Virginia Woolf – Une chambre à soi – Denoël 1977
En 1928, chargée de faire l’ouverture d’une conférence sur le féminisme en traitant du thème « Les femmes et le roman », Virginia Woolf évoque dans ce court pamphlet, comment les femmes, placées sous la dépendance spirituelle et économique des hommes, ont été empêchées d’écrire.
Dans ce livre, on entend véritablement la voix de Virginia Woolf. Peut-être parce qu’il a été écrit pour être dit et possède de ce fait une oralité propre. Une voix vibrante, exaspérée parfois, ironique. Une voix bouleversante et quelquefois prophétique. Un texte qui redonne sa mémoire aux femmes, qui les lie à cette lignée d’ancêtres, à cette longue lignée de femmes épouses, ménagères, filles, mères, et qui ne furent rien d’autre que cela.
Elle imagine parcourir les rayons d’une bibliothèque à d’Oxbridge, lieu imaginaire, où seuls les étudiants et les professeurs ont le droit de marcher sur la pelouse, les femmes devant se contenter du gravier. Et elle témoigne de sa propre colère devant les déclarations de ce professeur qui encore en son temps stipulent que les femmes sont intellectuellement, moralement et physiquement inférieures aux hommes. Elle s’interroge : pourquoi cet homme est-il ainsi en colère contre les femmes ? S’il insiste ainsi sur leur infériorité, n’est-ce pas pour prouver sa propre supériorité et ainsi établir son autorité ? Et la femme n’est-elle pas ce miroir indispensable dans lequel il peut contempler son incontestable supériorité ?
Accéder à l’égalité des droits et des statuts est se libérer de cette tutelle qui vous assigne à la seule fonction de miroir pour devenir soi-même maître de sa vie et de ses choix. Pour cela, les femmes doivent accéder à l’indépendance économique et financière qui permet de décider des orientations de sa propre existence. Une femme qui veut écrire doit posséder les moyens d’assurer sa subsistance pendant qu’elle écrit et qu’elle n’est pas encore publiée. Elle doit aussi posséder une chambre à elle, un lieu où elle peut se réfugier pour travailler sans être interrompue. D’ailleurs, elle explique que c’est une des causes de la prédilection des femmes pour le roman : on peut l’écrire dans une pièce commune, où l’on vous interrompt fréquemment car son écriture nécessite moins de concentration que la rédaction d’un essai.
Elle remarque que si les personnages féminins envahissent la littérature écrite par les hommes, les femmes, elles, sont étrangement absentes de l’Histoire. On n’a pratiquement aucun témoignage des femmes avant le XVIIIe siècle car elles n’écrivaient ni poèmes, ni mémoires, à peine quelques lettres. Il n’existe pas non plus, regrette-t-elle, d’Histoire des femmes qui pourrait nous renseigner sur les conditions d’existence de ces dernières mais ce qui est sûr c’est qu’elles étaient et mariées et assujetties très tôt à tous les travaux domestiques.
Les quelques femmes qui auraient voulu se révolter et assumer une vie libre, n’auraient pas résisté à la pression psychologique, au déchirement, à la solitude, à la réprobation sociale et à l’exclusion qui en découle. Les femmes devaient se battre contre l’image qu’on leur renvoyait d’elles-mêmes car dès leur berceau, on leur assenait qu’elles étaient inférieures, qu’elles ne pouvaient faire ni ceci, ni cela. Comment être assuré de soi-même et de ses capacités dans ces conditions ?
Les femmes ont pu commencer à devenir des écrivains à part entière quand elles ont pu gagner de l’argent en étant publiées. C’est ainsi que Jane Austen et Emily Brontë purent écrire. Elles le firent à leur manière, comme écrivent les femmes, dit Virginia Woolf et non comme des hommes. Elles furent sourdes aux conseils qui disaient aux femmes ce qu’il fallait écrire et comment. Virginia Woolf pense à son époque que l’esprit d’une femme est différent de celui d’un homme, bien qu’ils soient égaux en dignité et en valeur. Elle utilise la métaphore de l’allure et de la démarche. Ce que l’on vit, les épreuves que l’on traversent, travaillent l’esprit différemment, comme l’eau travaille le lit de la rivière. En ce sens, il y a bien une écriture féminine. Non qu’elle soit d’une essence différente mais seulement parce qu’elle est travaillée de l’intérieur par des sensations, des expériences intérieures, et des conditions de vie différentes. Elle a une vision parfois différente et élargie parce que ses expériences lui ouvrent des champs de possibles différents.
Mais il y a fort à parier que lorsque les femmes auront leur liberté de mouvement, elles répartiront différemment leurs ressources et leur énergie, et écriront différemment. Mais en femme de son temps, elle insiste plus sur les différences que sur les ressemblances et en matière d’éducation se révèle très conservatrice.
Les choses changent cependant, et il sûr qu’un jour les femmes pourront bénéficier d’une indépendance intellectuelle parce qu’elles accèderont à l’indépendance matérielle. Et Virginia Woolf prophétise : « Logiquement elles participeront à toutes les activités, à tous les emplois qui leur étaient refusés autrefois. » Elles auront alors une chambre à soi, où elles pourront écrire.