Archives pour la catégorie Femmes portugaises

Lisbonne et Lidia Jorge

« Je crois que Lisbonne est une ville secrète, est une ville labyrinthique. Et je ne suis pas née à Lisbonne, je suis venue quand j’étais jeune, et Lisbonne m’a pris complètement au cœur. »

Lidia Jorge archives INA

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Cycle romancières portugaises : Le rivage des murmures de Lídia Jorge

Le rivage des murmures (A costa dos murmurios,1988) Pour la traduction française, Editions Métailié, Paris, 1989Traduit du portugais par Geneviève Leibrich

« La culture, cela sert à tirer d’embarras les personnes cultivées, sinon à quoi servirait-elle ? A rien- et cela ne vaudrait pas la peine de se cultiver. » p 243

Les murmures sont « le dernier stade avant l’effacement total », ils signifient que quelque chose est en train de finir, de mourir.

Il s’agit ici des derniers soubresauts de la guerre coloniale au Mozambique, que Lídia Jorge connait bien pour y avoir suivi son mari en 1970.

Le récit se déroule en deux parties, le récit d’un journaliste, « Les sauterelles », assez bref, qui raconte, à travers l’épisode d’une invasion de sauterelles les événements marquants de cette histoire et la lecture de ce récit, des années plus tard, par Eva Lopo, qui le commente, le critique, rajoute des événements tus, en efface certains pour en ajouter d’autres, réécrit l’Histoire. Entre la vérité du roman, la vérité journalistique avec sa prétendue objectivité, ou la vérité de l’h(H)istorien qui s’en tient aux sources, aux documents et aux témoignages, laquelle privilégier ? Ou ne sont-elles, chacune, qu’une illusion, traduisant, au mieux, un point de vue, la situation d’un être soumis aux émotions, à la partialité et dont la finitude empêcherait d’avoir une sorte de vision panoramique qui engloberait tous les points de vue en un seul.

Le roman, comme toute œuvre d’art, permet un accès au sens, sinon à la vérité à travers ses mensonges savamment orchestrés.

Au Mozambique, l’armée portugaise maintient l’ordre, face aux assauts incessants de la guérilla. Les femmes attendent dans un hôtel le retour de leurs maris. Evita, jeune mariée, va découvrir peu à peu les transformations que la guerre a opéré dans la personnalité de son mari, faisant de ce jeune étudiant en mathématiques, une sorte de guerrier barbare.

Cette sauvagerie autour de la guerre, cette fascination pour la mort, n’est pas seulement dans les exactions que commettent les soldats, mais elles sont également dans le cœur des femmes qui attendent, et les vivent par procuration. Pour certaines d’entre elles, la gloire de leur mari rejaillira sur leur vie, elles pourront raconter les faits d’arme de leurs héros.

La guerre est partout, entre les africains et les colons mais dans les maris qui frappent leurs femmes, ou qui tuent pour « se dégourdir les doigts » des nuées d’oiseaux.

La guerre engendre des structures sociales qui reposent sur la domination et la mort et personne n’en réchappe.

Pas besoin de raconter d’interminables batailles, c’est l’avantage de ce roman, car le point de vue des femmes les en exclut. Pour en garder l’essentiel, pour en entendre les murmures…

L’écriture de Lidia Jorge est magnifique, son style, sa pensée d’une grande finesse, son intelligence font d’elles un des plus grands auteurs de son temps. Mais ce livre est un livre exigeant et difficile, qui demande parfois de la patience et …une bonne oreille !

