Archives pour la catégorie Racisme et littérature

Racisme, pris sur le vif, Festival America par Héloïse Dorsan Rachet

 

Vidéo : E comme esclavage : un devoir de mémoire… Festival America

J’avais pris pas mal de notes mais j’ai découvert la vidéo, et c’est certainement mieux de la proposer à ceux que le sujet intéresse. On y retrouve Yaa Gyasi, l’autrice de « No home » et notre flamboyante ancienne ministre, Christiane Taubira. Sans compter Dany Laferrière, éminent écrivain.

Yaa Gyasi – No home / Une saga à couper le souffle !

Yaa Gyasi – No home (2016, Homegoing) – Calmann-Lévy, 2017 pour la traduction française, traduit de l’anglais ((Etats-unis), par Anne Damour

Dans notre monde de blogueurs, la lecture et l’écriture sont intimement mêlées, elles s’épousent l’une l’autre, et se tissent d’échos, dont la source est notre monde intérieur et la façon dont la lecture des autres, la rencontre des livres, donnent jaillissement à notre propre fond.

C’est ce que nous donnons à lire parfois.

Le roman de Yaa Gyasi est de ceux qui a suscité chez moi une grande émotion, et de grands bouleversements intérieurs qui tiennent essentiellement à la façon dont je suis en ce monde, reliée aux autres et surtout à ma fille, immense amour.

C’est ainsi qu’elle se dessine :

art - Copie

Elle dessine aussi souvent dans ce blog.

La lecture du roman de Yaa Giasi a été souvent douloureuse et magnifique. J’aurais pu serrer les poings, de rage, et d’impuissance, face à ce qui a été, qui ne peut être changé et qui nous constitue ma fille et moi à travers le mélange des peaux, des gênes, des histoires vécues avant nous. Notre mémoire porte la trace de ces déracinements, de ces arrachements. Et moi, blanche, mon âme s’est noircie irrémédiablement. Avec bonheur, et parfois aussi autre chose.

Car c’est l’histoire de deux femmes, de deux destins, qui les conduira de l’Afrique aux Amériques, en ce XVIIIe siècle qui n’est pas seulement celui des Lumières.

En effet, au XVIIIe siècle, sur la Côte-de-l’Or, au plus fort de la traite des esclaves, deux femmes Effia Otcher et Esi Asare, nées de la même mère, voient  leurs destins se nouer dans le même lieu (même si elles ne se rencontreront jamais),  à Cape Coast, dans le fort souterrain, où s’entassent les corps des esclaves, par centaines, dans des conditions inhumaines, et au-dessus, dans la lumière, face à la mer, dans les appartements, et puis plus tard dans une petite maison, où le mariage du capitaine du fort, Jame Collins, et de Effia otcher donne naissance à Quey Collins écartelé par ce métissage et par la violence de la traite.

Le métissage en ces temps, n’avait rien de la rencontre heureuse et souhaitée, elle portait la marque de la brisure. On ne mesure pas le poids, dans l’inconscient collectif, de cette histoire du métissage. Et chez nous, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, en portent encore les stigmates.

Ces destins broyés de génération en génération, dont les séquelles se font encore sentir dans la société américaine, témoignent de la barbarie, de la folie au cœur des hommes.

Yaa Giasi n’élude pas la responsabilité des africains, dont les guerres tribales incessantes, attisées par les anglais, ont fourni des esclaves au système de la traite. Et je crois que c’était la première fois que je lisais, dans un roman, l’évocation de ce système.

Une autre blogueuse, Carole dit bien la respiration de cette lecture, de ce souffle que l’on retient, de cette temporalité incertaine.

 

Lorraine Hansberry – première femme afro-américaine dont la pièce a été jouée à Broadway

Lorraine Hansberry, que j’ai découverte lors du documentaire consacré à James Baldwin sur Arte (magnifique !) est la première femme noire américaine dont la pièce ( A raisin in the sun) en 1959 a été jouée à Brodway.

