L’Histoire de Poncia (2003) – Conceição Evaristo Editions Anacoana, 2015 pour la traduction française, traduit du brésilien par Paula Anacaona et Patrick Louis
Comment parler de la puissance de cette auteure, de sa formidable énergie, de son immense talent ? Comment remercier les éditions Anacaona (pilotées par Paula Anacaona) d’avoir favorisé cette rencontre ? Car comment comprendre que cette œuvre courte mais puissante, essentielle, au programme du baccalauréat au Brésil n’ait pas été traduite jusqu’ici ?
Dans une interview donnée au magazine Culturelire, Conceição Evaristo explique que ce livre, publié en 2003, l’a été dans un contexte particulier, Lula venait d’être élu et une loi avait été votée obligeant à enseigner l’histoire et les cultures africaines à l’université.
Ponciá fabrique des poteries avec sa mère ; elle a du talent et rêve d’une autre vie. Elle décide de quitter la terre de ses ancêtres pour aller en ville. Ponciá est un personnage profondément seul car toute lutte personnelle ancre dans la solitude. Son errance représente selon l’auteure, le manque d’espace, non pas géographique, mais émotionnel. Elle a appris à lire mais cette conquête dont elle est si fière lui paraît au bout du compte inutile. Elle ne parvient pas à aller plus loin parce qu’elle n’a pas accès aux livres, elle lit seulement les journaux qui ne lui apprennent rien d’autre que des faits, des événements sans fournir une analyse des causes qui les ont fait advenir. L’avenir est bouché, car être femme, noire et pauvre rend les rêves impossibles tant sont lourds les déterminismes sociaux. Conceição Evaristo a fait toute sa carrière comme institutrice et a repris ses études après 40 ans pour reprendre ses études et parvenir à obtenir un doctorat. Ponciá ne pourra pas aller aussi loin. Dans le roman, il existe un univers basé sur les cultures bantoue et nago. Les voyages de la mère, son retour au foyer familial, sa quête, représentent les étapes d’un rite de passage. Tout au long de ce court roman, l’histoire du peuple noir, de sa dépossession, de l’esclavage est particulièrement présente car elle est inscrite dans l’histoire familiale comme dans l’histoire politique. Le grand-père acculé à la folie et au désespoir, le rêve de commander et de frapper de son frère, les absences de Ponciá (don de double vue ?) de plus en plus longues et qui la condamnent à la passivité. La quête est celle du lien, d’un tissage qui permet de s’inscrire dans une histoire et une culture.
La langue de Conceição Evaristo est belle, très pure, très rythmée.
« Elle aurait voulu lui confier ses peurs anciennes qui la submergeaient parfois. Elle aurait voulu savoir si lui aussi souffrait de ce mal, si lui aussi avait des angoisses. Elle aurait voulu que l’homme lui parle de ses rêves, de ses projets, des espoirs qu’il avait dans la vie. Mais il restait silencieux. Il ne pleurait pas, ne riait pas. Même au début, quand Ponciá s’ouvrait à lui, l’homme restait muet, les mots coincés dans la gorge. Aucun de ses gestes n’était porteur de sens. Ponciá, elle, vivait l’angoissante et désespérante envie de la rencontre.
Un mélange de colère et de déception s’emparait d’elle quand elle se rendait compte qu’ils n’allaient jamais au-delà du corps, qu’ils ne se touchaient jamais au-delà de la peau. »