plupart, et la crainte d’une société dominée par les femmes qui se vengeraient des siècles d’oppression subis pour réduire les hommes en esclavage s’exprime dans les romans, essais ou les journaux de manière parfois très violente.

Capillaria imagine donc cette situation : un médecin plonge au fond des mers après un naufrage. Il y découvre une société composée de très belles femmes, les Ohias, qui ont réduit en esclavage les bullocks (clin d’œil à bollocks) petits êtres masculins laids et de petite taille qui s’obstinent à construire des tours pour parvenir à la surface de la mer. Les Ohias sont homosexuelles et assurent la reproduction en mangeant la cervelle des bullocks. Le médecin nous rapporte ses observations sur l’organisation sociale des Ohias et par ses échanges avec la reine nous livre les réactions de celle-ci sur les us et coutumes britanniques.

Alors, bien sûr, les clichés ne manquent pas, les Ohias ne réfléchissent guère, vivent uniquement dans le présent, et n’ont pas d’autre idéal que celui de s’occuper d’elles-mêmes. Elles sont belles, évidemment, et leur vie se passe à chercher des plaisirs et des joies raffinés. Elles comprennent le monde à travers les sensations et ne s’embarrassent pas de réflexions ou d’argumentations inutiles. Les bullocks s’occupent de métaphysique, de science et d’histoire et ne cessent de se faire la guerre. Ils sont obnubilés par le progrès.

C’est un avertissement, qui vise à montrer ce que serait une société uniquement composée de femmes et dont les hommes seraient exclus. Il se moquent des féministes qui revendiquent des droits égaux pour les deux sexes. Les femmes ont-elles été si malheureuses que cela ?
« Pendant ces longs siècles d’oppression, les hommes travaillaient pour entretenir les femmes et celles-ci, privées de tous les droits, ne pouvaient que s’occuper d’elles-mêmes. Dans cette situation désespérée, leur seule ressource était de profiter des joies de la vie, sans se fatiguer nullement, et de développer la beauté de leur corps. Les hommes avaient un but, une profession, un travail, les femmes étaient obligées de se contenter d’être aimées, adulées et comblées. »
Il est très difficile de comprendre la position de l’auteur dans ce texte. Il me semble, mais je suis loin d’en être sûre, que l’auteur pense qu’en lieu et place de libérer les femmes, ce sont d’abord les hommes qu’il faudrait libérer, que c’est un changement radical de société qui serait nécessaire afin qu’hommes et femmes puissent être heureux ensemble. Les féministes sont « des hommes avortés » tout au plus. Et les hommes féministes, des hommes de génie qui s’expriment à la place des femmes.
Dans sa postface, il n’est pas plus clair et s’exprime à l’aide de courtes histoires dont on est censé tirer une signification.
Enfin on aboutit à cela :
« L’être humain n’existe pas, il n’y a que des hommes et des femmes. Et plus l’homme est masculin, plus il est humain, plus la femme est féminine, plus elle est humaine. »
Le féminisme n’est pas la voie, ce qu’il faudrait détruire, c’est tout un système qui s’est élaboré sans les femmes.
« Il aurait fallu détruire tout un dictionnaire erroné : on s’est contenté d’élaborer des erreurs nouvelles pour masquer les anciennes. Comme on ne pouvait appliquer à la femme les définitions inventées par l’homme, on l’a exclue du monde de l’intellect, on l’a reléguée dans le monde extérieur, dans le domaine des sens ; on l’a transformée en concept biologique faisant partie de la nature extérieure, en phénomène mystérieux que l’homme doit étudier. »

Finalement on ne sait jamais vraiment où il est… En tout cas, pas féministe, c’est sûr…