Archives pour la catégorie ♥ Pas convaincue

Mary Costello – Academy street / De Dublin à New-York …

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Mary Costello – Academy street  (2014) – Editions du Seuil, 2015 / points 4315

traduit de l’anglais (Irlande) par Madeleine Nasalik

 

La vie de Tess aurait pu être remplie de mouvement, de passion et de fureur, de voyages, d’amours passagères, d’exploits et de défis tous relevés. Mais la vie de Tess sera l’inverse de tout cela. Sa mère meurt de la tuberculose lorsque elle a sept ans et cet événement creuse en elle un abîme de solitude, ou un mur ouaté qui la protège des autres et d’elle-même mais l’isole inexorablement.  Nous sommes en Irlande dans les années 40, dans le vaste domaine familial d’Easterfield.

Tess a vingt ans lorsque des études d’infirmière la poussent à Dublin ;  mais peu après, sa sœur Claire lui propose de venir à New York. Nous sommes dans les années soixante, un vent de liberté souffle sur la jeunesse américaine qui tente de se libérer des carcans de la morale bourgeoise, dans une société secouée par le mouvement des droits civiques.

Elle passe à côté de presque tout et les événements qui affectent sa vie arrivent presque par hasard.

« Elle habitait un monde divisé, le dedans séparé du reste, au-dehors. »

Une vie humble, une femme fragile qui pourrait se confondre dans la masse. Pourtant il me semble que chaque vie a ses défis à relever, ses amours à vivre, ses contrées inconnues à découvrir.

Pour qui ne renonce pas. Mais Mary, elle, a renoncé un jour, silencieusement, au plus profond d’elle-même ce qui ne l’empêche pas de savourer des moments de vie, de joie, d’apprécier le chant d’un oiseau, et surtout de lire, passionnément.

« Ce n’était pas des réponses ou des consolations qu’elle trouvait dans les romans, mais un degré d’empathie qu’elle n’avait croisé nulle part ailleurs et qui atténuait sa solitude. Ou qui la renforçait, comme si une partie d’elle-même – son côté ermite – se trouvait à portée de main, attendant d’être incarnée. »

Beaucoup de mélancolie dans ce livre, que j’ai quitté sans regret.

Fanny Chiarello – Dans son propre rôle

Fanny Chiarello – Dans son propre rôle – Editions de l’Olivier 2015 –  version de  poche Points P4283

Vignette femmes de lettresLa guerre a laissé des traces profondes dans la vie des anglais. Nous sommes en 1947, et Fanny Chiarello nous raconte l’histoire de deux femmes, éprouvées dans leur cœur et leur corps par le drame. L’une a perdu son mari et l’autre sa voix ; elle est devenue muette. Une lettre reçue par erreur et une même passion pour l’Opéra vont leur permettre de se rencontrer.

Elles sont toutes les deux dans une position de sujétion, l’une est femme de chambre dans un grand Hôtel et l’autre bonne dans la maison d’une aristocrate. Les chapitres alternent l’histoire de l’une et de l’autre et décrit leur attitude face au deuil. Marquées par un même traumatisme, le passé leur cloue les ailes et il faudra le choc d’une rencontre, sa violence et son amertume, pour qu’elles puissent continuer à cheminer et osent se lancer vers l’avenir.

J’avoue que je ne suis pas du tout entrée dans cette histoire ; je n’ai pas compris pourquoi Fenella voulait rencontrer à tout prix Jeanette, ni ce qui la séduisait chez elle. Pas plus que leur lien à l’opéra.

Tout m’a paru artificiel et invraisemblable et je n’ai pas cru une seconde à cette histoire. Toutefois la réflexion est intéressante et m’a fait penser à la mauvaise foi du garçon de café de Sartre. Si nous jouons un rôle, autant jouer sa propre partition, puisque nous ne saurons jamais qui nous sommes, étranger à nous mêmes et aux autres. L’Opéra et son rapport à la voix, au corps, au chant, est une belle métaphore.

Malgré mes réserves, toutes personnelles, ce livre a eu un réel succès car il a reçu le Prix Orange du livre 2015.

( Depuis sa création en 2009, le jury du Prix Orange du Livre, sous la présidence d’Erik Orsenna est composé pour moitié de professionnels du livre, et pour l’autre moitié de lectrices et lecteurs passionnés par la littérature.)

C’est un roman dont les avis semblent assez partagés mais qui est très bien écrit et dont la légitimité ne fait aucun doute.

