Sabina Berman – Moi , traduit de l’Espagnol (Mexique) par Claude Bleton , éditions du Seuil Mars 2011
Après des études de psychologie à l’université nationale autonome du Mexique, Sabina Berman entre dans la compagnie d’Héctor Azar et publie sa première pièce de théâtre en 1976. Elle est aussi l’auteure d’un recueil de poèmes, d’un roman et d’une autre pièce, Entre Villa y una mujer desnuda, qu’elle a adaptée au cinéma en 1996
Moi est un récit attachant, celui de Karen Nieto, une petite fille autiste, sauvée de la solitude par l’arrivée de sa tante Isabelle qui, après la mort de sa mère, va s’occuper d’elle et lui donner l’attention et l’amour dont la fillette a cruellement manqué.
Dotée de capacités extraordinaire, une mémoire et une appréhension de l’espace exceptionnelles, Karen, en grandissant, va faire de la pêche au thon, et de leur élevage la passion de son existence. Plus douée pour communiquer avec les animaux qu’avec les Hommes, elle remet en cause la civilisation occidentale, très influencée par le cartésianisme, qui a fait du « je pense, donc je suis » un postulat aux conséquences dramatiques, puisqu’il a mis la pensée au-dessus de la sensibilité, et relégué les animaux non-pensants au statut d’êtres inférieurs : « Les arbres, la mer, les poissons dans la mer, le soleil, la lune, ou une énorme montagne : non, tout cela n’existe que sur un mode d’existence secondaire, mineur. Par conséquent, tout cela mérite d’être marchandise ou nourriture ou paysage des humains, ou rien d’autre. »
Vous serez tentés de me demander ce que fait la pêche au thon dans cette fable écologiste. Je ne peux pas vous le dévoiler au risque d’éventer un aspect important de l’intrigue. Car c’est d’un véritable récit initiatique qu’il s’agit ici, un long cheminement vers la conscience et la liberté accompli par une jeune femme dont le handicap sera aussi l’accès privilégié à une réalité que les humains « standards » n’aperçoivent pas toujours. Une façon de reprendre l’éternelle question : qui est le fou et qui est le sage ? Ou le fou n’est-il pas plus sage que ce que l’on croit ? Le fait d’être différent oblige à changer de perspective, à adopter un point de vue autre sur la réalité, à faire ce fameux « pas de côté » qui permet de penser ou plutôt ici de sentir les choses autrement. Peut-être, au fond, la pensée est-elle parfois un handicap parce qu’elle tronque toute une partie du Monde qui nous entoure.
« Pour être heureux, il suffit de laisser agir les sens et de se passer de Descartes. Avec les sens et sans les mots. Il suffit d’être avec le corps tout entier dans la réalité.
Et pour être encore plus heureux, il faut s’ouvrir à la réalité comme si la réalité était ce qu’on pense.
Penser avec les nageoires de ce barracuda qui monte en diagonale en laissant derrière lui un sillage de bulles. »
2/19 Festival America
Argentine =) Eugenia Almeida – Elsa Osorio – Lucía Puenzo – Canada =) Naomi Fontaine – Lucie Lachapelle – Catherine Mavrikakis – Dianne Warren – – Cuba =) Karla Suárez – Etats-Unis =) Jennifer Egan – Louise Erdrich – Nicole Krauss – Rebecca Makkai – Toni Morrison – Julie Otsuka – Karen Russell – Janet Skeslien Charles – Vendela Vida – Mexique =) Sabina Herman – Pérou =) Grecia Cáceres
L’avis de Jostein et de Fabienne (Communauté Littérature au féminin)