Dulce Maria Cardoso – Le retour – Entretien / Librairie Mollat

Cycle romancières portugaises : Dulce Maria Cardoso – Le retour

 

Dulce Maria Cardoso est née à Fonte Longa dans la région de Trás-os-Montes mais sa famille a émigré en Angola. Ils reviennent au Portugal par le pont aérien organisé en 1975 à quelques mois de la proclamation de l’Indépendance de l’Angola.  Elle étudie tout d’abord le droit à l’Université de Lisbonne avant de commencer à écrire, quelques années plus tard. Son roman « Os Meus sentimentos » traduit par « Violetta, mon amour » obtiendra une reconnaissance internationale grâce au Prix de littérature de l’Union Européenne en 2009.

vignette femmes du MondeDans le roman de Dulce Maria Cardoso, un jeune adolescent raconte la fuite précipitée de sa famille en 1975, hors d’Angola, vers la métropole portugaise, l’accueil dans un hôtel à Lisbonne, et la reconstruction après le traumatisme de l’exil et de la dépossession. L’approche formelle est vraiment intéressante : l’écriture est proche du langage parlé, les dialogues s’insèrent dans la voix du jeune garçon (d’un discours rapporté à un discours direct) qui porte ainsi de multiples voix comme autant de perspectives sur ce qui est vécu. Ce que disent les autres est toujours filtré par le prisme de sa subjectivité propre. La narration à la première personne permet de comprendre les sentiments du jeune homme, les émotions qui le bouleversent, sa découverte de l’amour et de la sexualité, sa honte et l’ostracisme dont lui et les siens sont victimes.

« Ceux d’ici nous aiment de moins en moins, on exploitait les nègres et maintenant on veut leur voler leurs emplois en plus de leur saccager leurs hôtels, de saccager la belle métropole qui sera jamais plus la même. » (p222)

Mais ce qui revient toujours, est les raisons qui ont poussé à l’exil : la misère endémique du Portugal qui a produit un peuple de migrants.

«  […] je sais bien que cette terre nous demande de la sueur, des larmes et du sang et qu’elle nous donne en échange un quignon de pain dur […]

Cette lecture ne peut que faire écho à la situation du Portugal aujourd’hui, des investissements étrangers dans le tourisme, et de ce boom qui semble donner un nouveau souffle à ce pays mais dont les richesses risquent ne pas profiter à ceux qui en ont le plus besoin.

Les français aisés investissent au Portugal et cela fait flamber les prix de l’immobilier. Le Portugal devient un paradis fiscal pour nombre de gens fortunés et les longues plages désertes risquent rejoindre un jour les plages bétonnées de la côte espagnole. On ne peut pourtant que se réjouir d’une prospérité qui reviendrait enfin aux pays du sud.

Dulce Maria Cardoso est un grand écrivain.

 

Dulce Maria Cardoso was born in the region of Trás-os-Montes in Portugal but her family emigrated to Angola. They return to Portugal by the airlift organized in 1975 a few months after the proclamation of Independence of Angola. She first studied law at the University of Lisbon before starting to write, a few years later. His novel « Os Meus sentimentos » translated by « Violetta, my love » will receive international recognition thanks to the European Union Literature Prize in 2009.

In Dulce Maria Cardoso’s novel, a young teenager is relating the story of his his family forced to flee from Angola back to Portugal among thousands of returnee families, to the far-away portuguese homeland  when Portugal’s fifty-year old dictatorship was overthrown,  the reception in a hotel in Lisbon, and how they try to rebuild their lives after the trauma of exile and dispossession. The formal approach is really interesting: the writing is close to spoken language, the dialogues are inserted in the voice of the young boy (of a speech related to a direct speech without speech marks, with little punctuation which thus carries multiple voices like so many perspectives on what he’s living. The author is using stream of consciousness, switching between third and first persons in the same sentence, from present to past tense What others say is always filtered by the prism of its own subjectivity. Storytelling in the first person helps to understand the feelings of the young man, the emotions that upset him, his discovery of love and sexuality, his shame and discrimination against returnee families.

But what always comes back are the reasons that led to exile: the endemic misery of Portugal that produced a migrant people.

This novel can only echo the situation of Portugal today, foreign investment in tourism, and this boom that seems to breathe new economic life into this country but  doesn’t benefit to poor people who needs it.

The well-to-do French people are investing in Portugal and that is making property prices soar. Portugal becomes a tax haven for many wealthy people the long deserted beaches may one day become similar to the concrete beaches of the Spanish coast. However, we can only be satisfied with the delivering prosperity to the countries of South Europe.

