La nuit spirituelle – Lydie Dattas – Gallimard 2013
La genèse de ce long poème en prose écrit en 1977 est tout à fait intéressante. Admiratrice de Jean Genêt, Lydie Dattas le rencontre un soir dans le studio qu’il avait loué dans son immeuble et une discussion s’engage où elle lui fait part de ses désaccords. Profondément blessé, Jean Genêt lui signifie son bannissement par personne interposée : « Je ne veux plus la voir, elle me contredit tout le temps. D’ailleurs Lydie est une femme et je déteste les femmes. » Rejetée ainsi dans la « nuit » de son sexe, elle décide d’écrire un long poème « si beau » qu’il l’obligerait à revenir vers elle, cherchant à lui rendre mot pour mot, la blessure qu’il lui a infligée. Elle y réussit car le jour suivant il se tenait à sa porte.
Il écrivit même : « Je ne comprends pas comment vous avez pu faire des phrases si riches. C’est comme ce que j’aime le mieux, Baudelaire, Nerval. »
A son tour, jean Grosjean en fit l’éloge : « C’est passionnant et arrachant, et tout à fait scandaleux »
Etre femme c’est être renvoyée à la « nuit » de son sexe, exclue de la beauté et de l’esprit. Les femmes ne peuvent pas créer à l’égal des hommes, la misogynie ambiante les condamne à leurs fonctions biologiques, dans le cercle étroit de leur foyer. Qu’à cela ne tienne, puisque Lydie est exclue de ce cercle des créateurs parce qu’elle est une femme, elle fera de cet exil un chant, plus beau que tous les autres.
Ce poème s’articule autour des métaphores de la nuit et du jour, de la lumière et de l’obscurité, dans la grande tradition :
« Si je chante c’est d’une voix sombrée : aucun motif, aucun ornement qui doive ici sa beauté à la lumière, mais chacun tirant son éclat de la nuit et son rayonnement de la tristesse, aggravera sa misère. »
La beauté est désespoir, elle renvoie à la nuit intérieure, à la nuit spirituelle de celle qui en est exclue. Mais son art est si consommé que les ténèbres irradient de manière plus somptueuse encore.
« Ne pouvant supporter de vivre en dehors de la beauté, mais ne pouvant m’en approcher sans la profaner davantage, je m’efforcerai de rendre cette malédiction même une beauté, je m’efforcerai de rendre cette malédiction si profonde et si sombre qu’elle en soit belle. »
Ainsi la condamnation et l’exclusion, seront les moteurs de la création, mais rien, vraiment rien n’empêchera la poétesse de parfaire son chant.
Un très beau texte.
Merci à Claire de me l’avoir offert.