Et ton absence se fera chair : Un roman érotique émouvant de Siham Bouhlal, 5 juillet 2016, éditions Yovana
Siham Bouhlal est une romancière, poète et médiéviste née à Casablanca dans une famille originaire de F7s et installée en France depuis vingt-sept ans. Titulaire d’un doctorat en littérature de l’Université de Paris-Sorbonne, elle se consacre à la traduction de textes médiévaux. L’art de vivre, le fonctionnement de la société arabo-musulmane classique, la pratique d’un certain islam « ancien » restent ses sujets de prédilection. La question de l’amour courtois, du corps et de l’acte amoureux dans son ensemble demeurent aussi une obsession chez elle.
Publié un peu moins d’une dizaine d’années après la mort de son grand amour, Driss Benzekri, figure de proue des droits de l’homme, marocain, décédé des suites d’un cancer en mai 2007, Siham Bouhlal évoque l’absence et sa douleur et tente de faire revivre son amour par le pouvoir d’évocation des mots. L’écriture est lutte contre l’oubli et recréation des moments du passé. Elle tente de faire revivre la présence dans le creux même de l’absence car ce qui est vécu ne peut être écrit dans le même temps qu’il est vécu. Elle est témoignage, résurrection et trahison, fantasme et récit.
Le désir est évocation de l’absent : « Amarg, c’est le désir qui erre dans le désert, cherche l’aiguade, l’atteint encore brûlant mais essoufflé, anéanti, qui s’y jette, s’y consume, s’en emplit, s’y renforce et puis, plus sûr de lui encore, plus puissant, qui continue à chercher, qui devient encore plus « désir » à chaque fois. »
Un désir qui oublie son objet est condamné à l’errance sans fin dans les méandres d’un deuil impossible à accomplir.
C’est ce que j’ai ressenti à la lecture de ce livre, une ode à l’aimé disparu, une dernière tentative contre l’oubli, la volonté de détourner l’absence au profit du sentiment intérieur de la présence à l’autre. Une révolte contre le sort, en fin de compte inutile. Il ne reviendra pas. Et le livre en est le constat. Des bribes de souvenir s’enfuient déjà. Pourtant, qui a véritablement aimé, connaît la force de ce sentiment, de cette présence intérieure qu’acquiert l’aimé lorsqu’il disparaît. L’absence est totale présence de l’autre à soi-même. Et lorsque ce sentiment, la plupart du temps anesthésié pour que l’endeuillé puisse continuer à vivre sans sombrer dans la folie, resurgit, c’est avec la même force et la même violence, comme un coup de poing à l’estomac. La douleur, elle, s’atténue.
J’ai trouvé très curieux cette partie du titre : un roman érotique émouvant. Même si l’union des corps y est célébrée, je ne qualifierais pas ce roman d’« érotique », mais de conversation intérieure, à laquelle se joignent les voix d’inconnus, qui aident au tissage, la voix de ceux qui lisent avec leurs amours présentes, passées ou à venir.