« Raisin in the Sun de Lorraine Hansbury, prend son titre du célèbre poème de Langston Hughes « A Dream Deferred », dont le thème fait écho dans toute la pièce. Dans un petit appartement à Chicago dans les années 1950, les membres de la famille Younger, une famille afro-américaine, ont chacun de grands rêves de quoi faire avec l’argent d’assurance-vie qu’ils vont recevoir du passage de Big Walter. Pour certains membres de la famille, leurs rêves ont été reportés, «différés», pendant des années; Pour d’autres, il ya des obstacles qu’ils doivent surmonter pour poursuivre leurs rêves. »a consulter, source

Vous voulez devenir noire vous aussi ? C’est ce que vous propose Tania de Montaigne – Noire La vie méconnue de Claudette Colwin

tania de montaigne noire

Tania de Montaigne – Noire – La vie méconnue de Claudette Colvin collection Nos héroïnes Grasset – Editions Grasset & Fasquelle 2015

Vignette les grandes héroïnesCe livre est passionnant, à la fois documentaire et fiction, il possède une forme profondément originale qui tient à l’écriture de Tania de Montaigne et à la construction de son récit. Livre qui vous fait vivre de l’intérieur l’histoire de Claudette Colvin, vous devenez noire comme elle dans l’Alabama des années cinquante et vous éprouvez ce que cela veut dire dans une société où le pouvoir appartient aux blancs : la haine de soi, la peur, l’humiliation subie chaque jour, l’arbitraire et l’injustice. Expérience qui se diffracte dans le temps et vous fait comprendre ce qu’est être noire aujourd’hui en France. Le passé éclaire le présent même s’il ne le rejoue pas, les temps changent, mais être noir, aujourd’hui comme hier, « ça n’est pas une question de peau, c’est une question de regard, de ressenti. ». On n’est pas noire, mais on le devient. Et ce n’est jamais anodin. « Que celle qui ne s’est jamais jeté la première pierre lève le doigt », commente Tania de Montaigne.
Et leur expérience, celle de Claudette, puis celle de Tania, rejoint la mienne, je peux la continuer, à travers mes proches dont certains ont la peau foncée eux aussi. Bizarrement, je suis devenue noire moi aussi, dans des situations, des instantanés de vie. Blanche dans une famille où les peaux présentent tous les dégradés les plus subtils, les mélanges les plus étonnants, et où chacun devient l’autre. Cette expérience du regard, je la connais, mais à l’envers, j’ai oublié ce qu’était une peau noire que l’on regarde, parce que je ne la vois plus. Je vois juste des gens différents avec leur beauté propre, leurs qualités et leurs défauts, leurs passions et leur expérience. La couleur de leur peau est un simple détail de l’apparence physique, parce qu’il faut le dire, je ne suis pas plus blanche qu’ils ne sont noirs, ce n’est qu’une anecdote me concernant. Nous nous sommes accolorisés. C’est la vertu du mélange.
Mais cette situation est une exception, et il faut revenir à Claudette et à Tania qui regarde Claudette, qui déroule sa vie à travers la sienne. A Tania, qui est devenue noire, à son entrée à la maternelle, et à Claudette, qui un jour, bien avant Rosa Parks « Mère du mouvement des droits civiques » le 2 mars 1955, refuse de céder son siège dans le bus à un passager blanc. Jetée en prison, elle décide de plaider non coupable et d’attaquer la ville, ce qui est une première. Ce coup d’éclat ne sera pas suivi d’effet, et ce sera Rosa Parks, qui plus tard deviendra l’héroïne du mouvement de boycott des bus de Montgomery en Alabama. Militante depuis longtemps, Rosa Parks est choisie parce qu’elle présente toutes les qualités nécessaires à son rôle, de la classe moyenne, la quarantaine, irréprochable et vertueuse, elle ne peut prêter le flanc à la critique des blancs. Aujourd’hui on dirait que c’est un coup médiatique. Pourquoi et comment Claudette Colvin a-t-elle sombré dans l’oubli ? A-t-elle fait partie de ces quatre jeunes femmes qui vont attaquer les lois de la ségrégation dans les transports de Montgomery devant la cour fédérale, demandant qu’elle les déclare inconstitutionnelles ?
A-t-elle pris part à cette immense victoire et l’en a-t-on récompensée ? Vous saurez tout cela en lisant le livre de Tania de Montaigne, et bien plus encore, vous serez devenue noire le temps de quelques heures… Vous aurez aussi compris comment les femmes qui ont tenu tout le mouvement, auront été évincées par ce jeune et brillant pasteur américain, Martin Luther King … Parce qu’être femme et noire, en ces temps de ségrégation et en quelques autres, c’est double peine…

