En 1791, le 31 mai Manon Roland est emprisonnée, à l’âge de 39 ans. La terreur, responsable de plus de 17 000 exécutions entre mars 1793 et 1794, va la broyer à son tour mais elle ne le sait pas encore. Le 8 novembre, elle n’est pas autorisée à lire le texte qu’elle a préparé pour sa défense et sera guillotinée le jour-même.
Elle s’est défendue pourtant, a écrit des lettres de protestation pour dénoncer l’arbitraire de sa détention. Ce qui n’a pour effet que de lui donner quelques heures de liberté avant d’être incarcérée à nouveau à Sainte-Pélagie et à la Conciergerie. Elle n’en ressortira que pour être exécutée.
Mais elle a la plume facile Manon, elle a toujours écrit beaucoup, d’abord comme journaliste au Courrier de Lyon mais aussi fervente épistolière avec son ami Sophie et des savants qu’elle a rencontrés, lors de ses voyages et avec lesquels elle entretient une longue et régulière correspondance.
Elle écrit pour défendre ses idées, a beaucoup lu les philosophes et sa plume est pour elle une arme de combat. Elle écrit parfois, masquée, sous couvert de son mari dont elle rédige quelques discours ou quelques lettres.
Dans la prison où elle est enfermée, elle « occupe une petite chambre dont elle paie le loyer. Elle achète une écritoire, du papier, des plumes »[1] et décide d’écrire l’histoire de sa vie. Peut-être pense-t-elle à la postérité et à l’image qu’elle laissera après sa mort. Elle tient à laisser son témoignage car croit-elle, elle se connaît mieux que personne.
Mais pour l’heure, elle écrit dans l’urgence, « fixe fébrilement sur le papier ses souvenirs des événements politiques récents ; elle raconte ses deux arrestations et sa vie en prison, et dresse le portrait des Girondins dont elle-même et son mari, amis de Brissot, partagent les vues. »
Fin août, elle commence ses mémoires qu’elle rédigera entre le 9 août et le début du mois d’octobre : « Je vais m’entretenir de moi pour mieux m’en distraire », écrit-elle en ouverture et signe ainsi la première autobiographie au féminin. Nourrie de ses lectures et de Rousseau notamment, elle tente d’être sincère et vraie et de s’examiner en conscience avec ses qualités et ses défauts.
Manon n’est pas aussi radicale et engagée qu’Olympe de Gouges qui publie en 1791 la célèbre « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » et en appelle à l’égalité des sexes. Manon quand elle songe à l’éducation de sa fille, invoque « les devoirs de son sexe » et la nécessité d’être « femme de ménage, comme mère de famille ».[2]
Pourtant si Manon fut exécutée, ce fut non seulement pour son activisme politique mais aussi selon les pamphlets de l’époque, parce qu’elle outre passa les limites de son sexe en voulant s’instruire et participer aux grands débats d’idées. On peut lire dans la « feuille du salut public « publié le jour de son exécution « […]elle était mère, mais elle avait sacrifié la nature, en voulant s’élever au-dessus d’elle : le désir d’être savante la conduisit à l’oubli des vertus de son sexe, et cet oubli, toujours dangereux, finit par la faire périr sur l’échafaud. »
Le portrait que Manon dresse d’elle n’est pas sans complaisance :
« Ma figure n’avait rien de frappant qu’une grande fraîcheur, beaucoup de douceur et d’expression; à détailler chacun des traits, on peut se demander où donc en est la beauté? Aucun n’est régulier, tous plaisent. »
Elle commente avec une certaine autosatisfaction tout le chemin qu’elle a parcouru mais n’est pourtant pas dupe : « Je ne sais pas ce que je fusse devenue, si j’eusse été dans les mains de quelque habile instituteur ; il est probable que, fixée sur un objet unique ou principal, j’aurais pu porter loin un genre de connaissance ou acquérir un grand talent : […].
Elle se révèle aussi extrêmement touchante, derrière la façade un peu maniérée, de la petite fille sage, pieuse, réservée et tout occupée à l’étude. On sent touts les mouvements d’une femme en train de se faire, entière, exigeante et passionnée, au caractère inflexible et fière de ce qu’elle accomplit.
Il fallut de toute façon qu’elle fût exceptionnelle pour braver tant d’interdits et laisser son nom dans l’Histoire. Peut-être l’Histoire l’y a-t-elle aidée en lui offrant un rôle à sa mesure.
J’ai été très touchée, quant à moi, par la voix de cette femme, sa douceur et sa force inébranlable, que rien , ni personne ne put faire plier.
Je vais lire de ce pas l’article que lui a consacré Mona Ozouf dans les « mots des femmes ».
Je sais par où commencer maintenant ! Merci Anis !
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Cela me fait plaisir que tu t’intéresses à ces personnages qui ont beaucoup d’importance pour moi. J’espère que d’autres s’arrêteront aussi comme toi sur cette vie et cette œuvre.
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C’est aussi pour cela que cette collection Folio est importante : rendre accessible et audible, ces voix (martyrs du passé) qui ont souffert mais ont fait progresser la cause féminine. Merci, Anis pour cette belle chronique.
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Oui mais pas seulement martyr, ici ce sont les écrits d’une femme en un temps où il n’y en avait guère et que la collection « femmes de lettres » essaie de remettre à l’honneur et de faire connaître. Mais cela n’intéresse pas la majorité des gens qui parfois recherchent surtout des gens connus.
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Oahhh, je le beux ! Tout m’intéresse dedans !
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C’est intéressant quand on veut connaître aussi les femmes qui ont écrit.
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Merci de nous faire entendre ces voix, Anis. Ton blog est précieux.
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Merci à toi de leur faire écho avec toute la générosité qui te caractérise.
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