Dulce Maria Cardoso is a great writer.

« 975, Luanda. A descolonização instiga ódios e guerras. Os brancos debandam e em poucos meses chegam a Portugal mais de meio milhão de pessoas. O processo revolucionário está no seu auge e os retornados são recebidos com desconfiança e hostilidade. Muitos nao têm para onde ir nem do que viver. Rui tem quinze anos e é um deles. 1975. Lisboa. Durante mais de um ano, Rui e a família vivem num quarto de um hotel de 5 estrelas a abarrotar de retornados – um improvável purgatório sem salvação garantida que se degrada de dia para dia. A adolescência torna-se uma espera assustada pela idade adulta: aprender o desespero e a raiva, reaprender o amor, inventar a esperança. África sempre presente mas cada vez mais longe. »

Ler Mais Ler Melhor – Vida e obra de Maria Judite de Carvalho

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Cycle romancières portugaises : Maria Judite de Carvalho – Ces mots que l’on retient

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Maria Judite de Carvalho – Ces mots que l’on retient – Minos La Différence 2011

vignette femmes du MondeCe court récit (95 pages)  a été publié en 1988, en portugais, sous le titre « As palavras poupadas », dix ans avant sa mort, et fait donc partie de la dernière partie de l’œuvre de l’auteure. On y retrouve les thèmes qui traversent toute son œuvre : l’incommunicabilité, le silence, le côté tragique de l’existence et l’impuissance sociale des femmes.

Graça revient dans la maison paternelle après la mort de son mari. Elle se souvient de ce père autoritaire et inflexible qui l’a chassée autrefois et ne lui a jamais pardonné qu’elle lui dise la vérité.

Ce récit est d’une richesse absolue, surtout après avoir lu les brillantes analyses de Maria Gracia Bessete[1], professeure d’université à la Sorbonne, dans son analyse des grands thèmes qui parcourent l’œuvre de l’auteure.

Le récit s’articule autour de deux thèmes, celui du corps souffrant des femmes, et celui de l’incommunicabilité entre les êtres. D’ailleurs on ne sait pas vraiment quels sont ces mots « ceux qu’elle avait dits et ceux qu’elle avait tus », cette économie de mots car, curieusement, la trahison apparente est d’abord celle des corps, avant de s’opérer à travers les mots. La trahison de l’ordre établi, des conventions sociales car les corps livrent « une étroite bande de vérité ».

Les corps trahissent, la maladie par exemple à laquelle elle est condamnée à son adolescence, la maladie de son mari et sa mort. Les corps disent la souffrance plus que les mots. C’est plutôt leur absence qui doit nous alerter, il porte tous les mots que l’on ne dit pas.

Ce qui est dit n’a aucune importance, ce sont des « formules de politesse bourgeoise », des « petits discours plus ou moins didactiques, truffés de proverbes, de lieux communs et de citation ». Ils ne disent rien de nous-même de nos aspirations ou de nos désirs, ils sont incapables de dire l’amour, dans cette société corsetée, où la parole maîtresse est celle du père.

Maria Gracia Bessete interprète ainsi ce rapport au corps « excrit », « corps malade ou vieilli, qui permet de dégager une représentation souvent aliénée de la femme, enfermée dans sa condition subalterne, façonnée par l’idéologie d’une société patriarcale. »[2]

Les mots ont un poids, ils pèsent, mais lorsqu’ils sont dits, ils acquièrent une incroyable légèreté : « La phras était dite. Enfin pas très bien d’accord, mais elle était finalement sortie, elle avait pris son vol, était entrée dans les oreilles de quelqu’un, et c’était cela qui comptait. Elle l’avait pensée pendant des années, puis avait fini par la jeter au fond d’un tiroir (elle ne savait que faire de cette chose gênante et inutile) et l’avait oubliée, la phrase, bien sûr, pas l’image qui, elle, avait été photographiée et accrochée à tout jamais au mur de sa mémoire. »

« Car jamais elle n’a dit ce qu’elle aurait voulu dire, mais toujours des choses différentes et inutiles, qui se forment en elle sans qu’elle s’en aperçoive et qui viennent mal à propos ».