La grande maison – Nicole Krauss

La grande maison

Nicole Krauss – La grande maison – Editions de l’Olivier- 2011

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Paule Guivarch

Les personnages de cette histoire sont liés par un lien invisible et leurs destins vont se croiser à la faveur des migrations d’un mystérieux objet. Les soubresauts de l’Histoire accompagnent Lotte Berg dans sa fuite hors de l’Allemagne nazie vers l’Angleterre. Nadia, en mal d’inspiration, part en Israël à la recherche d’un bureau pour écrire. Isabel, une américaine, vient étudier à Oxford et rencontre Yoav, fils d’un antiquaire, juif errant qui va de ville en ville, d’un pays à un autre, depuis la mort de sa femme. A Jérusalem, un père écrit à son fils et tente de briser le mur d’incompréhension qui s’est élevé entre eux au fil des années.

Au fond, nous sommes tous reliés les uns aux autres. Nos destins individuels sont façonnés par l’Histoire. Il est toujours stupide de l’ignorer. La dimension politique des actes individuels est le lien qui nous unit. Ce que l’un fait se répercute sur l’autre. L’indifférence à l’autre, l’oubli du bien commun et de l’intérêt collectif sont à la racine du mal. Même l’amour, épris de singularité, possède une dimension politique car il ne peut se vivre en dehors de la société dans laquelle il naît et se développe. L’Holocauste brisa les liens familiaux, et fut à l’origine de nouvelles migrations et de la création de l’Etat d’Israël.

Quel est le lien de l’écriture avec l’Histoire ? Pourquoi chacun de ces personnages écrit-il ? Le pouvoir de l’écriture n’est-il pas une illusion ? Que doit-on être prêt à sacrifier à ce pouvoir démiurgique ? L’écriture peut-elle nous aider à nous reconstruire ? Telles sont les questions au cœur de ce récit que j’ai parfois trouvé un peu long et bavard, plus dans la démonstration que dans l’émotion si l’on excepte la lettre du père à son fils. La forme et le projet sont vraiment intéressants, la narration souvent intelligente mais pour moi la rencontre n’a pas eu lieu.

 

La délicatesse, une vertu féminine ?

La tradition et la culture ont longtemps prêté aux femmes d’innombrables qualités et vertus. Les vertus humaines se partagent entre vertus morales et vertus intellectuelles,  sortes de dispositions à agir. Il faut prendre le pli et le bon. Mais la philosophie, la théologie, les ont allègrement mêlées toutes et le sens commun en a élargi le sens au-delà des simples vertus cardinales (Courage, tempérance, justice, prudence ) ou morales (chasteté, charité)

La femme étant en dernier ressort gouvernée par son utérus (dixit Diderot) et donc son corps, en fait la dépositaire naturelle de certaines vertus : la sensibilité, l’émotion, l’inspiration sur le versant intellectuel, et la délicatesse, la douceur, la modestie sur le plan moral.

Le héros de David Foenkinos lui, ou peu-être l’auteur lui-même, au lieu de diviser l’humanité entre hommes et femmes, pose plus fondamentalement que lesdites vertus sont davantage des aspects masculins et féminins de l’être que contiendrait chacun.

Ces vertus se complètent pour assurer l’équilibre au sein d’une personne : un homme sans vertus dites féminines serait une brute, de même qu’une femme sans vertus masculines serait une sorte de mollassonne sans colonne vertébrale.

Il y a peut-être une autre interprétation possible qui serait que ces vertus sont des constructions sociales pour contraindre les individus à tenir leur rôle dans la société et à garder leur place. Point n’est besoin de délicatesse pour chasser le mammouth… (Encore que …)

D’ailleurs pour que nous comprenions bien, l’auteur nous offre la définition de délicat qui sert à préciser la délicatesse (le fait d’être délicat) : d’une grande délicatesse ; exquis, raffiné ou qui manifeste la fragilité.

De même que le beaujolais, l’homme nouveau est arrivé : fort mais délicat.

La-delicatesse

L’héroïne est une femme en détresse, mais Markus, bien qu’un peu perdu, pas vraiment viril (dérivé du latin classique  virtus qui désigne l’énergie moralela force ), arrive à point pour la sauver de sa solitude. Il partage avec elle, malgré une gaucherie évidente, le sens de la délicatesse. Et elle, en dépit de son rouge à lèvres et de ses talons hauts (manifeste évident de sa féminité), possède une certaine force (une certaine virilité) : elle est indépendante, paye ses factures et conduit une voiture.

