Cycle romancières portugaises : Sybille d’Agustina Bessa-Luis

Agustina Bessa-Luis – La Sybille, traduit du portugais par Françoise Debecker-Bardin – Suites, Editions Métailié, 1954, Gallimard 1982 ; Editions Métailié, Paris, 2005

Agustina Bessa-Luis est une des auteures les plus importantes de la littérature contemporaine portugaise. Le roman « La Sibylle » est considéré comme son premier chef-d’œuvre, publié pendant la dictature.

Elle poursuit, avec un rare talent, l’incursion des femmes dans la littérature portugaise et offre également une certaine vision du monde et des rapports sociaux de genre.

vignette femmes du MondeJoaquina Augusta-Quina, une adolescente inculte, doit prendre en charge la propriété à la mort de sa mère. Elle travaille dans les champs et participe aux tâches les plus rudes. Son caractère rusé et chicaneur, son sens de la répartie et son besoin de sociabilité lui valent le surnom de sibylle, du terme antique qui désignait les prophétesses, et devineresses qui rendaient des oracles, et qui par extension a pris le sens de « femme qui fait des prédictions ». Elle analyse les situations et rend, elle aussi, ses oracles, sous formes de sentences ou d’assertions, tirés de son observation assez fine de la nature humaine. Demeurée célibataire, elle prendra sous sa protection un étrange enfant avec lequel elle tissera des relations d’une rare intensité.

Ses personnages féminins sont des femmes fortes qui ne supportent pas la tutelle des hommes, et ne souhaitent pas le mariage. Les hommes sont veules, fuyants et souvent lâches parfois extrêmement cruels avec leurs femmes qui ne lâchent pas une larme et supportent stoïquement leur calvaire. Ce sont les hommes qui pleurent dans ce roman !

« Elle craignait la tutelle, l’autorité d’un homme qui la dirigerait, troublerait ses habitudes et lui ferait perdre son royaume, où elle était en même temps Cendrillon et princesse. »

D’un mari indigne, capable de toutes les cruautés, Estina, un des personnages féminins du roman, supporte tout mais elle « n’avait jamais voulu le quitter, ni abandonner son foyer pour fuir Inácio et son intolérable méchanceté »

L’auteure prend la forme du récit historiquement et géographiquement situé, mais alors que l’Histoire met en scène des héros masculins, elle dépeint une réalité toute autre. Dans ce monde qu’elle décrit, ce sont les femmes qui travaillent, qui réussissent et qui s’enrichissent. Les hommes sont volages ou s’enfuient sans prendre leurs responsabilités. Ils sont plutôt ceux qui mettent en péril la propriété et la conduisent à sa ruine. Ils voyagent et quittent la terre pour faire fortune au Brésil, le plus souvent ils en meurent.

Le roman s’ancre dans la terre, et les femmes sont gardiennes des traditions, de l’enracinement et de la perpétuation face à un monde qui se transforme sous les effets de l’industrialisation. Les hommes sont à la ville et constituent cette bourgeoisie qu’elle ne cesse de critiquer.

La transmission se fait de mère en fille, de femme en femme.

Il est assez curieux d’ailleurs que la virilité se fasse sous l’aspect uniquement de la beauté, dans une sorte de renversement des valeurs, puisque la beauté est d’avantage associée aux femmes.

Les hommes les plus positifs du roman sont extrêmement beaux, mais frappés d’une forme d’idiotie, en-deçà même du bien et du mal, ou inconstants. Les femmes, elles, sont d’une « nature supérieure ». Clairement, le roman, publié dans les années 50, prône l’émancipation féminine.

Si le roman se développe autour d’une supposée identité féminine, ce n’est pas sur le plan littéraire, une tentative essentialiste pour lier l’écriture et le féminin mais plutôt une réflexion sur le genre socialement construit. Mais, les personnages sont fortement influencés par leurs nerfs, leur sang, leur tempérament et leur héritage génétique. Quina suit son instinct de paysanne. On est loin cependant de l’analyse sociologique et le progrès n’est pas le bienvenu. Elle refusera longtemps que l’électricité soit installée dans ses domaines, il faudra attendre la génération suivante, avec Germa, pour que les nouvelles théories agronomiques puissent être expérimentées.

Un livre très dense, une écriture foisonnante de descriptions, de commentaires psychologiques ou de digressions de toutes sortes qui ne rendent pas toujours la lecture aisée. La narration aurait besoin  d’être resserrée car c’est parfois un peu touffu et on s’y perd. Mais à la lecture, nous savons pertinemment que nous assistons à quelque chose. Et l’émotion finit par gagner.

Escritoras-em-portugues

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