Graça n’a pas droit à la parole qui exprimerait sa singularité, ou son désir. Le désir est ravalé au rang du corps, ou il est hystérisé. La parole doit faire d’incroyables détours, prendre des intermédiaires, afin que les mots soient dits et répétés et donc déformés.

D’ailleurs, la mère de Graça est morte, et souffre certainement du « manque fondateur du modèle [3]maternel », et également d’une parole transmise dans le dialogue maternel.

Et de cette inquiétude, de cette angoisse du manque, de l’absence, de ce désir de mort, « sans rien au bout du chemin, sauf le bout du chemin », il faut s’arracher et continuer à avancer coûte que coûte, « ouvrir la bouche », dire…

[1] Maria Judite de Carvalho « Une écriture en liberté surveillée » Introduction et Du corps excrit : Tanta gente, Mariana… Maria Graciete Besse

[2] Ibidem page 17

[3] ibidem

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Cycle romancières portugaises : Sybille d’Agustina Bessa-Luis

Agustina Bessa-Luis – La Sybille, traduit du portugais par Françoise Debecker-Bardin – Suites, Editions Métailié, 1954, Gallimard 1982 ; Editions Métailié, Paris, 2005

Agustina Bessa-Luis est une des auteures les plus importantes de la littérature contemporaine portugaise. Le roman « La Sibylle » est considéré comme son premier chef-d’œuvre, publié pendant la dictature.

Elle poursuit, avec un rare talent, l’incursion des femmes dans la littérature portugaise et offre également une certaine vision du monde et des rapports sociaux de genre.

vignette femmes du MondeJoaquina Augusta-Quina, une adolescente inculte, doit prendre en charge la propriété à la mort de sa mère. Elle travaille dans les champs et participe aux tâches les plus rudes. Son caractère rusé et chicaneur, son sens de la répartie et son besoin de sociabilité lui valent le surnom de sibylle, du terme antique qui désignait les prophétesses, et devineresses qui rendaient des oracles, et qui par extension a pris le sens de « femme qui fait des prédictions ». Elle analyse les situations et rend, elle aussi, ses oracles, sous formes de sentences ou d’assertions, tirés de son observation assez fine de la nature humaine. Demeurée célibataire, elle prendra sous sa protection un étrange enfant avec lequel elle tissera des relations d’une rare intensité.

Ses personnages féminins sont des femmes fortes qui ne supportent pas la tutelle des hommes, et ne souhaitent pas le mariage. Les hommes sont veules, fuyants et souvent lâches parfois extrêmement cruels avec leurs femmes qui ne lâchent pas une larme et supportent stoïquement leur calvaire. Ce sont les hommes qui pleurent dans ce roman !

« Elle craignait la tutelle, l’autorité d’un homme qui la dirigerait, troublerait ses habitudes et lui ferait perdre son royaume, où elle était en même temps Cendrillon et princesse. »

D’un mari indigne, capable de toutes les cruautés, Estina, un des personnages féminins du roman, supporte tout mais elle « n’avait jamais voulu le quitter, ni abandonner son foyer pour fuir Inácio et son intolérable méchanceté »

L’auteure prend la forme du récit historiquement et géographiquement situé, mais alors que l’Histoire met en scène des héros masculins, elle dépeint une réalité toute autre. Dans ce monde qu’elle décrit, ce sont les femmes qui travaillent, qui réussissent et qui s’enrichissent. Les hommes sont volages ou s’enfuient sans prendre leurs responsabilités. Ils sont plutôt ceux qui mettent en péril la propriété et la conduisent à sa ruine. Ils voyagent et quittent la terre pour faire fortune au Brésil, le plus souvent ils en meurent.