A défaut de prendre la voie de l’androgynie, ils s’en sortiront tous les deux et franchement, on est content pour eux. Ce livre et son succès considérable (qui m’a poussée à la lecture : je voulais voir) manifestent combien ce sujet est sensible et en évolution dans la société française. Malheureusement, le livre, qui n’est pas désagréable à la lecture, est truffé de clichés en tout genre, et dessert parfois la cause qu’il voulait servir. J’avoue avoir eu envie de secouer un peu Markus quelquefois (c’est ma part virile, je le crains) mais comme je suis une femme (douce et délicate), je me suis contentée de bougonner à certains passages…

Allez, on ne lui en voudra pas à David, délicatesse oblige.

L’héritier – Roselyne Durand-Ruel ou la transmutation des valeurs

L'héritier

Roselyne Durand-Ruel  présente dans « L’Héritier » une saga familiale chinoise, qui balaie l’histoire de la Chine des années 70 à aujourd’hui. Liu Sin-Ming est le seul fils d’un couple d’intellectuels, « rééduqués » dans les laogai ( goulag maoïste), victimes d’un collectivisme forcené et d’une idéologie sans pitié. Hong Kong, l‘opulente, est par contraste, son antithèse. Y règnent un capitalisme décomplexé, et une liberté d’entreprendre qui attirent de nombreux étrangers dont quelques français qui témoignent de la difficulté de créer une entreprise en France :

« Il faut être cinglé ou inconscient pour monter sa boîte en France. Surtout pour quelqu’un comme moi qui n’a travaillé qu’en Asie. L’entrepreneur est responsable de tout, libre de rien et suspecté en permanence par l’administration. On comprend pourquoi les jeunes rêvent de devenir fonctionnaires. Ni soucis, ni stress, la garantie de l’emploi et une pléthore de vacances. »

Le ton est donné comme vous l’aurez compris: Ce roman est un roman d’initiation, l’initiation d’un jeune homme contraint à fuir son pays pour trouver un peu de liberté et pouvoir épanouir ses talents. Son père le prépare pendant de longues années à devenir champion de natation sans dévoiler l’objectif final et même si le fils n’est pas fan de la discipline, en bon chinois il obéit à son père. Ce moment m’a fait penser au film « Welcome » dans lequel un jeune homme veut franchir la Manche à la nage pour rejoindre l’Angleterre. Ce mode de locomotion assez original deviendrait presque à la mode en littérature et au cinéma ! Sin Ming va tenter à son tour une aventure dans laquelle de nombreux chinois, candidats à l’exil, ont péri avant lui. Il franchit courageusement « le rideau de bambou » à la nage.

Va commencer pour lui l’apprentissage d’une sorte d’inversion de toutes ses valeurs, du collectivisme à l’individualisme et de l’obéissance confucéenne à l’exercice de l’esprit critique.

Peut-on toutefois oublier totalement l’éducation que l’on a reçue ? Héritier des traditions de son pays, où »la face », sorte d’honneur viril, tient une grande place, où le fils devient l’héritier et le garant de la continuation de la famille,  Sin Ming se trouve confronté à des choix cornéliens, pris dans des dilemmes que sa double culture ne lui permet pas de résoudre. Et c’est peut-être là tout l’intérêt de ce livre. Quelle est notre marge de liberté, quel poids ont les valeurs héritées, comment tracer sa propre route ?

Ce roman de presque cinq cent pages se lit avec plaisir. Il sait doser les différents ingrédients qui font une bonne histoire : l’amour, le danger, la réussite et l‘argent. Il propose une certaine vision de la Chine d’aujourd’hui mais surtout celle de l’auteure qui l’air de rien, passe au crible toute une série de valeurs fondatrices d’une civilisation, ainsi que la délicate question de l’articulation entre bonheur individuel et intérêt collectif.  Je ne me suis pas retrouvée dans cette ode au libéralisme, et bon nombre d’assertions m’ont considérablement agacées.  D’autre part, la facture en est vraiment très classique, trop classique, et la construction irréprochable n’empêche pas un sentiment de déjà-lu. Toutefois ses qualités en font un bon pavé pour l’été !

