Capillaria ou le pays des femmes Frigyes Karinthy

capillaria

Vignette Les personnages féminins dans l'ecriture masculineCapillaria ou le pays des femmes de Frigyes Karinthy, Minos Editions de la Différence, traduit du hongrois par Véronique Charaire. Dessins de Stanislao Lepri
Publié en Hongrie en 1926

Capillaria ou le pays des femmes, publié en 1926 est une utopie qui présente un renversement politique des rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes dans un contexte socio-historique où le combat féministe gagne quelques victoires en Europe ( en 1918 les femmes britanniques de plus de trente ans peuvent voter, en 1920, ce sont les américaines blanches).
Ces nouveaux droits acquis bouleversent les mœurs, et certains intellectuels ou écrivains prennent part au débat. Ces changements sont ressentis comme une menace par la plupart, et la crainte d’une société dominée par les femmes qui se vengeraient des siècles d’oppression subis pour réduire les hommes en esclavage s’exprime dans les romans, essais ou les journaux de manière parfois très violente.

Capillaria imagine donc cette situation : un médecin plonge au fond des mers après un naufrage. Il y découvre une société composée de très belles femmes, les Ohias, qui ont réduit en esclavage les bullocks (clin d’œil à bollocks) petits êtres masculins laids et de petite taille qui s’obstinent à construire des tours pour parvenir à la surface de la mer. Les Ohias sont homosexuelles et assurent la reproduction en mangeant la cervelle des bullocks. Le médecin nous rapporte ses observations sur l’organisation sociale des Ohias et par ses échanges avec la reine nous livre les réactions de celle-ci sur les us et coutumes britanniques.

Alors, bien sûr, les clichés ne manquent pas, les Ohias ne réfléchissent guère, vivent uniquement dans le présent, et n’ont pas d’autre idéal que celui de s’occuper d’elles-mêmes. Elles sont belles, évidemment, et leur vie se passe à chercher des plaisirs et des joies raffinés. Elles comprennent le monde à travers les sensations et ne s’embarrassent pas de réflexions ou d’argumentations inutiles. Les bullocks s’occupent de métaphysique, de science et d’histoire et ne cessent de se faire la guerre. Ils sont obnubilés par le progrès.

C’est un avertissement, qui vise à montrer ce que serait une société uniquement composée de femmes et dont les hommes seraient exclus. Il se moquent des féministes qui revendiquent des droits égaux pour les deux sexes. Les femmes ont-elles été si malheureuses que cela ?
« Pendant ces longs siècles d’oppression, les hommes travaillaient pour entretenir les femmes et celles-ci, privées de tous les droits, ne pouvaient que s’occuper d’elles-mêmes. Dans cette situation désespérée, leur seule ressource était de profiter des joies de la vie, sans se fatiguer nullement, et de développer la beauté de leur corps. Les hommes avaient un but, une profession, un travail, les femmes étaient obligées de se contenter d’être aimées, adulées et comblées. »
Il est très difficile de comprendre la position de l’auteur dans ce texte. Il me semble, mais je suis loin d’en être sûre, que l’auteur pense qu’en lieu et place de libérer les femmes, ce sont d’abord les hommes qu’il faudrait libérer, que c’est un changement radical de société qui serait nécessaire afin qu’hommes et femmes puissent être heureux ensemble. Les féministes sont « des hommes avortés » tout au plus. Et les hommes féministes, des hommes de génie qui s’expriment à la place des femmes.
Dans sa postface, il n’est pas plus clair et s’exprime à l’aide de courtes histoires dont on est censé tirer une signification.
Enfin on aboutit à cela :
« L’être humain n’existe pas, il n’y a que des hommes et des femmes. Et plus l’homme est masculin, plus il est humain, plus la femme est féminine, plus elle est humaine. »
Le féminisme n’est pas la voie, ce qu’il faudrait détruire, c’est tout un système qui s’est élaboré sans les femmes.
« Il aurait fallu détruire tout un dictionnaire erroné : on s’est contenté d’élaborer des erreurs nouvelles pour masquer les anciennes. Comme on ne pouvait appliquer à la femme les définitions inventées par l’homme, on l’a exclue du monde de l’intellect, on l’a reléguée dans le monde extérieur, dans le domaine des sens ; on l’a transformée en concept biologique faisant partie de la nature extérieure, en phénomène mystérieux que l’homme doit étudier. »

Finalement on ne sait jamais vraiment où il est… En tout cas, pas féministe, c’est sûr…

5 réflexions sur « Capillaria ou le pays des femmes Frigyes Karinthy »

  1. Ce titre n’est pas à la bibli, dommage, en revanche il y en a d’autres que je veux découvrir depuis un bout; Son fils est l’auteur d’Epépé.

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  2. Je te remercie pour cette chronique.
    Je suis sortie assez désemparée par ce livre.
    Tu as raison, le propos est ambiguë et l’auteur joue dessus sans arrêt. Est-ce du second degré à ce moment? Que pense t-il réellement?
    Tour à tour à des éléments critiques pertinents se mêlent à des raisonnements un peu légers et androcentrés, à des énormités masculinistes (comme on appelle ça maintenant…).
    Car oui, il n’y a qu’un homme pour penser que d’un autre point de vue que le féminisme, les hommes font tous le boulot et les femmes finalement ont le beau rôle en n’ayant pour seule préoccupation que de se prélasser, se faire belle et qu’au final ce sont les hommes qui sont les esclaves des femmes terrestres.
    Et finalement, après avoir été ballotté entre les « Ah, c’est sympa ça. » et les « Mais qu’est-ce c’est que cette horreur? » la postface ne fait que confirmer l’impression acquise à la lecture de la fiction.
    J’ai lu d’autres critiques sur internet qui qualifie parfois cet écrit d' »Hommage aux femmes »…Il s’agit simplement d’une oeuvre intéressante, d’un homme de la bourgeoisie européenne du début du XXe siècle qui réfléchit aux questions des sexes, tiraillé par les revendications féministes qu’il intègre étrangement et les privilèges de la condition d’homme de son époque qu’il a peur de perdre.

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