Le roman s’ancre dans la terre, et les femmes sont gardiennes des traditions, de l’enracinement et de la perpétuation face à un monde qui se transforme sous les effets de l’industrialisation. Les hommes sont à la ville et constituent cette bourgeoisie qu’elle ne cesse de critiquer.

La transmission se fait de mère en fille, de femme en femme.

Il est assez curieux d’ailleurs que la virilité se fasse sous l’aspect uniquement de la beauté, dans une sorte de renversement des valeurs, puisque la beauté est d’avantage associée aux femmes.

Les hommes les plus positifs du roman sont extrêmement beaux, mais frappés d’une forme d’idiotie, en-deçà même du bien et du mal, ou inconstants. Les femmes, elles, sont d’une « nature supérieure ». Clairement, le roman, publié dans les années 50, prône l’émancipation féminine.

Si le roman se développe autour d’une supposée identité féminine, ce n’est pas sur le plan littéraire, une tentative essentialiste pour lier l’écriture et le féminin mais plutôt une réflexion sur le genre socialement construit. Mais, les personnages sont fortement influencés par leurs nerfs, leur sang, leur tempérament et leur héritage génétique. Quina suit son instinct de paysanne. On est loin cependant de l’analyse sociologique et le progrès n’est pas le bienvenu. Elle refusera longtemps que l’électricité soit installée dans ses domaines, il faudra attendre la génération suivante, avec Germa, pour que les nouvelles théories agronomiques puissent être expérimentées.

Un livre très dense, une écriture foisonnante de descriptions, de commentaires psychologiques ou de digressions de toutes sortes qui ne rendent pas toujours la lecture aisée. La narration aurait besoin  d’être resserrée car c’est parfois un peu touffu et on s’y perd. Mais à la lecture, nous savons pertinemment que nous assistons à quelque chose. Et l’émotion finit par gagner.

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Cycle romancières portugaises – Un peu d’Histoire

Les femmes et l'ecriture 3A partir de 1600, les encyclopédies répertorient essentiellement deux auteures , Soror Mariana Alcoforado (1640-1723) et Leonor de Almeida Portugal. Est-elle l’auteure des cinq lettres portugaises adressées au comte de Saint-Léger pendant la Guerre de Restauration de l’Indépendance ou s’agit-il de Gabriel de Guilleragues ? Le débat reste ouvert.

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Il n’en reste pas moins que ce texte est fondateur pour la littérature écrite par des femmes. L’exclusion des femmes de la littérature est appréhendé comme un fait politique au sein d’une société où se combinent l’idéologie fasciste et le patriarcat. Il est revendiqué et s’inscrit au cœur d’une résistance ou d’un combat , écrit par « les trois Maria » Maria Isabel Barreno, Maria Teresa Horta et Maria Velho da Costa, composé de 120 textes (lettres, poèmes, rapports, textes narratifs, essais et citations), qui questionne ce que peuvent la littérature, les mots et le langage. Publié et interdit en 1972 sous la dictature renversée par le coup d’état du 25 avril 1974, pamphlet virulent contre la guerre coloniale, la situation des femmes et l’arbitraire du système judiciaire. (Voir l’excellent article Les « Nouvelles lettres portugaises » et l’émancipation féminine)

cet intertexte revendiqué des Lettres de la Religieuse Portugaise, trouve « une nouvelle signification au sein d’ un réseau de filiations : de Sapho au romantisme en passant par la littérature féminine de la première moitié du XXe siècle, et la littérature de couvent. »

Au XVIIIe siècle,  Leonor de Almeida Portugal (1750-1930). Elle a laissé une correspondance et des poèmes dont aucun n’est traduit en français mais répertorié womens writers in History ( voir ici ).

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Il faudra attendre la fin du XIXe siècle, et le  saudosismo, pour constater l’émergence de nouveaux auteurs, dont Florbela Espanca, rare femme de son époque à avoir fait des études. Elle rejoint un groue d’écrivains féminins et écrit des articles dans Le Portugal Féminin. En 1919 elle publie sa première œuvre poétique, Livro de Mágoas. Elle se suicide dans la nuit du 7 au 8 décembre 1930 à Matosinhos après avoir ingéré une trop forte dose de somnifère.

