Raja Alem, Le collier de la colombe ; La Cosmopolite Noire, Stock 2012, édition originale 2010, traduit de l’arabe (Arabie Saoudite ) par Khaled Osman, en collaboration avec Ola Mehanna ; 760 pages
Un roman écrit par une saoudienne est suffisamment rare pour qu’on lui prête attention, et un roman qui a obtenu l’Arabic Booker prize d’autant plus.
Le collier de la colombe est un roman foisonnant et difficile, aux multiples références, culturelles, religieuses qui nous sont en partie étrangères, sauf à s’intéresser à ces sujets de manière approfondie. Il exige une vraie patience du lecteur occidental moyen, mais aura de multiples résonances pour un érudit.
Le collier de la colombe (en fait le collier des colombes) renvoie au traité de l’amour et des amants d’Ibn Hazm (994-1064).
Il est le portrait magnifique de deux femmes Azza et Aïcha, qui tentent de se frayer une voie (une voix ?) dans une société aux multiples interdits, mais captives aussi de leur ville La Mekke (La Mecque) avec son atmosphère sacrée, ses énigmes qui empruntées à l’histoire du lieu, donnent au récit un aspect fantastique. Soit que le sacré impose ses visions, ou que les personnages soient victimes d’hallucinations.
Le foisonnement des intrigues et des personnages condamne le lecteur parfois à errer, à oublier, à sauter quelques pages, et à ne retenir que des fragments, à oublier un peu pourquoi il lit. Raja Alem écrit la multiplicité des moments dans une tentative qui ressemblerait un peu aux états de conscience de Virginia Woolf. Car il y a cette promesse au départ, d’une énigme policière puisqu’une femme est retrouvée assassinée dans un passage de la Mekke. Deux femmes ont disparu, laquelle des deux est morte, et qu’est devenue l’autre ? L’inspecteur Nasser, célibataire endurci, est chargé de l’enquête. Curieuse enquête d’ailleurs, que l’on a bien du mal à suivre, tellement elle s’entrecroise d’ une multitude d’événements. On voit que cette société est travaillée de courants , de contradictions, d’élans, et de désespoir, de bonheurs beaucoup plus rares.
Il y a aussi dans ce roman des aspects réalistes qu’on ne peut négliger, une analyse de la société saoudienne, la condition des femmes, la corruption, les inégalités criantes entre riches et pauvres pour ne pas dire miséreux. Une société qui ne cesse de faire le grand écart, entre la prostitution et la police religieuse qui sévit dans les rues de la ville, attentive aux vêtements et à la décence des femmes, les princes qui vivent dans un faste inouï et les miséreux qui vivent dans des décharges, et aussi la confrontation entre tradition (le respect scrupuleux des rites) et la modernité (les tours luxueuses, le marketing autour de ces lieux sacrés, internet). Le monde occidental devient si lointain et si proche pour des femmes qui ne peuvent voyager autrement qu’accompagnées, et à qui il est impossible dans leur propre pays de simplement conduire.
Aïcha avoue : « Nous avons grandi avec la peur du monde extérieur. Tu ne me croiras pas si je te dis que la femme que tu as soignée et que tu as accueillie chez toi ne s’est jamais trouvée seule à seul avec un homme étranger à sa famille, n’avait jamais marché dans une rue sans accompagnateur, ne s’était jamais isolée avec elle-même, n’avait jamais quitté la bulle de la peur pour tester ses propres limites… »
Mais malgré tout l’intérêt de ce roman, j’ai vraiment démérité, je ne saurais pas vraiment qui est mort et pourquoi, le mystère restera à jamais entier, même si je fus parfois touchée par la grâce de la plume de Raja Alem et de ses fulgurances.
Née à La Mekke en 1970, Raja Alem a fait des études de langue et littérature anglaises avant de publier une douzaine d’ouvrages : romans recueils de nouvelles, pièces de théâtre. Elle compte parmi les écrivains de langue arabe les plus importants de sa génération. Son dernier roman « Le collier de la colombe » publiée au Liban est à peine disponible en Arabie Saoudite.
J’avais lu ce roman lorsqu’il est sorti et je partage totalement ton pont de vue. Je n’avais pas réussi à le terminer, avec regret, mais en garde pourtant un bon souvenir.
Trop de références qui nous sont étrangères je pense… signe qu’il y a donc du travail à faire de part et d’autre !
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