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L’oiseau rare – Guadalupe Nettel/ Derrière les mères, l’aventure !

Guadalupe Nettel – L’oiseau rare, 2020 – Editions Dalva, 2022 pour l’édition française.

Pendant de nombreux siècles, les femmes ont été reléguées à leur fonction reproductrice, et leur ventre contrôlé de façon drastique par l’organisation patriarcale de la société. Il s’agissait de s’assurer de la filiation, d’autant plus qu’aucun test génétique ne pouvait permettre de confirmer la paternité. Le destin des femmes est depuis toujours lié à leur corps et à l’enfantement, qu’elles le ressentent comme un accomplissement ou comme une malédiction. Rarement un choix.

Le roman de Guadalupe Nettel est passionnant parce qu’il met en scène, à travers plusieurs destins de femmes, ce choix, toujours crucial, de la maternité et l’émergence d’une pluralité de voies.

Les histoires se nouent autour d’un phénomène de la nature qui est le parasitisme de couvée. Un oiseau dépose parfois son œuf dans le nid d’une autre espèce, dont il évince à certaines occasions l’œuf originaire, afin que le sien soit couvé et nourri.

Laura et Alina ne voulaient pas renoncer à leur liberté en étant mère. Avoir un enfant, c’est souvent sacrifier une part de son développement personnel, des études ou une carrière. Or chacune va être mère à sa manière, et déléguer une partie de ce pouvoir à quelqu’un d’autre.

On pourrait presque parler de co-maternité. Les sociétés traditionnelles laissaient rarement les femmes seules après l’accouchement, elles étaient secondées par le reste de la famille ou de la communauté dans laquelle elles vivaient. Le monde moderne et l’émancipation des femmes les a rendues à la solitude et la maternité est devenue, d’une autre façon, un fardeau harassant, les tâches domestiques leur étant dévolues dans leur majorité. Les choses changent lentement, les pères prennent de plus en plus leur part. Aurelio, le mari d’Alina, se révèle un père attentif et aimant.

Laura prend une autre voie, elle secondera une mère défaillante en adoptant symboliquement.

Devenir mère signifiera pour chacune transformer leurs préjugés.

En toile de fond, cependant, les violences faites aux femmes et les nombreux féminicides qui ont lieu au Mexique. Les traumatismes, quand elles s’en sortent, et la peur qui condamne certaines d’entre elles à ne plus sortir de chez elles.

Le récit, parfaitement écrit et articulé, se lit presque comme un polar, tellement les rebondissements sont nombreux. Je l’ai littéralement dévoré. Il est à la fois intelligent et prenant, et entre parfaitement en résonance avec notre époque. Il nous aide aussi à réfléchir.

L’autrice : Guadalupe Nettel est née au Mexique en 1973 et a partagé sa vie entre Mexico, Barcelone, ou Paris. Elle est l’autrice de plusieurs livres de contes, de recueils de nouvelles et de romans : l’Hôte (Actes Sud, 2006), Le Corps où je suis née (Actes Sud, 2011) et Après l’hiver (Buchet-Chastel, 2016). Lauréate de nombreux prix littéraires, en France, en Espagne et au Mexique, , elle est traduite dans une dizaine de pays et elle est considérée aujourd’hui comme l’autrice la plus lumineuse de sa génération.

Cathe­rine Wein­zaep­flen, Ismaëla

Cathe­rine Wein­zaep­flen, Ismaëla, Edi­tions des Femmes — Antoi­nette Fouque, Paris, 2023, 128 p. 

Ismaëla a quitté le Mexique pour un futur meilleur aux États-Unis. Dans ce trajet pour l’exil, elle risque sa vie . Et elle rencontre l’amour. Elle s’arrache à ce cocon douillet alors que rien ne l’assure qu’elle trouvera un travail et un logement à son arrivée dans un pays qui ne veut pas d’elle.

Ismaëla n’est pas une « perdante », mais une femme pleine de vie, qui malgré l’aridité de son existence et les privations qu’elle endure pour envoyer de l’argent à sa famille, est toujours en éveil. Elle observe, raisonne, et des pensées la traversent, des flux qui ont la beauté de cette mer qu’elle regarde le plus souvent de loin.

A travers son regard, apparaît Los Angeles, prise dans le brouillard, à cinq heures du matin ou floutée par la vitre d’un bus, une ville où les inégalités sont criantes, et où se côtoient d’extravagantes propriétés et des logements misérables.

Les souvenirs, les odeurs, les couleurs du Mexique, viennent rythmer le récit, lui donnent une douceur et un balancement qui effacent la grisaille des jours sans joie.

Et au cœur de cette femme, qui ne se résume jamais à sa pauvreté, palpite une vie secrète, d’infinis mouvements, la pulsation du désir. Et l’émerveillement. Elle est éblouie par la beauté de certains lieux, par les fontaines, les sculptures, par la facilité avec laquelle sa fille s’adapte à ce nouveau monde.