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A partir des années 1900, deux noms vont apparaître principalement sur la scène littéraire : Sophia de Mello Breyner Andresen, poétesse,  (également prix Camões )  (1919-2004), et Agustina Bessa-Luis (née en 1922) et qui obtiendra les plus hautes distinctions pour son œuvre (dont le prix prix Camões ). Certaines de ses œuvres sont traduites en français notamment aux éditions Métailié dont le travail remarquable permet d’accéder  à de nombreuses œuvres. « Agustina Bessa-Luís est née dans la région du Douro en 1922. Son roman A Sibila (La Sibylle) publié en 1954 fut certainement un des textes les plus novateurs de la littérature portugaise. Depuis, cette immense romancière n’a cessé d’écrire, de publier: elle a à son actif une cinquantaine de romans, ainsi que des pièces de théâtre, des chroniques, des nouvelles. Elle décortique la société portugaise, ses racines historiques et son évolution tout le long de ces dernières cinquante années, ses mythes et son actualité, avec une écriture d’une forte densité, aux conclusions pertinentes et de vraies axiomes qui transcendent le récit. Son « dialogue » avec le grand cinéaste Manoel de Oliveira est à l’origine de plusieurs films, soit inspirés de ses romans (Francisca à partir de Fanny Owen, Val Abraham du roman homonyme, Le Principe de l’incertitude du roman homonyme) soit de scénarios expressément écrits (Party). Elle a aussi assumé des charges publiques importantes : la direction d’un quotidien à Porto, puis celle du Théâtre National Portugais à Lisbonne. Elle vit à Porto.  ( et Olga Gonçalves ( née en 1929). « 

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A partir de 1930 et pour toute la première partie du XXe siècle, Maria Gabriela LLansol (1931), Maria Ondina Braga (1932-2003), Maria Teresa Horta (1937), Maria Velho da Costa (1938), Maria Isabel Barreno (1939-2016), Hélia Correia (1949). Ces romancières naissent pendant la dictature de L’Estado Novo (« Nouvel État »), paternaliste et clérical, au sein duquel les droits des femmes sont extrêmement réduits. D’ailleurs faut-il y voir la raison de cette pléthore de Maria ? Elles auront une trentaine d’année à la fin de la dictature, ce qui va marquer le destin de trois d’entre elles.

Maria Gabriela Llansol occupe une place à part, « caractérisée par la singularité d’une écriture qui prend ses distances avec le narratif, le descriptif et le psychologique, brisant les frontières entre les genres littéraires et sollicitant constamment notre participation active. »

Maria Teresa Horta, accusée d’atteintes aux bonnes mœurs ainsi que Maria Isabel Barreno et Maria Velho da Costa pour la publication de leur livre Les Nouvelles Lettres portugaises, elles ont été depuis réhabilitées, après la révolution des Œillets qui a renversé le régime autoritaire salazariste est membre du Parti communiste portugais depuis 1975, tout en menant une lutte féministe, tant dans son métier d’écrivaine que dans son action militante. Elle est aujourd’hui rédactrice en chef de la revue Mulheres et auteure de romans, de nouvelles, de nombreux recueils de poésies et d’un essai sur l’avortement au Portugal. Mulheres et auteure de romans, de nouvelles, de nombreux recueils de poésies et d’un essai sur l’avortement au Portugal.

Maria Velho da Costa  a publié en français L’Oiseau rare et autres histoires, et Myra. Les thèses féministes font partie de son œuvre ainsi qu’une certaine liberté dans les structures narratives.

Maria Isabel Barreno a été un écrivain prolifique mais très peu d’œuvres sont traduites ( La Disparition de la Mère, Les Veillées Oubliées (source Wikipédia). Elle fait partie des « trois Maria » qui se sont engagées dans le combat féministe.