Logo Prix Simone Veil

Fait partie de la sélection 2015

La couleur des sentiments – Kathryn Stockett

la-couleur-des-sentiments

Le tour de force de ce roman est de parler des femmes, de toutes les femmes, à travers un prisme qui est la situation des employées de maison noires dans le Mississipi en 1962. Les lois raciales sont encore en vigueur et la ségrégation n’est pas encore un souvenir, Rosa Parks a obtenu la mixité dans les bus, Marthin Luther King rassemble autour de lui des noirs et des blancs dans une lutte commune pour les droits civiques, tandis qu’à Jackson, Mississipi, quelques bourgeoises blanches militent pour obtenir une loi qui oblige les femmes noires à avoir des toilettes séparées des blancs dans les maisons où elles travaillent.

Ce roman polyphonique donne la parole à trois femmes, Aibileen, Miss Skeeter et Minny. Deux bonnes noires et une jeune bourgeoise blanche que vont lier l’envie commune de changer les choses, et de prendre en main leur destin.

Les bonnes comme leurs maîtresses sont victimes d’une hiérarchisation des rôles dans une société extrêmement cloisonnée. Le seul pouvoir de ces femmes blanches est celui qu’elles exercent sur plus opprimées qu’elle. Cela seul les rendrait pathétiques si elles étaient moins sottes et moins cruelles.

Eugenia Skeeter voudrait être écrivain mais ne peut le dire à sa famille qui ne songe qu’à lui trouver un bon mari. Point de salut hors du mariage : les vielles filles, les secrétaires, les professeurs, bref toutes les femmes émancipées, ne sont pas vues d’un très bon œil. Pourtant les américaines sont déjà plus émancipées que la plupart des européennes puisqu’elles ont obtenu le droite vote à l’échelon fédéral en 1920.

On considère alors que la nature des femmes les rend plus apte à éprouver qu’à raisonner. L’instinct maternel mais aussi leur sentimentalité exacerbée les destinent à être des épouses et des mères, à entretenir , garder le foyer et perpétuer la descendance. Elles sont aidées par des bonnes noires qui assurent le gros du travail et sont payées une misère, ravalées au rôle de ménagère, degré le plus bas de la féminité –il n’y a qu’à voir comment on traite la souillon dans les contes de fée.

Le roman se moque allègrement de ces clichés, l’instinct maternel n’est pas ce qui est le plus partagé par ces grandes bourgeoises, prises qu’elles sont par leur mondanités, déléguant parfois presque totalement le soin des enfants à leur bonne.

 

La révolte de ces femmes va les conduire à écrire en secret. L’écriture devient un acte autant salvateur que libérateur. Ecrire, c’est à la fois témoigner et prendre la parole dans un monde largement réservé aux hommes. Mais avant d’écrire, elles lisent, elles dévorent les livres interdits aux noires parce qu’elles ne peuvent les emprunter dans les bibliothèques des blancs. Lire, écrire, c’est combattre l’ignorance dans laquelle on maintient les femmes comme dans une prison.

Ecrire et publier, c’est soumettre au débat, dévoiler ce qui est caché, donner à voir autant que dénoncer. C’est aussi s’engager dans la maîtrise d’une parcelle de ce pouvoir que donne l’éducation et le savoir. Ceux qui ont le pouvoir se reconnaissent entre eux à la façon dont ils parlent ou écrivent. Toutes choses qui demandent un long apprentissage dégagé des tâches subalternes. Ecrire, c’est se délivrer de la matérialité des choses.

 J’ai dévoré ce livre, tout à tour émue, amusée et captivée par l’histoire de ces femmes, histoire portée par des voix chaleureuses et inoubliables. Le récit est parfaitement rythmé et nous emporte littéralement … A lire absolument …

 

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est le livre de chevet de Skeeter, (Eugenia).

Les réécritures de Médée (7) : Médée de Hans Henny Jahnn

médée jahnn

Médée de Hans Henny Jahnn traduit par Huguette et René Radrizzani , José Corti , 1988 pour l’édition allemande, 1926 pour la première version, 1998 pour la présente traduction

Vignette Les femmes et le théatre« Médée, c’est moi »[1] aurait pu dire Hans Jenny Jahnn qui se sentait lui-même « femme, marginal, barbare », et a pu « réinventer le mythe de l’intérieur »[2].