Elle savoure les petits matins et les moments où le ciel s’éclaire, l’odeur des hibiscus. Elle est incroyablement vivante.

A travers ses rencontres, elle fait l’expérience d’autres vies que la sienne, d’autres mondes, d’autres manières d’être femme.

L’autrice parvient à nous captiver, à travers son regard, à nous intéresser aussi aux problématiques sociales et politiques soulevées par la situation des émigré.e.s mexicain.e.s.

Plus largement, elle fait écho aux migrations que connaît l’Europe qui accueille, plus ou moins mal, ses réfugié.e.s. Elle rappelle cette injustice fondamentale dont souffrent les populations qui ne trouvent ni le travail, ni la sécurité, ni l’éducation dans leurs pays minés par la corruption, la guerre, et une pauvreté endémique.

Tout s’incarne en Ismaëla, tout devient, proche, palpable, et cette colère qu’elle dit ne plus pouvoir éprouver, nous la prenons avec nous, pour qu’elle puisse continuer à gronder et à secouer le monde.

Moi – Sabina Berman / Vivre autiste, vivre heureux ?

Moi

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Sabina Berman – Moi , traduit de l’Espagnol (Mexique) par Claude Bleton , éditions du Seuil Mars 2011

  Après des études de psychologie à l’université nationale autonome du Mexique, Sabina Berman entre dans la compagnie d’Héctor Azar et publie sa première pièce de théâtre en 1976. Elle est aussi l’auteure d’un recueil de poèmes, d’un roman et d’une autre pièce, Entre Villa y una mujer desnuda, qu’elle a adaptée au cinéma en 1996

Moi est un récit attachant, celui de Karen Nieto, une petite fille autiste, sauvée de la solitude par l’arrivée de sa tante Isabelle qui, après la mort de sa mère, va s’occuper d’elle et lui donner l’attention et l’amour dont la fillette a cruellement manqué.

 Dotée de capacités extraordinaire, une mémoire et une appréhension de l’espace exceptionnelles, Karen, en grandissant, va faire de la pêche au thon, et de leur élevage la passion de son existence. Plus douée pour communiquer avec les animaux qu’avec les Hommes, elle remet en cause la civilisation occidentale, très influencée par le cartésianisme, qui a fait du « je pense, donc je suis » un postulat aux conséquences dramatiques, puisqu’il a mis la pensée au-dessus de la sensibilité, et relégué les animaux non-pensants au statut d’êtres inférieurs : « Les arbres, la mer, les poissons dans la mer, le soleil, la lune, ou une énorme montagne : non, tout cela n’existe que sur un mode d’existence secondaire, mineur. Par conséquent, tout cela mérite d’être marchandise ou nourriture ou paysage des humains, ou rien d’autre. »

            Vous serez tentés de me demander ce que fait la pêche au thon dans cette fable écologiste. Je ne peux pas vous le dévoiler au risque d’éventer un aspect important de l’intrigue. Car c’est d’un véritable récit initiatique qu’il s’agit ici, un long cheminement vers la conscience et la liberté accompli par une jeune femme dont le handicap sera aussi l’accès privilégié à une réalité que les humains « standards » n’aperçoivent pas toujours. Une façon de reprendre l’éternelle question : qui est le fou et qui est le sage ? Ou le fou n’est-il pas plus sage que ce que l’on croit ?  Le fait d’être différent oblige à changer de perspective, à adopter un point de vue autre sur la réalité, à faire ce fameux « pas de côté » qui permet de penser ou plutôt ici de sentir les choses autrement. Peut-être, au fond, la pensée est-elle parfois un handicap parce qu’elle tronque toute une partie du Monde qui nous entoure.

« Pour être heureux, il suffit de laisser agir les sens et de se passer de Descartes. Avec les sens et sans les mots. Il suffit d’être avec le corps tout entier dans la réalité.

Et pour être encore plus heureux, il faut s’ouvrir à la réalité comme si la réalité était ce qu’on pense.

Penser avec les nageoires de ce barracuda qui monte en diagonale en laissant derrière lui un sillage de bulles. »

2/19 Festival America  

Argentine =) Eugenia AlmeidaElsa Osorio –  Lucía Puenzo –  Canada =) Naomi Fontaine –  Lucie LachapelleCatherine MavrikakisDianne WarrenCuba =)  Karla SuárezEtats-Unis =)  Jennifer Egan –  Louise Erdrich –  Nicole Krauss –  Rebecca Makkai –  Toni MorrisonJulie Otsuka –  Karen Russell –  Janet Skeslien Charles –  Vendela Vida –   Mexique =) Sabina Herman –  Pérou =) Grecia Cáceres 

                         L’avis de   Jostein     et de   Fabienne   (Communauté Littérature au féminin)

  festival amerrica