Żanna Słoniowska – Une ville à cœur ouvert – Editions Delcourt, 2018, pour la traduction française, roman traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez
Nous assistons, impuissant.es au martyr de nombreuses villes ukrainiennes et à la souffrance de leurs habitants, quand ce n’est pas leur mort par dizaines, par milliers. Ce roman a pour personnage principal une ville d’Ukraine qui, au cours de l’Histoire, a été le théâtre d’affrontements entre différents états, jouet de leur désir d’hégémonie et de puissance. Ella a été tour à tour polonaise, autrichienne, russe puis enfin ukrainienne avant d’être aujourd’hui à nouveau prise dans la tourmente de la guerre.
Située à moins de cent kilomètres de la frontière polonaise, Lviv (Lwów en polonais) et Lvov en russe. Selon la traductrice, Caroline Raszka-Dewez, son nom se prononce « Li’viv » avec un L initial au son mouillé. L’autrice écrit en polonais.
Ce roman a reçu le prix Conrad Award.
L’histoire de la ville est racontée à travers quatre destins de femmes, intimement liée, chacune, aux bouleversements politiques de l’Ukraine. Des combats polono-ukrainiens de 1918 à la russification à marche forcée, de la Renaissance fusillée par Staline (purges d’écrivains ukrainiens), à la suppression dans les dictionnaires de nombre de mots d’origine ukrainienne, afin que la langue se rapproche du russe.
Elle débute en 1988, alors que Marianna meurt, abattue lors d’une manifestation antisoviétique. Le drapeau ukrainien est interdit, et le brandir lors d’une manifestation est passible d’arrestation, voire de mort. Le monde soviétique ne plaisante pas avec le nationalisme ukrainien. Tout comme le chant des fusiliers ukrainiens entonné par Marianna :
« Oh ! dans la clairière s’est couché l’obier rouge,
Notre glorieuse Ukraine est tout en peine… »
La ville souffre et porte les stigmates de la mort de Marianna. « Le jour de son enterrement, c’était comme si les accords de l’orchestre militaire allaient faire voler en éclat les façades qui, tels de gros gâteaux à la crème, ornaient les édifices de notre rue. »
L’histoire entre dans les vies de ses habitants « en forçant portes et fenêtres »
Chanteuse d’opéra, Marianna devient symbole de la ville martyr, pleurée par le peuple, par sa fille inconsolable et son jeune amant, Miko, scénographe.
Les plaques commémoratives poussent sur les murs comme des champignons, les balcons s’effondrent, la ville bat comme un cœur, gémit, exhibe ses pustules, perd ses membres.
Et comme partout, ce sont les pavés de la révolte que l’on jette… Jusqu’à la victoire, qui au fond, n’est que provisoire.