Helia Correja est l’auteure d’une oeuvre importante et a reçu le prix camoes 2015. invisible dans la traduction française, je n’ai trouvé qu’un livre qui évoque son travail dramaturgique (les antigones contemporaines : de 1945 à nos jours de Stépahanie Urdician). la littérature contemporaine retient sur tout le nom de Lidia Jorge.

Il en existe bien d’autres mais je n’ai cité que celles dont on lit le plus d’occurrences, si vous en connaissez d’autres …

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Cycle romancières portugaises : Isabel Fraga – Le sourire de Léonor

 

Isabel Fraga – Le sourire de Leonor, nouvelles traduites du portugais par Parcidio Gonçalves, éditions La Différence, 2007

 

Isabel Fraga est née en 1950. Fille unique de Maria Judite de Carvalho, écrivain qui a tenu des chroniques durant plusieurs années dans les journaux portugais  (1921-1998) et de l’écrivain portugais Urbano Tavares Rodrigues. Elle habite Lisbonne.

Les traductions françaises de son œuvre sont liées aux Editions La Différence qui a édité les trois œuvres que j’ai répertoriées à ce jour dans la traduction française. La maison d’édition a été placée en liquidation judiciaire le 20 juin 2017. Sous l’impulsion de Joaquim Vital, exilé portugais, ont été publié de nombreux auteurs portugais dont Isabel Fraga. Je n’ai pas vu de réédition chez d’autres éditeurs. Ces livres ont donc une seconde vie sur le marché de l’occasion.

Ce recueil est composé de 17 nouvelles. Les personnages principaux en sont des femmes de tous âges, dans des situations variées, femme au foyer ou femme indépendante, jeune ou d’âge mûr, de la bourgeoisie ou de milieux plus modestes.

Ces personnages ont leurs zones d’ombres et de mystère qui les rend parfois inquiétants ou subversifs, bien qu’il n’y ait pas de rébellion ouverte. Et c’est peut-être cela qui donne un petit goût de fantastique à ces nouvelles : les conflits sont tellement intériorisés qu’ils acquièrent une dimension presque surnaturelle, aux travers d’actes manqués, ou de gestes qui paraissent à première vue inexplicables. La révolte couve cependant et elle est d’autant plus violente qu’elle ne peut se dire dans une société qui a hérité des rigidités de la dictature.

Comment un homme peut-il devenir allergique à sa femme et se couvrir de plaques et de démangeaisons, ou perdre ses cheveux en quelques jours, de quelle vengeance va se saisir cette jeune femme qui jure de ne plus montrer ses dents à son mari ?

Il y a aussi des passages d’une grande poésie : « C’était une chose unique au monde, une étoffe blanche. Les autres ne pouvaient pas comprendre. Elle-même ne comprenait pas très bien. Il lui arrivait de penser combien il était beau que cinq cents, mille points unissent le corsage à la jupe, qu’une manche ne soit plus seulement une manche, et que surgisse une robe, qui était toute une vie et non pas un point, ni vingt ni quarante mais des milliers, des millions de tous petits points. ».

De jugements ou de constats douloureux :

[…] au Portugal, on ne pouvait pas vivre de musique. Ni de littérature, encore moins de poésie. Il fallait avoir les pieds sur terre. »

 

Un objet littéraire intéressant.

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Voir Lisbonne, et lire les romancières portugaises

 

Je vais bientôt à Lisbonne, et j’aimerais en profiter pour découvrir les auteurs portugais et bien sûr les romancières.

Qui me conseillez-vous ?

Voilà les quelques noms grappillés au hasard de mes recherches : Isabel fraga, Agustina Bessa Luis, Maria Judite de Carvalho, Filipa Melo, Wanda Ramos, Alice Machado, Rosa Alice Bianco, Alice Vieira, Maria Gabriela LLansol, Rosa Lobato de Faria, Sophia Melle Breyner, Lygia Fagundes Telles, Teolinda Gersao

Je me suis bien sûr procuré ce chef-d’oeuvre de la littérature portugaise : Mystères de Lisbonne de Camilo Castelo Branco et je connais Fernando Pessoa.