Au final, les quelques femmes qui traversent ce roman, sont des femmes énergiques, loin de l’image de la femme soumise. Elles ont beaucoup de mal toutefois à trouver le bonheur, enchaînées pour une part à la tradition, ou victime d’une idéalisation de l’amour à l’occidentale qui ne correspond pas toujours à la réalité.

« Entre une existence de princesse à Hong Kong et un r^le de soubrette en chef chez mon paternel, y a pas photos », s’était-elle dit avec pragmatisme. D’ordinaire les hommes prennent sans rien donner. »

« – La passion, peut-être. L’amour ? Est-ce que j’ose y croire ? Quant à toi tu devrais lire des romans russes ou français.

–         Pour être frustrée de n’avoir jamais éprouvé le grand frisson ?

–         Non, pour apprendre à rêver !

–         Mais ma vie est toute tracée !

–         Dommage ! Le Prince Charmant ne hante pas les petites filles de l’Ouest par hasard. Elles s’identifient aux héroïnes de la littérature. Une sorte de formation à l’esprit romanesque qui n’existe pas dans cette partie du monde. »

Un roman est cité cmme roman d’apprentissage de Sin Ming, il s’agit d’une ode à l’individualisme radical : La Source vive est un roman de l’écrivain américaine Ayn Rand publié en 1943 sous le titre The Fountainhead. Ce sera Description de l'image  Ayn Rand Portrait.png.son premier grand succès, adapté par la suite au cinéma par King Vidor en 1949 (voir Le Rebelle).

Le récit décrit la vie d’un architecte individualiste dans le New-York des années 1920, qui refuse les compromissions et dont la liberté fascine ou inquiète les personnages qui le croisent. (Source Wikipédia)

 

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Le chef est une femme – Valérie Gans

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Je cherchais pour mon thème autour de la cuisine des romans dont l’héroïne exerce ses talents ou un métier en rapport avec ce thème. Alors bien sûr, j’ai lu déjà de très beaux romans sur le thème, Le goût des papayes vertes, et le magnifique Chocolat amer. J’ai pris celui-ci à la bibliothèque sur son seul titre et j’ai découvert un roman dans la plus pure tradition de la chick-lit.

 

Les ingrédients ? Graciane une femme encore jeune, aux formes appétissantes, un concours pour représenter la France Gastronomique, un beau brun un tantinet macho, et l’inévitable histoire d’amour.

Faites mariner une trentenaire séduisante et divorcée pendant quelques années.

Ajouter pour pimenter le tout une belle carrière de chef dans son propre restaurant, dans un milieu un tantinet misogyne où elle a gagné sa première étoile grâce à son talent et sa ténacité.

Délayer dans une dose d’ennui, car si Graciane a des recettes pour presque tout, elle n’en a pas pour l’amour (ce qu’on nous dit sur la jaquette).

Réserver un beau brun aux yeux d’océan, un brin goujat  (il lui vole ses merlans au marché, ou un truc comme ça).

Frapper légèrement leur relation au congélateur. En effet un concours pour représenter la France gastronomique à l’étranger va les opposer et attiser leur désir naissant.

Mélanger leurs deux destins grâce à l’amour.

Enfourner dans la chaleur de la passion et laisser gratiner.

Le plat n’est pas mauvais mais les ingrédients manquent d’originalité même si la Chick-lit fait de notables efforts pour présenter des femmes indépendantes, qui maîtrisent leur destin et leur carrière sans devoir rien à personne. Il leur manque une chose, une seule : l’amour. Et même la plus belle réussite ne peut leur faire oublier ce creux, ce vide au cœur de leur existence.

Oui, il n’est pas mauvais, mais il sent malgré tout le réchauffé. Et tout est expédié un peu rapidement, un peu facilement. Décidément on reste sur sa faim…

Le premier amour – Véronique Olmi

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Le Premier amour de Véronique Olmi Le livre de poche Editions Grasset&Fasquelle 2009

  Une femme quitte son mari sur un coup de tête le jour de leur anniversaire de mariage. Sur le papier journal qui enveloppait une bouteille de vin qu’elle était descendue à la cave pour fêter l’occasion, une petite annonce attire son attention rédigée par un homme qui fut son premier amour…

C’est l’occasion pour la narratrice de replonger au cœur de son adolescence, de réfléchir aux relations avec ses parents, à leur vie conjugale si morne et triste, à ses relations avec ses propres enfants. Cette relation ambivalente, « Cet amour fou que l’on a pour ses enfants et puis soudain ce besoin viscéral d’être détaché d’eux », mais dont la force vient d’un attachement irrationnel. Ce moment où l’on devient mère et où soudain la perspective change, « J’ai détesté ma mère jusqu’au jour où j’ai donné naissance à mon premier enfant », avoue-t-elle.

