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Marie Krysinska (1864-1908) – Le poème des caresses

Elle fut la première à pratiquer le vers libre en France dans les années 1881-1882, précédant le combat décadent de Gustave Kahn.

Inoubliables baisers qui rayonnez

Sur le ciel pâle des souvenirs premiers !

Baisers silencieux sur nos berceaux penchés !

 

Caresses enjouées sur la joue ;

Tremblantes mains des vieux parents, –

Pauvres chères caresses d’antan,

 

Vous êtes les grandes soeurs sages

Des folles qui nous affolent

Dans les amoureux mirages.

 

Baisers ingénus en riant dérobés,

Moins à cause de leur douceur souhaités,

Que pour s’enivrer de témérité.

 

Premières caresses, vacillantes –

Comme, dans le vent âpre,

Des lumières aux lampes ;

 

Caresses des yeux, caresses de la voix,

Serrement de mains éperdues

Et longs baisers où la raison se noie !

 

Puis, belles flammes épanouies,

Sacrilèges hosties

Où tout Dieu vainqueur avec nous communie !

 

Caresses sonores comme les clochettes d’or,

Caresses muettes comme la Mort,

Caresse meurtrière qui brûle et qui mord ! …

 

Baisers presque chastes de l’Amour heureux,

Caresses frôleuses comme des brises,

Toute-puissance des paroles qui grisent !

 

Mélancolique volupté des bonheurs précaires.

Pervers aiguillon du mystère,

Éternel leurre ! ironique chimère !

 

Puis, enfin, dans la terre –

Lit dernier, où viennent finir nos rêves superbes, –

Sur notre sommeil, la calmante caresse des hautes herbes.

La Force du désir, roman, Mercure de France, 1905 Texte en ligne