La nouveauté de cette transposition au XXe siècle réside dans d’importantes transformations de la version d’Euripide dans le sujet, le déroulement, la thématique et la conception des personnages : tout d’abord Médée est noire, ses fils sont mulâtres et sont parvenus à l’adolescence. Le fils aîné devient amoureux de Créuse mais lorsque le père, Jason, va demander sa main au roi Créon (raciste et xénophobe), ce n’est pas pour son fils qu’il fait cette démarche mais pour lui-même. Doté de l’éternelle jeunesse, Jason a de fréquents et violents appétits sexuels qu’il satisfait autant avec les filles que les garçons. Des relations incestueuses existent dans la famille, le père a des relations sexuelles avec le fils aîné et le fils aîné avec le frère, ce que Jahnn nomme pudiquement « être ami ». Une très grande vitalité sexuelle habite tous les personnages et Médée n’est pas en reste et, bien que vieillissante, attend toujours Jason pour honorer sa couche.

Le prétexte au drame sera donc celui-là : Médée attend en vain Jason qui ne vient plus la voir, tout occupé qu’il est de ses conquêtes. Non seulement il ne viendra plus mais il va en épouser une autre.

L’auteur a adopté la forme du vers libre où prédomine le vers classique allemand (le Blankvers) dans cette version , mais une première version manuscrite a été rédigée en prose.

Plusieurs grands thèmes structurent l’œuvre dans des oppositions fondamentales : la barbare et le civilisé, la femme et l’homme, la jeunesse et la vieillesse, la sexualité et la mort (création et destruction) et lumière et obscurité.

L’auteur critique aussi la société occidentale du début du siècle, colonialiste et raciste :

« Pourquoi les nègres doivent-ils être pour nous des barbares, comme les Colchidiens l’étaient pour les Grecs? – Peut-être seulement parce que nous nions l’histoire de l’humanité et ses grandes nostalgies. ce que les nègres et les Chinois n’ont pas encore fait. Si nous réfléchissons à ce que nous sommes, nous oublierons le mot « barbare ».

« Médée, femme bafouée, victime de l’homme pour lequel elle a tout sacrifié, tenue à l’écart par une civilisation patriarcale, est proche de la nature et des grandes forces qui règnent dans l’univers. Elle est la matrice de l’univers et la puissance destructrice, symbole des forces qui pour Jahnn préside à toute destinée. ».

A signaler que dans le mythe, dans certaines versions, Médée ne tue pas ses enfants, c’est Eumélos de Corinthe (vers 700 avant J.-C 😉 , le premier à introduire l’épisode corinthien, Médée tue ses enfants accidentellement, par la cérémonie de dépeçage destinée à leur assurer l’immortalité ou une jeunesse perpétuelle.

 Hans Henny Jahnn (né le 17 décembre 1894 à Hambourg Stellingen – mort le 29 novembre 1959 à Hambourg) était un romancier, dramaturge facteur d’orgue et éditeur de musique allemand(fondateur des éditions Ugrino-Verlag).

Né Hans Jahn, il changera plus tard son prénom en Henny et ajoutera un « n » à son nom de famille, considérant le bâtisseur de cathédrales Jann von Rostockcomme son ancêtre. Au centre du travail littéraire de Hans Henny Jahnn on trouve l’angoisse existentielle à laquelle l’homme ne peut échapper que par l’amour, l’empathie avec les autres et la création. La perte de l’amour est donc toujours une chute tragique dans les agonies fondamentales au-delà du simple deuil. Jahnn occupe une place singulière dans la littérature allemande et ne peut être assigné à aucun mouvement littéraire. Il a dépassé les éléments expressionnistes présents dans son œuvre de jeunesse pour un style original que l’on peut caractériser de « réalisme magique ». Ses travaux évoquent parfois le Surréalisme en peinture.

Antimilitariste et adversaire résolu du nazisme, figure exemplaire d’une lutte pour la défense de la vie sous toutes ses formes, Hans Henny Jahnn a laissé une œuvre baroque, noire, singulière, considérée par ses pairs comme l’une des plus originales de la littérature contemporaine. (Wikipédia)

[1] Postface de Huguette et René Radrizzani

[2] ibid