 

Le premier amour est la relation fondatrice pour toute une vie amoureuse qui y prendra sa source et sa vitalité. Passé et présent à la fois, fantasmé comme tout retour vers l’origine, il permet à la narratrice de faire le bilan de sa vie passée. Notre premier amour est le mythe fondateur autour duquel nous organisons nos émois amoureux, et permet de poser encore et toujours la question : « Qu’est-ce qu’aimer ? ». Hors du temps, cette première expérience n’a pas eu à pâtir des méfaits de la conjugalité, elle est comme nimbée de l’aura de l’amour absolu.

Peut-on aimer à nouveau son premier amour ? Le temps passé loin de l’autre ne nous en a-t-il pas irrémédiablement détourné ? Telle est la question au fond de ce livre pas désagréable mais qui aura été loin de m’enthousiasmer.

Olive Kitteridge – Elizabeth Strout

Olive-Kitteridge

Elizabeth Strout est née en 1956 à Portland, dans le Maine. Après des études de droit, elle s’installe à New-York et publie des nouvelles dans différentes revues littéraires. Elle met sept ans à rédiger son premier roman, Amy et Isabelle (Plon, 2000 ; réed Ecriture, 2012). En 2009, elle reçoit le prix Pulitzer pour Olive Kitteridge, publié dans 26 pays.

Olive Kitteridge est l’héroïne de cette histoire à la narration éclatée qui se déroule sur une période de trente ans. Parfois au second ou à l’arrière-plan, elle est dans la vie de ses concitoyens, habitants de Crosby, une petite ville côtière du Maine cette femme très autoritaire, professeur de mathématiques, ou cette autre généreuse et chaleureuse qui n’hésite pas à  donner son temps et son attention. Elle est indispensable à son mari mais le rend-elle heureux ? Mère possessive, elle manque pourtant de douceur et de tendresse. Christopher, son fils, se tait le plus souvent. Elle apparaît au fil du récit comme une personnalité très complexe, aux multiples facettes. Femme de caractère, qui ne revient jamais sur ce qu’elle a fait, ne demande jamais pardon, lui reproche son mari et ne doute jamais d’elle-même, Olive affronte une solitude intérieure qui la tourmente. On voit le personnage évoluer tout au long du récit constitué de treize nouvelles qui chacune se focalise sur un ou plusieurs personnages de l’environnement immédiat d’Olive.

Elle a l’air d’une femme banale, Olive, pourtant son fils la fuit. Le dialogue ne se noue pas et les relations vont être difficiles toute leur vie durant. On en apprendra la raison seulement à la fin du roman. Au cœur de cette personnalité apparemment solide, au caractère bien trempé, bougonne au grand cœur, se cache une faille, une blessure que l’on devine sans jamais être capable de la nommer. Elle juge vite, condamne sans appel, est capable de sautes d’humeur imprévisibles. Au fond qui est Olive Kitteridge ? Peut-on d’ailleurs connaître quelqu’un, ou ne nous trouvons-nous pas toujours au fond face à un mystère ? Il nous est déjà arrivé de croire connaître quelqu’un et puis d’être surpris, voire déçu par ses actes ou ses paroles. Que savons-nous des motivations profondes, de l’intériorité d’Olive à part ce qu’elle en dit ? Et ce qu’elle en dit est parfois contredit par les autres. On le sait, on a tendance a s’auto justifier et il nous est difficile de reconnaître nos erreurs.

C’est la force de cette construction narrative, le personnage a perdu de son unité, Eizabeth Strout nous fait douter : femme de tête, femme de caractère ou tout simplement femme égocentrique et brutale ? Le roman est une quête constante qui nous tient en haleine même si apparemment il ne se passe rien, dans le sens où ce n’est pas un roman où se succèdent les actions…

C’est un roman vraiment très intéressant mais qui ne m’a pas captivée, ne m’a pas émue. Peut-être cette sorte de « diffraction » qui, à force de nous faire perdre Olive dans les yeux de tous ses autres, finit par atténuer l’intérêt qu’on avait pour le personnage. Et puis elle se remet rarement en question, est un peu monolithique, ce qui alourdit le récit. Des impressions en demi-teintes donc.