 

Paroles de femmes : Lidia Jorge

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« Je m’associe à ceux qui pensent que narrer, quelles qu’en soient les modalités, est toujours une façon de perpétuer l’enfance du monde. Et votre oreille, qu’il ne faut pas confondre avec la seule matière sensible, est assurément infinie. »

Extrait de « La nuit des femmes qui chantent », traduit du portugais par Geneviève Leibrich.

 

Lídia Jorge est née dans l’Algarve en 1946. Elle est une des voix les plus importantes de la littérature portugaise et européenne. Elle commence à être véritablement reconnue à l’âge de  34 ans avec son troisième roman, « La journée des prodiges ».

 

Le rivage des murmures, 1989

La journée des prodiges, 1991

La Dernière Femme, 1995

Un jardin sans limites, 1998

La couverture du soldat, 1999

La forêt dans le fleuve, 2000

Le vent qui siffle dans les grues, 2004

Tous ces ouvrages ont paru aux Editions Métailié

Nous combattrons l’ombre, 2008

La nuit des femmes qui chantent, 2012

La nuit des femmes qui chantent – Lidia Jorge

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Lídia JORGE Titre original :A noite das mulheres cantoras Traduit du portugais par Geneviève Leibrich, editions Métailié, 2012 pour la traduction française.

Ce roman commence par une image saisissante, celle d’un couple qui se retrouve après de longues années et qui danse. On devine que les jours de l’homme sont comptés, son apparence est misérable, son costume paraît trop grand pour lui. Sa compagne a les élans d’une femme amoureuse . Ils ne se sont pas vus depuis de nombreuses années mais on ignore pourquoi et c’est ce que va raconter Solange de Matos, parolière anonyme d’un groupe de cinq chanteuses dont l’aventure consistera à enregistrer un disque et à préparer le spectacle qui suivra sa promotion.

La nuit des retrouvailles, est la nuit parfaite dont le mythe est raconté par Gisela dans une émission de télé-réalité, nuit de l’instantané, nuit du mensonge aussi.

Gisela, inquiétante et manipulatrice est à l’origine du projet de disque et de carrière musicale et soumet ses partenaires à une pression psychologique considérable…  Elle est belle et possède un magnétisme indéniable qui agit sur ses compagnes et annihile toute volonté de rébellion ouverte.

Solange est parolière, elle écrit : « Je devais juste rendre visible ce qui était écrit de façon invisible », ces « radieux petits vers insignifiants » qui lui sont offerts par « le dieu de la petite poésie », « dieu des très petites paroles », « le tout petit dieu » de la taille « d’une capsule de bouteille ». Un jour, elle aime aussi… Et puis le drame …Le silence… Jusqu’à cette nuit. Solange va briser le mythe et raconter exactement ce qui s’est passé…

Dans une interview à France Inter, Lídia Jorge explique que selon elle, la musique, les chansons nous suivent toute notre vie, et qu’à travers elle, on peut aussi comprendre le devenir des nations.

Ce roman se passe après la révolution des Œillets qui est le nom donné aux événements d’avril 1974 qui ont entraîné la chute de la dictature salazariste qui dominait le Portugal depuis 1933. Cette révolution a entraîné de profondes modifications dans le statut des femmes qui jusque là étaient tenues cachées dans leur maison, effacées et obéissantes. D’ailleurs dans le roman, la violence machiste est présente, par les producteurs qui traitent les chanteuses de « dindes », ou le petit-ami de l’une d’elles qui utilise la violence physique.

Le Portugal, mélange d’archaïsme et de modernité, qui donne à la vie une certaine intensité et fait de chaque individu le carrefour où se mêlent plusieurs identités et plusieurs expériences. Cela me fait penser à la philosophie de Judith Butler qui elle aussi prend pour pivot de sa pensée ce constat.

J’ai beaucoup aimé ce roman, lent, parfois difficile. J’ai suivi avec passion les pas de la jeune Solange et son amour naissant. Un livre que je conseille.