Nella Larsen et la colour line, auteure métisse dans l’Amérique ségrégationniste des années de l’Entre-deux-guerres

Nella Larsen Etre femme a longtemps constitué un handicap pour être publié, mais être femme et métisse dans la société américaine du début du XXe siècle était une véritable gageure. Nella Larsen, née d’une mère danoise et d’un père antillais, seule métisse d’une famille recomposée, devient l’une des figures de proue de la « Renaissance de Harlem » (ou New Negro Movement), renouveau de la culture afro-américaine, dans l’Entre-deux-guerres (entre 1919 et 1930) dont le foyer est à New York. Ce mouvement est panafricaniste, d’inspiration socialiste, luttant contre le racisme et le paternalisme envers les noirs. La littérature noire américaine (mais aussi la peinture et la musique) se diffuse en dehors de l’élite noire américaine et gagne une reconnaissance de plus en plus affirmée.

Dorothy West, une autre des femmes écrivains, publie quant à elle « The Living is easy » où elle décrit la vie d’une famille noire aisée. En général les auteurs de la Renaissance noire américaine valorisent l’identité noire américaine. Tous les genres sont exploités, pamphlets, articles de journaux, romans, ballades et des travaux d’historiens noirs redonnent une place à la contribution des noirs à leur culture et leur destin.

En 1925, une autre de ses compatriotes, Zora Neale Hurston, écrit « Colour Struck » dans le magazine « Opportunity Magazine » et invente l’expression « Negrotarians ». Elle écrivit « Their Eyes Were Watching God »traduit en français sous le titre Une femme noire). Elle fut diplômée d’Antropologie après avoir fréquenté l’Université et créa le magazine « Fire » avec Langston Hugues et Wallace Thurman. Elle s’intéressa au folklore noir américain répondant ainsi au débat qui agitait cette communauté d’intellectuels, à savoir si la littérature devait être réservée aux élites noires ou intégrer la culture populaire.

Cette renaissance aura un impact majeur sur les intellectuels noirs dans les Caraïbes, l’Afrique de l’Ouest, et en Europe.

Et Nella Larsen dans tout cela ?

Clair-obscur, son deuxième roman, publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1929, et qui est devenu aujourd’hui un véritable classique, pose la question de la frontière, de la limite et de la difficulté de l’identité. Aux Etats-Unis, on est noir ou blanc, Barack Obama, est un président noir, alors qu’il est métis.

Née d’une mère danoise et d’un père originaire des Iles Vierges (propriété du Danemark encore à l’époque), Nellie est déclarée « fille de couleur » à la naissance. Sa mère se remarie et donne le jour à une seconde fille déclarée « blanche ». Nellie, puis Nella eut des relations familiales difficiles notamment avec sa sœur blanche. Sa mère, cependant tente de lui assurer une éducation, connaissant les difficultés dues à la ségrégation et l’inscrit en 1907 à Fisk, université noire de Nashville dans le Tennessee, dont elle est renvoyée après une année médiocre (voir la préface de Laure Murat au roman Clair Obscur, très riche et documentée). Elle fait en même temps plusieurs voyages en Europe où elle fréquenta certainement l’Université de Copenhague en auditrice libre.

En 1909, en réponse à une ségrégation qui se durcit, est créé le NAACP (National Association for the Advancement of Coloured People), qui deviendra par la suite une des plus puissantes organisations de défense des droits civils.

Séparée de sa propre mère qui vit dans un quartier interdit aux noirs, Nella Larsen décroche un diplôme d’infirmières en 1915 et en 1919, elle épouse Elmer Imes, un des premiers noirs à avoir obtenu son doctorat de physique . Le couple s’installe à Harlem.

En 1923, elle passe avec succès son diplôme de bibliothécaire et devient responsable, de la section des livres pour enfants grâce au soutien et à l’amitié d’ Ernestine Rose, blanc militant et sympathisant. Puis Carl Van Vechten, bisexuel, ami de Gertrude Stein dont il sera l’exécuteur littéraire sera une autre rencontre déterminante. Elle lui donne à lire ses premières nouvelles et conquis, il la pousse à écrire un roman. Quicksand (sables mouvants) paraît chez Knopf en 1926, ce roman a pour thème le racisme d’une famille blanche mais aussi critique l’élite noire qui « singe » l’oppresseur.

La position d’une métisse, de part et d’autre de la Colour line, la conduit à rejeter toute injonction identitaire. Histoire en quelque sorte d’une femme ni noire , ni blanche. Le dernier biographe de Nella Larsen, George Hutchinson, fait observer que « Passing », son deuxième roman est l’histoire d’une femme blanche et noire. L’identité qui s’était établie en creux devient positive. De complexion claire, on peut « passer pour une blanche » et naviguer des deux côtés de la Colour line.

Mais à la fin du XIXe siècle, les lois Jim Crow, avec la fameuse « one drop rule » stipule qu’une seule goutte de sang noir suffit à considérer une personne comme legally black. On peut donc avoir l’air blanc mais être noir. L’identité devient beaucoup plus complexe à établir puisqu’elle repose sur quelque chose qu’on ne voit pas. Dans ce type de culture, un métis n’existe pas.

Cette réalité à la fois sociale et politique donne lieu à un motif littéraire, le tragic mulatto (a) dans les « passing novels » et permet de traiter la question de l’émancipation des femmes, des races et des classes. Une goutte de sang noir a , en effet, le pouvoir de vous faire déchoir. « The Quadroons » par Lydia Maria Child, premier texte du genre paraît en 1842. De nombreux romans continueront à alimenter cette veine. Nella Larsen va s’éloigner les lois du genre en exploitant le thème de la fine line, où tout se joue à un cheveu.

Il est passionnant de noter que Judith Butler a souligné combien « le non-dit qui frappe l’homosexualité converge dans l’histoire avec l’illisibilité de la négritude de Claire » , le personnage principal du roman. (Judith Butler, « Passing, queering : le défi psychanalytique de Nella larsen , Ces corps qui comptent, Amsterdam 2 009 p 180»

Qu’en est-il aujourd’hui de la color line, censée avoir disparu ? Toni Morrison est-elle seulement écrivain, ou encore et toujours une femme, et une femme noire comme le souligne certains des articles même les plus élogieux à son égard ?

(source Laure Murat, préface du roman Clair Obscur et Wikipédia pour les éléments relatifs à la Renaissance de Harlem)

2 réflexions sur « Nella Larsen et la colour line, auteure métisse dans l’Amérique ségrégationniste des années de l’Entre-deux-guerres »

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