Opinion d’une femme sur les femmes – Fanny Raoul

Fanny-Raoul

Opinion d’une femme sur les femmes – Fanny Raoul – Texte présenté par Geneviève Fraisse- editions « Le passager clandestin » suivi de « Votez pour le Ken le plus sexy de la culture avec Radio France » par Marie Desplechin

vignette Les femmes et la PenséeEn 1801, une jeune Bretonne de 30 ans dont on ne sait aujourd’hui presque rien, s’adresse aux femmes de son temps pour les prendre à témoin des interdits, servitudes et violences qu’il leur faut encore affronter, aux lendemains de la Révolution.

Ce texte est extrêmement émouvant car c’est le cri et la révolte d’une femme qui nous parvient par-delà les siècles et prend à témoin la postérité. Une jeune femme qui  assure avec force, dans des élans visionnaires, qu’un jour les servitudes auxquelles sont assujetties les femmes et qui semblent si enracinées dans les traditions, cesseront. Peu nombreuses sont alors les femmes de lettres. A Constance Pipelet (Constance de Salm ) qui écrit des poèmes, le poète Ecouchard Lebrun (qui lui n’a pas eu les honneurs de la postérité) ordonne avec mépris : « Inspirez, mais n’écrivez pas ». La misogynie ambiante est assez virulente puisqu’un projet , défendu par son auteur Sylvain Maréchal, et intitulé « Projet portant défense d’apprendre à lire aux  femmes » a pu voir le jour et faire débat.

A travers ce texte, on sent toute la détermination, le courage, l’intelligence , la finesse mêlés à la souffrance et au désespoir de cette jeune femme.

Elle construit une argumentation rigoureuse où elle discute point par point les préjugés et les opinions de son temps, en essayant d’en montrer l’arbitraire et l’absurdité. L’asservissement des femmes  sert selon elle des fins politiques, les hommes ne souhaitant pas avoir des rivales en la personne de leurs compagnes. Elle le démontre avec force et en fait voir tous les ressorts.

Selon elle, les hommes et les femmes ayant une part égale dans les processus de la reproduction, « cette nécessité réciproque est donc le fondement de leur égalité naturelle », ils doivent avoir également la même part d’avantages dans la société et la même protection par la loi. Elle démonte l’argument selon lequel les femmes ne sont pas capables d’assumer des fonctions ou des charges politiques en expliquant que cet argument est absurde et ne peut valoir puisque, de toute façon, on ne leur a jamais laissé le loisir de prouver le talent dans ce domaine . Elles sont ignorantes, soit, c’est souvent le cas, mais c’est parce qu’on leur interdit l’accès à toute éducation. Ceux-là même qui devraient les défendre, qui possèdent toute la puissance de la raison, les philosophes, puisqu’ils s’appliquent à démontrer les erreurs et les préjugés des Hommes, ne font rien pour elles. (Poullain de la Barre, mais il était prêtre avant de se convertir au protestantisme- en 1673, fait paraître anonymement De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugez )

« Il est remarquable de voir des philosophes s’attendrir sur le sort d’individus dont un espace immense les sépare tandis qu’ils ne daignent pas s’apercevoir des maux de ceux qu’ils ont sous les yeux ; proclamer la liberté des nègres, et river la chaîne de leurs femmes est pourtant aussi injuste que celui de ces malheureux ».

Elle dénonce également, ce qui, à ses yeux, est plus grave encore : « A force de leur dire qu’elles étaient faites pour l’esclavage, on est parvenu à le leur faire croire et à éteindre conséquemment en elles toute énergie et tout sentiment d’élévation. »

Si l’on considère le sort fait aux femmes dans de nombreuses régions du monde, et les arguments développés pour le justifier, ce texte, deux cent ans après sa publication, garde toute son actualité.

Un beau texte très émouvant, un témoignage par-delà les siècle, qu’il faut lire absolument.